Une seule solution, la fédération

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Il n'y a pas eu de miracle grec. En fait, hein, il n'y a jamais de miracle. On peut bien sûr trouver que notre chambre toute rose à nous est un véritable miracle dans une France rancie et xénophobe, mais c'est un tout petit miracle. On ne sent aucune velléité de mobilisations sociales capables d'en tirer parti comme en 1936. Pour la relance promise, il ne faut pas s'imaginer qu'elle puisse être à la hauteur alors que la crise est loin d'être finie, qu'elle n'est pas du tout limitée à la Grèce et que la pression des marchés risque de rogner encore des protections sociales pourtant de plus en plus vitales. Il y a bien eu quand même le miracle des révolutions arabes qui ont lancé un mouvement mondial d'agitation mais dont le résultat est bien éloigné, pour l'instant du moins, des espoirs les plus fous des révolutionnaires comme de ceux des démocraties occidentales...

Que ce soit pour l'écologie ou la justice sociale, on ne voit jamais le monde entier soudain se rendre à la raison malgré toutes les bonnes âmes prêchant la bonne parole, persuadés de détenir la vérité et de pouvoir en convaincre la Terre entière. On ne manque certes pas de beaux discours, au plus haut niveau des sommets de la Terre mais les intérêts sont bien plus forts que les belles idées et le court terme plus important que le long terme. A ce jour, il semble que tout soit perdu aussi bien pour la crise que pour l'écologie (climat, biodiversité, épuisement des ressources). Cela ne veut pas dire qu'on ne pourrait redresser la barre sur le long terme, on progresse malgré tout à pas mesurés, mais en passant le plus souvent par le pire ! C'est notre façon de procéder par essais-erreurs dans notre désorientation, en allant d'une erreur à l'erreur contraire... Il y a cependant plusieurs sortes de pire et plutôt que mourir à petit feu, il aurait mieux valu un clash clarificateur obligeant à régler les questions de fond. Voilà ce que les Grecs ont refusé qui était à portée de main. Cela fait longtemps que je pense qu'il faudrait pourtant en passer par l'intervention des peuples pour casser les logiques suicidaires des marchés. Il n'y a pas à le reprocher aux Grecs qui se débattent dans leurs problèmes de survie car il n'y avait bien sûr aucune assurance que cela se serait bien passé pour les plus fragiles mais c'est en tout cas l'aventure qu'ont refusé tous ceux qui avaient quelque bien à défendre ainsi que ceux qui restent attachés à l'Europe.

Après ce long suspens démocratique, il faudrait arrêter de se monter le bourrichon et croire que tout va s'arranger par des élections. Il faut sortir de cette "bulle politique". Mieux vaut s'attendre au pire pour en parer les coups les plus durs (notamment en renforçant les solidarités locales). Si l'effet dominos ne vient pas de la Grèce, il ne faudra pas attendre longtemps avant qu'il se déclenche en Espagne ou ailleurs (on a le choix). Dans l'état actuel, et sauf sursaut immédiat en cas d'effondrement économique ou de catastrophe climatique, la crise est partie pour durer encore très longtemps et la température devrait monter bien au-delà du supportable. C'est l'intolérable réalité avec laquelle il faut composer, contre laquelle il faut construire une stratégie adaptée au lieu de se nourrir d'illusions sur notre pouvoir de conviction et d'action, voire notre supposée radicalité. On a beau réunir les puissances mondiales, elles ne savent que faire preuve de leur impuissance tout en jurant de leurs bonnes intentions et proférant quelques condamnations morales. Impossible de résoudre la crise par des négociations quand les intérêts sont divergents et que certains ont beaucoup trop à perdre. Il ne peut y avoir de gouvernement mondial, pas plus que de construction européenne, sinon dans la gestion de l'urgence.

Il est un fait que les propositions des différents économistes se contredisent, et vérité de ce côté-ci du Rhin n'est plus vérité au-delà. Après avoir reproché aux Grecs leur grécitude, on reproche aux Allemands leur rigidité et leur arrogance ravivant ainsi les antagonismes nationaux du fait simplement de notre impuissance à résoudre une crise qui nous dépasse et dont nous ne détenons pas toutes les manettes. On peut penser, en effet, qu'il n'y aura pas de solution à la bulle du crédit des pays riches en dehors d'un retour de l'inflation et d'un krach de la dette où ce sont les USA qui devraient être en première ligne. Jusqu'à maintenant, ça s'est toujours terminé par une guerre... Cela paraît bien improbable cette fois mais il ne faudrait pas se croire trop à l'abri. Ce qui est le plus rageant, c'est qu'à l'évidence on a tout pour faire face, l'humanité n'a jamais eu de tels moyens, notamment d'information, et son avenir entièrement entre ses mains à l'ère de l'anthropocène. Il ne faut pas trop compter dessus pourtant. Autant demander à une monarchie pétrolière de partager avec le reste de l'humanité la rente qu'elle s'est appropriée. Au lieu de rêver à un monde idéal, il faudra donc arracher une à une les mesures indispensables à notre survie et, en attendant que la crise s'aggrave, avec une insupportable lenteur, il ne faut pas croire pouvoir régler la question par quelque mesure que ce soit (de relance ou de rigueur).

