Bien que je m'inquiétais dans mon dernier billet de la sortie de la Grande-Bretagne de l'Europe "que je trouverais plutôt souhaitable" mais qui risquait "dans ce contexte de renforcer encore les nationalismes", je m'étais couché de fort mauvaise humeur le soir du référendum qu'on annonçait perdu pour les partisans du Brexit. Il devenait insupportable de frôler à chaque fois la catastrophe et que finalement il ne se passe rien. La surprise fut donc totale au petit matin et j'y trouvais quand même quelques raisons de me réjouir. Certes l'Europe pourrait ne pas s'en relever mais le Royaume-Uni n'a jamais voulu qu'un grand marché. On se débarrasse donc ainsi d'un libéralisme intransigeant qui avait infiltré toutes les institutions européennes. Cela ne suffira pas forcément à arranger les choses, les Allemands semblant bien décidés à maintenir sous leur férule les peuples récalcitrants, en premier lieu la France, et leur imposer une rigueur dominatrice se refusant à toute solidarité européenne. Ce sont ces fanatiques à courte vue et mentalité de comptable qui pourraient faire éclater l'Europe, avec un véritable risque de raviver des conflits séculaires - ce qui paraissait incroyable hier encore mais ne doit plus être pris à la légère !
Si la sécession de la Grande-Bretagne ne nous entraîne pas dans l'abîme, achevant une économie mondiale déjà sous perfusion financière, ayant épuisé tous les autres moyens disponibles, l'événement pourrait bien avoir quelques avantages. D'abord, de démontrer à tous les populistes, qui pullulent partout, les limites de la souveraineté et de votes démocratiques qui prétendent décider à quelques pour cent près du destin d'un pays. Car, la première chose qui va sauter aux yeux, c'est que les Britanniques restent en Europe et que leur économie est complètement imbriquée avec les autres pays du continent. Les négociations qui pourraient être assez rudes mettront en évidence que le cadre européen, c'était sans doute pas si mal après tout - y compris pour l'immigration. Il est préférable que ce soit un grand pays qui en fasse l'expérience plutôt que la petite Grèce saignée à blanc. On voit bien que l'Europe n'est pas un mariage d'amour (il suffit d'écouter Wolfgang Schäuble), cela reste du moins un mariage de raison. Qu'il faudrait refonder, mais plus facile à dire qu'à faire. Le chantage au départ de l'Union deviendra permanent et il y aura toujours un moment où un référendum pourra décider de sortir (avec pour premier résultat d'augmenter les différentiels de taux entre pays). Il a fallu une guerre meurtrière aux Etats-Unis pour empêcher la sécession ! La seule voie qui semble praticable est une Europe à plusieurs vitesses mais ne croyez pas les discours, ce sont les événements qui se précipiteront pour nous forcer la main (il n'est même pas absolument impossible qu'un autre référendum contredise le premier, cela s'est déjà vu en Europe).
Il est certain que s'il suffisait de voter pour supprimer le chômage, la misère voire le néolibéralisme, comme le proclament tous les populistes et démagogues, ce serait merveilleux. Il est très significatif qu'on ait la même surestimation de la démocratie à l'extrême-droite qu'à l'extrême-gauche alors que la démocratie n'est que le moins pire des systèmes. Les gauchistes ont pourtant toujours été groupusculaires, jamais la démocratie ne les a soutenus, mais le mythe du pouvoir du peuple y reste fortement ancré alors même que ce sont les tendances nationalistes et fascisantes qui ont le vent en poupe. On voudrait que le vote ouvrier ne soit pas motivé par l'immigration alors qu'il est bien évident que c'est l'immigration qui a fait basculer le résultat du référendum. Partout ailleurs qu'en Angleterre il aurait été possible d'interpréter le rejet de l'Europe comme un rejet de ses politiques libérales, mais pas dans le pays le plus libéral et financiarisé ! C'est bien sûr pratique d'avoir un bouc émissaire. Si on fait de l'Europe la cause de tous les maux, il faut sur le champ sortir de l'Europe, tout étonné ensuite de se retrouver avec une droite (nationale) au pouvoir et une politique tout aussi libérale si ce n'est plus brutale ! On peut d'ailleurs nommer l'origine du mal d'autres noms : néolibéralisme, capitalisme, marché, technique, oligarchie, quand ce ne sont pas d'obscurs complots. Une fois nommé, hop on le supprime (en pensée) et tout va bien ! Ceux qui y croient peuvent en devenir enragés, on le comprend bien, ce serait si facile, incompréhensible qu'on s'y refuse. C'est malheureusement un peu plus compliqué, il y a des réalités matérielles et, comme en Egypte ou au Venezuela, on voit que la démocratie ne peut rien face à une politique qui échoue.
Les Français, dernier peuple politique, ne veulent rien en savoir, mais l'ère des grandes idéologies a définitivement vécue avec la globalisation marchande et l'empire du droit. Ce n'est pas, bien sûr, qu'on ne pourrait rien y faire mais, comme je le martèle en vain depuis des années, il faudrait revenir au local, à ce qu'il est possible de faire au niveau de la commune, pour s'affronter à la difficulté des problèmes mais aussi à de véritables solutions, moins imaginaires ou autoritaires. Personne n'y croit mais le moment de vérité pourrait approcher où, devant l'impuissance politique, le mythe de la souveraineté et de ses vaines espérances se dissipera, laissant place à la coopération internationale. Il apparaîtra alors clairement à tous, qu'il faut s'adapter aux évolutions du travail et construire ses nouvelles protections sociales plutôt que de se rêver hors du monde et de son époque. Mais, en attendant, il semble bien qu'on soit entré dans de grandes turbulences, un avenir qui est redevenu imprévisible.
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