Sur le temps long, le seul progrès incontestable et cumulatif, est celui des connaissances (de la techno-science). Bien sûr, cela ne veut pas dire que tout le monde y ait accès ni qu'il n'y aurait pas des retours en arrière, des savoirs oubliés ou refoulés à court terme avant d'être redécouverts, mais, en tout cas, et malgré ce qu'on prétend, ce progrès objectif est largement indépendant de nous, imposé par l'expérience contredisant la plupart du temps nos croyances. Loin d'atteindre un savoir absolu pourtant, cette accumulation de connaissances dévoile plutôt à chaque fois de nouvelles terres inconnues, si bien qu'on peut dire que l'ignorance croît à mesure de notre savoir qui détruit nos anciennes certitudes et préjugés.
Effectivement, les sciences ne progressent que par la rencontre de faits qui échappent aux théories en cours, obligeant à les reformuler. Ainsi, leurs avancées pas à pas démontrent qu'on n'accède pas directement au réel comme à une vérité révélée définitive devenue transparente mais qu'il y a une dialectique cognitive à l'oeuvre corrigeant à chaque fois la position précédente, la complexifiant par une négation partielle ou par un changement de paradigme qui ne peut être anticipé avant. Cette dialectique cognitive à partir de l'état des savoirs illustre bien qu'il n'y a pas d'accès à l'être, comme le disait déjà Montaigne, il n'y a que des approximations, des approches, comme d'une canne d'aveugle qui va de gauche à droite afin de cerner son objet, tester ses limites (Fichte définit le savoir par la rencontre d'un moi libre qui se cogne au non-moi qui lui résiste). Il y a un dualisme irrémédiable entre le savoir et le réel auquel il doit s'ajuster en tâtonnant, la connaissance n'est pas originelle, immédiate, directe, instinctive, mais s'élabore petit à petit avec le temps, se précise, se complète, se nuance.
Pour les sciences, même les théories les plus établies ne sont donc pas à l'abri d'une réinterprétation totale, comme la relativité a réinterprété la physique newtonienne, sans que cela puisse constituer un aboutissement définitif (problème de la gravité quantique, etc). Aucun argument ici pour les théories les plus farfelues ou spiritualistes contestant les sciences mais, au contraire, pour ne pas se fier à nos convictions et suspendre notre jugement en restant ouvert aux remises en cause par l'expérience de nos représentations (plus que des équations elles-mêmes qui restent vérifiées dans leur domaine de validité). On voit que, ce que l'histoire des sciences implique, c'est bien leur temporalité, tout comme l'évolution du vivant et nos propres apprentissages, entre l'héritage du passé et les découvertes à venir impossibles à prévoir, devant passer comme l'enfant par une série de stades de développement et s'enrichissant au cours du temps. Il n'y a dès lors aucune raison qu'on arrête de progresser et que le temps s'arrête. Si Hegel en avait fait l'hypothèse, c'était seulement pour l'accès à un "savoir absolu" qui n'était en réalité que le dépassement de la religion par la conscience de soi comme produit de l'histoire, et non une totale omniscience impensable pour des êtres finis (même artificiels).
Ceci rappelé rend douteux, en effet, que la situation puisse être complètement différente avec des Intelligences Artificielles, même si elles nous surpassent en tout, pouvant exploiter toutes les données disponibles et accélérer significativement les progrès des connaissances. Elles constituent incontestablement un nouveau stade cognitif avec l'accès au savoir pour tous (après wikipédia), mais on ne peut en attendre une révélation soudaine de la vérité (cachée), une "singularité" dont il n'y aurait plus d'au-delà, comme si le temps s'arrêtait. Certes, répétons-le, les IA devraient produire nombre de nouvelles connaissances ou équations en trouvant des corrélations inaperçues entre domaines éloignés, et pourraient même déboucher sur des théories révolutionnaires dépassant nos idées reçues. Cependant, pas plus que les humains, elles ne pourraient inventer des lois effectives et se passer de l'expérience - comme s'il n'y avait plus de monde extérieur, d'incertitudes, de questions. De même, malgré ses compétences universelles, l'Intelligence Artificielle, bien que nourrie aux meilleures sources, ne saurait tenir le rôle d'un Dieu omniscient et de garant ultime de la vérité. Elle peut tout au plus prendre une place de juge de première instance, peut-on dire, assez fiable et fort utile mais dont on sait qu'il peut se tromper et être désavoué par des juridictions supérieures.