Cela n'empêche pas qu'il faut gérer les problèmes immédiats et pas seulement celui de la Grèce, ce qui va obliger à une clarification à gauche aussi entre le repli nationaliste et l'engagement dans un fédéralisme européen, le besoin de solidarité financière poussant à renforcer l'intégration politique. Il y a actuellement 2 voies qui se dégagent pour aller dans ce sens. D'abord sans doute une union des banques européennes mais surtout la proposition d'une "Europe à 2 vitesses", c'est-à-dire en fait la constitution d'une véritable fédération supra-nationale qui pourrait rapidement intégrer la plupart des pays de la zone Euro. L'alternative est la fin de l'Euro ou son éclatement qui est à l'heure actuelle presqu'aussi probable. Il y aurait de bonnes raisons à cela, la disparité des économies et le fait de pouvoir retrouver la possibilité d'ajustements monétaires, mais il ne faut pas croire que cela serait suffisant pour nous faire retrouver notre ancienne gloire ni notre industrie ni même nous sortir de la crise financière, tout au contraire ! L'un des nombreux inconvénients de ce retour des nations et du nationalisme, c'est de nous priver du seul levier que nous pouvons avoir contre un nivellement par le bas du fait de la concurrence fiscale, ce qui est la situation actuelle. Ce serait donc se priver du levier politique au profit des marchés qu'on voulait combattre ! Si cela n'a effectivement rien d'évident de s'unir à des pays si différents avec des économies extrêmement différenciées, c'est bien ce qu'ont fait les Etats-Unis et il y a incontestablement des avantages politiques, économiques et sociaux qui en compensent le coût. Encore faut-il y mettre le prix et la réunification de l'Allemagne pourrait servir ici de modèle.

Bien sûr un pouvoir politique européen n'a de sens qu'à ne pas être l'instrument d'un libéralisme déchaîné et du pouvoir des marchés, il n'a de sens qu'à préserver le "modèle européeen" de protections sociales élevées mais c'est sûrement le moment de se désolidariser de ceux qui ont voté Non au référendum sur la constitution européenne pour des raisons nationalistes alors que la plus grande partie de la gauche a voté contre un libéralisme qu'on avait voulu constitutionnaliser, ce qui n'est pas du tout la même chose. Je plaidais de mon côté pour "une Europe à refaire", pas un retour aux nations même s'il faut un plus grand respect de la diversité des pays et des territoires, avec une plus grande autonomie du local (bien loin d'une nation fantasmée). Au lieu d'espérer arracher des concessions au patronat national, il serait beaucoup plus efficace d'avoir une véritable gauche, exigeante mais se situant au niveau européen, car la seule façon de ne pas être désarmé face aux marchés et une véritable concurrence déloyale organisée, c'est d'avoir un droit social européen et une fiscalité commune. Il faudra bien se démarquer à cette occasion du national capitalisme de nos économistes non conventionnels à la mode. On prétend que "les peuples" ne voudraient pas abandonner une souveraineté qu'ils ont déjà perdu dans les faits, alors qu'ils refusent surtout d'être sacrifiés sur l'autel de l'unification d'économies disparates et du rattrapage des pays les plus pauvres au détriment des pauvres d'ici. Les nationalistes s'opposant à la délégation de droits souverains se privent de toute uniformisation et progrès des protections sociales dans une Europe divisée.

Certes, passer d'une Europe des marchés à une Europe des droits semble un peu trop utopique, d'autant que pour rendre viable une zone Euro déséquilibrée, il ne faudra pas se contenter de demi-mesures. C'est malgré tout ce qui se dessine et cela obligera à passer les luttes sociales au niveau européen pour ne pas perdre tous nos droits. Rien ne se fera tout seul par l'effet simplement de la bonne volonté des possédants et si cela n'a rien d'un chemin de roses, le repli sur la nation me semble encore plus illusoire, nourri d'un passé révolu (même s'il en restera toujours quelque chose). Et il faut le dire, au moment où la question va se poser très concrètement.

