Les causes matérielles : écologie, économie, technique

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Depuis l'enthousiasme suscité par la Révolution Française, la conviction que c'est "l'Homme" qui fait l'histoire est profondément ancrée en nous, il est même très mal vu de prétendre le contraire. Notre destin est du coup l'enjeu de luttes sanglantes entre différentes visions de la société, différentes valeurs, différentes croyances. Si le sort du monde est entre nos mains et que ce ne serait qu'une question de volonté, il n'y a pas à lésiner sur les moyens, en effet. L'expérience est pourtant que ce volontarisme non seulement n'atteint pas son but mais qu'il mène au pire notamment dans la répression de ses oppositions et l'acharnement dans la négation d'un réel qui lui résiste.

La politique constitue une grande part de nos problèmes plus que des solutions qu'elle pourrait apporter. Ce règne du discours et des grandes généralités favorise les surenchères et les promesses intenables. La première chose serait de faire descendre la politique de son piédestal et ne plus idéaliser une démocratie toujours gangrenée par les ambitions, la corruption, la manipulation, l'ignorance ou les passions. La critique de la politique est le préalable pour ne pas trop en attendre et reconnaître que les déterminations ne sont pas idéologiques mais largement matérielles, la part de l'idéologie étant de nous rendre aveugles à ces contraintes, de nous enferrer dans l'erreur en surestimant notre pouvoir et nos moyens de créer un monde à notre image. Car, bien sûr, à l'évidence ce monde est inacceptable, ce n'est pas notre monde, il y a disjonction entre la pensée et l'être, mais si changer le monde serait bien nécessaire, cela ne signifie pas que ce soit possible.

Cette critique de la politique par les écologistes est d'autant plus urgente que nous avons absolument besoin de politiques publiques, mais des politiques réalistes, ayant assez d'humilité pour coller au réel et se remettre en cause. Il faudrait surtout revaloriser l'action locale trop délaissée par rapport aux grandes mesures étatiques et rêves de grands chambardements. L'idéalisme des intellectuels ne nous sera d'aucun secours, leurs appels tonitruants, leurs subtilités argumentatives, leurs déconstructions voulant nous persuader après tant de prophètes que l'impossible devient enfin possible, que ce n'est qu'une question de représentation, d'une vérité alternative. Au lieu de croire à la conversion de l'humanité entière à une autre vie et des valeurs plus hautes (toujours espérée, toujours déçue), ce sont les contraintes matérielles effectives qu'il nous faut prendre en compte ainsi que le peu de moyens que nous avons d'y intervenir. Plutôt qu'une bataille des idées, ce sont nos actions locales qui peuvent convaincre et se multiplier. Tous les extrémistes ne font qu'ajouter à notre impuissance quand on a besoin de militants résolus, pas de donneurs de leçons. Pour l'écologie, ne pas se préoccuper de l'efficacité de nos actions ou la surévaluer, c'est être irresponsable et participer au désastre.

Les causalités matérielles ne sont pas immédiatement déterminantes, elles laissent une certaine marge de manoeuvre à court terme, nourrissant l'illusion de notre liberté, mais c'est à plus long terme qu'elles s'imposent, après-coup, selon différentes temporalités. Ainsi, l'écologie est certainement la contrainte la plus fondamentale mais celle qui s'exerce avec le plus de retard. Ce n'est pas l'amour de la nature qui rend l'écologie si indispensable mais bien la destruction de nos conditions de vie. Il faut hélas beaucoup de temps pour que ces nécessités deviennent incontournables mais il n'y a pas moyen de s'y soustraire, ce n'est pas parce qu'on ne s'en préoccupe pas que les problèmes écologiques disparaissent. C'est ce qui a fini par décider de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la transition énergétique, loin de toute idéologie écolo. La prise de conscience écologique est à la fois trop tardive à chaque fois et inévitable malgré tout car il ne s'agit pas d'idées, de hautes valeurs, mais de la dure réalité matérielle que les plus anti-écolos sont bien obligés de reconnaître. Il ne sert à rien apparemment d'en rajouter dans le catastrophisme avant que la menace ne se fasse sentir concrètement à tous. On a pu croire que la conscience écologique conduirait à une autre société, un autre rapport au monde, mais ce n'est pas du tout ce qui se passe ni ce qui motive les mesures prises.

