Qu’est-ce que l’écologie politique ?

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La question de la nature de l'écologie-politique se pose du fait qu'il s'agit d'un mouvement émergent, se constituant en réaction à des questions concrètes, et non par l'application d'une doctrine préalable. On peut dire que son corps de doctrine, encore très disputé, s'est constitué en marchant, ce qui justifie l'approche historique en général adoptée.

L'inconvénient de cette approche est cependant de ne pouvoir sortir tout-à-fait de la confusion initiale, notamment de la religiosité, du romantisme et du volontarisme dont l'écologie-politique a tant de peine à se débarrasser, réduite à une aspiration morale, à une pure question de valeurs, un désir d'harmonie sinon d'amour des hommes et des bêtes, au lieu d'une responsabilité incontournable qui en fait plutôt un enjeu cognitif vital. Il ne s'agit pas, en effet, dans la prise en compte des contraintes écologiques, de préférences personnelles : sur ce plan, on n'a pas le choix ! La réduction de l'écologie-politique à l'amour de la nature est à la fois inévitable historiquement et intenable pratiquement. Il faut l'affirmer haut et fort, on n'a pas besoin de faire de sentimentalisme pour prendre l'écologie-politique au sérieux, notamment sa dimension politique qui introduit dès lors la division entre les écologistes qu'on ne peut absolument pas rassembler en un seul courant qui irait de l'écologie profonde à l'écologie sociale.

Il y a nécessité d'un retour au réel et d'une définition plus conceptuelle et critique de l'écologie-politique comme nouveau stade cognitif, celui de la post-modernité et de l'unification du monde dont on est devenu responsables (jusqu'au climat à l'ère de l'anthropocène), avec toutes les implications pour la politique de la prise en compte des enjeux écologiques. Dans ce cadre, et comme son nom composé l'indique, l'écologie-politique doit intégrer la contradiction entre nature et culture (campagne et ville), posant des limites aux possibles, à nos capacités techniques de transformation du monde comme de nous-mêmes, mais il est bien question d'intelligence collective à construire et non de conversion des âmes, il est question de projet politique et non de morale.

Les divisions entre écologistes

Notre époque en quête de nouvelles spiritualités est imprégnée, depuis le mouvement hippie au moins, d'une idéologie écolo très naïve mais qui a toutes les raisons de perdurer auprès des jeunes urbains. Dès lors, les écologistes sont invariablement identifiés à ce retour à la nature de sortes de boy scouts sympathiques, pour ce que j'en ai connu, mais qui restent pourtant plus que marginaux. Le terme de nature est d'ailleurs très ambigu car il ne s'agit pas bien sûr d'un retour à l'animalité mais tout au plus d'un retour à la terre et à la culture. Le terme important ici, c'est le « retour », car les époques peuvent varier considérablement, au lieu de se projeter vers l'avenir. Même quand les écologistes paraissent plus raisonnables, on leur imputera donc au moins une forme ou une autre de primitivisme ou de régression. Il n'est certes pas si facile de s'en défaire quand on prétend défendre notre "monde vécu" ou quelque nature originaire, l'indispensable critique de la technique et du progrès glissant facilement à la technophobie comme au conservatisme le plus réactionnaire.

Pendant que les gentils écolos occupent héroïquement la scène, on voit arriver en coulisse une toute autre écologie en costard cravate, plus du tout utopique celle-là, et plutôt technophile, celle du capitalisme vert engagé dans un nouveau cycle de croissance avec le développement des énergies renouvelables notamment. Ces divergences, on ne peut plus manifestes, prouvent au moins que l'écologie ne se réduit pas à ce que ses différents protagonistes en font, mais, dans les deux cas, elles témoignent surtout de l'absence de la dimension politique dans ces approches spirituelles ou marchandes.

