On peut s'étonner qu'il y ait de nos jours si peu de spécialistes qui osent remettre en cause l'existence de Jésus alors qu'on n'a aucune trace archéologique ni même aucun témoignage de son existence historique en dehors des évangiles ! Les hypothèses les plus farfelues circulent à son sujet, quitte à en faire une sorte de révolutionnaire tout ce qu'il y a de plus humain, sans envisager que ce puisse être simplement une figure symbolique dans la lignée de l'interprétation allégorique de la Bible par Philon d'Alexandrie !
Les religions sont la pire et la meilleure des choses. La pire car prendre à la lettre ces histoires fantastiques témoigne de l'étendue de notre crédulité et mène aux fanatismes les plus meurtriers : rien de pire en effet que les guerres de religion ou qu'une foi pétrie de certitudes ! C'est aussi la meilleure des choses pourtant car l'enseignement spirituel des religions est ce qu'il y a de plus précieux et subtil, expression de notre propre divinité et de la "dignité de l'homme" (Pic de la Mirandole) qui donne une valeur absolue à chacun, "vagabond de la vérité ... ouvert à tout le possible, poète de lui-même" ! En l'absence de cette dimension spirituelle, l'homme est souvent réduit à rien, à son utilité ou à ses gènes, en tout cas à ses déterminations ne lui laissant plus aucune liberté. On ne peut dépasser les religions qu'en reconnaissant leur part de vérité, en reconnaissant qu'elles parlent de nous. Pour cela rien de mieux que l'histoire des religions.
Hélas, notre époque scientifique, plus fermée encore à la dimension symbolique, veut prendre les textes sacrés à la lettre comme si c'étaient de véritables récits historiques au lieu de récits mythiques. Non seulement on cherche des preuves archéologiques attestant des faits relatés, mais on voudrait même expliquer les miracles les plus invraisemblables par de fumeuses explications scientifiques ! C'est l'époque de tous les fondamentalismes qui sont déjà une dégénérescence de la foi car non seulement ils font une lecture trop littérale du contenu exotérique mais réduisent le sens ésotérique et véritablement mystique à des histoires complètement délirantes de sociétés secrètes et de puissances occultes.
Le succès planétaire du "Da Vinci Code" témoigne de cet égarement (qui touche même des Japonais !) où Alexandre Adler voit l'appel d'une nouvelle religion planétaire, dans son dernier livre bien étrange et qui reprend une série d'émissions radiophoniques sur le sujet ("Sociétés secrètes. Des secrets de Léonard de Vinci à Rennes-le-Château"). Là-dessus, la prétendue découverte du tombeau de Jésus par le réalisateur du Titanic, James Cameron, suivie de la véritable découverte celle-là du tombeau d'Hérode, redonnent une actualité brûlante à la question de la réalité historique du personnage de Jésus, ce qui nous vaut toute une série d'articles ou d'émissions de radio plus ou moins complaisantes sur le sujet (c'est pas fini!) mais qui toutes partent du principe que Jésus aurait bien existé même si rien ne permet de l'affirmer ! On prétend garder un regard scientifique sur un objet qui brille par son absence ! Même l'excellente émission d'exégèse "Corpus Christi" diffusée par Arte en 1997, véritable modèle du genre qui montrait pourtant bien texte à l'appui toutes les contradictions des évangiles, réduisant à néant tout ce qu'on pouvait croire connaître de la vie de Jésus, rechignait malgré tout à remettre en cause son existence !
Tout cela est bien agaçant, signe de l'obscurantisme qui règne encore (avec le retour du créationnisme). Aussi il m'a semblé utile de rappeler des thèses assez anciennes sur l'invention de Jésus et la naissance du christianisme, thèses reprises récemment par Michel Onfray mais dont je faisais déjà état dans mon Histoire des religions qui date de 1993 et qui s'appuyait non pas tant sur le livre de Bernard Dubourg "L'invention de Jésus" (1987, Gallimard) que sur celui de Raoul Vaneigem, dont on ne connaît pas assez les études d'histoire des religions qui valent largement ses écrits politiques, l'excellent "Résistance au christianisme" (1993, Fayard). On se rend compte effectivement que sur ce sujet, comme sur d'autres comme la drogue, la vérité est encore interdite ! On n'a pas autant le droit qu'on croit de ne pas croire et de prétendre contredire la vérité officielle ! Il faut être un marginal, un révolutionnaire pour oser le blasphème dans nos sociétés libérées : il y a donc plus sacré que le sexe ! Il ne s'agit pas de faire part de mon opinion, ni de vouloir convaincre quiconque, seulement de faire savoir qu'il y a de bonnes raisons de croire que la figure de Jésus est une construction théologique et qu'il faudrait au moins en mentionner l'hypothèse, qui ne complique pas tant les choses, contrairement à ce que prétendent les Chrétiens, mais qui les éclaire singulièrement au contraire en les portant au symbole et à leur sens mystique. Il faut au moins en prendre connaissance.
