Je me suis demandé comment on pouvait souhaiter que les choses s'arrangent au mieux, à supposer même qu'on ait des dirigeants exceptionnels, mais de quelque façon que j'envisage la question, je ne vois que la nécessité de précipiter la chute au plus vite maintenant. Peut-être un manque d'imagination de ma part mais il y a de bonnes raisons de penser qu'on ne pourra pas s'en sortir sans passer par le défaut de paiement, des dévaluations massives et un retour de l'inflation, pas seulement pour les Grecs mais une bonne partie de l'Europe et les Etats-Unis au premier chef. C'est un peu répétitif de ma part mais il y a indéniablement encore un risque de krach de la dette, d'éclatement de l'Europe, de désordres monétaires et de tensions internationales. Il vaudrait mieux crever l'abcès que de faire inutilement durer le supplice.
On peut tenter d'imaginer un très improbable scénario rose où surgirait un homme providentiel qui nous sauve la mise. J'insiste souvent sur le fait qu'on ne peut attendre notre émancipation d'un leader paré de toutes les vertus (ni césar, ni tribun) mais seulement d'alternatives locales. Ce n'est pas dire pour autant que les hommes ne comptent pas ! Il vaut mieux avoir un bon général même si cela ne suffit pas pour gagner une guerre. Un homme providentiel n'est la garantie de rien. Périclès a porté la culture grecque à sa perfection mais il a entraîné la ruine d'Athènes avec la guerre du Péloponnèse. Cependant, si l'ambition n'est pas de changer fondamentalement le système capitaliste mais de remettre l'économie sur les rails (la crise étant payée par les plus pauvres, on le voit bien), toutes les stratégies ne se valent pas et un dirigeant audacieux et lucide pourrait faire la différence. Personne pour l'instant ne semble à la hauteur et il n'y a pas de président de l'Europe pouvant décider d'un nouveau New deal, on peut du moins essayer d'imaginer ce qui pourrait être fait, simplement pour mesurer notre marge de manoeuvre. Or, il me semble que cela ne servirait à rien avant un nécessaire effondrement systémique et seulement pour s'en remettre au plus vite après.
Ainsi, la décision pourrait être prise devant l'évidence de nos interdépendances et de l'impasse de l'austérité de faire enfin l'Europe des peuples au lieu de l'Europe des marchés dirigés contre les plus faibles. Il est un fait que ce serait l'intérêt de tous, même des Allemands qui feraient une grande erreur à s'imaginer pouvoir faire cavalier seul. Bien sûr, idéalement, il faudrait une mobilisation européenne pour fonder une véritable solidarité européenne mais ce n'est pas la voie qu'on prend qui est plutôt celle du repli sur des frontières qui ne nous protègent plus de rien. S'il y a éclatement de l'Euro (sortie de la Grèce, de l'Espagne ? de la France ?) les désordres monétaires devraient être hors de contrôle mais rester dans l'Euro ne réglera pas pour autant la question de dettes irremboursables ni de la fragilité des banques dont un bon nombre devront être nationalisées (ou européanisées?). Les plans d'investissement supposés compenser la rigueur budgétaire ne pourront jamais être à la hauteur et risquent d'être de pure forme ! Tout cela devrait exiger de faire encore marcher la planche à billets alors qu'on est déjà à un tel niveau que l'hyperinflation devient inévitable. Avec les milliers de milliards injectés, si l'inflation reste contenue pour l'instant, c'est à cause de la faiblesse de la demande mais cela ne devrait pas tenir longtemps encore. Le dollar étant concerné en premier lieu, on devrait assister à un véritable effondrement systémique (simplement différé depuis 2008). Tout ce qu'on peut espérer, c'est qu'une crise systémique mobilisant toutes les énergies, une réponse assez rapide puisse y être apportée et une reconstruction de l'Europe sur des bases plus saines mais il ne semble pas que même un dirigeant exceptionnel puisse éviter un effondrement préalable qu'il n'est donc même pas souhaitable de différer plus longtemps (difficile cependant de s'en persuader).
Dès lors, l'intervention des peuples ne peut avoir pour l'instant comme seul objet que de précipiter la crise au lieu de se laisser dépérir à petit feux. Le défaut de la Grèce pourrait en être l'événement déclenchant. Ce n'est qu'ensuite qu'on pourra se préoccuper de reconstruire et de peser sur les nouveaux équilibres. C'est là qu'il faudra restaurer un rapport de force favorable aux populations et notamment aux travailleurs pauvres, ce qui est loin d'être gagné d'avance, surtout que les syndicats ne touchent pas les précaires qui se multiplient pourtant à mesure que les emplois industriels disparaissent (sans retour possible). L'enjeu final reste bien les protections sociales que les néolibéraux veulent explicitement démanteler mais qui sont déjà tombés en décrépitude dans les faits et pour des raisons qui n'ont rien d'idéologique. Certains nous prédisent la fin du modèle social européen avec la déréglementation du travail pour seul horizon comme si nous allions nous aligner sur le modèle anglo-saxon. Ce n'est pas ce que croit pourtant le GEAB pour qui "on voit se dessiner les contours de la future stratégie économique et sociale de l’Euroland : fiscalité progressive renforcée, solidarité sociale, efficacité économique, mise sous contrôle du secteur financier, vigilance douanière, … en résumé : éloignement à grande vitesse du modèle anglo-saxon à la mode depuis 20 ans parmi les élites du continent européen".
C'est une vision raisonnable mais bien optimiste au regard de la faiblesse des syndicats et de leur vision déformée (archaïque) puisqu'il faudrait passer à des droits universels et individuels au lieu de protections trop dépendantes de l'entreprise. On assiste plutôt à l'enchaînement habituel : explosion du chômage et donc coût des protections sociales devenu trop lourd, culpabilisation des chômeurs qui s'en suit, coupes dans les budgets, xénophobie, etc. Il faudra sans doute là aussi perdre nos droits avant de les reconquérir. On ne peut dire qu'on ait beaucoup de raisons d'espérer que les bons choix s'imposent d'emblée, c'est ici sans doute qu'un homme providentiel pourrait accélérer la sortie de crise en fédérant des forces progressistes mais il faudrait d'abord aller au clash et se préparer à un temps assez long de désordres. On risque plutôt de repousser encore l'échéance de quelques mois en ne faisant qu'aggraver la situation mais, en tout cas, aucune fin du capitalisme à en attendre, pas plus qu'en 1929, sinon que l'effondrement global devrait donner l'occasion de commencer à construire des alternatives locales (ce qui demandera du temps). On en est là, à attendre le dernier acte d'une crise déjà trop longue mais on ne pourra rebondir avant que les plus grandes économies ne touchent le fond et pas seulement quelques pays périphériques. La première question qui se posera alors à cette nouvelle économie globalisée qui sera celle du XXIème siècles, c'est bien sûr la question écologique tout aussi globale et qui se fait de plus en plus pressante.
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