L'écologie-politique ne peut se limiter à l'environnementalisme au moins parce qu'elle est supposée remonter aux causes (humaines) et adopter un point de vue global (collectif), mais avant tout à cause de l'enjeu politique qui a été souligné par André Gorz dans son texte inaugural "leur écologie et la nôtre" que nous avions mis en exergue du premier EcoRev'. Non seulement ce texte introduit la division dans l'écologie, en particulier avec l'opposition à l'expertocratie, mais il se situe clairement dans la continuité des luttes d'émancipation et dans le camp de l'anti-capitalisme. Avec de grandes différences toutefois, qu'on peut caractériser comme post-totalitaires, le paradigme écologiste valorisant notamment la diversité (les minorités), la décentralisation, le local dans une dialectique local/global, individu/société, à rebours des idéologies collectivistes précédentes, tout comme des idéologies individualistes d'ailleurs.

On ne peut nier l'existence de luttes politiques dans l'écologie et donc la dimension véritablement politique de l'écologie, loin du « ni droite, ni gauche » et de l'apolitisme supposé de l'intérêt général. Il y a bien une opposition frontale entre différentes tendances de l'écologie qui sont largement incompatibles et dont il faut expliciter les divergences qui sont loin d'être claires pour tout le monde puisqu'on essaie de les concilier alors qu'elles sont fondamentalement contradictoires dans leur conception même de la liberté. Comme toujours en politique, c'est effectivement notre liberté qui est en jeu dans cette politisation de l'écologie, raison pour laquelle, dès 1993, en préalable à mon engagement écologiste, j'avais cru devoir distinguer explicitement les écologistes en fonction de la place donnée à la liberté : 1) les fondamentalistes ou écologistes de droite qui défendent les lois de la nature, les hiérarchies naturelles, et pour qui la liberté humaine représente le mal contre lequel il faut se prémunir, 2) les environnementalistes centristes ou libéraux qui défendent la qualité de la vie et les produits écologiques mais pour qui la liberté est instrumentalisée, ravalée au rang de moyen pour le marché. 3) la véritable écologie-politique comme prise en charge par le politique des effets globaux de nos actions en vu de renforcer notre auto-nomie (nous donner nos propres règles avant d'y être contraints matériellement). Dans la continuité des luttes sociales, c'est la conscience de notre solidarité globale tout comme de nos limites, constituant indubitablement un progrès de la raison. Cette fois la liberté est un projet collectif d'émancipation, le passage de l'histoire subie à l'histoire conçue, tournée vers l'avenir et sa préservation.

On ne peut surestimer ce qui oppose ces différentes écologies puisqu'il y a une complicité avérée de l'écologie avec le libéralisme le plus brutal, ce qu'on a appelé improprement le "darwinisme social" (Defoe, Malthus, Spencer, etc.) jusqu'à l'ordre spontané néolibéral. On sait aussi jusqu'à quelles extrémités ont pu mener d'autres sortes de "darwinisme", biologisme, hygiénisme, etc., que ce soit le racisme nazi obsédé par son espace vital ou un pétainisme pour qui la terre ne ment pas. Un "philosophe" médiatique très ignorant a même cru pouvoir identifier l'écologie à ces tendances d'extrême-droite qui représentent pourtant un courant très minoritaire en tant que tel aujourd'hui mais dont on ne peut nier l'existence pour autant, imprégnant comme naturellement les discours écologistes les plus naïfs, sans parler du catastrophisme appelant des pouvoirs autoritaires et le règne de la technocratie. Pour défendre la vie, tout est permis ! Il ne peut être question bien sûr de se mélanger avec des idéologies tellement contraires à nos objectifs.

La défense de la vie revendiquée par beaucoup d'écologistes n'a, en effet, aucun sens, ni même la survie de l'espèce humaine qui ne sont pas en cause en dehors d'une catastrophe cosmique. Ce n'est pas à ce niveau absolu que les questions se posent. Nous avons les moyens de vivre dans l'espace, il y aura donc au moins des petits groupes qui survivront dans les pires conditions. Défendre la vie humaine a certes un sens, c'est celui des droits de l'homme mais il n'est pas forcément écologiste. La question de la survie est bien posée pour certains (Bangladesh, petites îles, pauvres en général, etc.) mais l'écologie ne peut se limiter à empêcher toute une série de catastrophes ni se limiter à la survie comme si la vie était désirable à n'importe quel prix. La conscience des risques est bien ce qui nous oblige à devenir écologistes mais cela ne suffit pas à donner son contenu à une écologie-politique.

