Objectivement, ce qui devrait le plus nous préoccuper, c'est bien le risque d'effondrement écologique, de préserver nos conditions de vie et les richesses naturelles. Encore faut-il ne pas se tromper d'effondrement, ce qui ne fait qu'encourager la confusion. Il ne suffit pas de faire un concours d'exagérations au prétexte qu'un effondrement doit inévitablement se produire ! Les prophéties de fin du monde pour l'année prochaine à midi sont une vieille histoire.
On doit bien avouer qu'il n'est pas si facile d'évaluer les risques réels et de les hiérarchiser. La méthode scientifique peut seule nous y aider même si elle ne garantit aucune vérité, se contredisant sans cesse. Ce n'est pas en tout cas une question de convictions personnelles. On a besoin de travaux sérieux et de débats scientifiques, sur le modèle du GIEC pour les risques climatiques. Le rapport de Rome sur les limites de la croissance était un pas dans ce sens mais notre situation a beaucoup changé depuis 1972, les risques principaux n'étant plus tant un épuisement des ressources que le réchauffement climatique et l'effondrement de la biodiversité. Cet effondrement était trop négligé jusqu'ici mais "L'Appel des scientifiques pour le climat" alertant sur l'état catastrophique de la planète, lancé par des écologues et signé par plus de 15.000 scientifiques, met cette fois en avant la perte de la biodiversité et la déforestation en plus de la pollution et du réchauffement.
La prise de conscience de ces risques imminents est d'autant plus importante que nous sommes dans une des phases les plus dangereuses de l'humanité qui continue à croître de façon accélérée (en Afrique surtout maintenant) avant d'atteindre, dans quelques dizaines d'années sans doute, le pic de tout (population, consommation). La démographie pèse effectivement de tout son poids comme ils y insistent, mais bien plus encore le développement des pays les plus peuplés.
Incontestablement un effondrement de la population, qui est loin d'être le plus probable, sans être à écarter pour autant, réduirait brutalement notre empreinte écologique (où l'on voit que les catastrophes ne s'ajoutent pas). Un tel effondrement démographique pourrait venir de causes "naturelles", effondrement écologique ou pandémie favorisée par la surpopulation et les transports, aussi bien que d'un bioterrorisme ou de manipulations génétiques échappant à leurs expérimentateurs. Impossible d'évaluer la probabilité d'une telle hypothèse bien qu'elle semble plus haute que la menace nucléaire dont nous ne sommes pas débarrassés non plus. Ce dont nous nous sommes débarrassés sans doute (pas sûr encore), c'est de la menace d'un astéroïde, mais pas de l'éruption catastrophique d'un supervolcan. Il n'y a pas de certitudes en ces matières mais sur le long terme les risques apparaissent quand même supérieurs à une période de progrès continus, occupée simplement à s'adapter aux nouvelles technologies.
Un effondrement de la population pourrait donc changer la donne mais pour l'instant, c'est tout le contraire même si on en voit le bout, le pic de population mondiale étant prévu entre 2050 et 2100. Le véritable "pic de tout" ne se produira que lorsque toute cette population mondiale aura eu accès au développement. Pas sûr qu'on atteigne ce point sans catastrophe écologique majeure. C'est ce qui rend criminel d'égarer les esprits avec des catastrophes imaginaires, comme s'il n'y en avait pas assez de réelles, pire de rêver d'un effondrement salvateur réalisant nos utopies. L'effondrement du capitalisme fait partie de ces catastrophes imaginaires supposées nous délivrer du mal. Or, les crises du capitalisme sont tout sauf rares. A force de prédire un krach, il finit toujours par se produire (longtemps après) mais ce qui peut être l'effondrement de notre ancienne vie n'a jamais arrêté le capitalisme, exacerbant plutôt la concurrence de tous avec tous et repartant dans un nouveau cycle. Cela ne dépend pas de nous mais des puissances matérielles, il ne faut pas compter sur l'effondrement du capitalisme pour éviter l'effondrement écologique - ce que pourrait seulement la généralisation d'une économie relocalisée ?
