La théorie de l’évolution comme théorie de l’information

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L'interprétation de la théorie de l'évolution comme théorie de l'information et processus cognitif n'est pas nouvelle où c'est l'acquisition (la sélection) et la transmission d'informations génétiques par l'ADN qui produit, dans l'après-coup, une inversion locale de l'entropie par réaction adaptée, correction d'erreurs et reproduction. Le nouveau deep learning ou apprentissage autonome par renforcement, dont les performances en reconnaissance d'image surclassent largement les autres algorithmes, est lui-même basé sur la théorie de l'évolution comme théorie de l'information. Ce n'est pas ce qu'on discutera ici cependant, mais les conséquences sur notre être au monde d'une causalité qui vient de l'extérieur, dans l'après-coup, et d'une évolution dont nous continuons d'être les sujets loin d'en être les auteurs, matérialisme historique rénové qui réduit notre horizon temporel mais où se dissout la figure de l'homme et les prétentions de la subjectivité comme de l'identité.

En bouleversant complètement le monde et nos modes de vie, l'organisation sociale et le travail lui-même, le déferlement du numérique montre très concrètement qu'il y a un point sur lequel Marx avait complètement raison, et ce n'est certes pas sur le prophétisme communiste comme réalisation de la religion mais, tout au contraire, sur la détermination matérielle de l'histoire par la technique et l'impossible conservatisme face à une réalité révolutionnaire, découverte de l'évolution dans les systèmes de production indépendamment de notre bon vouloir. C'est cette appartenance à une évolution qui nous dépasse qui est inacceptable à la plupart, tout comme le déterminisme économique longtemps dénié et pourtant on ne peut plus manifeste.

Si c'est bien l'évolution biologique qui se continue dans l'évolution technique dont nous restons sujets, on peut dire que, malgré les apparences, l'artificialisation du monde reste en continuité avec la vie plus qu'en rupture, au moins en ceci qu'elle ne relève pas d'une intentionnalité (mauvaise), comme veulent s'en persuader les critiques de la technique, mais de la simple sélection par le résultat. Du coup, ce n'est pas non plus notre humanité qui dirigerait l'histoire, exprimant sa nature singulière comme si des extra-terrestres pouvaient avoir une histoire très différente dans cette marche vers la complexification cognitive. C'est d'ailleurs ce qui doit nous assurer qu'on finira par prendre en compte les contraintes écologiques, du fait qu'elles s'imposent réellement et ne sont pas une question de valeurs subjectives. Bien sûr, ce qui permet de penser cette continuité de l'évolution technique avec l'évolution biologique, c'est uniquement notre entrée dans l'ère de l'information qui rapproche effectivement technologie et biologie, permettant de repenser la théorie de l'évolution comme théorie de l'information, mais cela devrait remettre en cause la place de l'acteur et de la subjectivité par rapport à la sanction du réel (causalité rétrograde ou descendante qui manque aux 4 causes d'Aristote). Même René Passet, qui démontre dans son gros livre à quel point nous sommes dépendants d'une évolution des représentations, surévalue (p735) le rôle des acteurs (des minorités) comme si ce n'était pas la situation qui déterminait le succès de leurs entreprises, comme si la subjectivité était vraiment créatrice, ne pouvant guère pourtant que tirer profit de la situation et des opportunités qu'elle ouvre.

La façon dont nous nous représentons nous-mêmes est bien fautive. Au-delà de la pensée magique qui prête une âme aux choses ou des religions qui donnent un sens préconçu à l'histoire, ce dont il faudrait se guérir, c'est de se croire le centre de l'univers et des attentions divines, révolution copernicienne toujours recommencée, de Darwin à Freud : l'acteur n'est pas aussi important qu'il se l'imagine à prétendre changer le monde, être responsable de ses injustices comme si nos fautes seules dérangeaient un ordre naturel et parfait. Encore plus que descendre du singe, reconnaître la transcendance du monde et de ses évolutions qui ne dépendent pas de nous est une blessure narcissique insoutenable, au point qu'on préfère rejeter ces évidences pour continuer à croire agir pour le Bien. Pourtant, on ne voit pas pourquoi la lucidité sur notre rayon d'action et nos marges de liberté nous empêcherait de faire de notre mieux, nous faisant tomber dans l'égoïsme le plus morbide. La nécessité de réparer les injustices et d'aller au bout des potentialités de l'époque restera toujours aussi pressante. Il faudrait vraiment arrêter de s'imaginer qu'il faut absolument être un illuminé qui croit à des conneries pour faire preuve d'humanité et de justice. C'est malheureusement ce dont les religions ont réussi à persuader les croyants, que sans Dieu, il n'y aurait que Diable et que sans la crainte du châtiment, il n'y aurait plus de morale alors qu'on en trouve des manifestations non seulement chez tous les êtres parlants mais même chez certains animaux ! Difficile à avaler mais nous sommes plus déterminés que déterminants, y compris dans notre moralité (O tempora, o mores). Avant même Darwin, ce décentrage du sujet avait déjà été opéré par Hegel pour qui ce n'est pas l'intentionnalité consciente de l'acteur qui compte, la ruse de la raison étant que ses intérêts particuliers aboutissent à l'universel simplement par le fait de devoir passer par le langage. L'histoire de l'Esprit comme réalisation du réalisant ne dépend donc pas du particulier. Ce qui manque cependant à cet idéalisme, c'est la réalité du monde extérieur qui vient déranger cette conscience de soi d'une subjectivité trop narcissique alors qu'elle ne reflète que son milieu. Ce qui manque, c'est la dureté et l'incertitude du monde, les hasards de l'existence, le réel comme ce qui est rejeté du symbolique, sur lequel on se cogne et qui fait échec aux savoirs.