La causalité économique se fait sentir plus rapidement sans doute, en tout cas, elle est bien déterminante en dernière instance. Il est curieux qu'on veuille continuer à le nier dans une société dominée si manifestement par l'économie et les chiffres de la croissance. Le reconnaître serait faire preuve d'économicisme, voir d'un matérialisme mécaniste, mais c'est pour y opposer des alternatives imaginaires. On a trop négligé que ce qui faisait tenir la conception marxiste, c'est que le collectivisme était supposé plus productif, plus efficace qu'un capitalisme chaotique, destructeur et régulièrement en crise. C'est pourtant bien l'échec économique du collectivisme qui a provoqué sa chute, conformément à cette détermination par l'économie. On a beau dénoncer l'utilitarisme, la marchandisation, le productivisme - on l'a fait depuis toujours - cela n'empêchera pas que le plus puissant économiquement finira par l'emporter. Le capitalisme américain a dominé le monde parce que c'était tout simplement l'économie la plus puissante, que cela nous plaise ou non, ce qui lui a dès lors donné la suprématie militaire. On n'est pas dans les belles idées mais dans le résultat effectif et des puissances matérielles. Malgré tous les économistes, s'il y a bien un domaine où l'on ne fait pas ce qu'on veut, c'est bien l'économie qu'on a toujours beaucoup de mal à maîtriser. L'étatisme s'y est cassé les dents, ce qui est sans doute désespérant mais qu'on est bien obligé d'admettre et de comprendre. Le libéralisme n'est pas basé sur des dogmes arbitraires ni sur un choix de société ni même sur la domination des riches mais sur la croissance effective des sociétés libérales (de marché). La croissance n'est certes pas une idéologie, comme voudraient s'en persuader les décroissancistes, mais un gain effectif de puissance. Pour combattre le libéralisme, le canaliser, le corriger, il faut comprendre sa dynamique, les ressorts de son productivisme et de sa domination, la positivité de la liberté en même temps que ses effets pervers contre lesquels les condamnations morales ne servent à rien.

La troisième causalité matérielle est devenue plus sensible à notre époque avec l'accélération technologique qui s'impose de plus en plus rapidement même si les innovations sont toujours critiquées d'abord comme inutiles (puisqu'elles n'existaient pas jusqu'ici) et accusées de tous les maux, de nous faire perdre notre âme, avant de finir par les adopter comme si elles avaient toujours existé... Il y a certainement des techniques préférables à d'autres, il y en a qui sont effrayantes, mais la réalité, c'est qu'on ne les choisit pas comme les écologistes ont pu le croire, prétendre le contraire, c'est nier l'expérience actuelle. Vouloir défendre une cause mène à croire orgueilleusement à des contre-vérités manifestes, vérités alternatives auxquelles seuls les militants ont accès ! Le plus étrange, c'est d'avoir voulu contester l'efficacité des techniques. Certes, Illich pouvait donner des exemples de contre-productivité mais il est incontestable que l'évolution des techniques est un perfectionnement tout comme les sciences progressent inévitablement, la puissance des techno-sciences est non seulement bien réelle mais elle est même terrifiante (trop de puissance pour notre folie, de la bombe atomique au bioterrorisme). Les tentatives de les arrêter ne manquent pas mais elles ne peuvent qu'échouer car nous ne décidons pas d'une évolution cognitive et technique dont nous sommes plutôt les sujets historiques. Ce n'est pas parce que les techniques nous donnent une maîtrise de la matière que nous pouvons maîtriser les techniques elles-mêmes. Il serait idiot d'être technophile en voulant ignorer les risques encourus mais la critique de la technique est non seulement inutile, elle est très prétentieuse de vouloir dicter sa loi, donner des limites au savoir, arrêter l'évolution technique alors que c'est plutôt cette évolution subie qui nous transforme et certes, nous entraîne vers l'inconnu. Ce qui pouvait paraître discutable il y a quelques dizaines d'années est d'ailleurs devenu une évidence pour tous. En fait, cette accélération technologique qui est aussi une mondialisation des techniques constitue un puissant facteur d'unification planétaire qui entre en résonance avec la constitution d'une conscience écologique planétaire. Sartre pouvait encore identifier une nation à ses techniques (p595), différentes d'un pays à l'autre. Ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui avec les réseaux numériques.