D'abord, il faut situer le contexte. Le nouveau testament n'a pas pu se détacher de l'ancien testament malgré tous les efforts de Marcion pour séparer le nouveau dieu d'amour de l'ancien dieu vengeur selon le principe de Paul que l'amour abolit la Loi. L'évangile universel n'a pas de sens sans la bible hébraïque qui en constitue le fondement historique depuis la création du monde jusqu'à l'Empire en passant par le Peuple élu. Sur la Bible, on en sait beaucoup plus depuis peu, du moins l'archéologie a confirmé et précisé ce qu'on avait pu déduire avant, en partie au moins, mais qui n'était pas reconnu comme maintenant, depuis le livre de Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman "La Bible dévoilée" qui montre que la rédaction de la Bible date du VIIè siècle (on le savait) et qu'avant cette date il n'y avait pas grand chose au royaume de Judas, ni vraiment de Jérusalem, avant que le royaume d'Israël plus au Nord ne soit détruit par les Assyriens (On ne le savait pas). Toute l'histoire biblique est profondément remise en cause et dépouillée de toute véracité historique. C'est au moins une mythification, si ce n'est une mystification au service d'intérêts politiques, mais qui reprend une grande partie de la sagesse babylonienne (Sumérienne, Akkadienne, Egyptienne, Hittite et Perse) et d'anciennes traditions locales. Bien sûr tous les Juifs ne l'admettent pas, la plupart ne sont même pas au courant, mais cette archéologie de la Bible n'a pas rencontré d'opposants sérieux à ce jour sans que cela ne trouble vraiment les croyants. C'est sans doute que les Juifs ont gardé en partie le sens de la lettre et des symboles, de la distance entre la représentation et le réel qui exige interprétation, de la dimension proprement religieuse alors que les chrétiens ne faisant plus de différence entre le monde divin et le monde profane ne peuvent admettre que le Christ n'ait pas vécu (né d'une vierge), qu'il ne soit pas vraiment mort ni vraiment ressuscité (comme Osiris et Dyonisos) ! Mystère de l'incarnation...
Si l'Ancien testament ne tient pas le coup, que reste-t-il du Nouveau ? Sans Père dans les cieux, Jésus perd toute divinité, mais cela ne l'empêche pas d'exister pour autant ! Ce qui rend son existence contestable c'est seulement qu'il n'y en a aucune trace. Aucune ! Au point qu'on sait que toutes les soi-disantes preuves archéologiques de son existence sont des faux, plus ou moins grossiers. Le plus troublant c'est qu'on n'en trouve aucune trace ni dans Philon d'Alexandrie, ni dans "La guerre des Juifs" de Flavius Josèphe qui couvre cette période de façon assez détaillée pourtant (parlant de Jean-Baptiste entre-autres). Bien sûr il y a des versions chrétiennes (en slavon) qui ont réparé l'oubli et que certains vont s'imaginer être la version originale censurée par Flavius Josèphe lui-même ! Quand on est croyant, on peut croire n'importe quoi ! Il y a tellement rien nulle part ailleurs qu'on s'appuie toujours sur les mêmes passages des Antiquités judaïques (écrits dans les années 93-94) pour se rassurer sur l'existence de Jésus mais d'une part il y avait effectivement plusieurs Jésus à cette époque, qui n'avaient pas grand chose à voir avec celui des évangiles, et la seule citation qui n'est peut-être pas rajoutée est celle-ci :
Comme Anan était tel et qu'il croyait avoir une occasion favorable parce que Festus était mort et Albinus encore en route, il réunit un sanhédrin, traduisit devant lui Jacques, frère de Jésus appelé le Christ, et certains autres, en les accusant d'avoir transgressé la loi, et il les fit lapider. (201) Mais tous ceux des habitants de la ville qui étaient les plus modérés et les plus attachés à la loi en furent irrités et ils envoyèrent demander secrètement au roi d'enjoindre à Anan de ne plus agir ainsi, car déjà auparavant il s'était conduit injustement. (202) Certains d'entre eux allèrent même à la rencontre d'Albinus qui venait d'Alexandrie et lui apprirent qu'Anan n'avait pas le droit de convoquer le sanhédrin sans son autorisation. (203) Albinus, persuadé par leurs paroles, écrivit avec colère à Anan en le menaçant de tirer vengeance de lui. Le roi Agrippa lui enleva pour ce motif le grand-pontificat qu'il avait exercé trois mois et en investit Jésus, fils de Damnaios.