Pour une écologie-politique

Rien de commun entre une écologie-politique responsable tournée vers l'avenir et les nostalgies d'une nature perdue. Mais alors, si on est en si mauvaise compagnie, pourquoi donc garder le nom d'écologie, demandera-t-on ? C'est qu'on ne peut absolument pas abandonner aux idéologies régressives le terrain de l'écologie qui est central, non seulement par les menaces auxquelles il faut faire face mais tout autant par la notion d'écosystème qui change nos façons de penser la complexité du vivant. La seule chose qui réunit ces différents écologistes, c'est effectivement la conscience des problèmes écologiques, quoiqu'avec des diagnostics assez éloignés : tout est là, la vérité n'est pas donnée et les convictions sont diverses, souvent affirmées avec d'autant plus de force qu'on n'y connaît finalement pas grand chose ! Les réponses apportées sont en tout cas très éloignées, même si l'attention portée aux écosystèmes impose un certain nombre de faits et de mécanismes participant d'un nouveau paradigme, cognitif bien plus que moral, modifiant nos conceptions, notre compréhension du monde plus que nos valeurs.

Le terme écologie a été forgé par Haeckel en 1866, à partir du grec oikos et logos, pour désigner l'étude des habitats naturels des espèces vivantes. En effet oikos, qu'on retrouve dans économie, signifie habitat. Ce qui oppose l'éco-nomie domestique à l'éco-logie, c'est que l'économie calcule alors que l'écologie relie, l'une est quantitative quand l'autre est qualitative (et ne peut pas du tout se réduire à l'énergie comme veut le faire l'éco-énergétique). L'économie est la science des équivalences alors que l'écologie est la science des différences et des complémentarités (sexuelles, alimentaires, etc.), l'économie réduit tout à l'individu alors que l'écologie réinscrit les corps dans leurs interdépendances mutuelles et leur relation à l'environnement global (à l'écosystème). L'écologie est d'une certaine façon la réfutation de l'économie, sa critique radicale comme pure abstraction mathématique, la réintégration du temps long et des cycles naturels dans la productivité immédiate et les calculs d'intérêt à courte vue.

Ce qui distingue radicalement l'écologie-politique d'un simple écosystème cependant, c'est d'y introduire, avec la dimension politique, la finalité d'une régulation des équilibres et des cycles biologiques, finalité dont un écosystème est dépourvu n'étant pas un organisme. Les régulations écologiques de notre industrie manquent en effet cruellement, c'est pour cela qu'il faut les créer. Il ne s'agit pas de laisser-faire de soi-disant lois de la nature qu'on a au moins très fortement perturbées ! Au contraire, nous devenons désormais responsables du climat, qu'on le veuille ou non. Comme pour tout organisme vivant, le défi de l'écologie-politique est de surmonter une entropie naturelle (en grande partie grâce à l'information).

L'écologie-politique se définit par la conscience de notre environnement et de nos interdépendances, conscience de notre appartenance à des écosystèmes que nous ne devons pas détruire, conscience de notre empreinte écologique et volonté non seulement de sauvegarder nos conditions de vie mais d'améliorer la qualité de la vie, toutes choses qui ne sont pas données et dépendent d'un débat politique sans avoir la simplicité de l'évidence. En fait, on peut dire que l'écologie-politique comme affirmation de nos solidarités et responsabilité du monde, transforme d'une certaine façon la biosphère en organisme vivant dont nous constituerions désormais le système nerveux ainsi que le système immunitaire. Bien sûr le "Nous" ici fait question, il n'est pas sûr que nous en fassions partie. En tout cas, cela va bien au-delà de la survie et des catastrophes qu'il faudra éviter, posant la question du qualitatif qui est une question politique en tant qu'elle dépend du subjectif, c'est-à-dire du vivant dans son indétermination et sa diversité intrinsèque.