Une fois qu'on a fait le constat de ces trois causalités matérielles qui s'imposent à nous, il faut construire une stratégie qui en tient compte et ne surestime pas le pouvoir politique. Au lieu de ne servir à rien (à vouloir trop, au-delà des possibilités politiques), il nous faut nous organiser pour obtenir les mesures les plus efficaces, en particulier localement. Une fois qu'on a compris que ce n'est pas l'homme qui fait l'histoire, déployant son essence supposée, mais des causes extérieures, des puissances matérielles comme l'évolution technique, la question qui se pose n'est plus celle de l'utopie, du monde dans lequel nous voudrions vivre, mais bien de faire de la prospective et d'apprendre comment vivre dans ce monde technologique en évolution rapide, comment empêcher qu'il ne courre à sa destruction. Ce n'est pas gagné mais on a besoin d'écologistes intelligents, de politiques efficaces et d'un réalisme qui doit mener à reconnaître les limites des politiques étatiques pour revaloriser les alternatives locales qui sont seules à notre portée, base indispensable d'une nouvelle économie plus écologique mêlant les nouvelles potentialités numériques à une relocalisation de l'économie.

Ce qu'il faut arrêter, c'est de ne rien faire au niveau local au nom de grandes idées ! Le moment n'est pas au laisser-faire ni à se contenter de discours écolos, de grandes déclarations ou de pétitions mais de se confronter concrètement, c'est-à-dire localement, à la prééminence des causes matérielles que ce soit pour l'écologie, l'économie ou l'évolution technologique. Ce qui semble trop minuscule face à l'énormité des problèmes est pourtant la seule véritable voie, il n'y a pas d'écologie sans prise en charge de son environnement, nécessité matérielle qui finira par s'imposer et qu'on ne peut que devancer un peu mais, là encore, que ce soit nécessaire n'implique pas que ce soit possible partout.

Je répète depuis longtemps que la condition pour que ces alternatives ne soient pas réservées aux militants et marginaux, ce serait de les municipaliser mais c'est aussi ce qui ajoute à la difficulté qu'il faudra bien arriver à surmonter. On aurait donc besoin d'une écologie municipale et alternative, d'une relocalisation active plus que de grands ministères - mais quels écologistes pour la soutenir ?

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28 réflexions au sujet de “Les causes matérielles : écologie, économie, technique”

  1. ...ne pas se préoccuper de l'efficacité de nos actions ou la surévaluer, c'est être irresponsable et participer au désastre...
    Esther Duflo fait partie du conseil scientifique de l'éducation nationale récemment créé.
    C'est plutôt une bonne nouvelle si elle peut convaincre d'employer ses méthodes:
    "Avec Michael Kremer, Abhijit Banerjee, Jeff Carpenter, John List (en) et Sendhil Mullainathan, elle est une pionnière du développement d'un certain type d'expériences de terrain. Sa méthode consiste en l'étude d'une question limitée et précise, avec comparaison entre un groupe témoin et un groupe d'expérience, tirés au hasard. Ces essais randomisés contrôlés sont classiques en biologie mais beaucoup plus rares en économie. Elle décrit sa méthode de travail comme « vraiment micro. Mes projets portent toujours sur une question simple, épurée, qui a trait à la réaction des gens dans un contexte précis. » Sous l’impulsion de son groupe de recherche, ce genre de méthode devient courant dans les agences d'aide au développement et à la Banque mondiale."

  2. Le mimétisme consistant à se baser sur les pays qui trouvent des solutions afin de voir dans quelle mesure on pourrait les reproduire me semble être une bonne solution, Jean. Mais ça demande aussi de tenir compte des ressources qui ne sont pas forcément les mêmes au niveau local d'un pays à l'autre (et même d'une région à l'autre) et du coup je me rends compte que si nous avons globalement les mêmes aptitudes, nous n'aurons pas forcément les mêmes capacités cognitives puisqu'elles ne passent pas par les mêmes activités motrices étant donné que, et là je suis encore d'accord avec Jean, tout ça dépend beaucoup des conditions matérielles. Du coup, on revient à la case départ parce que nous n'aurons pas les mêmes capacités à moins d'avoir les activités motrices des pays qui ont les mêmes conditions matérielles que les nôtres. Il me semble qu'ils ne sont pas nombreux puisque même les régions les plus proches ne fonctionnent pas comme nous du fait de leurs ressources différentes. De plus, si le local devient l'étalon, alors le local devient une nouvelle idéologie universelle qui devra passer par un programme d'éducation mondiale qu'il faudra adapter aux conditions locales. L'Histoire démontre qu'une nouvelle idéologie débouche toujours sur une nouvelle organisation qui grandit au sein d'un empire pour finir par le dépasser et le remplacer. Donc, si l'écologie est la nouvelle idéologie, elle est née au sein d'un empire productiviste sans frontières qui a pour seul limès la marchandise à écouler et pour carburant l'émission monétaire alignée au prorata de la vitesse d'écoulement de la marchandise. Au niveau local, à moins de produire suffisamment d'argent pour écouler les productions, nous ne pourrons pas remplacer la valeur d'échange par la valeur d'usage. Donc, si nous voulons le faire, il me semble que nous devons remplacer le système monétaire international exclusivement au service de la finance et ça semble assez risqué étant donné que toutes nos infrastructures reposent dessus. Au fond, existe-t-il des solutions qui ne soient pas plus dangereuses que les conditions que nous avons déjà et qui nous amènent pourtant droit dans le mur ?