Il n'est pas sûr que la mention "appelé le Christ" ne soit pas un ajout mais il n'est pas impossible que ce n'en soit pas un car il y en avait pas mal en ce temps là qui se prenaient pour le Christ appelé à délivrer les Juifs des Romains. On s'arrête en général à ce petit bout de phrase sans aller jusqu'au bout du paragraphe où l'on voit qu'on parle d'un Jésus, fils de Damnaios. Plus loin, il précise :
Le roi donna aussi la succession du grand pontificat à Jésus, fils de Gamaliel, après l'avoir enlevé à Jésus, fils de Damnaios. Cela fut cause d'une lutte entre eux. En effet, les gens les plus audacieux ayant été rassemblés par eux en bandes, des insultes on en vint à se jeter des pierres.
Ayant enlevé le grand-pontificat à Jésus, fils de Gamaliel, il le donna à Matthias, fils de Théophile, sous lequel commença la guerre des Juifs contre les Romains.
Précisons que Jacques le juste, dit "frère de Jésus", a sûrement existé, ayant constitué une des première communautés chrétiennes mais cela ne veut pas dire qu'il soit vraiment son frère ni que ce soit de lui qu'on parle ici. L'autre citation (Antiquités XVIII) est encore plus douteuse. Le texte "officiel" venant de l'Histoire ecclésiastique (I, 11) d'Eusèbe devrait d'autant moins être pris en compte qu'il y a 3 autres versions qui n'ont pas plus de raisons d'être authentiques ! C'est justement parce qu'on veut faire dire à Flavius Josèphe, qui n'était pas du tout chrétien, que Jésus était bien divin que la supercherie semble évidente :
En ce temps-là, paraît Jésus, homme sage, si toutefois il faut l'appeler homme; car il était l'auteur d'oeuvres prodigieuses, le maître des hommes qui reçoivent avec joie la vérité. Il entraîna beaucoup de Juifs et aussi beaucoup de Grecs. Il était le Christ. Et comme sur la dénonciation des premiers parmi nous, Pilate l'avait condamné à la croix, ceux qui l'avaient aimé précédemment ne cessèrent pas. Car il leur apparut le troisième jour, vivant à nouveau; les prophètes divins avaient dit ces choses et dix mille autres merveilles à son sujet. Jusqu'à maintenant encore, le groupe des chrétiens, ainsi nommé à cause de lui, n'a pas disparu. (Eusèbe, Histoire ecclésiatique 1,11)
A cette époque-là, il y eut une homme sage nommé Jésus, dont la conduite était bonne; ses vertus furent reconnues. Et beaucoup de Juifs et des autres nations se firent ses disciples. Et Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui s'étaient faits ses disciples prêchèrent sa doctrine. Ils racontèrent qu'il leur apparut trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant. Peut-être était-il le Messie au sujet duquel les prophètes avaient dit des prodiges. (Agapios, Histoire Universelle)
À la même époque il y eut Jésus, homme sage, pour autant qu'il convienne de le dire homme. Il était en effet l'auteur de faits étonnants et le maître de ceux qui reçoivent librement la vérité. De plus, beaucoup, tant parmi les Juifs que parmi les Gentils devinrent ses disciples, et l'on croyait qu'il était le Christ... (Saint-Jérôme, De Viris illustribus)
En ce temps-là, il y eut un homme sage du nom de Jésus, s'il nous convient de l'appeler homme. Car il était l'auteur d'oeuvres glorieuses et maître de vérité. Et de beaucoup parmi les Juifs et parmi les nations il fit des disciples. On pensait qu'il était le Messie... (Michel le Syrien, Chronique)
Bien sûr on ne peut prouver une non-existence. L'absence de preuves n'est pas preuve de l'absence. Il n'est pas impossible qu'il y ait un noyau de vérité dans les évangiles, mais tellement remanié qu'on n'en a pas besoin. Ce n'est pas qu'il n'y aurait eu aucun prophète à l'origine de ce remaniement théologique mais plutôt plusieurs (voir tableau) ! Qu'on sache déjà que les premiers évangiles, comme l'Evangile selon Thomas, n'étaient qu'une suite de logia ou paroles de Jésus qu'on retrouvera dans l'évangile officiel ensuite mais sans aucune mise en scène alors (ni nativité, ni mort et résurrection), chaque sentence étant simplement précédée par : "Jésus a dit". L'histoire de Jésus et de sa crucifixion ne viendront qu'après. Il est donc loin d'être absurde