Prédictions 2020

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La pandémie n'aura pas été une surprise pour les scientifiques qui avertissaient depuis longtemps de leur inéluctabilité. Je pourrais dire que moi-même je l'avais prévu en reprenant cette information sur mon blog, tout comme des rapports officiels ou militaires l'ont fait. Il n'est donc pas si étonnant qu'on voit une vidéo de Bill Gates affirmant, il y a 5 ans, que la plus grande menace viendra d'un virus qui reste asymptomatique le temps de contaminer les autres.

Il faut ajouter que les progrès de l'édition de gènes (CRISPR), rendue accessible à tous, font craindre que la prochaine pandémie puisse venir d'un virus modifié par quelque biologiste fou, sans avoir besoin de moyens importants, mais ce bioterrorisme qu'on peut prédire désormais n'est pas plus pris au sérieux que le risque pandémique n'a été pris au sérieux jusqu'ici. On y croyait d'autant moins que les risques étaient impossibles à estimer et qu'il y avait, comme toujours, des opinions contraires, minimisant leur impact. C'est tout le problème des prédictions, c'est qu'il y en a une multitude et aucune absolument certaine. Tout a toujours été prévu par quelqu'un, donc on trouve fatalement après-coup la bonne prédiction, mais comme il y avait des prédictions contradictoires, il n'était pas si facile de déterminer la bonne avant. Ce ne sont pas les prédictions qui nous ont convaincus du risque épidémique, c'est qu'on le subit, de même que, ce qui a fait passer le risque climatique des scientifiques aux politiques, c'est de commencer à en éprouver des conséquences néfastes et les coûts démesurés alors qu'on n'est qu'au tout début d'un réchauffement bien plus catastrophique.

Ce qui est facile, c'est de faire le procès de ceux qui n'ont pas tenu compte des bonnes prédictions quand on voit le résultat, alors qu'on n'était pas forcément plus clairvoyant à l'époque mais, en fait, il est même contestable qu'on puisse dire qu'on avait vraiment prédit la pandémie actuelle car les scénarios envisagés étaient bien plus terribles avec une mortalité beaucoup plus élevée, alors que les conséquences économiques en étaient sous-estimées qui vont peser sur les prochaines années et accélérer les adaptations au numérique. On peut juste dire qu'on avait attiré l'attention sur le risque d'une pandémie, non pas prévu celle-ci avec ses particularités, encore moins la façon d'y réagir, qui était impensable avant, laissant les gouvernements dans l'incertitude, obligés de prendre ces mesures dans l'urgence, en grande partie par imitation.

Les véritables prédictions sont donc bien impossibles et nous laissent dépourvus devant la menace, obligés de reconnaître notre ignorance en dépit de toute notre Science. Tout ce qu'on peut, c'est présenter les données et tendances actuelles, essayer d'évaluer les risques en sachant qu'on peut se tromper au moins sur leur ampleur, ce qui rend ces prédictions en général à peu près inutilisables. Pire, on l'a bien vu avec la grippe H1N1 et le fait que la ministre Roselyne Bachelot ait été accusée d'avoir surréagi et acheté trop de masques, ce qui a constitué une des causes de leur manque quand la véritable pandémie fut venue. C'est comme les alertes au tsunami. Evacuer de grandes villes pour rien rend très difficile ensuite de prendre la même décision quand il y a un nouveau tremblement de terre. A trop crier au loup, on n'est plus entendu quand le loup est là...

On peut en tirer une certaine typologie de ces catastrophes qui avaient pu être prédites. D'abord, on n'y croit pas, d'autant plus qu'elles sont présentées sous des formes cataclysmiques qui les déconsidèrent et nourrissent un scepticisme plus ou moins intéressé. Puis, quand la catastrophe arrive, on tente le tout pour sauver ce qui peut l'être, bien au-delà de ce que permettait auparavant une politique de prévention. C'est ce qui permet de penser que c'est la catastrophe qui nous sauvera, quand elle devient imminente et ne laisse plus de place au doute et à la temporisation. Il ne faut pas trop se lamenter de l'insuffisance des politiques écologiques actuelles car, immanquablement, elles ne feront que monter en puissance à mesure que les températures n'arrêteront pas de monter (tout comme le niveau de la mer), avec des canicules, des sécheresses, des effondrements d'écosystèmes devant lesquels on ne pourra rester inactifs. Tout ce qu'on obtient aujourd'hui, même minime, est crucial mais ne fait que préparer l'avenir d'une véritable transition écologique qui limite les dégâts ou les répare, mais seulement dans l'après-coup. Il y a ensuite un troisième temps, après le déni puis la réaction, celui de l'après-guerre peut-on dire, ne faisant que refaire la dernière guerre, obnubilé par la crainte d'une deuxième vague avec le risque d'en faire trop (ce qui peut avoir comme on l'a vu, l'effet inverse), au lieu de se préparer à la prochaine et servir de répétition générale nous permettant de mieux affronter les virus plus dangereux qui ne manqueront pas d'arriver et nous trouveront sinon dans le même état de vulnérabilité et d'impréparation qu'on pourra dénoncer à loisir.