Que signifie, en effet, d'interpréter l'évolution par l'information, sinon qu'elle répond à l'extériorité, comme dictée par les ressources, les équilibres globaux et les configurations locales - en même temps que, sur la durée, l'adaptabilité prend le pas sur l'adaptation, libère du local et s'universalise (adaptation au changement). Le génome intériorise incontestablement dans le squelette les lois de la mécanique. La perception signifie bien qu'on se règle sur la réalité perçue, pas qu'on l'imagine à notre guise comme dans les histoires qu'on se raconte (c'est la différence entre l'évolution réelle et les mythes qu'on s'en fait). Une information renvoie à autre chose qu'elle-même, un fait extérieur temporaire et un monde commun, dans un langage partagé. C'est pour cela aussi la possibilité de l'erreur voire de la tromperie. Il n'y a pas lieu pour autant de craindre perdre une essence humaine dans un quelconque transhumanisme qui est déjà notre réalité, alors que le processus de l'évolution et de la cognition vise une extériorité mouvante plus qu'il n'exprime une intériorité originelle. Il n'y a pas d'aliénation d'une nature humaine ni animale (même s'il y a des aliénations concrètes), on peut dire qu'on se fait à tout ou presque, ce que démontre la vie moderne, l'existence prenant le pas sur l'essence sans cesse remodelée par la confrontation au réel extérieur. Le nouveau est toujours bâti sur l'ancien mais sans souci d'en préserver le sens initial quand il s'agit de répondre à l'urgence du moment. Ce sera toujours le résultat qui aura le dernier mot.

Il ne s'agit en aucun cas de justifier l'existant comme le meilleur des mondes possibles ni de transformer un fait en droit dans la confusion entre nature et norme, ce qu'ont illustré de façon si terrible le darwinisme social ou le racisme nazi. Il s'agit seulement de prendre la mesure des contraintes matérielles et de ce que notre intervention peut y changer réellement en fonction des circonstances. Réintroduire le finalisme dans l'évolution biologique par l'information qui lui revient de son milieu, c'est aussi relativiser le finalisme des acteurs et admettre la non pertinence de la moralité en économie par exemple, puisque ce ne seront pas les bonnes intentions des uns ni les objectifs délirants des autres qui auront raison à la fin, mais des causalités matérielles. Cela ne veut pas dire que nos finalités et nos actions n'ont aucune importance, en particulier sur le court terme, à pouvoir être plus ou moins pertinentes, mais qu'elles restent locales avec un effet imperceptible au-delà à moins de faire partie d'un courant plus vaste qu'on ne fait alors que suivre

Une philosophie matérialiste pose immédiatement la question politique puisque, à l'opposé de l'opinion courante, elle suppose que ce ne sont pas les idées ni les volontés qui mènent le monde, bien qu'elles y participent, mais leur après-coup, la sanction du réel. On ne peut dire que le marxisme ne se soit pas posé ces questions sur la place de l'idéologie mais il se suffisait de la certitude (qui semblait raisonnable) que la collectivisation était dans le sens de l'histoire. L'expérience même du communisme a bien démontré que ce ne sont pas les convictions qui comptent, ni les hommes, et que les faits sont têtus. Les hommes font certes l'histoire mais comme les soldats font la guerre, sans avoir tellement le choix, et si l'histoire a pris la suite de l'évolution génétique, ce n'est pas pour se libérer autant de ses lois qu'on le prétend. On voudrait prendre les commandes de cette évolution, ce qui semble assez naturel voire nécessaire, "passage de l'histoire subie à l'histoire conçue", mais qui est une idée beaucoup plus folle qu'il n'y paraît de nous mettre en position de démiurge, et signifiait d'ailleurs pour Hegel une énigmatique fin du temps où il n'y aurait plus rien à apprendre... Il ne s'agit pas de nier la part de liberté des acteurs, sensible à chacun, mais plutôt de douter de leur clairvoyance comme du caractère décisif de leurs actions. Il n'est pas question dans l'évolution, pas plus que dans les sciences humaines, d'un déterminisme mécanique qui guiderait nos gestes comme des automates mais seulement de la sanction du réel et du grand nombre, après coup, sur la durée. L'expérience scientifique nous l'enseigne : nous avons bien a priori tous les choix, tous les délires possibles, tous les systèmes les plus logiquement satisfaisants mais a posteriori ne subsiste qu'un seul et nous n'avons plus le choix alors que de nous adapter au mieux à la nouvelle réalité et au seul monde commun, bien qu'il reste étranger à nos rêves et nécessitera toujours d'être corrigé dans ses injustices. Napoléon avait très justement constaté que, dans les objectifs militaires, "tout ce qui n'est que fantaisie et qui n'est pas fondé sur le véritable intérêt ne résiste pas à un revers", le réel ne s'imposant que lorsqu'on se cogne dessus. C'est après-coup que les intérêts prennent le pas sur les intentions.

On peut montrer cette inversion des causalités par rapport au point de vue des acteurs en prenant à revers la mythologie militante. Beaucoup s'imaginent que la sécurité sociale est une conquête des luttes ouvrières alors que sa généralisation au moins tient plutôt à sa nécessité (malgré les oppositions idéologiques toujours présentes) pour assurer la reproduction sociale et le dynamisme économique. De même l'abolition de l'esclavage tient sans doute en partie à l'indignation de quelques bons chrétiens mais beaucoup plus à la supériorité industrielle du Nord sur le Sud et au fait qu'un salarié était plus rentable qu'un esclave. Ce qui a été décisif, a été de gagner la guerre grâce à l'industrie en dépit de bien plus mauvais généraux que l'adversaire. C'est un peu pareil pour le féminisme qui n'est pas tant le résultat des luttes féministes que de la machine à laver, de la pilule et des transformations du travail - le patriarcat n'étant certes pas le produit du capitalisme, comme on s'étonne de le lire parfois, mais d'un mode de vie archaïque que le capitalisme détruit au contraire. Certes, les luttes ne sont pas inutiles car il y a encore des pays sans sécurité sociale ni droits des femmes, mais ce n'est pas un avantage pour eux.