de voir dans l'invention de Jésus et de sa passion une construction théologique des prêtres exilés à Nazareth par les Romains qui interdisent désormais Jérusalem aux Juifs après la destruction du temple par Titus (en 70). On peut lire la construction de cette figure comme "réalisation des écritures" (notamment Isaïe, Le livre d'Esther, le psaume 21 pour la crucifixion), ce qui en dénonce le caractère de fiction et dont la finalité est de détacher la religion de la politique pour survivre à l'anéantissement de l'espoir d'un messie qui leur donnerait une domination militaire devenue impossible. Dès lors, plutôt que de s'attacher au personnage du Christ, c'est la constitution du christianisme lui-même qu'on devrait examiner et l'ensemble des courants qui ont mené à cette branche qui se détache du judaïsme et s'universalise au moment même où les juifs sont expulsés de leur pays et dispersés à travers l'Empire.
Le Christianisme n'est pas autre chose que la religion de l'Empire romain, c'est-à-dire du Césarisme (où le nouvel Alexandre n'a d'autre légitimité que ses actes), reprenant le calendrier de Jules César (JC) et identifiant grossièrement la naissance de Jésus Christ (JC) avec la naissance de l'Empire (le recensement). C'est son adoption par l'empereur Constantin qui en a fixé le dogme, avec Eusèbe, et lui a donné son véritable essor. L'unité d'un empire regroupant de si nombreux peuples ne pouvait se satisfaire de la religion romaine hellénisée, utilitaire, imprégnée de superstitions et confisquée par l'aristocratie patricienne (qui détenait les sacra), encore moins de la divinisation de l'empereur. Les légions romaines popularisaient le culte de Mitra, dieu de l'amitié virile et des contrats, avec ses initiations de guerriers héritées des Aryens. Les tentatives de culte solaire (Sol invictus) témoignaient de la nécessité d'une religion universelle mais cet Universel ne pouvait être atteint vraiment que par les exclus de l'empire, les esclaves, car sous l'autorité absolue de l'empereur la distinction de l'esclave et du citoyen n'a plus de sens. La diffusion de la bible des Septante, traduction en grec de l'hébreux, donnait à cette nouvelle religion la tradition qui lui manquait ainsi que sa conscience malheureuse, attisée par la destruction du temple, et qui exprimait le délaissement de l'empire à la recherche de son unité. La dispersion des Juifs dans tout l'empire favorisait aussi son universalisation comme représentant des peuples soumis face à la diaspora des maîtres (Grecs et Romains).
C'est dans le creuset d'Alexandrie (notamment avec Philon d'Alexandrie), avant Rome, que devait s'effectuer la synthèse des sectes esséniennes (ou gnostiques, héritières de la Perse à travers Isaïe) et de la philosophie (stoïcienne et néoplatonicienne), voire du culte de Mitra et des religions agricoles (pain et vin). Les thèses essentielles en sont la création (qui change l'avenir), l'incarnation (Dieu fait homme) et la Rédemption (amour de Dieu) mais qui se réduisent explicitement au commandement "aime ton prochain comme toi-même" faisant de Dieu l'entre-deux, la relation au semblable, la conscience réflexive dans l'autre, incarnation de la liberté, de la conscience dont procède le péché qui pour être originel ne nous épargne guère (et si la liberté est créatrice, amour, charité, elle se soumet aussitôt à la foi ou à l'amour, s'y abandonne et se renie alors dans un asservissement extrême : manuel de discipline essénien, le sacrifice de soi qui sauve). Cette théologie se réfère, particulièrement au sermon sur la montagne, d'origine éssenienne, dont la morale paradoxale du manque annonce déjà le triomphe de la crucifixion, où le négatif est sauvé comme sacrifice. "Heureux, vous les pauvres, le royaume de Dieu est à vous ! Heureux, vous qui avez faim...". C'est l'universalisation de la religion des anciens esclaves juifs. La personnalité juridique romaine trouvait là un fondement universel (Catholicon) qui faisait de chaque être humain, maître comme esclave, Romain aussi bien que Juif, l'incarnation du divin (L'homme passe infiniment l'homme. Pascal).