Notre situation est contradictoire puisque dans ce monde en bouleversement écologique et technologique, on n'a jamais eu autant besoin de prédictions à long terme, devenues vitales pour le climat, le travail ou l'énergie, mais qui sont à la fois indispensables et impossibles malgré nos moyens considérables. Il est bien évident qu'il est impossible de prédire les prochaines découvertes ou innovations qui pourront résoudre de nouveaux problèmes ou impacter radicalement notre mode de vie, de même qu'il est impossible de prévoir ce que sera notre réaction collective. Malgré tout, que nous ne puissions jamais vraiment déterminer la date, l'ampleur, les conséquences des catastrophes qui s'annoncent, et que, comme toujours, nous devrons agir en situation d'information imparfaite, cela ne doit pas nous empêcher pour autant de faire le point régulièrement et réfléchir à notre futur avec toutes ses incertitudes.

Si on doit imaginer le monde de demain, c'est d'abord un monde de plus en plus chaud et avec un pic de population dans 40 ans aux dernières évaluations, signifiant le début de la décroissance de la population (de la consommation plus tardivement). Le facteur clé étant l'accès des femmes à l'instruction et aux emplois qualifiés, le féminisme et les droits des femmes devraient continuer à progresser, mais c'est aussi la promesse d'un vieillissement dramatique de la population en dehors de l'Afrique, même si la médecine devrait vaincre les maladies dégénératives et rendre la vieillesse plus supportable (voire permettre de rajeunir). On ne s'attend pas à être "submergés" par l'immigration mais elle changera malgré tout nos sociétés vieillissantes qui auront bien besoin de cette population active où il faudra compter des réfugiés climatiques, économiques ou fuyant les conflits. Dans ce contexte, le rejet des immigrés et la nostalgie identitaire, c'est la guerre ou plutôt le massacre...

On peut déjà être certain qu'on n'échappera pas aux effets d'un réchauffement qui s'emballe mais il est quasi assuré que la transition énergétique en cours sera menée à son terme en dépit de tous ceux qui prétendent impossible de substituer éoliennes et solaire au nucléaire et au pétrole. Cela ne suffira pas, il faudra y joindre la capture du CO2 qui reste plus incertaine à cette date mais devrait se développer massivement tout comme la reforestation, il faut l'espérer, seul moyen de limiter assez le réchauffement pour empêcher la bombe méthane. Il n'y a certes pas lieu d'être optimiste mais au contraire d'en clamer l'urgence.

L'adaptation à ce monde en ébullition sera souvent douloureuse mais, contrairement au malthusianisme de ceux qui prétendent qu'on ne pourra plus nourrir une population si nombreuses, il ne semble pas que ce soit hors de portée - pour autant que les régions dévastées puissent être ravitaillées par celles qui le sont moins. Ce n'est pas ce qui devrait poser le plus de problèmes si l'on en croit les spécialistes. De nouvelles ressources seront certes indispensables (cultures marines, exploitation des algues et des insectes, viande synthétique) mais, "théoriquement", on pourrait nourrir toute la population. Les enjeux de l'agroécologie sont tout autre, d'assurer l'approvisionnement local, la durabilité des sols, protéger la biodiversité et participer à la capture du CO2.

Tout dépend du degré de réchauffement et de notre réaction pour limiter l'étendue des dégâts mais, dans les années qui viennent, il faut compter aussi sur le fait que nous serons assistés de plus en plus par l'Intelligence Artificielle pour résoudre nos problèmes, ainsi que par les robots dans nos tâches, transformant radicalement le travail (sortie du capitalisme salarial?) avec, entre autres, la montée du télétravail depuis la pandémie, ces transformations ne se faisant pas sans douleur non plus. On peut s'attendre à un "chômage frictionnel" assez élevé même si c'est loin d'être la fin du travail (ni la fin du pétrole, de la civilisation ou de l'humanité!). La pandémie a mis en évidence nombre d'emplois vitaux, des premiers de corvée aux services publics et aux soins aux personnes. L'automatisation générale est un fantasme qui ne date pas d'hier et jamais vérifié, cela n'empêche pas qu'on peut connaître une sévère réduction de l'emploi salarié, au profit des autoentrepreneurs en particulier, ce qui pourrait généraliser l'insécurité vécue par les précaires depuis des années et qui est insupportable en l'absence d'indispensables institutions du travail autonome, d'une nouvelle sécurité sociale.