    • Je ne dis pas qu'on peut transposer simplement ce que font d'autres pays mais qu'on n'a pas attendu les cognitivistes pour faire de bonnes écoles et que celles-ci ne se résument pas à des méthodologies mais impliquent un ensemble de pratiques et, effectivement, tout un environnement.

      Je ne crois pas du tout que le local soit une idéologie, j'essaie de montrer que c'est le contraire car c'est une pratique justement. Nous n'avons absolument aucun moyen de remplacer le système monétaire international, c'est ce à quoi il faut arrêter de rêver, ce système se transforme sous l'effet des crises et de mouvements géopolitiques qui nous dépassent. Ce que nous pouvons faire, ce sont des monnaies locales et des systèmes d'échange locaux, initiatives qui ne pourront nous sauver que si elles se généralisent assez mais amélioreraient immédiatement la vie locale. Il ne s'agit ni de grandes transformations mondiales hors de notre portée et de notre compétence, ni de simples actions individuelles ou marginales de petits colibris, mais d'organisation politico-économique locale, au seul niveau où une démocratie est effective comme le savaient Aristote, Rousseau, Bookchin.

      Je n'ai pas développé ici les mesures que je défends depuis longtemps, je rabâche déjà suffisamment, car ce texte vise surtout à mettre en évidence les puissances matérielles qui nous dominent malgré toutes nos dénégations, ne nous laissant plus que l'action locale pour ne pas se nourrir d'illusion et militer en vain.

      En fait au départ, j'étais très en colère contre les discours des intellectuels ou écologistes contents d'eux répétant la même chose depuis des dizaines d'années sans rien changer (souvent sans rien faire d'autre que d'annoncer la catastrophe et qu'il faudrait se convertir avant!).

      • Ce que nous pouvons faire, ce sont des monnaies locales et des systèmes d'échange locaux, initiatives qui ne pourront nous sauver que si elles se généralisent assez mais amélioreraient immédiatement la vie locale. J'ai appris récemment que l'eusko, monnaie basque locale est attaquée par la préfecture, donc l'état, comme étant contraire aux règles de comptabilité publique. Comme quoi, le niveau local n'est pas acquis s'il n'y a pas de leviers politiques étatiques qui garantissent une certaine liberté.

  3. Assez paradoxalement, je partage l’essentiel de cet article mais reste critique quand à « l’essentialisation » de l’économique. Même s’il est impossible de nier le rôle moteur de la substance, il me semble que les représentations que l’on s’en fait peuvent en changer la « nature ». Bref, l’économie est une idéologie comme une autre ou presque (Thomas Sedlacek) . Ce qui donne la puissance aux USA au XXe siècle c’est la perte de puissance européenne liée à deux conflits demiurgiques. Si la matière était première toujours (elle peut l’être bien sûr ), la Russie serait une grande puissance économique ce qu’elle n’a jamais été. Il me semble qu’il faudrait pouvoir concevoir un processus systémique au sein duquel le devenir se constitue tel qu’ont pu le présenter E. Morin (la méthode) ou J. De Rosnay (le microscope). La « matière » transforme l’ « « idee » qui a son tour transforme la « matière » dans un mouvement infini... E. Todd a bien monté combien parfois voire souvent les cultures enkystées influent sur le devenir au mépris des nécessités materiellles en bloquant d’éventuelles adaptations hors cadre. Mais cet appel au réalisme qui ferait sauter les digues idéologiques me paraît d’une grande sagesse cher Jean Zin...

    • Je n'essentialise pas du tout l'économie qui est effectivement l'objet de toutes les idéologies, je constate simplement qu'elle est la base de la puissance sur le long terme et que sur ce point seul compte le résultat, qui lui n'est plus du tout idéologique mais matériel. Je cite souvent la phrase du Manifeste où Marx constate que le bon marché des marchandises abat toutes les murailles de Chine, l'idéologie n'y peut rien.