Les messianismes, inspirés de Jéhu oint par Élisée, ne manquent pas depuis la révolte des Maccabées qui devait exacerber l'opposition entre les tendances universalistes et particularistes de la Révélation. L'intégrisme patriotique des Zélotes ne tolérait pas que le Dieu des juifs puisse sauver les autres nations alors que la dispersion des juifs dans tout l'empire et la diffusion de la bible des septante transformait la religion hébraïque, comme les autres religions orientales, en religion universelle. Le christianisme qui s'enracine dans l'éssenisme (la Didachê) et dont la première forme repérable est sans doute celle de Jacques le Juste (frère de Jésus) et des ébionites (les pauvres), ne commence vraiment qu'avec Marcion (140, soit après la fin du messianisme juif, après la défaite définitive de 135 et la mort du messie Chimon Bar Koziba, le fils de l'étoile) qui s'appuie sur Paul (Juif élève de Gamaliel mais citoyen romain de Tarse donc après 150!?) pour le séparer du judaïsme (opposition ancien/nouveau testament) et l'universaliser. En 140, le Pasteur d'Hermas ignore encore le nom de Jésus formé par les kabbalistes exilés en galilée. Mais c'est la prédication de Montan (160) qui en fera une religion populaire proche de celle d'Attis, rejetant la gnose (la kabbale) au profit de la foi et faisant de Jésus un personnage historique, introduisant la vierge (sans doute à cause de la traduction grecque d'Isaïe).
Le succès durable de cette nouvelle prophétie (Tertullien, Irénée, évangiles canoniques) malgré sa répression, ses martyrs, (et malgré le manichéisme qui lui fait concurrence ensuite) va mener Constantin à la transformer, 150 ans après, en religion d'Etat pour asseoir l'empire sur une autre base religieuse que le culte de l'empereur : Eusèbe de Césarée et le concile de Nicée (325) vont définir le nouveau dogme (le pouvoir de l'empereur comme représentant du pouvoir divin) en accord avec les intérêts de Rome, respectant les coutumes acquises comme la fête de Mitra le 25 Décembre (naissance de Mitra le soleil-bienfaiteur-ami-allié d'une vierge dans une grotte, qui rend Varuna propice, culte du Soma-sang du Christ somagraha=graal), constituant avec les théologiens néoplatonisants une synthèse remarquable des grandes traditions de l'empire (les trois rois mages Égyptien, Perse et Chaldéen, les juifs plus la philosophie). Le syncrétisme ne s'arrêtera pas là et, à travers le culte des saints, donnera au christianisme une capacité immense d'absorber les cultes locaux païens (la Vierge Marie, Mère de Dieu depuis le concile d'Ephèse ne sera vraiment divinisée que vers l'an mil sous l'influence de l'amour courtois, retrouvant la trinité Perse Ahura Mazda-Mithra-Anahita).