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11 réflexions au sujet de “Une seule solution, la fédération”

  1. Manifestement, le manque d'informations fiables et de mise en commun d'outils fédéraux de surveillance des dettes totales a amené à cette cacophonie invraisemblable :

    Les dix-sept autorités nationales ont un budget limité, et n’ont pas des équipes capables de rivaliser avec celles des grandes banques. Elles peuvent aussi fermer les yeux face à une bulle immobilière ou autre. Tout cela plaide pour la
    constitution d’une seule autorité bancaire en Europe. Or, même si l’on a créé plusieurs institutions de niveau européen, comme l’Autorité bancaire européenne
    (EBA) ou le Conseil européen du risque systémique (ESRB), la supervision prudentielle des banques reste encore marquée par la règle du pays d’origine.

    http://idei.fr/doc/by/tirole/TIROLE...

  2. Oui, je me suis fait moi-même cette réflexion mais si exister est déjà un miracle, il ne faut pas en attendre d'autres, deux miracles, ce serait beaucoup pour des miracles supposés être improbables... Ceci dit, je suis persuadé que des miracles sont encore possibles, simplement très rares et qu'il ne faut pas trop compter dessus, en tout cas on n'en voit pas venir à court terme !

  3. Il y a aussi l'improbable miracle d'être encore en vie, ou même survie, et ça c'est très souvent. Combien de fois je me suis tiré de situations abracadabrantes, sans même toujours bien comprendre ce qui s'était passé après coup pour être encore là.

  4. Je n'ai pas d'avis tranché sur l'Europe qui fait sans doute partie des évolutions obligées ; ce que je vois néanmoins c'est que cette construction européenne telle qu'elle est menée accentue les défauts et impasses déjà ressentis à l'échelon national :
    - le fossé entre représentants et citoyens déjà bien présent s'est fortement accentué par la mise en oeuvre de ce nouvel échelon supra national ; et nos élus nationaux ont beau jeu de se déresponsabiliser .
    - le libéralisme , mondialisation subie des marchés et de la finance s'est aussi bien structuré à l'échelon européen qui l'a inscrit dans ses textes et son fonctionnement

    - le sentiment national au sens nationaliste et repli sur soi s'en trouve renforcé
    - les diversités culturelles , sociales , économiques ont du mal à s'exprimer sous le carcan d'une monnaie unique

    La question de l'Europe est surtout de savoir si l'Europe qu'on met en place répond réellement aux enjeux démocratiques , écologiques et économiques qui leur sont en lien.

    Je ne le pense pas ; est ce pour autant que le retour au national le permettrait ? sans doute pas vraiment à moins que ce retour coïncide avec un projet national de relocalisation et réaménagement du territoire qui cherche à répondre aux divers enjeux déjà cités.

    Disons qu'il y a deux options :
    - la poursuite de la marche forcée vers le fédéralisme avec des dégâts colatéraux importants pour certains pays , avec le risque d'explosion, et du nationalisme ; cette marche se continuant dans le cadre du libéralisme
    - Différer la construction européenne , prendre un temps de respiration avec créations de monnaies nationales complémentaires et plus de liberté pour les pays ; sans pour autant renoncer aux coopérations et entre aides

    Dans les deux cas on ne fera pas l'économie d'une vraie mise à plat globale de la situation en y incorporant une réflexion sur la croissance et la transition énergétique .
    Malheureusement je crois que ce problème Energie /croissance/mondialisation et financiarisation de l'économie qui obligerait à une remise à plat de l'ensemble de nos organisation n'est pas ce qui fédère la réflexion communautaire ni d'ailleur la réflexion nationale.

    Dans un sens comme dans l'autre on est donc très mal "barré".

  5. On peut se faire un scénario idéal où on retournerait à la nation quelqu'années histoire de reprendre des forces, sauf que je suis persuadé qu'on n'a pas le choix et que, si repli national il y avait, ce ne serait pas si beau et beaucoup plus catastrophique. La démocratie est à retrouver mais en commençant par reprendre le dessus sur le marché commun justement.

  6. Les systèmes économiques sont des machines. En ce qui concerne le système monétaire, il n'y a aucune raison qu'il échappe aux règles élémentaires des systèmes. Pour qu'il puisse être régulé, ce qui me semble la moindre des choses, il doit comporter un module d'injection (planche à billets) et un outil de délestage (taxation) de façon à pouvoir adapter son temps de réponse aux besoins non prévisibles et aux perturbations. Il doit aussi pouvoir recevoir des consignes (élections) et posséder des outils de mesure (agences de notations, instituts statistiques). On ne peut compter sur l'inflation comme moyen de dissipation, ainsi qu'on peut le constater aujourd'hui, parce que celle-ci est le produit complexe de 3 facteurs (excès monétaire, rareté matières, emploi). On pourrait à la rigueur compter sur un mécanisme de monnaie fondante à fonte ajustable, mais celle-ci est sans doute trop uniforme et moins souple que la taxe. Si on analyse la situation actuelle en regard des conditions élémentaires de régulation, on voit tout de suite apparaître les principales carences, en particulier au niveau de l'outil de dissipation. D'autre part, la mondialisation fait que personne n'est en mesure de disposer de moyens de générer des consignes (on continue de voter pourtant, mais le sens de ce vote se dilue).
    Ce qu'on nomme la souveraineté monétaire n'est rien d'autre que la mise en place des outils de régulation de la monnaie sur un territoire donné, les autres économies étant alors traitées comme des perturbations tout à fait gérables dès lors qu'on dispose des outils d'injection et de dissipation, ainsi que des moyens de générer des consignes et de faire des mesures (informations). Les connaissances en asservissements de systèmes sont très riches. mais elles ne nous servent pas à grand chose puisque la machine monétaire est fabriquée comme un explosif.

