On peut s'étonner qu'Olivier Besancenot dise avoir vécu jusqu'ici dans un monde sans révolutions alors qu'il a dû connaître au moins le renversement des régimes communistes et les "révolutions de couleur", sans doute considérées par lui plutôt comme des contre-révolutions puisqu'elles n'étaient que des conversions au capitalo-parlementarisme mais c'est bien l'horizon de la "révolution de jasmin". L'autre hypothèse, rabâchée, celle de la révolution avortée du Caire, ce sont les frères musulmans mis pas pour rien au premier plan. En tout cas, rien ne laisse espérer, dans un cas comme dans l'autre, l'engagement dans un processus révolutionnaire comme en Amérique du sud. Certes, il faut soutenir le renversement des dictatures mais il ne suffit pas de renverser le tyran, il faut voir qui le remplace.
Le moment est propice à réfuter les conceptions les plus naïves de la révolution comme unité du peuple s'auto-organisant spontanément et se débarrassant du capitalisme en même temps que de l'Etat répressif. Ce qu'on voit est bien plus prosaïque. Le vide du pouvoir est immédiatement occupé par les forces organisées, les partis communistes auparavant, les islamistes aujourd'hui ou la démocratie de marché de la "communauté internationale". Il n'y a pas disparition miraculeuse des puissances d'argent et des divisions sociales, aucune garantie que ce ne soit pas pire encore. Plutôt que l'accès à une harmonie naturelle, ce qui se passe pourrait évoquer la disparition d'un prédateur qui avait malgré tout un rôle protecteur à défendre son territoire et qui laisse le champ libre à d'autres prédateurs plus féroces encore. En fait, le plus probable, c'est quand même une libéralisation de ces régimes qui constitue un grand progrès mais pourrait détruire les solidarités sociales et livrer ces pays à la compétition marchande comme dans les pays de l'Est, simple intégration au marché global (déjà bien avancée) de démocraties largement vidées de leur sens.
On devrait comprendre la bêtise de l'hypothèse insultante d'une servitude volontaire qui n'est qu'un manque trop réel d'alternative, de même que la vieille croyance reprise par Mélenchon que le système ne tiendrait que par la propagande des médias, la propagande n'étant qu'une tentative de stabiliser ce qui résulte de forces bien plus matérielles. Ce qui fait la force du système capitaliste, c'est sa productivité, ce n'est pas de spolier les salariés mais de faire baisser les prix et de distancer ceux qui n'entrent pas dans la course. On ne s'en débarrasse pas si facilement. Pour en sortir, il n'y a pas trente six mille solutions, il faut porter son attention sur la production plus que sur la consommation, faire du travail une fin en soi et non plus un moyen, travail choisi dont on puisse attendre l'épanouissement plus que dans la consommation passive, mais on est loin des préoccupations des émeutiers comme de nos politiciens qui croient au Père Noël et que tout s'arrangera quand "nous" aurons le pouvoir, avec cette autre illusion que lorsque le peuple aura la parole l'inouï surgira, comme si le peuple n'avait pas la parole désormais et qu'on ne savait très bien ce qu'il dit sur twitter. Une révolution sans programme ne fera que rejoindre les autres démocraties, ce qui, pour eux, est un progrès indéniable mais, pour nous, ne constitue en rien une révolution, on en conviendra. Il nous faudrait faire le pas suivant mais on n'improvise pas une alternative comme si la page était blanche et le territoire déserté de toute population ancrée dans l'histoire. Ce sont les plus forts qui imposent leur idéologie, il suffit de faire des élections en démocratie pour retrouver nos divisions et revenir à l'ordre. Dieu fasse que je sois démenti par l'improbable qu'on invoque avec ferveur mais je ne crois pas que les incantations suffiront.
La période des révolutions n'est cependant pas terminée, ce n'est qu'un début mais si je prédisais ce retour des révolutions au moment de la crise habituellement liée aux nouveaux cycles de Kondratieff, c'était lié à la fois au changement de génération et de technologie. C'est le point qui n'a pas été assez souligné, non pas tant l'importance du téléphone et d'internet dans les mobilisations, que l'émergence de la génération du numérique, ce qui m'avait persuadé qu'il y aurait probablement une "guerre des générations" plutôt qu'une guerre des civilisations. On ne peut raisonner selon les anciens schémas géopolitiques. C'est une jeunesse branchée qui prend le pouvoir, largement mondialisée et qui rattrape son retard sur nos pays vieillissants. Nous ne sommes pas à l'abri des révolutions pour autant mais en l'état, dans nos contrées, il n'y a pas grand chose d'autre que des tendances fascisantes. Il y aurait bien besoin pourtant d'un grand coup de balai mais rien ne sert de sortir les sortants si on n'a pas de véritable alternative et qu'on compte seulement sur nos bonnes intentions. Moi, je crois qu'une alternative écologiste est vitale de relocalisation de l'économie et de sortie du productivisme (avec revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales) mais ce n'est pas encore à l'ordre du jour à ce qu'il paraît, et pas plus chez les Verts, Europe écologie, etc. Ce n'est pas une question de volonté ou d'audace mais de savoir quoi faire au-delà de la nécessaire réduction des inégalités. Rien de neuf, pour l'instant que du vieux, des ringards...
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