Les limites des IA génératives nous éclairent sur nos propres limites ou plutôt sur les lois objectives de l'apprentissage et d'une dialectique cognitive incontournable ne pouvant brûler les étapes. Il faut admettre, en effet, que cela n'est pas dû à des capacités insuffisantes, comme on pouvait le croire, mais plutôt à l'extériorité du monde au savoir (sa transcendance), et à la nécessité d'un feedback pour toute perception (mise au point, ajustement, complexification), épreuve du réel révélant après-coup seulement des "effets" pervers" ou points aveugles d'un état précédent et nécessitant des corrections d'erreurs incessantes (principe de la cybernétique). Comme le savaient Aristote et Kant, la raison ne peut pas déduire l'être, le savoir a besoin de la perception et de sa vérification. Le constat de ce dualisme fondamental, de la division entre la pensée et l'Être, suggère qu'à la place d'une impossible fin de l'histoire, on devrait plutôt assister à une co-évolution accélérée des IA avec le monde matériel et social, exposées à d'immenses catastrophes mais aussi, comme dans la nature, à une course aux armements entre IA hostiles. C'est bien le début d'une nouvelle ère au lieu d'une fin définitive : il faudra encore beaucoup s'agiter...
Dans la continuité de l'article précédent, il faut insister sur la nécessité de différencier selon leur objet les différents processus dialectiques qu'on ne peut résumer à une simple négativité homogène et qu'il faut replacer dans leur contexte particulier, comme ici la dialectique cognitive. Celle-ci ne devrait donc pas être confondue avec d'autres dialectiques historiques, notamment politiques qui vont d'un extrême à l'autre selon d'autres lois. Elles ne sont pas sans rapports pourtant, ayant aussi une dimension cognitive, et on peut se demander ce que sera l'influence sur les politiques menées et sur la démocratie de ces IA surpassant largement nos petits esprits. Notre connerie congénitale étant à l'origine des pires égarements, ce serait extraordinaire de pouvoir éviter grâce à une intelligence supérieure les dérives démagogiques et identitaires mais il ne faut pas trop rêver.
L'obscurantisme, pas seulement des religions, ne va pas disparaître comme par miracle, d'autant que les IA ont tendance à reprendre nos pires tendances puisqu'elles sont entraînées sur nos polémiques trop humaines. On attend beaucoup aussi de ces capacités cognitives décuplées sur le plan écologique, aussi bien pour faire reculer le climato-scepticisme que pour déterminer les mesures les plus appropriées, mais c'est déjà ce qu'était supposé faire le Giec et qui n'a pas empêché les multiples résistances et dénégations de la coalition de tous les intérêts et divers complotistes. De même, si les fake news ne devraient pas, en théorie, survivre au fast-checking d'IA bien renseignées, on peut s'attendre hélas à ce que d'autres IA mal intentionnées les multiplient au contraire, avec de plus en plus de difficulté à détecter la supercherie !
Enfin, s'il m'est arrivé de prétendre qu'on pouvait dire que les guerres relèvent de l'erreur cognitive - surévaluant ses forces et sous-estimant celles de l'adversaire - ne pourraient-elles être évitées par l'IA évaluant plus objectivement la situation ? Sans doute dans un certain nombre de cas mais il n'est pas sûr qu'on puisse avoir une confiance aveugle dans les prédictions rationnelles du sort de la bataille, restant des probabilités. Là encore, impossible de se passer de l'épreuve du réel. Il faut que ce soit tranché par les armes, sorte de "jugement de dieu" entre puissances matérielles.
Malgré la révolution cognitive extraordinaire des grands modèles de langage bousculant presque tous les domaines, une fois passé l'effet de surprise et d'émerveillement, on peut donc juger, sur le plan de l'histoire, qu'il n'y aurait à la fin pas grand chose de nouveau sous le soleil, du moins par rapport à l'unification du monde (économique, écologique, technologique, démographique, pandémique, médiatique) qui semble bien un processus matériel de plus de conséquences sur la géopolitique. Fondamentalement, on n'en aura jamais fini avec l'ignorance et la bêtise tout comme avec l'entropie qui nous ronge et qu'il faut toujours apprendre à surmonter mais ne disparaîtra jamais - quelques soient les moyens déployés, de plus en plus considérables dans un environnement de plus en plus menaçant...
Justement, une étude réfute toute la cosmologie actuelle en combinant la théorie des constantes de couplage covariantes (CCC) et celle de la « lumière fatiguée » (TL) (soit le modèle CCC+TL) ! L'univers aurait 26,7 milliards d'années (le double d'avant), il n'y aurait pas de matière noire ni d'énergie noire ni d'expansion, le décalage vers le rouge ne serait qu'un affaiblissement de la lumière qui perd de l'énergie avec les distances...
https://phys.org/news/2024-03-universe-dark.html
Une hirondelle ne fait pas le printemps et, comme à chaque fois, il faut attendre des confirmations suffisantes pour de telles remises en cause mais cette complète reconfiguration illustre bien comme les spéculations des sciences peuvent être balayées soudain par l'observation et le calcul, tout comme les autres spéculations. Il ne faut pas inventer des fantômes (matière noire, énergie noire) pour sauver la théorie, c'est la théorie qui doit changer de base, ce à quoi on résiste d'abord forcément. Une Intelligence Artificielle ne ferait pas mieux sans doute, seulement beaucoup plus rapide et réactive (par exemple pour réfuter cette nouvelle hypothèse trop audacieuse) ?