  7. Le lien entre les bases minimum de la régulation et la solution fédérale, c'est qu'un plus grand ensemble est plus stable qu'un petit dans des conditions de dérégulation générale (mode de dissipation subit rendant l'ensemble instable , sujet à des cycles et aléas).
    Je ne sais pas bien ce que vaudrait la stratégie de mise en place de plus de souveraineté du néochataliste JBB, s'il était premier ministre d'une Europe fédérale?

  8. Il y a beaucoup de choses justes sauf qu'on ne peut isoler la question de la monnaie de beaucoup d'autres paramètres, y compris militaires, ou de rapport de force entre générations par exemple, mais surtout cycliques et les politiques contra-cycliques ne sont pas si évidentes sauf en cas de surchauffe avérée mais presque impossible sur les cycles longs. Encore une fois je trouve que raisonner en terme de cycles longs d'endettement ou d'inflation évite de s'imaginer pouvoir maîtriser un mouvement qui nous dépasse, tout comme de se limiter à un seul facteur.

    Il faudrait au moins introduire le facteur temps dans la nouvelle théorie monétaire qui raisonne comme l'équilibre général en stocks (bilan) plus qu'en flux (profits et pertes). La question de la productivité n'est pas secondaire dans l'affaire étant donnée notre intégration dans la concurrence internationale (car c'est une compétition, une course où ce qu'on gagne d'autres le perdent et peuvent se retrouver distancés, ce n'est pas faire bien ou mal).

    Enfin, si j'approuve la dénonciation du fait que le volant de chômage ait remplacé la monnaie comme variable d'ajustement de l'inflation (NAIRU), il est paradoxal de le dire des USA qui manipulent leur monnaie comme personne jusqu'ici, le chômage étant alors plutôt le contrepoids d'une politique monétaire trop laxiste (qui elle-même est contrainte par d'autres facteurs. A l'opposé de Paul Jorion, je ne crois pas du tout qu'il y aurait toujours une alternative mais plutôt qu'il n'y en a presque jamais et qu'elles doivent se construire de loin en profitant de moments favorables. Il y a seulement beaucoup de fausses alternatives car si la vérité est une, l'erreur est innombrable...).

    PS : je n'avais pas lu encore son projet "d'employeur en dernier ressort" qui est assez ridicule car il impliquerait que le travail soit aussi interchangeable que l'argent et qu'on pourrait donner du travail à n'importe qui, mais dont on peut penser que le revenu garanti et la coopérative municipale sont un peu l'équivalent sauf que c'est l'autonomie et le travail choisi qui en sont la base et non pas la subordination et le travail forcé (sous-qualifié). L'effet serait le même de supprimer la pression à la baisse des salaires (reste qu'il ne faut pas s'illusionner et qu'une inflation des salaires comme en Mai68 est bien annulée par une inflation des prix - mais euthanasie les rentiers dans l'affaire).

  9. Ce qui est comique, c'est que les textes de l'Euro zonarde disaient no bail out comme aux US pour leurs états, et que les agences de notation n'en ont strictement pas tenu compte alors que les dettes privées et publiques restaient du ressort des pays si l'on respectait les règles initiales.

    Donc déjà tout faux pour les agences.

    La commission avait faiblement tiré l'alarme pour la Grèce et l'Espagne qui se sont assises sur cet avis.

    Une agence européenne de notation publique indépendante, oxymore?, aurait
    peut être plus de poids. Mais sans une autorité juridique et politique fédérale forte les souris dansent.

    Le SME était un panier de monnaies mais très instable. L'Euro ne peut fonctionner qu'avec un système de surveillance fort sur les économies. Donc transparence sur les comptes des états et clause de perte complète de souveraineté en cas de dérapage. On ne peut pas adhérer à une zone monétaire unique, mal gérer, et vouloir encore rester un peu souverain.

    Sans cette rigueur en terme d'exhaustivité de l'information sur les comptes publics et privés de chaque état et les moyens de l'appliquer, je ne vois pas comment une UE fédérale peut tenir la route et éviter la cata.

    On peut construire une cabane avec des règles approximatives, mais pas un gratte ciel.

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