En dehors de ce cadre qui semble assez solide (bien que n'étant pas à l'abri d'éruptions volcaniques de grande ampleur par exemple, ni d'une pandémie décimant la population), le reste est bien plus incertain, que ce soit en économie ou en politique, tout pouvant basculer soudain, étant sujets à de constants retournements. Il est difficile de savoir si le trafic aérien et le tourisme seront durablement affectés, si les relocalisations seront notables voire si le port du masque deviendra la norme à l'avenir ? Ce qu'on peut dire, c'est que nos interdépendances sont de plus en plus prégnantes, que ce soit dans l'économie, les pandémies, les réseaux numériques. Il y a donc un mouvement inéluctable, matériel, vers l'unification planétaire, un Etat de Droit Universel en formation à travers ses organes (OMS, OMC, etc.) et soutenu par les Banques Centrales qui transforment petit à petit le néolibéralisme des dernières décennies en économie administrée par des Banques Centrales (mais pourront-elles éviter krach financier et inflation galopante?). Ce mouvement de fond sur le long terme rencontre cependant à court et moyen terme des résistances locales fortes, repli nationaliste et souverainismes qui ne présagent rien de bon, étant l'appel à un pouvoir autoritaire capable d'imposer un ordre nouveau et de nous soustraire au mouvement du monde. En fait, les choses sont plus imbriquées. Ainsi, la pandémie peut à la fois renforcer les interdépendances et la relocalisation, participant d'une nouvelle phase de la globalisation, qui continue mais en corrigeant ses excès et en privilégiant les circuits courts (grâce aux monnaies locales?), reliant enfin l'action locale à une pensée globale.

On arrivera peut-être à en minimiser les périls mais on ne peut plus avoir une confiance aveugle dans l'avenir alors qu'il semble plutôt qu'on entre dans le temps des catastrophes et de l'urgence tant les menaces s'amoncellent. C'est dans doute le destin de toute vie d'être entourée de dangers auxquels elle arrive pourtant à échapper le plus souvent jusqu'à un âge assez avancé, mais la nouveauté est plutôt dans le caractère systémique de ces menaces désormais. En unifiant le monde, la globalisation marchande depuis l'écroulement du communisme nous fait entrer dans l'ère des crises systémiques aussi bien écologiques, économiques ou financières que pandémiques.

Choc climatique, choc social, choc démographique seront à l'évidence difficiles à gérer et on sait qu'on est exposé à d'autres chocs pandémiques si ce n'est au bioterrorisme. Alimenté par tous ces chocs, le terrorisme ordinaire ne devrait pas non plus s'éteindre, sans parler du fait qu'on n'est plus à l'abri désormais d'une guerre nucléaire dont l'éventualité resurgit alors qu'on pensait, il y a quelques années à peine, pouvoir éliminer toutes les armes de destruction massive. Il sera bien difficile de passer entre toutes les gouttes, même si cela n'empêchera pas, entre deux chocs, de long moments de vie paisible et de construction de projets, avec des innovations facilitant la vie, des progrès médicaux soulageant de nombreux maux, des progrès sociaux (féminisme, revenu garanti), la montée des écologistes, etc. Tous ces chocs font craindre des situations dramatiques mais sans doute pas l'effondrement généralisé qui nous ferait revenir en arrière que nous prédisent collapsologues, survivalistes ou prophètes d'une apocalypse pétrole à la Mad Max. Ce n'est certes pas complètement impossible et toutes ces catastrophes combinées à l'instabilité politique peuvent mener à des décennies chaotiques mais pas la peine d'en rajouter. Parler de la disparition de l'espèce humaine est encore plus déplacé alors qu'on n'a jamais été si nombreux ! Certes, si le réchauffement est hors de contrôle, décuplé par la bombe méthane, il y aura de la casse, une sorte d'effondrement plus ou moins lent, en tout cas la fin de notre monde actuel, avec des régions entières devenues invivables et l'extinction d'animaux en masse. La population mondiale en serait inévitablement gravement affectée mais devrait de toutes façons décroître (après 2060?) sans qu'on puisse parler aucunement d'une disparition de l'espèce alors qu'on envisage de conquérir une planète aussi inhospitalière que Mars (ce n'est pas gagné) et que, du moins, la conquête des océans est à notre portée. La situation est assez dramatique comme cela, les exagérations ne font que nous égarer et rendre les réponses aux défis qui nous attendent plus hasardeuses. "Seule la vérité est révolutionnaire".

