Pour certains, ça y est, c'est le grand soir. Le risque est grand pourtant qu'on assiste plutôt à un baroud d'honneur, un dernier combat d'arrière garde avant la disparition de la gauche annoncée et le retour d'une droite dure. Les choses sont en tout cas très mal engagées, comme si toute la vieille gauche tombait dans le piège de démontrer son archaïsme et qu'elle n'a rien à dire sur nos nouvelles conditions de vie, simple rejet de la mondialisation et des nouvelles forces productives au nom d'une société salariale mythifiée.
Cela pourrait être aussi son moment de vérité et ouvrir à une réflexion plus en profondeur sur les évolutions du travail et les nouvelles protections nécessaires au travail autonome et à l'extension de la précarité, au lieu de s'arcbouter sur le salariat du passé et la défense des droits acquis (souvent en vain). Le moins qu'on puisse dire, c'est que, pour l'instant, on est loin de prendre le chemin d'une vision d'avenir et d'une remise à plat du droit du travail pour affronter l'économie numérique et conquérir de nouveaux droits. Impossible pour les syndicats de salariés de lâcher la proie pour l'ombre et, de toutes façons, avec le nombre de débats à gauche sur le sujet, on sait bien qu'il est impossible de se mettre d'accord sur ces questions chargées d'idéologie et qui ne se règlent à chaque fois que sous la pression des faits.
Il est consternant qu'on s'imagine possible une nouvelle réduction du temps de travail pour tous (bien que possible et souhaitable dans certaines entreprises) alors qu'on démantèle plutôt les 35H ne nous ayant pas protégés d'un chômage de masse. Même si on a pu avoir au début quelques centaines de milliers de création d'emploi pour compenser la réduction du temps de travail, ce n'était pas durable et n'est rien par rapport aux millions de chômeurs. De toutes façons, il est exclu que les 32H trouvent une majorité dans notre contexte, c'est parler pour ne rien dire. On ne peut rester bloqué sur de vieilles chimères (auxquelles j'ai cru avant l'expérience) mais jamais l'intelligence n'a autant semblé déserter une gauche en pleine décomposition.
Pour pas mal de militants, tout se résume à gagner des droits contre les employeurs, de même que certains employeurs croient qu'il faut payer les travailleurs le moins possible, comme s'il n'y avait aucun réel derrière, pas de production ni de compétences, juste la lutte des classes et un rapport de force qui est malheureusement d'autant plus défavorable que le chômage et la concurrence internationale sont élevés. La lutte des classes existe incontestablement, notamment des riches contre les pauvres, mais ne peut jouer que sur la répartition des gains de production. Sinon, c'est simple, le retour de bâton est immédiat. Ainsi, les conquêtes de Mai68 ont été effacées en quelques années par l'inflation, seules restent les mesures qui sont positives économiquement. On peut dire que l'économie est de droite, du côté de la richesse, mais c'est un peu inexact car la concentration excessive de richesse tout comme des salaires trop bas ne sont pas bons pour l'économie. Non, le problème avec l'économie, c'est qu'on n'en fait pas ce qu'on veut. C'est elle qui dicte sa loi avec une sauvagerie bien difficile à maîtriser.
Le mot d'ordre #OnVautMieuxQueCa reflète assurément notre temps mais traduit aussi une vision très naïve de l'économie. D'abord, les millions de chômeurs le valent bien tout autant, sans compter tous ceux qui ont des boulots de merde, ce qu'on peut déplorer mais qui est la triste réalité. Il est sûr que s'il suffisait de décider qu'il n'y a plus de chômage, il faudrait le faire, sauf que cela ne marche pas comme ça, on n'y arrive pas. Sans doute pour des causes budgétaires mais on croyait avant que c'était à cause d'un Euro fort ou des intérêts des emprunts, si ce n'est le prix du pétrole alors que rien n'a changé depuis que la situation s'est inversée sur tous ces points. La seule chose certaine, après-coup, c'est l'échec du politique jusqu'ici à réduire le chômage. Il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir. En tout cas, si la gauche prend des mesures de droite, ce n'est pas parce qu'elle est vendue à quelque puissance occulte mais qu'elle s'y sent obligée par le niveau de chômage et parce que les études économiques semblent appuyer ces mesures, c'est un fait même si on peut trouver ces études contestables et que les mesures prises nous paraissent trop injustes à peser d'abord sur les plus faibles, ce n'est pas pur arbitraire ou volonté de nuire mais copier ce qui semble avoir réussi ailleurs.
Il est assez douteux que la mobilisation des syndicats soit assez forte pour repousser le projet mais ce ne serait que partie remise car le prochain président ne devrait pas prendre de gants pour aller encore plus loin. Le débat parlementaire pourrait quand même l'améliorer un peu mais sans en changer l'essentiel. Cependant, le reproche principal qu'on devrait lui faire, c'est le même qu'à ses opposants, c'est de manquer d'ambition et de vision du futur. La seule mesure relativement positive, c'est le compte personnel d'activité, sous une forme bien trop insuffisante. Chacun voit bien le déséquilibre entre une précarité accrue, qui est celle de l'accélération technologique plus que du droit du travail, et l'absence de contrepartie pour sécuriser les parcours professionnels. Au lieu de la refuser verbalement, reconnaître cette précarité comme liée à une économie en évolution rapide permettrait de revendiquer les mesures nécessaires pour y faire face, en premier lieu un revenu garanti, au lieu de se battre en vain contre l'évolution économique. Les chances pour qu'on prenne cette orientation sont à peu près nulles même si l'idée progresse, rejetée encore très majoritairement aussi bien par la droite que par la gauche (même si on en a déjà une petite préfiguration avec la prime d'activité). La perspective de revenus inférieurs au smic complétés par un revenu de base n'a certes rien d'idéal (rien d'une mesure révolutionnaire) mais vaut peut-être mieux que le chômage de masse ou les travailleurs pauvres sous-payés sans revenu supplémentaire.
Il ne semble pas que ces idées soient audibles encore, je ne parle même pas des institutions du travail autonome et du développement humain pourtant nécessaires pour compléter le tableau. Il ne sert sans doute à rien d'en parler dans ce contexte, ne pouvant qu'assister impuissant au naufrage d'une tradition salariale glorieuse mais dépassée. Sauf improbable surprise, ce dernier combat des syndicats risque donc d'être perdu et de signer l'effondrement de la gauche - pour qu'une autre gauche puisse émerger mais pas avant de cuisantes défaites sans doute ? Cette gauche du futur devra être plus réaliste, pour être plus efficace, ne se payant plus de mots et ne délaissant pas les plus défavorisés, ni la réduction des inégalités, mais en se réglant sur les effets tout comme en se concentrant plus sur le local ou la vie quotidienne. Au lieu de vouloir dire en vain dans quel monde on voudrait vivre, il vaudrait mieux faire de la prospective et comprendre dans quel monde on va vivre pour s'y préparer, le rendre vivable, celui des smartphones, de l'impression 3D, des voitures autonomes, de l'intelligence artificielle, des robots et de l'ubérisation des services, offrant une alternative au salariat mais dont les institutions sont à construire, tâche d'une gauche à venir...
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