      Les USA ne sont ici qu'un exemple d'ailleurs en déclin (raison de leur conversion au protectionnisme) malgré leur domination sur le numérique. La Chine devrait les dépasser s'ils continuent leur croissance car, un autre facteur matériel est bien sûr la population mais je ne crois pas qu'on puisse réduire la réussite du nouveau monde au déclin de l'ancien, sinon justement que l'ancien était soumis à l'idéologie.

      A la suite de Marx, le matérialisme économique n'est pas un matérialisme mécanique qui ne dépendrait que de la quantité de ressources ou de population mais un matérialisme du résultat (post festum dit Marx) qui dépend de la pratique, de l'activité, de l'utilisation des connaissances et techniques, de l'environnement social et juridique (rapports sociaux) plus que de l'environnement naturel. J'ai montré que le miracle grec comme la Renaissance ont été le produit de leur situation, y compris de guerres intestines, ayant permis cependant dans les deux cas de développer un commerce lucratif. Les causalités sont nombreuses et complexes, il ne s'agit pas du tout de tout réduire à la matière qui n'intervient qu'à la fin, comme résultat qui décide de la puissance effective, mais il est certain qu'une mauvaise idéologie, inadaptée, peut avoir des effets désastreux ou du moins affaiblir un pays. La Chine est ici exemplaire d'un changement radical d'idéologie et de richesse.

      Il n'y a pas de domaine où règne autant l'idéologie que l'économie, le nombre d'économistes qui se ridiculisent par un dogmatisme aveugle est ahurissant. Il n'empêche que l'économie n'est pas une idéologie en tant qu'elle fonctionne, qu'elle produit, qu'elle commerce, qu'elle investit. Etant donnée l'omniprésence de l'idéologie dans la théorie, on peut comprendre que la plupart des écologistes aient voulu faire de l'économie et de la croissance une simple idéologie, ce serait effectivement bien qu'il suffise de changer d'idée, d'ouvrir les yeux, si l'économie n'était pas un système de production très matériel qu'on ne change pas à sa guise (sauf localement), s'il n'y avait pas des rivalités entre nations, si on n'avait pas à craindre plus puissant que soi, etc.

      Tout cela qui est un constat d'échec des contestations passées ne vise pas du tout à baisser les bras mais à se détourner de combats perdus d'avance pour réorienter l'énergie militante vers le local qui est le véritable lieu de l'écologie selon une logique bottom-up et non top-down (hiérarchique). J'ai bien conscience cependant de prêcher dans le vide...

      • Le « matérialisme du résultat » me paraît pouvoir être approché d’une analyse systémique mais à défaut d’outils conceptuels adéquats , soit Marx n’a pu proposer qu’un concept peu opératoire qui se rapproche plus de la périphrase laborieuse, soit il a mis en plein dans le mille en rattachant de toutes façons l’ideologie à la matière. Braudel avait mis en évidence une déterminisme qu’il avait vite pondéré en faisant des différentes céréales des moteurs des développements des grandes civilisations, le blé étant la céréale la plus énergétique elle aurait pu être la cause de la domination de l’occident qui la cultive principalement, l’Asie aurait croulé sous la surpopulation à cause du riz gourmand en main d’œuvre , le maïs aurait.... j’ai toujours été très embarrassé comme Braudel par cette perspective... c’est séduisant mais cela ne peut pas tenir... sauf que c’est là au yeux du possibilisme qui ne peut rien en faire...

        • Evidemment que le régime alimentaire est déterminant. Avec les olives et le vin, les Grecs avaient des atouts certains et les différentes (agri)cultures ont de profondes conséquences dans l'idéologie et l'organisation sociale mais cela n'explique pas tout.

          La domination de l'Occident ne fait pas grand mystère, elle a été donnée par la techno-science à laquelle les pays asiatiques étaient fermés alors qu'elle a trouvé des conditions plus propices en Europe. Les causes sont toujours contingentes et multiples, ce n'est pas une essence de l'Occident qui se déploierait, mais le résultat, la constitution d'une science cumulative qui a son propre développement (physique universelle), n'est pas spécifiquement humaine et se reproduit par sa puissance propre, son efficacité matérielle.

    • "Ce qui donne la puissance aux USA au XXe siècle c’est la perte de puissance européenne liée à deux conflits demiurgiques." Est-ce un hasard seulement ou une volonté sous-jacente qui mettrait en relief que l'ennemi des USA ne sont en aucun cas la Corée du Nord, la Russie ou la Chine (et tous les méchants désignés comme tels selon les besoins de la propagande au fur et à mesure) mais bel et bien l'Europe?