L'histoire telle qu'on se la raconte est une énorme supercherie, pas seulement le roman national dans toute sa caricature mais la surévaluation des motivations et du point de vue de ses acteurs, réécriture de l'histoire après-coup, elle aussi, à partir de la fin (oubliant la plupart des bonnes intentions ou héroïsmes qui ont échoué, comme si on ne parlait que des gagnants du loto!). C'est cette structure rétroactive du récit qui disparait dans la linéarité de la narration et en constitue le caractère mythique recouvrant l'expérience effective devenue inaccessible dans toute sa complexité, ses hésitations, ses remords, ses malentendus, ses calculs, ses hasards (et il faut bien dire que vouloir les réintroduire tous ne serait que rendre le récit illisible et ennuyeux jusqu'à le faire disparaître comme récit). Il aura fallu les considérations terre à terre de la communication et du management pour mettre en évidence toute l'importance du storytelling, à la fois sa puissance de conviction et son caractère de fiction, de simple baratin fait pour nous séduire. On ne saurait se défaire de ce "besoin de sens" qui consiste à se raconter des histoires et sans lequel nous sommes complètement désorientés mais ce qui objecte au récit, c'est sa reconstruction après-coup débarrassée de tous les doutes d'une existence dont la fin n'était pas connue d'avance. L'évolution effective s'oppose à l'histoire linéaire par sa constante rétroaction temporelle qui la guide de l'extérieur quelque soit l'aveuglement de ses acteurs qui doivent sans arrêt en reconstruire la légende, jusqu'à son souvenir même.

Les idées sont incontestablement la cause de nos comportements et de nos engagements, elles sont loin d'être indifférentes mais leur effet dépend de leur justesse et elles résultent elles-mêmes de la situation ou de l'état de nos connaissances. Il n'y a ainsi aucune raison de croire que la physique serait différente si Einstein ou Newton n'avaient pas existé. Cela ne devrait permettre aucune illusion sur la démocratie, trop sacralisée et enracinée dans le christianisme. Il y a une mythologie de la démocratie, d'une prétendue volonté générale et d'une toute-puissance rêvée qui empêche son fonctionnement et en fait la proie des idéologies les plus extrémistes alors que, loin d'incarner une vérité indiscutable, elle ne consiste qu'en débats et compromis, façon de gérer les conflits par le vote au lieu de la violence mais qui ne fait pas disparaître les rapports de force à leur donner un moyen pacifique de s'exprimer. Malgré le discours officiel qui en constitue l'unité formelle, la démocratie n'incarne en aucune manière une communauté réconciliée sinon dans la guerre contre l'ennemi commun, qui ne se règle plus par des mots mais où seule la force décide.

Essayer de penser ses propres déterminations fait entrer incontestablement dans un cercle vicieux qui était bien connu du matérialisme historique dont on avait cru se débarrasser en même temps que du marxisme (mais que propose-t-on d'autre sinon des anthropologies trop naïves ?). Par la distance qu'elle introduit, l'ethnologie au moins permet de mesurer à quel point notre culture nous modèle et que, croyant agir par nous-mêmes, on ne fait que se plier à la pression du groupe - tout comme aux croyances les plus improbables de sa classe et de son temps, souvent simplement en se rangeant dans l'un des camps en présence. A combattre pour le communisme, on croit défendre la vérité et la justice alors qu'on met en place une dictature bureaucratique où règne le mensonge et la corruption. Il n'est bien sûr pas plus innocent d'être dans l'autre camp. Évidemment, les nationalistes qui croient à la Nation comme à la sainte vierge seront tout aussi déçus. A la fin, ce n'est pas la moralité ni la vérité qui triomphe, c'est la différence d'efficacité des systèmes qui est déterminante quand leur effondrement ne vient pas de causes internes (c'est d'ailleurs pour cela aussi que les crises mettent en cause à chaque fois le système).

Subir les transformations accélérées du monde sans y avoir prise semble une insulte à notre liberté qu'on surévalue un peu légèrement dans la dénégation de tous les déterminismes sociaux. On a tendance à surévaluer tant de choses : l'intelligence, le bonheur, l'amour et surtout notre propre importance, ce qu'on peut bien comprendre mais la réalité est toute autre et nos discours contraints, nos motivations construites, nos connaissances limitées. Surtout, comme disait Héraclite, il n'y a pas de pensée propre pour qui ne dort pas mais un monde commun qui nous parle à tous. Nous appartenons à notre temps et notre milieu plus qu'à notre propre histoire. On le voit dans le fait que plus l'évolution technologique s'accélère et plus nous sommes marqués par notre génération. Que la pensée soit construite et le sens commun extérieur pourrait faire croire qu'il suffirait de changer d'idéologie, de convertir les âmes, ce qui, en dehors de la prétention de détenir la vraie vérité, relève encore de l'illusion idéaliste (ou kantienne) qui ne voit pas que l'idéologie a des causes matérielles, n'est pas du tout arbitraire, encore moins volontaire, mais qu'elle n'exprime jamais qu'une position sociale à un moment donné de l'histoire, le paradigme de l'époque, empêchant d'une certaine façon de se projeter dans l'avenir, personne ne pouvant aller au-delà de son temps et de la prolongation de tendances actuelles (ou leur retournement).

L'existence des modes, et plus encore, de leurs modifications en fonction du cycle économique, manifeste à quel point la pensée est commune et ne nous appartient pas. C'est la moindre des choses de le reconnaître mais on n'arrive pas à s'y résoudre. La position taoïste ne paraît donc pas infondée, mais elle rate cependant ce que la vie a de réactive dans sa lutte quotidienne contre l'entropie qui ne nous laisse guère de repos. L'information ne vaut qu'à décider l'action, "différence qui fait la différence", ne pas se laisser faire, résister à l'entropie et à la mort, résistance toujours locale et toujours à recommencer, dans l'inquiétude du lendemain et de mauvaises nouvelles.