C'est la politique qui pourrait nous mener au pire mais on ne peut exclure qu'elle mène au meilleur après quelque catastrophe poussant un peu plus à l'unification planétaire et donc renforçant considérablement la capacité de faire face à ces risque vitaux. Au nouveau souverainisme nationaliste, qui s'est constitué en résistance à ce mondialisme au nom d'une volonté démocratique affirmant ses valeurs et son identité, il faut opposer une démocratie des minorités et de la diversité, de la discussion et des compromis, sur des faits plus que sur des valeurs. Pas sûr qu'on soit assez convaincants et qu'on évite l'extrême-droite avec ses fausses promesses, heureusement que les extrêmistes se disqualifient eux-mêmes et se divisent entre eux, mais le plus inquiétant est l'absence d'autre alternative car l'instabilité politique est sans doute le plus à craindre en attendant la résignation au nouvel ordre économique bouleversé par les pays les plus peuplés et le numérique.

La gauche est en mauvaise posture partout, chez nous le populisme de Mélenchon l'a achevée mais elle est confrontée de toutes façons à la perte du pouvoir économique national et à une certaine harmonisation de l'économie mondialisée. Cela pousse le progrès vers une sécurité sociale dans les pays retardataires mais le limite fortement dans les pays les plus avancés, en premier lieu en Europe, réduisant drastiquement les perspectives d'une gauche condamnée à gérer le système. L'absence de marges de manoeuvre favorise là aussi les pouvoirs autoritaires et anti-immigration, la seule alternative serait écologiste si les écologistes étaient en mesure de gouverner et de représenter une véritable alternative au lieu de faire assaut de radicalisme purement verbal. Il vaudrait mieux pour l'instant faire confiance aux "conversions écologistes" de nos dirigeants et de l'ONU, voire des entreprises, sous la pression de l'opinion et de la rue, pour assurer une transition écologique effective. La restriction de certaines de nos libertés pouvant être nécessaire, l'expérience récente doit nous amener à se méfier tout de même des tendances liberticides d'un certain écologisme ou hygiénisme qui tourne à l'ordre moral. Tout cela n'est pas encourageant, il faudrait faire mieux, mais en vouloir trop n'aide pas.

L'enjeu de la prospective est d'orienter l'action, autant que faire se peut. Non pas ce qu'il faudrait faire dans l'idéal, mais ce qu'on peut faire dans le contexte actuel et notre milieu. Le bilan des risques énormes qui sont devant nous, risques prévisibles ou risques plus improbables, avec les moyens considérables que nous avons tout de même, notamment d'information et de recherche, devrait mener à une approche plus réaliste, y compris pour les "radicaux" qui ne veulent pas être réduits au rôle de gêneurs au lieu d'être à la pointe de la transition écologique. C'est le pari de la raison. Sauf que la pandémie a montré toutes les limites de nos connaissances et les controverses sur ce qu'il faut faire, tout comme sur le climat au début. Il ne suffit pas de se vouloir réaliste pour l'être, on n'a pas la science infuse, l'erreur est première. Cela devrait justifier d'investir dans la recherche mais si le réalisme n'est pas si simple, nul doute que l'exigence de résultat effectif se fera de plus en plus forte. Il y aura toujours des rêveurs, des utopistes et des terroristes, mais on peut penser que les utopies n'auront pas au XXIè siècle la place qu'elles auront eu au XXè dans les totalitarismes. Même si ce serait incontestablement nécessaire, il est absurde de penser qu'il puisse y avoir un changement de système planétaire (de l'Europe et de l'Amérique, de la Chine et la Russie à l'Afrique ou l'Inde). La question n'est plus d'une société idéale mais de sauver ce qui peut l'être et d'améliorer autant que possible notre sort.

Il n'y a pas de quoi rêver d'une nouvelle humanité et du pouvoir de l'esprit. Il ne peut s'agir que d'essayer de comprendre le monde actuel et d'essayer de déterminer les objectifs les plus réalisables en se joignant aux mouvements écologistes planétaires tout en participant au renouveau du municipalisme et de la vie locale. L'avenir n'est pas rose et reste complètement incertain bien qu'annonçant des catastrophes exigeant notre action pour ce long terme hors d'atteinte. On a essayé d'en donner les tendances lourdes pour orienter nos priorités et limiter les possibles, éliminant les prédictions apocalyptiques ou trop optimistes tout en soulignant qu'il reste beaucoup d'inconnues comme le sort de l'Europe, qui n'est pas scellé, ou de l'Afrique dont la population devrait plus que doubler. La meilleure chose qui pourrait arriver, c'est un "réveil de l'Afrique" trouvant un nouveau dynamisme dans sa jeunesse connectée et un modèle alternatif, notamment agricole, mais c'est peut-être trop rêver encore ?

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