  4. Il n'y a pas de domaine où règne autant l'idéologie que l'économie, le nombre d'économistes qui se ridiculisent par un dogmatisme aveugle est ahurissant. Il n'empêche que l'économie n'est pas une idéologie en tant qu'elle fonctionne, qu'elle produit, qu'elle commerce, qu'elle investit. Etant donnée l'omniprésence de l'idéologie dans la théorie, on peut comprendre que la plupart des écologistes aient voulu faire de l'économie et de la croissance une simple idéologie, ce serait effectivement bien qu'il suffise de changer d'idée, d'ouvrir les yeux, si l'économie n'était pas un système de production très matériel qu'on ne change pas à sa guise (sauf localement), s'il n'y avait pas des rivalités entre nations, si on n'avait pas à craindre plus puissant que soi, etc.
    Jean, je comprends la critique de l'idéologie qui ne mène à rien mais quand Friedrich Hayek permet à la finance de se greffer au politique dans les années 70, c'est de l'idéologie et ça permet à la finance de pomper l'économie de sa substance. C'est démocratique et ça prouve, pour moi, qu'une idéologie est effective en permettant au pouvoir en place de se renforcer en devenant de plus en plus gros. La subtilité, c'est que les Etats, parce qu'ils ne sont que les artefacts du vrai pouvoir, n'ont plus leur mot à dire et encore moins les populations nationales ou locales. Mais c'est pas parce qu'on ne peut rien DIRE qu'on ne peut rien FAIRE, et voilà pourquoi moi aussi je suis d'accord avec l'idée de redémarrer du local parce que c'est le moyen le plus concret d'agir. Sauf que là où je vis, les maires des petites villes et villages qui entendent parler de monnaie locale n'adhèrent pas et bien souvent, ils n'adhèrent pas par idéologie.

    • Certes Hayek est un idéologue mais on ne peut le rendre responsable de tous nos maux. D'abord son succès est venu de l'échec du keynésianisme qui avait marché depuis le New deal mais qui ne marchait plus dans le contexte du choc pétrolier où il ne produisait plus que de la stagflation. Ensuite, il a servi à Thatcher et Reagan de justification de la dérégulation mais si cela a duré et conquis le reste du monde, c'est que cela marchait : l'Angleterre était en faillite avant Thatcher et allait beaucoup mieux après même si ce n'était pas pour tout le monde (pas pour les plus pauvres, les services sociaux ou les trains). De même la mondialisation résultant de l'effondrement du communisme a été un important facteur de croissance en même temps qu'elle ôtait toute autonomie aux Etats. Ce sont des réalités désagréables mais qu'une critique idéologique ne suffit pas à réduire à néant. J'ai tendance à les expliquer par les cycles, et donc que cela devrait se retourner, mais cela n'enlève rien à leur nécessité. Il est encore plus désespérant de voir que ceux qui refusent ces réalités par idéologie très bien intentionnée, comme Chavez, sombrent assez vite dans le chaos.

      Il est certain que les monnaies locales entre autres ne mobilisent pas, ne sont pas convaincantes. C'est là qu'un mouvement plus large serait utile pour en diffuser "l'idéologie". Pour qu'il y ait passage à la pratique, il faut certes d'abord s'en faire une représentation et valoriser ce localisme, montrer ses potentialités. Ce que j'ai essayé de faire, sans y réussir jusqu'ici...

      • Il est certain que les monnaies locales entre autres ne mobilisent pas, ne sont pas convaincantes. C'est là qu'un mouvement plus large serait utile pour en diffuser "l'idéologie".
        L'impôt semble à peu près indispensable pour crédibiliser une monnaie et pour la réguler, c'est quasiment mécanique. Très souvent les monnaies locales vont s'accumuler dans les biocoop par exemple, et les gestionnaires en sont réduits à des expédients plus ou moins bien ficelés. Pouvoir payer certains impôts avec de la monnaie locale est une mesure technique qui pourrait être très utile à son développement.