Il y aurait beaucoup à dire encore mais ce serait dépasser le cadre d'un article, il ne s'agit que de signaler une piste plus raisonnable que la version officielle. J'ai extrait les 4 derniers paragraphes de mon histoire des religions, ainsi que ce tableau ci-dessous, très simplificateur et critiquable mais qui peut être utile pour visualiser les différents courants qui ont participé à la construction du christianisme et voir comment ça se fabrique. Cela montre au moins que c'est bien un processus historique (on ne peut faire de l'histoire des religions et y croire comme le cardinal Poupon qui en a fait une très partiale). Cela n'empêche pas de reconnaître la valeur du message évangélique pour la libération des esclaves, l'exigence de justice, l'universalisation de l'humanité et la sortie de la religion (le désenchantement du monde). Plus proche d'Albert Jacquard ici que de Michel Onfray sans doute, même s'il n'est pas question d'en rester aux évangiles qui datent de presque 2000 ans et qu'il faudra bien tenir compte d'un monde qui a complètement changé depuis (passer de l'amour à la liberté?) :
| Le même L'Un, le Père |
Le divisé, le Fils |
L'Unité, l'Esprit |
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| Yhavé |
El, Magna Mater |
Dualisme iranien |
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| La tradition, l'autorité, La Loi |
L'incarnation, la Foi, l'ascétisme |
La raison, la liberté, la charité |
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| -165 | Maccabées | Baptistes (Masbothéens) | Sadducéens (Justes) |
| -135 | Dosithée (crucifié) | ||
| -100 | Pharisiens (séparés) | Nazoréens Yeshu Ben Pandira ? |
Esséniens (église) Manuel de discipline |
| -63 | Jules César (mort -44) | La sagesse de Salomon | Mort du Maître de Justice |
| 0 | Zélotes (Judas le galiléen) |
Simon de Samarie/Hélène (magie) |
Thérapeutes, Philon Hermès trismégiste |
| 19 | Anti-sémitisme (Tibère) | ||
| 30 | Jacques le juste et Simon (crucifié) | Jean-baptiste Jacob de Kepher (crucifié en 42) |
Simon l'éssenien |
| 50 | Sicaires, "Chrétiens" (Néron/Sénèque, Plutarque) |
Galiléens | Theudas et les pauvres |
| 70 | Destruction du temple Ebionites, Pierre |
Unité des sectes Gnostiques, Cérinthe (Jésus) |
Qumrân Didache (remaniée en 140) |
| 95 | Persécutions des Chrétiens (Domitien) | ||
| 100 | Elchasaïtisme (Jacques et Simon-Pierre) Clément (Rome invention d'Irénée) |
Philippe Aquilas et Priscilla Ignace (Antioche écrits 135/190) |
Jean (Ephèse), Apocalypse Apolos (Grèce), Paul Thomas (Edesse) |
| 135 | Fin du messianisme juif (Chimon Bar Koziba) |
rupture chétiens/juifs | extension à l'empire |
| 140 | Evangile de Pierre Evangile de Matthieu |
Evangile des Hébreux Polycarpe, Papias |
Evangile des Égyptiens (Apolos), Hermas |
| 150 | Evangile de Jacques | Valentin Justin le gnostique (Livre de Baruch) |
Marcion / Paul, luc |
| 160 | Nouvelle Prophétie Montan |
Justin l'apologétiste (grec) | |
| 170 | Evangiles canoniques | Tatien, Tertullien | Apollonius |
| 180 | Irénée (tradition) | Agbar IX (Edesse) | |
| 190 | (Talmud, Merkabah) | Clément d'Alexandrie | |
| 230 | Origène (Plotin, Jamblique) | ||
| 242 | Mani (Manichéisme) | ||
| 325 | Catholicisme Constantin, Eusèbe de Césarée |
||
| 400 | Augustin |
Je dois ajouter un codicille car, si je fais mine de m'étonner que bien peu prennent le risque de remettre en cause l'existence de Jésus, la raison n'en fait pas mystère et il est plus que compréhensible qu'on se dérobe à la vindicte des croyants ! Les commentaires reçues ailleurs sont effectivement accablants et peuvent ôter le goût de recommencer ! Les croyants se permettent des attaques personnelles car ils se sentent agressés par les faits qu'on révèle et qu'ils préféreraient refouler (celui qui ne connaît rien et ne doute de rien accuse de mensonge, de dogmatisme et de manipulation, voire de méchanceté, celui qui en connaît un petit peu plus et doute de tout !). La bêtise étalée est consternante. Il ne faut pas la déranger : "Heureux les pauvres d'esprit, le royaume de Dieu leur appartient !". Le pire, c'est qu'il faut se persuader qu'on n'est pas nous-même épargnés par cette débilité mentale à se croire délivrés de toute croyance : c'est le témoignage de notre humanité et de notre rationalité limitée dont il faut tenir compte...