Il y a indubitablement quelque chose d'inacceptable dans le darwinisme tout comme dans la cybernétique, le cynisme d'une sélection par le résultat aveugle à nos bonnes intentions et auquel on voudrait opposer le vécu, la conscience, le sujet actif et sa responsabilité morale, son engagement, son authenticité (et notre juste compassion). Notre humanité se caractérise bien par la soustraction des plus faibles à cette pression sélective, ce qui s'est révélé un avantage à plus long terme, mais ce sursaut de fierté de l'esprit qui dit non et s'oppose au monde serait aussi le fondement de l'illusion métaphysique (et démocratique) d'une subjectivité qui se voudrait constituante alors qu'elle est entièrement constituée, contrepartie sans doute de la fable d'un Dieu créateur qui donnerait sens au monde. Ce rejet moral et purement de principe du déterminisme est visible dans la distorsion, si sensible en politique, entre des candidats volontaristes et des élus pragmatiques, entre la prétention de convertir la terre entière (aussi bien que la surévaluation du rôle des individus) et le caractère implacable des processus macroéconomiques ou du jeu des puissances. C'est incontestablement un scandale ce hiatus entre le monde que nous voudrions et le monde réel, son existence extérieure, indépendante de nous, mais pour avoir une chance d'améliorer un peu les choses, il vaut mieux partir des réalités matérielles avec le constat de l'inutilité complète des beaux discours. Ce n'est pas qu'il faudrait tomber dans un matérialisme trop réducteur et mécaniste, dénoncé déjà dans les Thèses sur Feuerbach, mais faire de la vérité une question pratique signifie qu'on doit bien se plier aux faits. On n'a pas assez remarqué comme la "détermination en dernière instance" par l'économie, signifiait tout comme dans le darwinisme (ou Spencer) non pas une détermination directe mais après-coup et sur le long terme ou, comme dit Marx (repris par Lukàcs), post festum, laissant une grande part à l'aléatoire et au subjectif en amont. Cette sélection par le résultat introduit cependant une coupure radicale entre l'effet et l'intention première - sauf à se régler sur l'effet dans une boucle de rétroaction, seule façon d'atteindre son objectif dans le vivant. Pour le darwinisme, comme pour le matérialisme historique, la cause initiale ou cause efficiente est disjointe de sa cause finale qu'elle rate ordinairement - ce qui ne l'empêche pas de progresser mais à condition de corriger le tir.

La temporalité elle-même exige d'être repensée à partir d'une évolution guidée par l'information, le feedback, qui n'est plus tant prolongation du passé ni projection dans l'avenir mais processus d'apprentissage et correction d'erreurs qui nous condamne à un pilotage à vue, pris dans le flot qui nous emporte. En incorporant l'information et l'après-coup notre temporalité devient entièrement limitée à notre actualité [alors même qu'on doit investir dans l'avenir et préserver notre futur en se projetant sur des durées déraisonnables!]. Il y a en effet renversement de la flèche du temps entre l'intentionnalité et l'après-coup, un autre rapport de l'être et du temps qui implique une conversion complète du point de vue sur la liberté et la place du sujet : l'histoire de l'Être, c'est l'évolution technique et le processus de civilisation dont l'émancipation humaine est le produit et notre héritage, non pas "notre" conquête. Le monde du vivant n'est pas tendre et n'est pas fait pour notre bonheur, n'étant ni raisonnable ni moral, de n'avoir été ni voulu, ni conçu, mais l'autonomie est un besoin de la vie comme de la production, pas l'expression de notre essence divine. Qu'on ait besoin de la liberté comme de l'air qu'on respire ne doit pas nous en faire exagérer la portée, comme si elle était toute-puissante alors qu'elle témoigne plutôt de nos égarements, de nos divisions et de nos tâtonnements. La liberté est une propriété de notre milieu, une nécessité de l'adaptation et la contrepartie de l'information, degrés de libertés, choix entre plusieurs possibles, plus qu'une propriété de l'individu lui-même, propriété de sa position et non de son intériorité. L'autonomie des individus introduit un élément supplémentaire d'incertitude et d'ingouvernabilité bien que cela ne change pas les réalités matérielles, contribuant encore plus à nous faire vivre dans un assez court terme. Il faut bien dire que les revendications du temps long sont assez illégitimes au regard de l'improbabilité de l'existence installée dans le provisoire. Même si cela n'empêche pas qu'on est malgré tout obligé d'essayer de raisonner sur le long terme et qu'on ne peut se restreindre au local (exister, c'est aussi exister politiquement), concrètement notre scène ordinaire est singulièrement limitée au quotidien et tout énoncé renvoie à une énonciation située qui n'a rien d'intemporelle. L'information est localisée et changeante qu'il faut suivre en temps réel car elle doit être juste et assez rapide pour que la réponse soit adaptée aux modifications de l'environnement, mais jamais ne nous dira la fin.

Ce n'est pas que ce soit bien, là n'est pas la question, ni qu'on aurait à approuver l'évolution technique (de la bombe nucléaire aux si dangereuses biotechnologies), mais que ce soit ainsi, que le réel s'impose, dans l'après-coup, à partir des résultats, avec différentes temporalités. La question est plutôt comment faire avec, en tenir compte pour adopter des stratégies ayant quelque chance d'atteindre leurs objectifs (en se réglant sur leurs effets). Prendre la question du côté des causes matérielles a au moins l'avantage de rendre incontournables les contraintes écologiques mais cela pourrait mener aussi à négliger la politique, voire s'abandonner au quiétisme du laisser-faire alors qu'on ne peut se soustraire de la responsabilité collective. Faire le constat que le réel a sa rationalité et que les causes déterminantes en dernière instance ne sont pas subjectives semble effectivement devoir détourner du combat des idées au profit de la simple information, sauf qu'on ne vit pas dans le long terme, qu'on ne peut déserter aucun terrain et que l'information ne suffit jamais à faire changer d'avis ceux qui croient dur comme fer que leurs idées sont les leurs, identiques à la pureté de leurs intentions. Il y a constamment besoin de faire appel à la mobilisation sur des enjeux localisés et, si on ne choisit pas les mobilisations qui marchent, on ne saurait s'en détourner, même à ne pouvoir faire plus que se glisser dans l'événement pour lui donner un peu plus de poids, à juste faire nombre. Le passage de l'entropie à l'écologie est sans doute notre tâche infinie qui nous occupera toujours à rester sujets de l'évolution technique même à résister localement, comme on peut, à ses côtés les plus menaçants. Il faut toujours se battre sur tous les fronts, contre le flux qui nous emporte d'un temps sans retour. C'est la vie toujours recommencée...

Addendum : Une étude de 2023 confirme l'article, établissant plus précisément que "L'information fonctionnelle d'un système augmentera avec le temps lorsqu'il sera soumis à une sélection pour cette fonction".