Ce qui fait la nouveauté de l'écologie-politique, la préservation de l'avenir et le fait d'assumer la responsabilité collective de nos actes, correspond assez bien à ce que Hegel appelle « le passage de l'histoire subie à l'histoire conçue ». C'est malgré tout ce qui pourrait la rapprocher des autres idéologies qui se projetaient elles aussi dans l'avenir supposé radieux au nom de quelque valeur unilatérale et d'utopies entièrement artificielles. Une des différences notables, cependant, avec une écologie du politique, pas assez comprise des écologistes eux-mêmes, c'est de mettre une limite à notre volontarisme comme à l'artificialisation du monde et des sociétés (ce dont Claude Lévi-Strauss accusait les idéologies post-révolutionnaires), avec la nécessité de la préservation de nos conditions d'existence aussi bien matérielles que sociales. En fait, une u-topie écologiste n'a aucun sens alors qu'il faut partir des réalités locales et concrètes. C'est le système capitaliste et la société de consommation qui sont complétement utopiques. A l'opposé de l'idéalisme d'utopies totalitaires voulant forger un homme nouveau unidimensionnel (tel l'homo oeconomicus ou l'homo sovieticus), l'écologie-politique se doit au contraire de coller à la réalité et d'agir avec prudence, en tenant compte des hommes tels qu'ils sont, dans leurs différentes dimensions, avec toutes leurs contradictions, diversités et tensions internes. Ce n'est plus la fin de l'histoire qui est visée mais sa continuation, sa durabilité. De même, l'obligation de résultat oblige à tenir compte des rapports de force effectifs même si on est tenu à une certaine radicalité des réponses à donner, qui ne peuvent se limiter aux dysfonctionnements les plus voyants. La question n'est pas tant celle de ce qu'on voudrait que du possible et du nécessaire (notre liberté est très limitée, ce qui ne l'empêche pas d'être "décisive").

Plus même qu'un marxisme trop empreint encore de religiosité, l'écologie-politique reconnaissant la transcendance du monde se doit d'être un matérialisme intégral, quoique non réductionniste, et même un matérialisme dialectique en tant qu'il intègre la contradiction et la part du négatif. En effet, le caractère le plus évident de l'écologie et qui la spécifie, c'est bien de partir du négatif de notre industrie et du progrès, alors qu'elle a le plus grand mal à y donner une réponse positive, plutôt du côté du contre-pouvoir, du feedback. Cette expression du négatif est une exigence cognitive préalable à une prise de conscience qui doit partir du réel, des effets non voulus de nos entreprises (les fameuses externalités négatives!) et non pas de nos supposées bonnes intentions.

Historiquement, l'écologie-politique correspond bien au stade cognitif d'une modernité réflexive, c'est-à-dire d'une post-modernité qui intègre la durabilité et parvient à se critiquer elle-même, prise de conscience des limites du progrès technico-économique et de ses dangers comme de son coût écologique mais aussi de sa dimension globale. La post-modernité n'est pas un retour en arrière pour autant, ce n'est pas la négation de la modernité et de tout ce qu'elle peut avoir de positif, mais une modernité désillusionnée, moins triomphante, confrontée à sa contre-productivité, plus précautionneuse enfin, s'interrogeant sur ses conséquences futures pour tenter de se prémunir de ses nuisances. Les réseaux numériques et les médias y ont une grande part désormais, le réseau mondial étant l'un des fondements de l'unification du monde et d'une conscience mondiale réflexive.