Bien sûr, il m'est complètement indifférent qu'un Jésus ait existé, je m'en accomoderais fort bien si c'était le cas. Ce qui m'agace au plus haut point, c'est qu'on fasse comme si ce n'était pas douteux, y compris dans ses aspects les plus fantastiques, alors qu'on se base sur des indices si minces et des documents falsifiés. Il y a surtout des arguments forts pour une construction historique, que Jésus ait existé ou non, et donc pour une interprétation symbolique du Nouveau testament bien plus riche que l'interprétation littérale. Il n'est pas inutile de constater la résistance à cette évidence et l'intolérance religieuse des chrétiens, intolérance qui n'est donc pas réservée aux Mulsulmans, même si cela ne provoque pas des violences comparables il faut bien le reconnaître... Ceci dit, on peut refuser l'hypothèse que Jésus n'ait pas existé sous prétexte qu'il faut bien quelqu'un à l'origine. C'est ce que pense Maurice Sachot l'auteur de "L'invention du Christ" mais le rôle qu'il fait jouer au Jésus historique est minime par rapport à la construction ultérieure. Je pense plus probable qu'il y a eu plusieurs prophètes à servir de modèle (le maître de justice, Dosithée, etc.) pour ce qui est une construction théologique collective faite par les juifs d'Alexandrie. Surtout il semble qu'au début Jésus n'a pas d'histoire (Evangile selon Thomas) mais rien ne s'oppose à ce qu'il y ait eu un leader au début de ce mouvement, simplement il n'a rien à voir avec le récit évangélique (ce que Maurice Sachot semble bien admettre même s'il croit un peut bêtement que Jean-Baptiste est le cousin de Jésus et que Jacques le juste est vraiment son frère, voulant faire de tout cela une affaire de famille !).
Il est d'ailleurs intéressant qu'il fasse du Nouveau testament la réalisation de l'écriture, l'achèvement de la Bible. Tout comme le prophète Mohamed voudra être une conclusion, un point final qui fixe le sens pour toujours. Cette fin de l'histoire est une perfection qui ouvre une ère nouvelle, temps de résurrection à l'éternité mais qui ne s'ouvre qu'à la conscience pure, à la foi sincère, à la conversion des coeurs ; ce qui intériorise la religion comme jamais ouvrant la voie à une culpabilisation à outrance et, finalement, à la nécessité du pardon... Rien à voir avec la vie d'un supposé véritable Jésus. Ce qui est incompréhensible c'est de donner foi aux récits de l'évangile malgré un examen textuel approfondi. L'enjeu n'est pas l'existence de Jésus, c'est l'interprétation des textes, leur statut, leur sens !
Ce qui a provoqué cet article, c'est la façon dont les médias parlent du sujet et surtout de présenter des citations tronquées comme preuve ultime ! Il se trouve que d'autres citations tronquées sont brandies comme preuves, notamment des sources talmudiques supposées impartiales, par exemple celle-là :
"La tradition rapporte : la veille de la Pâque, on a pendu Jésus. Un héraut marcha devant lui durant quarante jours disant : il sera lapidé parce qu’il a pratiqué la magie et trompé et égaré Israël. Que ceux qui connaissent le moyen de le défendre viennent et témoignent en sa faveur. Mais on ne trouva personne qui témoignât en sa faveur et donc on le pendit la veille de la Pâque. Ulla dit : — Croyez-vous que Jésus de Nazareth était de ceux dont on recherche ce qui peut leur être à décharge ? C'était un séducteur ! et la Torah dit : tu ne l'épargneras pas et tu ne l'excuseras pas (Deutéronome 13,9)... Une tradition rapporte : Jésus avait cinq disciples, Mattai, Naqi, Netser, Boni et Todah". (Sanhédrin, 43a)
C'est assez comique car, non seulement la rédaction de ce texte pourrait dater du début du IIIème siècle mais il fait référence à des faits qui datent du règne d'Alexandre Jannée, soit vers -80 ! Bien sûr il ne suffit pas qu'un texte parle de Yeshu pour que ce soit le jésus de la Bible, surtout que la mention"de Nazareth" ne figure pas dans d'autres versions (et c'est plutôt le Nazaréen) ! Mais, vous avez remarqué les trois petits points dans le texte ? Le bout de texte qui n'est pas cité dit ceci : "Avec Yeshu c'était différent, car il était lié au gouvernement". On avouera que cet "oubli" n'est pas innocent car cela ne cadre pas tellement avec l'histoire de Jésus et pourrait éveiller des doutes légitimes, quant à assimiler la pendaison à la crucifixion... On voit comment procède la croyance à mélanger les dates, déformer les textes et substituer un sens à un autre pour obtenir finalement une coïncidence si frappante qu'elle en devient irréfutable pour qui n'y connaît rien. Ensuite, à partir de ces fausses preuves on voudrait nous faire croire à toute l'histoire : à la naissance dans une grotte, au massacre des innocents, aux miracles...