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35 réflexions au sujet de “La théorie de l’évolution comme théorie de l’information”

  1. La position taoïste n'est pas vraiment passive, mais elle est surtout au contraire hyper réactive et énergique.

    Il suffit de voir des maitres des arts martiaux chinois ou de calligraphie pour s'en rendre compte. En étant simplement assis sur une chaise de l'époque Ming, du rien advient le tout. Il ne s'agit en aucun cas d'une posture religieuse, mais d'une révolution permanente du moment qui renverse le tout.

    • Oui, je n'ai pas approfondi la question du taoïsme donné ici comme une des rares philosophies qui ne valorise pas l'activité mais il est certain que l'attitude qui découle du constat que nous sommes emportés par l'évolution technique devrait être celle des arts martiaux, appliquer le moins de force possible mais aux points névralgiques pour dévier le flux ou utiliser sa force contre lui-même au lieu de dénier sa puissance ou de s'y opposer frontalement. Les arts martiaux sont par définition actifs, ce n'est plus tout-à-fait le non-agir comme de tendre l'autre joue par exemple, mais c'est certainement vers cet agir minimum, à bon escient (bien informé) qu'il faut tendre et qui correspond à la seule chose qu'on peut faire pour contrôler un système chaotique.

      • L'agir dans le non agir c'est plutôt la tendance, l'optimal possible, et ça arrive parfois dans la plus grande surprise, mais comme le résultat d'un long et méticuleux travail qui s'évanouit quand il a abouti. L'action est le travail, le résultat est son oubli.

    • Mon père avait une petite société de 12 personnes, l'atelier était à 700 km des bureaux. Il n'allait le visiter que quelques fois par an, les gens était libres de s'arranger entre eux pour les horaires selon la saison, les commandes... Ça fonctionnait très bien avec primes de 2 à 3 mois de salaires les bonnes années.

        • La bureaucratisation vient aussi de toutes sortes de normes techniques. Ceci dit il est salutaire qu'en France soit entamée une révision car le management y est souvent calamiteux, sorte de centralisme autoritaire et jacobiniste où tout le monde se méfie de tout le monde avec une façade de sourires hypocrites.

          Le cas que je cite même petit, montre qu'un "patron" sachant lâcher la bride et laisser une autonomie d'organisation et attribuer des salaires plutôt corrects permet de bon résultats économiques, mais aussi sociaux, satisfaction de son travail.

  2. Bonjour Jean Zin. Comme toujours j’apprécie très positivement le contenu de ce texte. Il est très important de confirmer en quoi et comment la mise en forme des concepts sur le monde , et toute pensée théorique, politique, sociale, économique, évoluent en rapport direct avec l’évolution de capacités technologiques, créatrices.
    Mais quelle conclusion tirer de l’apparente analogie qui se manifeste de nos jours entre la mise en forme évolutive des codifications culturelles sur la très longue durée (du chamanisme aux mythes, aux religions, et aux sciences cognitives modernes) et l’évolution du vivant (plan d’un organisme comme codage numérique transféré par l’ADN dans la reproduction ) ?
    C’est souvent vos écrits qui m’ont mis en garde jusqu’ici contre le danger d’apprécier l’organisation des rapports entre les humains, maîtrisant désormais l’outil informatique, comme le reflet de l’organisation de l’information biologique. Et certains tombent en effet dans ce piège traditionnel des analogies formelles, au moins comme hypothèse douteuse de travail théorique, voire bien pire, comme hypothèse d’organisation sociale ! C’est pourquoi ma remarque consiste à proposer d’éviter d’écrire : « Si c’est bien l’évolution biologique qui se continue dans l’évolution technique… », pour dire au contraire: « ce n’est plus aujourd’hui l’évolution biologique qui se continue dans l’évolution technique dont nous souhaitons être sujets. Malgré les apparences, une artificialisation grandissante du monde se place plus en rupture qu’en continuité avec la vie elle-même ».
    Ainsi me semble –t-il s’explique mieux (quelques phrases plus loin) « comme nécessité imposée par les faits, de prendre en compte l’écologie » : notre liberté de conditionner le milieu de vie, et jusqu’au vivant lui-même, a aujourd’hui atteint les limites de la liberté. Elle se met au danger d’attenter aux conditions qu’impose la biosphère aux matériaux eux-mêmes sur lesquels opère la liberté créatrice de l’espèce humaine (capacité à codifier les codes, plutôt qu’à déchiffrer ceux qui se laissent observer).

    • La liberté n'est jamais pour le vivant que de laisser l'individu faire ce qui est nécessaire à sa survie. On peut ne pas le faire et succomber. L'écologie s'impose comme vitale mais si on ne réagit pas à temps, il y aura des catastrophes. La liberté créatrice de l'espèce humaine n'est pas très différente de la liberté créatrice de la vie (création comme rétroaction du milieu). Il y a aussi dans la nature des prédateurs qui épuisent leurs ressources (et qui sont dès lors rayés de la carte).

      On peut toujours voire une continuité dans les ruptures et des ruptures dans la continuité. Il y a donc incontestablement rupture en passant du génétique au culturel mais la continuité est dans la sélection par le résultat (inversion de la causalité par rapport à nos actions finalisées c'est-à-dire notre liberté). Cela ne veut pas dire qu'on pourrait identifier complètement technique et biologique (qui se rapprochent), encore moins qu'on pourrait identifier corps biologique et société humaine, seulement que la sortie du biologique procède du biologique comme le cerveau sort du déterminisme immédiat (chimique) remplaçant l'adaptation par l'adaptabilité.

      J'évacue dans ce texte la question de ce que nous souhaitons comme évolution puisque nous n'en avons pas le contrôle mais tout au plus de notre vie à nous (et encore). Un gouvernement mondial pourrait éventuellement essayer de nous faire sortir de l'histoire subie mais nous n'en sommes pas tout-à-fait là.