  5. Tout ce discours, (dont il faut reconnaitre qu’il part comme on dit d’un bon sentiment !), fonctionne sur le rabattement de la politique à l’idéologie et de l’idéologie à l’incapacité ou au refus de « reconnaitre que les déterminations ne sont pas idéologiques mais largement matérielles ». Mais cette position est elle-même idéologique dans le sens où elle opère un glissement d’une affirmation en elle-même juste pour en tirer des conclusions qui y font passer une prémisse non dite à savoir que la politique implique la non reconnaissance des déterminations matérielles. De-là il y a un boulevard qui mène à privilégier l’action locale et la dispersion qui va de pair. Cela est clairement illogique puisqu’à des contraintes globales (l’écologie, l’économie, la technique) on oppose le privilège de action locale, présentée comme « la seule véritable voie », alors que rien n’interdit que conjuguer l’action locale et la primordiale action globale qui s’attaque à une causalité dont il est dit par ailleurs qu’ elle est « déterminante en dernière instance ». La conclusion que ce n’est pas l’homme qui fait l’histoire n’est possible que par un arrêt de la réflexion qui ne va pas voir ce qui détermine les choix économiques et techniques et partant leurs implications écologiques.

    • Je ne rabats absolument pas la politique sur l'idéologie et pense au contraire qu'il faut débarrasser la politique de l'idéologie. L'idéologie qui veut réorganiser la société ne reconnaît pas les déterminations matérielles, faisant trop confiance à l'idée, mais la politique en général se soumet forcément aux déterminations matérielles. Il y faut parfois beaucoup de temps mais les reproches qu'on fait en général à la politique c'est d'être trop réaliste pour nos idéaux.

      La politique étatique reste très importante pour gérer au mieux les contraintes matérielles, on a besoin de politiques publiques et des politiques locales doivent s'inscrire dans un ensemble (pensée globale). Il ne s'agit pas de se refermer sur soi. Si le local est privilégié, c'est pour de multiples raisons : d'être à notre portée pour des alternatives, d'être l'envers de la globalisation, d'être enfin le souci de son environnement pris en charge localement, initiatives bottom-up qui ne se substituent pas à la politique étatique top-down mais la complètent, l'enrichissent, vont plus loin. Le local permet aussi de sortir de l'utopie en revenant au réel de ce qu'on peut et de la population. Le possible n'est pas à la hauteur du nécessaire, ce qui ne veut pas dire qu'on ne devrait pas dénoncer cette situation mais que cela ne sert pas à grand chose hélas, au moins à court terme, et ne doit pas bloquer l'action effective aux ambitions plus modestes.

      Il n'y a pas plus d'essence de l'homme qu'il n'y a d'essence de l'évolution qui se forme par la rencontre d'un réel. L'évolution cognitive n'est pas liée à notre espèce et serait (de loin) pas très différente sur une autre planète. C'est évident pour la physique qui est la même partout dans l'univers et progresse pas à pas, d'expérience en expérience. Poincaré avait raison de dire que la part de l'homme est celle de l'erreur (comme pour l'idéologie). Pour la technique, c'est sans doute plus contestable car très liée à nos modes de vie mais sur le très long terme, l'autonomie de l'évolution technique est incontestable et, de nos jours, cette autonomie est flagrante avec l'accélération de progrès technologiques (liées aux progrès scientifiques) que nous ne maîtrisons absolument pas, ne faisant que courir après, y résister souvent autant qu'on peut. L'idée que tout cela viendrait de faux besoins, d'une nature humaine aliénée (sur toute la terre!) est une idée délirante qui justement ne veut pas voir les puissances matérielles à l'oeuvre qui ne nous laissent pas plus le choix qu'une guerre déclarée. Certes, cela rend une politique écologique très difficile, il me semble qu'il vaut mieux s'en rendre compte que se nourrir d'illusions mais bien sûr, il faut avancer le plus possible sur tous les fronts.

  6. oui tu prêche dans le vide et visiblement tu le sais toi même ... les sel ne sont pas crédible tout le monde sait que c'est un repère de sectes... voilà pourquoi personne n'y va... les monnaies locales pâtissent de cela et les élus ne sont pas du tout à l'écoute sur ce sujet ... il faut dire qu'il règne un tel anti intellectualisme dans la population , moi même en publicitant ces dispositifs concrets( qui pourtant s'inscrivaient assez bien dans le cadre de l'agenda 21 des communes de mon secteur) j'y ai été jugé sévèrement comme développant des grandes idées .... le local devient impraticable et peuplé de spectres hostiles ... de là à pensé que les monnaies locales puissent se généraliser , faut quand même pas trop rêver quand depuis le temps qu'on en parle pas une seule expérimentation municipale n'a été tentée ... ça peut pas venir du bas les gens sont trop cons et trop méchants , si ça viens un jour ça viendra d'en haut , comme le revenu de base ... peut être à la faveur de ce fameux krach généralisé des dettes souveraines (mais quand ?)... je pense à cela car il faudrait vraiment un électrochoc tant ça parait infaisable et sans espoir .... là il n'y a que des coups à prendre