L'écologie-politique qui relie nature et culture, local et global, est aussi la négation de la séparation des sphères technologiques, écologiques, économiques, politiques et sociales malgré leur autonomie relative. La négation de la séparation reste bien sûr tout aussi relative et n'abolit pas autonomie et diversité, elle n'abolit pas les contradictions entre les termes. Ce n'est pas parce que la biosphère nous réunit tous qu'il n'y a pas de séparation entre nous et que nous ne ferions qu'un avec la nature que nous dévastons. Ce qui nous unit ne supprime pas ce qui nous divise. Il est crucial pour les dominés de reconnaître les divisions sociales effectives et de leur donner une expression politique. Il s'agit seulement de comprendre nos interdépendances et les effets globaux de nos comportements, de nous adapter à notre environnement et de préserver nos conditions d'existence, ne pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis !

Plutôt qu'une "éthique de responsabilité" un peu trop individuelle, il vaudrait mieux parler d'une "politique de responsabilité collective" envers les générations futures et les conséquences de nos actions avec la prise en compte du négatif de notre industrie : pollutions, nuisances, épuisement des ressources, perturbation des équilibres écologiques (réchauffement climatique, déforestation, perte de la biodiversité, OGM, etc.). Cependant, cette responsabilité de l'avenir commun est indissociablement l'affirmation de notre solidarité actuelle et de l'exigence politique de développement humain comme développement de nos capacités ("capabilities") et de notre autonomie effective, ici et maintenant. Ce n'est pas en tant que valeurs morales individuelles mais bien en tant que projet politique qu'on doit reprendre la devise écologiste "autonomie, solidarité, responsabilité" qui donne un sens plus concret à celle de la République.

L'alternative écologiste

Les différences entre écologistes se manifestent expressément sur le plan politique, dès qu'on en vient aux solutions préconisées. C'est une erreur fatale de s'imaginer qu'il suffirait de nos trop bonnes intentions, de reconnaître notre communauté de destin et qu'on ne peut continuer comme avant. Il n'y a pas encore de véritable intelligence collective, c'est peu de le dire, pas d'accord sur les diagnostics ni sur les alternatives ou les solutions possibles aux crises multiples que nous affrontons. Le volontarisme ne suffit pas, ni l'activisme, quand il faudrait s'entendre sur ce qu'il faut faire. L'enjeu est cognitif : pour adapter la société aux nouvelles contraintes, le préalable en effet serait d'abord de la comprendre, comprendre notre marge de manoeuvre qui n'est pas infinie, comprendre aussi ce qu'est un écosystème, ses interdépendances, ce qu'est un système de production, ses impératifs, comprendre notamment la dynamique du capitalisme (son productivisme) avant de savoir comment le brider ou comment en sortir, comprendre enfin tout ce que change notre entrée dans l'ère du numérique. Il faudrait un accord sur les analyses comme sur les fins qui n'est absolument pas envisageable dans l'état actuel, exigeant un processus politique de confrontation des catégories sociales et des opinions ("lutte des classes" dans la théorie, responsable, on le sait, de bien des égarements, mais tout autant que la "pensée unique" ou le gouvernement des experts).

Ici, il faut donc prendre parti, et pour nous, comme pour André Gorz, l'écologie-politique ne peut se réduire à une limitation des consommations mais implique de sortir du productivisme capitaliste et du laisser-faire libéral, tout en préservant l'autonomie individuelle aussi bien que la solidarité sociale. Dans cette perspective, l'alternative, du côté de la production, ce n'est pas la collectivisation des entreprises, ni même l'autogestion (qui ne changent pas fondamentalement l'organisation de la production) mais un revenu garanti qui permettrait de sortir du salariat productiviste et de passer du travail subi (subordonné) au travail choisi (autonome) comme de la sécurité sociale au développement humain. Pour cela, un revenu garanti ne suffit pas, on a besoin aussi des institutions du travail autonome, en particulier de coopératives municipales assistant les travailleurs isolés, y compris les travailleurs de l'immatériel. Ces coopératives participent également à l'autre axe d'une politique écologiste : une nécessaire relocalisation de l'économie équilibrant la globalisation marchande, réhabitation du territoire s'appuyant principalement sur des monnaies locales mais aussi sur les capacités décentralisatrices des réseaux et une certaine dématérialisation. Il faut souligner qu'il y a, en effet, une totale solidarité entre l'ère de l'information, l'écologie et le développement humain, l'un appelant les deux autres. De même, revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales dessinent ensemble un nouveau système de production, relocalisé, combinant production, reproduction et circulation (travail, revenu, échanges).