  3. «Un gouvernement mondial pourrait éventuellement essayer de nous faire sortir de l'histoire subie mais nous n'en sommes pas tout-à-fait là ».
    La première initiative dans le sens d’une sortie effective de « l’histoire subie », vers les années 2008-2010, n’était pas dans l’utopie d’un gouvernement mondial, mais dans le projet d’une Déclaration Universelle des Droits de la Terre-Mère à la demande de l’Equateur et de la Bolivie. (Assemblée de Cochabamba). Cette initiative se posait d’emblée comme universelle en rétablissant les liens de continuité entre une cosmogonie amérindienne première ( la sacralité de Pacha Mama) et les informations scientifiques sur les conséquences de l’évolution exponentielle de nos pouvoirs technologiques envers la Nature vers le concept objectif , dénué du romantisme occidental, de Biosphère. Comme « système planétaire incluant l’ensemble des organismes vivants et des milieux vivants », la Biosphère avec ses biotopes est analogue –dissemblance dans la similitude- avec Pacha Mama.
    http://rio20.net/fr/propuestas/declaration-universelle-des-droits-de-la-terre-mere/
    Toute revendication d’un gouvernement mondial ne comporte-t-il pas sans doute le même risque d’erreur grossière que l’initiative de construire une Europe Unie sans avoir au préalable créé les conditions constitutionnelles de son acceptation par les peuples concernés : Une assemblée constituante établissant les droits du vivant et les devoirs envers ses milieux , sur une base non plus traditionnellement adaptée à une immuable symbolique religieuse et sacrée , mais désormais juridique et politique, donc ouverte à l’adaptabilité ?

    • Je vais tout-à-fait contre cette vision qui donne l'importance première à l'abord religieux des choses, qui nous est effectivement naturel mais il est vrai que l'ONU produit du droit universel et forge les bases d'un gouvernement mondial depuis Rio au moins, avec les grandes banques centrales et autres multinationales de l'autre côté et de façon bien plus effective. Il n'y a de véritable démocratie que locale, de face à face, il est donc bien absurde de parler de démocratie pour un gouvernement mondial, tout au plus, comme pour l'ONU, on peut parler d'un régime de la discussion publique et de décisions à la majorité des Etats (sauf pour les choses importantes qui sont confisqués par les plus puissants). Il est absurde de croire pouvoir peser sur les enjeux globaux autrement qu'à faire partie de l'opinion mais des mouvements d'opinion peuvent être ravageurs. Il y a bien sûr un enjeu idéologique et il y a besoin que cette unification du monde soit prise en compte par les religions mais elles sont plutôt à la traîne sur une réalité qui précède de beaucoup cette déclaration de bonnes intentions et pour en réaliser le plus nécessaire, il vaut mieux s'appuyer sur des réalités matérielles et une information fiable pas sur des valeurs, pas en faisant la morale car cela ne marche pas même si on n'arrive pas à s'y résigner, on voudrait tellement que la parole s'incarne.

  4. « Il n'y a de véritable démocratie que locale, de face à face, il est donc bien absurde de parler de démocratie pour un gouvernement mondial » dites-vous . J’en suis pleinement d’accord, du fait qu’on atteint la conscience de notre dépendance générale à un horizon lointain, une biosphère globale, que pour autant que nous avons d’abord conscience de notre immersion dans un biotope local, voire sur la base du ressenti de brisures graves dans notre rapport particulier et même d’intimité avec le milieu extérieur proche ? ( la nation, le terroir, la commune, le mode d’habiter, et une diversité des champs relationnels sociaux) C’est pourquoi je trouve crucial que précisément ce soit la venue au pouvoir d’un amérindien, Evo Morales, qui mette en question le productivisme libéral. Que l’univers conceptuel imprégné encore de Pacha Mama et autres mythes, s’insurge précisément contre l’homme selon Descartes « maître et possesseur de la Nature » , en inscrivant les Droits de la Nature dans la constitution du peuple bolivien…
    Pour ce qui est du rapport au magique, au mythique, au rituel religieux, je ne rejette pas ces dispositifs anciens de pensée, plus ou moins en conformité avec les commencements de l’évolution historique des moyens de production. Mais accordons bien sûr notre confiance plutôt aux dispositions laïques fondées sur la reconnaissance des droits et des accords contractuels , sur le niveau d’informations, et la correction des erreurs et autres pannes aussi bien dans la mise en forme des connaissances que dans leur communication.

  5. Qu’on s’expose à des tentations de détournements d’une Déclaration des Droits, c’est évident, car il s’agit d’un engagement consensuel à un moment donné selon des rapports de force. Ainsi la Déclaration de 1789 , modifiée en 1793, puis en sens opposé en 1795, puis « oubliée » pendant un siècle et demi, et reprise en 1946 après deux guerres mondiales et une modification du rapport de forces entre représentations « capitalistes » et représentations «ouvrièristes » (terminologie simpliste pour rester court). De telles « Déclarations solennelles de principes » comme d’affirmer « les hommes naissent libres et égaux en droits » sont essentielles, comme outils de référence, chaque fois qu’il est nécessaire d’analyser un état de crise dite systémique. Chaque fois qu’il convient de reconsidérer le présent de l’état de crise par la seule référence possible c'est-à-dire une mémoire du passé. Non pas pour faire retour à un « commencement » fixant l’ordre du monde une fois pour toute, mais pour reconsidérer les contradictions « originaires » de la crise présente, prenant en compte l'évolution, et déjà incluses dans les Déclarations (de principe et non pas d’intention) précédentes. Ainsi il devient clair qu’une politique ne peut se dire de gauche aujourd’hui si elle renonce à maintenir une redistribution compensatrice des inégalités, par l’impôt ( « contribution commune… répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ») conformément à l’article 13 de la Déclaration de 1789. Et qu’on peut classer comme de droite toutes les décisions politiques qui ont dessaisi depuis les années 1970 de ce pouvoir de redistribution l’Etat souverain. Moins par nécessité économique, comme on le clame, que par une volonté de tirer profit des évolutions technologiques et des extériorités écologiques pour re-former les anciens rapports de classe et pour informer de nouveaux dispositifs de domination. On est ainsi passé en de « l’homme enfermé » du capitalisme industriel fordiste décrit par Michel Foucault au concept de l’ « homme endetté » du capitalisme financier, que décrit Maurizio Lazzarato dans son livre de 2011, « La farique de l’homme endetté ». Par déconstruction du service commun ou public, pour le remplacer par le service du « crédit obligé » en jouant sur toute l’ambiguïté de sens des mots : l’individu obtient du crédit en réglant ses dettes. Voir la langue allemande où le même mot Schuld signifie « faute » et « dette ». L’ « aliénation » de l’homme enfermé devient la « culpabilisation » de l’homme libre de s’endetter. Jusqu’à la dette souveraine de l’Etat qui emprunte pour les biens communs et les services régaliens, qui paie des intérêts pour que l’argent des contribuables s’échappe dans des paradis fiscaux au bénéfice de particuliers… Rien de magique ni aucune obligation rationnelle à cette nouvelle forme de gouvernance des peuples par le capitalisme dit néolibéral ou financier.