En fait, pour des érudits comme Johann Maier, aucun des passages du Talmud ne fait référence au jésus de la Bible mais à deux autres "Jésus" :
- Yeshu Ben Pandira (vers -80) qui a fondé une secte et gagné de nombreux partisans. Son enseignement "hérétique et idolâtre" a perduré après sa mort mais, comme bien d'autres sectes, s'est lentement éteint après la destruction du Temple. Bien sûr, il n'est pas impossible que cette figure ait participé à la construction du christianisme, voire de l'essénisme, mais c'est douteux (il faudrait en savoir plus).
- Le second, appelé plutôt "Ben Stada", se situe vers +100 et n'était qu'un "idolâtre" d'une famille illustre qui a été arrêté et condamné à mort.
Il ne s'agit pas de prétendre être certain de quoi que ce soit, sinon qu'il est inutile d'argumenter en ces matières, ce que savait bien l'ésotérisme : la vérité ne peut être révélée au vulgaire qui ne peut l'accueillir. On peut le regretter mais c'est un fait hélas. L'ésotérisme de l'Hermès Trismégiste notamment, n'a rien à voir avec les sociétés secrètes auxquels on l'identifie de nos jours, ni même avec l'alchimie et la pierre philosophale. C'est tout bêtement une suite de phrases obscures destinées à égarer le lecteur, au milieu desquelles on trouve des vérités profondes mais il faut savoir les reconnaître. Ce sont vérités interdites à ceux qui ne savent pas déjà et ne sont pas prêts à les entendre...
Il est d'autant plus affligeant de voir des chrétiens faire référence à la condamnation de l'écriture par Thot dans le Phèdre de Platon, car l'écriture peut être mal interprétée par les ignorants, pour défendre une lecture littérale et fanatique des écritures alors que Thot, invoqué par l'Hermès Trismégiste, appelle à une interprétation symbolique et mystique des textes !
En fait, les réactions montrent que les chrétiens qui ne peuvent accepter le caractère de construction mythique du Nouveau testament, l'inexistence du Jésus historique et une lecture symbolique des Evangiles ne sont que des hommes de peu de foi qui s'imaginent que tout s'écroulerait si tout cela n'était pas platement réaliste, et qu'il ne pourrait plus y avoir ni morale, ni sens, ni société... C'est un peu comme croire que le soleil ne se lèvera pas si on n'exécute pas les rites ! Contrairement à ce que croyait Dostoïevski, il n'est pas vrai que "si Dieu n'existe pas, tout est permis", illusion du croyant aux prises avec son surmoi. Pour Lacan, au contraire, "si Dieu n'existe pas, rien n'est permis" ! Bien sûr, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de Dieu qu'il n'y a que de la matière (avec laquelle la vie ne se confond pas, ni l'esprit avec la vie) ! La trinité égyptienne reste l'Akh, Ba, Ka de notre existence (le corps, l'âme, l'esprit). Le langage, la science, l'aventure humaine à laquelle nous participons continuent à donner sens à notre vie au-delà de la mort...
Enfin, on voit bien comme l'identification qui est faite par le pape Benoît XVI de la religion avec la raison est dangereuse. Dans un premier temps on se dit que c'est un progrès que l'Eglise accepte la science mais lorsqu'on constate que la raison qu'elle défend est "sa" raison (qui ne saurait mettre en cause le dogme) et que l'universel dont elle se réclame est "son" universel qu'elle voudrait imposer à la Terre entière, on se dit que cet éloge de la raison a surtout pour effet de rejeter dans l'inhumanité ceux qui ne sont pas d'accord et d'en faire des fous, des fanatiques, des barbares ! Ce n'est donc pas sans raison que les Musulmans s'en sont émus. C'est la même impasse que l'utopie communicationnelle d'Habermas, une éthique de la discussion qui rejette hors de l'humanité celui qui se soustrait au dispositif "démocratique" et au débat public tel qu'il est organisé, au service de la classe dominante...
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