    • Il y a quand même quelques monnaies locales en cours aujourd'hui en France (environ une centaine). Si une monnaie locale correspond à peu près à un "bassin de vie" ou un territoire (trop petit la monnaie périclite, trop grand elle perd son côté local), il faudrait compter environ 500 monnaies locales pour arriver à saturation. Si, il y a des expérimentations municipales, dont par exemple une à Toulouse "Le Sol Violette". Mais ça ne peut être strictement municipal, parce que nul n'a le droit de frapper monnaie en dehors de l'état. Passer par une association est donc incontournable, puisqu'alors c'est du droit privé qui s'applique.
      Croire à l'auto-organisation sans un minimum préalable de maturité coopérative me semble aussi très utopique. Mais il existe des initiatives de développement et de formation à l'acquisition de ce savoir faire coopératif, par exemple avec le travail de l'institut des territoires coopératifs, qui peut d'ailleurs aussi s'appliquer aux entreprises dont le management demeure très archaïque en France.

  7. Dire qu’il n’y a pas d’essence de l’homme est une question que je me suis gardé d’aborder. Pour en discuter il faut d’abord se mettre d’accord sur ce que nous appelons essence.

    Car sur l’idée d’essences, nous trouvons un panel de conception correspondant à autant de modes de pensée propre au philosophe : certains philosophes considèrent que l’essence est l’ensemble des propriétés nécessaires et invariables d’une réalité. D’autres (dont Hegel), nous diront que l’essence est le moment (la phase) où une réalité, en se développant, se constitue dans son être propre. Elle devient ce qu’elle était potentiellement dans son autodéveloppement. Enfin, un philosophe comme Marx ne considérera pas seulement la chose dans son autodéveloppement mais aussi dans ses rapports aux autres réalités et nous dira que l’essence est le rapport fondamental producteur d’une chose, le procès fondamental par lequel elle se développe. Ce rapport sera une contradiction inhérente à la chose.

      • La phénoménologie est cette science descriptive, mais attention elle est aussi celle des idées pures ou « essences » : “La phénoménologie, c’est l’étude des essences, et tous les problèmes, selon elle, reviennent à définir les essences : l’essence de la perception, l’essence de la conscience. Mais la phénoménologie est aussi une philosophie qui replace les essences dans l’existence”

        • Bon, alors c'est de l'essence pure qu'il me semble utile de prendre ses distances! L'idée de la recherche de l'essence peut se comprendre dans une démarche de simplification de la description des phénomènes. C'est un principe d'efficacité qu'on retrouve dans toutes les démarches de classification aussi, dans toutes les taxinomies, les philosophies, et même du langage qui demeure une approximation descriptive. Rechercher des leviers de description, de compréhension et d'action conduit à cette idée d'essence, de principe essentiel. Mais là où ça devient glauque, c'est quand l'essence est instrumentalisée par les xénophobies identitaires de tous poils. L'idéologie est aussi le siège ou une expression, une manifestation, de ces mécanismes communautaires.
          Il y a un renversement commun à ces dérapages "essentiels", c'est celui que décline Magritte à l'infini dans ses tableaux très philosophiques. La description ou la représentation, qui est incluse dans la réalité se met en scène dans la position inverse, c'est à dire comme si c'est elle qui englobait la réalité. Magritte ne va peut-être pas tout à fait aussi loin, se contentant plutôt de dire que la représentation n'est pas la chose.

    • On ne peut pas se passer du concept d'essence pour ce qui n'apparaît pas immédiatement dans le phénomène, la puissance avant l'acte. Le fait d'être dépourvu d'essence préalable est une exception pour notre espèce car elle est plus déterminée par l'évolution (l'histoire) que les autres. La question est là, celle de la détermination par l'évolution extérieure, plus rapide pour nous mais s'il y a sans doute une essence de la baleine, ce n'est pas par auto-développement de son essence que l'évolution transforme une espèce de vache en baleine.

      Ce n'est pas un détail intellectuel, il est important de reconnaître que l'adaptabilité prime sur l'adaptation pour notre espèce qui se détache du biologique, avec les rapports sociaux, la culture qui priment sur le biologique. Politiquement, l'essence est une revendication identitaire anhistorique et réactionnaire très dangereuse et idéaliste à laquelle il faut opposer les processus matériels et les rapports sociaux, l'extériorité écologique qui est le véritable enjeu.

      (je suis très pris ce WE)

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