    • Il ne faut pas trop substantifier néolibéralisme ou capitalisme qui sont choses précises et auxquels on ne peut imputer tous les maux de la terre mais j'insiste surtout sur le fait que ce sont les causes matérielles et non pas idéologiques qui comptent ce qu'on voit bien notamment pour l'impôt ou le rapport capital/travail qui évoluent en fonction du cycle de Kondratieff (qui m'avait fait prévoir un retour de l'extrême-droite et du racisme à un moment où cela semblait hors de propos). Sinon, il n'y a pas d'humanité sans dette, ce qui était bien pire lorsqu'il s'agissait de dettes de sang (vendetta). Ce qu'on glorifie comme une économie du don (qui n'a jamais existé comme économie), n'est qu'un circuit de la dette. Je ne crois donc pas que ce sont les principes ni les déclarations qui sont déterminants et nous éclairent mais qu'ils sont plutôt le produit de notre évolution et ne nous appartiennent pas autant qu'on s'imagine.

  6. http://www.wat.tv/video/mike-tyson-6ixz5_2flv7_.html

    Ô ma négritude , mon côté sombre et ténébreux , chaotique et virulent !! quand moi avec mon syndrome du sourire au vent , je crève l'écran et dépose le flingue de mon hip hop dans un écrin !! laissez le singe tranquille ( baiser fumer , boire rire , manger et ripailler ) laissez le choir à loisir et regrimper tout en haut de l'arbre en s'accrochant branche par branche !! et si tu porte la capuche et le kéfié fier , frère , nous on frappe le hip hop la casquette à l'envers !! et on revendique toujours dans l'ombre sur mélodies ou beat song ....

  7. Bonjour ,
    Je m’excuse d’encombrer ainsi la page des commentaires. Je crois avoir compris le sens de votre texte, lequel insiste sur les conditions extérieures comme causes déterminantes de choix ou d’engagements idéologiques dont on croit indûment s’approprier le génie. Mais je maintiens l’idée du rôle d’une volonté ( dont il faut bien aboutir à ce qu’elle devienne suffisamment générale, par le débat démocratique afin d’éviter la guerre ou la dictature) de faire prise avec des Principes réputés Universels dont on peut lire après coup l’extension et l’évolution ( métaphore possible en effet avec la ténacité du vivant à résister à l’entropie?). Ainsi cette suite visible entre le principe d’une Déclaration des droits de l’homme (fin du XVIIIème) une Déclaration de droits de la biosphère comme milieu d’existence et d’évolution du vivant (charnière XIXème-XXème siècle) et le principe qui reste à établir du Droit à un revenu d’existence, dont on voit après coup qu’il est déjà en germe dans l’article 28 de la déclaration de 1789, encore ambigu, à partir des idéaux de Thomas Paine : « chaque génération décide pour elle-même ». Avec toutes mes excuses pour me montrer aussi têtu. Merci de votre attention

    • Les commentaires sont fait pour cela et le fait d'insister a l'avantage de bien souligner toute la difficulté car nous agissons effectivement par notre volonté en nous appuyant sur des raisons mais cela n'empêche absolument pas de ne pouvoir éviter guerre ou dictature. En fonction du cycle de Kondratieff la "volonté générale" s'oriente plus sur la solidarité ou le rejet de l'autre comme la montée du FN actuellement qu'on n'arrête pas avec des imprécations les raisons étant liées à la crise économique comme dans les années 30. Les générations ne décident rien du tout, c'est nous qui suivons le destin d'une génération (Mai68, hippies, punk, etc.). Le fait même qu'il y ait continuité entre les droits de l'homme, ceux de la biosphère et le droit à l'existence témoigne bien au contraire que c'est un mouvement qui ne dépend pas de notre volonté.

      Notre volonté ne sert qu'à pouvoir modifier relativement des situations locales. Ainsi un groupuscule du Parti de Gauche peut arriver à faire gagner sa motion sur un autre groupuscule, ce n'est pas ce qui influencera beaucoup le score du PG, encore moins ce qui changera le monde. Bien sûr je participerais à des manifestations anti-racistes par exemple mais leur ampleur ne dépend pas de moi ni de ma volonté. Une action bien ciblée peut aboutir à des résultats tangibles mais toujours très localisés ou sur des temps courts (1936 n'a pas duré 1 an même si ses répercussions vont jusqu'à nous). Il y a bien plutôt une évolution générale qui ne va pas toujours dans notre sens (qui est cyclique).

      Tout le problème est d'arriver à agir efficacement dans de telles conditions mais on sait bien qu'il y a de longues périodes où l'on ne peut rien faire sinon de l'activisme contre-productif. Plutôt que se focaliser sur ses propres convictions et l'excellence de nos intentions, ce qu'il faut c'est essayer de rester éveillé aux événements pour en saisir éventuellement des opportunités. Ce serait d'une certaine façon un éloge de l'opportunisme sauf qu'appuyé sur une connaissance de l'histoire et des forces matérielles en jeu, cet opportunisme peut avoir une solide colonne vertébrale progressiste mais sans jamais oublier que cela peut se retourner (comme la stupide écotaxe actuelle).

  8. Poursuivre notre différend nécessiterait de revenir sur la vieille crainte des idéologues (l’abbé Siéyès inventeur du terme) à l’égard des revendications du bas peuple, et constituant la majorité du Tiers Etat, et qui les conduisit à modeler une réalité de "l’opinion publique" susceptible de domestiquer l’expression sauvage d’une « volonté populaire » inenvisageable, pour ne pas dire diabolique de la part d’esclaves ou de travailleurs manuels . Et à limiter les droits de vote et d'expression spontanée. Beau sujet à débattre où je soutiendrais la position de St Just et Robespierre qui laissaient leurs décisions ( comme vous dîtes que cela se passe dans tout état de crise), dépendre des situations concrètes et s'adapter à leur développement causé de l’extérieur et au déni de leurs propres principes éthiques ou hypothèses rationnelles de départ.