Cet écologisme municipal est très loin d'être un projet partagé par les autres écologistes mais cela donne tout de même une idée d'une alternative possible et de ce que pourrait être l'après-crise avec un nouveau système de production relocalisé et plus écologiquement soutenable, permettant de sortir du salariat productiviste tout en étant adapté à l'ère du numérique, aux nouvelles forces productives immatérielles. Il ne s'agit donc absolument pas de se contenter de réguler le capitalisme, mais comme on reste dans une économie plurielle (concept cher à Jacques Robin), on ne peut non plus rêver l'éliminer entièrement de la surface de la Terre. Il aura d'ailleurs sans doute un rôle important dans la transition énergétique. Si on ne peut espérer sortir immédiatement et entièrement du capitalisme, on peut du moins sortir du totalitarisme du marché et commencer l'exil de la société salariale. Contrairement aux utopies uniformisantes, la pluralité des systèmes est une composante essentielle de l'écologie et du post-totalitarisme. De même qu'il y a toujours eu cohabitation des sphères familiales, publiques, associatives et marchandes, dans une économie plurielle il y a au moins 4 axes principaux qu'on peut combiner en système alternatif pour sortir du capitalisme, du salariat, du productivisme et de la société de marché : travail autonome (revenu garanti, coopératives), gratuité (numérique, biens communs), relocalisation (monnaies locales, coopératives) et secteurs protégés ou régulés (services publics, médecins, agriculture, etc.).

L'écologie-politique devrait signifier enfin une façon plus écologique (post-totalitaire) de faire de la politique : une démocratie des minorités, ancrée dans le local et le face à face, à l'opposée de toute dictature majoritaire, et pouvant constituer à terme une véritable démocratie cognitive en interaction entre agir local et pensée globale. Inutile de préciser qu'on en est loin, y compris chez les écologistes ! C'est pourtant le plus important sans aucun doute dès lors qu'on interprète l'écologie-politique comme nouveau stade cognitif nécessitant une intelligence collective à construire et dont la question du climat comme la crise financière montrent toute la difficulté. A l'évidence, on ne peut guère s'accorder pour agir au niveau mondial que sous la pression de la catastrophe mais c'est tout aussi vrai au niveau local quand il s'agit de remettre en cause les situations acquises, les clientélismes et divers féodalismes qui subsistent encore largement. La démocratie n'a rien de naturel ni de facile, la démocratisation est un combat politique constant, tout comme la défense de nos libertés qui ne s'usent que si on ne s'en sert pas : tout phénomène laissé à lui-même va à sa perte selon les lois de l'entropie universelle. C'est en cela que notre action est toujours nécessaire, la résistance du sujet, et que nous sommes les "gardiens de l'être" en tant qu'êtres vivants, êtres de parole et citoyens du monde.

En tout cas, au moment où les préoccupations écologiques deviennent hégémoniques, il ne faudrait pas se tromper d'écologie ni se laisser faire par tous les obscurantismes et perdre son sens critique. L'enjeu politique, c'est bien la liberté, la solidarité, la justice, la raison et non pas la Nature, l'authenticité, l'originaire. Il ne s'agit pas de revenir en arrière, ni de foncer tête baissée dans une course en avant, encore moins de rêver vainement à quelque utopie mais de prendre en main notre destin et tenter de se préserver des risques que nous avons nous-mêmes provoqués, afin de continuer l'aventure humaine et l'histoire de l'émancipation...

 

Mise à jour du 25 février 2010 pour la revue Ecologie & Politique de la version originale qui a été traduite en espagnol par Eduardo Baird (Argentine).

A compléter avec "De l'entropie à l'écologie".

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