    J’ai beaucoup apprécié l’envoi de Brunet, qui tire la conclusion poétique d’un monde à l’opposé de ma proposition, qui se donnerait à recevoir comme extérieur à toute volonté idéologique d’intervenir sur son mouvement propre. Beau texte.

  9. Comme dit Napoléon, illustrant la thèse matérialiste défendue ici : Tout ce qui n'est que fantaisie et qui n'est pas fondé sur le véritable intérêt ne résiste pas à un revers.

    Ce n'est pas qu'on ne souhaite pas les meilleures des choses, mais on n'est prêt à se battre sur la durée que pour celles qui nous sont vitales.

    Ceci dit je voudrais vraiment pouvoir peser sur les événements, je me pose la question de comment transformer le monde. Je lis actuellement des livres sur les alternatives proposées dont je ferais un compte-rendu critique car il ne suffit pas de s'imaginer savoir ce qu'il faut faire pour que ce soit faisable, ni même vraiment souhaitable. Moi, je me dis que reconnaître la stricte réalité devrait pouvoir orienter un mouvement plus universel et effectif que de refouler les informations contredisant notre bel enthousiasme.

    • Je ne la connaissais pas cette phrase de Napoléon...

      Je reconnais que la fantaisie est un accessoire sympathique mais peu déterminant.

      Je suis en train de redécouvrir certaines lois de la dynamique des fluides que pourtant je connaissais à 23 ans et que peu connaissent finalement. La science est toujours une découverte, mais aussi une redécouverte, ce qui la rend d'autant plus fascinante.

      Récemment, je me suis retrouvé comme une poule devant un cure dent devant un brevet, au début je croyais avoir compris le truc, 2 jours après je me suis rendu compte que je n'avais rien compris, un vrai chaos, et puis je me suis rappelé quelques notions de base de quand j'avais 23 ans et tout s'est éclairé. A vérifier, mais je pense être sur la bonne piste.

  10. et si tu portes la capuche et le kéfié fier , frère , nous on frappe le hip hop la casquette à l'envers!! et on revendique toujours dans l'ombre sur mélodies ou beat song .... ( Brunet ) Je viens de voir mes petits- enfants scolarisés dans le 9-3. Parlant d'un garçon tellement normalement conformé selon le monde discipliné de ma propre enfance qu'il est conçu par eux comme marginal, ils disent "C'est un boloss "(??) ce qui est mieux qu'un kikoolol (??), toutefois, lequel " se tape l'affiche" . Et moi qui me fait des théories sur "comment transformer le monde" je suis resté pensif de constater qu'il a changé sans moi?..

    http://www.youtube.com/watch?v=IOPx-N3GpHI

  11. La phrase de Napoléon est en conformité avec la définition même de la fantaisie comme « état de rêverie éveillée qui donne aux chimères le relief de l’existence », et trouve une application inattendue avec la puissance fantastique de logiciels informatiques appliqués à la spéculation financière. La technologie atteint un degré d’applications possibles où elle donne existence à des monstres chimériques insoupçonnés, est en capacité de démesure, libère ses propres désirs fantasques sans relation avec les besoins humains et les intérêts vitaux.. A cette échelle, comment résisterons-nous, après coup, aux revers ?

    • Le fait est que la divagation est problématique à court terme, mais à moyen long-terme, malgré beaucoup de déchets, elle amène des évolutions comme un rat qui divague dans son labyrinthe avant de trouver la sortie. Tout cela n'est pas vraiment bien contrôlable, la part de raison nécessaire, la part de douce ou forte dinguerie utile. Les vraies divagations sont souvent les meilleures au contraire des fausses stéréotypées. Faire la part entre les deux reste toujours délicat.

      L'évolution du vivant n'est pas si optimisée, il y faut parfois de gros carnages browniens avant une meilleure adaptation, bien que de fines adaptations soient tout autant effectives.

    • Bien sûr que c'est tout le problème, d'éviter que la sélection naturelle se fasse par extinctions massives, ce qui est la méthode habituelle de l'évolution qui procède à l'aveugle par essais/erreurs. Tout le processus de cognition vise à réduire ces éliminations brutales par le processus d'apprentissage mais, d'une part, il serait présomptueux de croire pouvoir s'affranchir complètement de ces risques naturels (épidémies, supervolcans) ou techniques, d'autre part cela ne nous exonère pas de coller au réel et de se régler sur le résultat, plus on s'adonne à la fantaisie et qu'on surévalue son intelligence ou ses forces, et plus le revers risque d'être fatal. Le plus souvent les déplorables "fantaisies" politiques viennent de l'idéologie et de la morale, de trop bonnes intentions qui refusent de se rendre aux faits, il ne s'agit jamais de pures divagations.

      Comme on l'a remarqué à maintes reprises, pour éviter la catastrophe, il faut sentir le vent du boulet d'abord mais impossible de mobiliser contre le réchauffement quand on est dans une phase plus froide du cycle. Notre défi est bien d'aller de l'entropie à l'écologie, d'agir préventivement, mais il ne suffit pas de le vouloir, le chemin est long et difficile de l'apprentissage collectif où l'excès de zèle peut nous mener dans le mur et le Bien être la cause d'un Mal encore plus grand s'il ne tient pas compte du résultat, ce qu'on appelle les effets pervers qui sont simplement les effets non voulus de nos actions et la manifestation de la transcendance d'un monde qui nous reste extérieur. La question de notre survie est bien cognitive, point sur lequel nous échouons pour l'instant mais ce n'est jamais pour toujours, il y faut la patience du négatif. Rien ne garantit naturellement que notre excès de puissance ne nous conduise pas à notre perte, ce n'est pas vraiment sûr pour autant, nous nous situons toujours dans cet intervalle à travailler pour en reculer l'échéance, durée gagnée sur le néant.

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