Une autre catastrophe supposée salvatrice par les écologistes énergétistes, c'est le prétendu manque d'énergie et de pétrole alors que du pétrole, il y en a au contraire bien trop et que c'est ça notre problème, de continuer à émettre des gaz à effet de serre pour longtemps. On n'a pas encore atteint le pic de consommation, annoncé un peu trop précipitamment car ne concernant que les pays développés pour l'instant, et la production devrait effectivement être inférieure à la demande dans les années qui viennent (dès 2020) par manque d'investissements depuis 2015 (sauf si l'Iran revient dans le jeu). Les prix vont donc monter, ce qui est une très bonne nouvelle pour les énergies alternatives, même si cela peut provoquer une crise économique. Il est déplorable d'utiliser les prévisions de l'Agence Internationale de l'Energie pour leur faire dire tout autre chose, ne parlant pas du tout d'épuisement du pétrole mais seulement de capacités insuffisantes d'extraction à court terme. Il ne faut pas compter non plus sur la fin du pétrole pour arrêter notre système de production, ni plus généralement sur le manque d'énergie alors que le soleil nous en donne bien plus qu'il n'en faut. Avec retard la transition énergétique est bien entamée et devenue concurrentielle même si, au rythme actuel, il faudrait 400 ans pour l'achever, mais on n'en est qu'au début et il est difficile d'aller plus vite dans une reconversion de si grande ampleur.
L'épuisement d'autres ressources a été régulièrement surestimé en se basant sur les gisements déjà connus (ou le rythme de leur découverte) et l'état des techniques de l'époque. L'exploitation de la planète reste très superficielle, il faut faire le tri entre ce qu'on pourra trouver plus profondément (certes à un coût supérieur) et ce qui risque vraiment de manquer comme le phosphore (si on ne trouve pas comment le recycler). Les ressources physiques ne sont pas aussi préoccupantes que la destruction de nos écosystèmes, notamment grâce aux progrès technologiques qui seront de précieux alliés dont on ne pourra absolument pas se passer malgré les écologistes persuadés que c'est la technique elle-même qui est la catastrophe. Et certes, il n'y aurait pas de production industrielle sans la techno-science mais aucun retour en arrière n'est possible, s'attaquer à la technique ne sert à rien, n'a jamais rien changé. C'est perdre son temps.
Il faut s'attaquer aux véritables problèmes que sont 1) le réchauffement climatique, pouvant s'emballer, et qui rend urgent l'accélération de la transition énergétique et la capture du CO2, 2) la déforestation aggravant le réchauffement, détruisant les écosystèmes, et qu'il faudrait absolument inverser, 3) la perte de biodiversité enfin qui devient visible et alarmante, représentant sans doute le plus grand danger à court terme, bien trop sous-estimé jusqu'ici, avec la disparition, surtout depuis 2008, des insectes, des abeilles, des oiseaux, etc. "Il n’y a quasiment plus d’insectes, c’est ça le problème numéro un", martèle Vincent Bretagnolle. On a du mal à réaliser l'étendue des conséquences. Il ne s'agit pas d'annoncer la fin du monde ni d'en rajouter mais pour avoir une chance d'en réduire l'impact, on a bien besoin des travaux de la "Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques", équivalent du GIEC pour la biodiversité, travaux qui devront eux aussi venir au centre des débats publics avec, plus localement, la question de l'épuisement de l'eau et des sols.
La traduction de ces avertissements en politiques efficaces reste à résoudre. Il ne faut pas surestimer nos moyens mais rien ne se règlera tout seul, ni par une crise économique, politique, énergétique nous sauvant de l'effondrement écologique, mais par des stratégies efficaces sur tous les fronts du global au local (ainsi la régénération des sols et des méthodes d'agriculture plus écologiques pourrait à la fois restaurer la productivité, sauver les insectes et capturer de grandes quantité de CO2). L'action locale et la relocalisation de l'économie doivent être réévalués par rapport à un changement global qui se fait attendre. C'est toute l'importance de ne pas se tromper de diagnostic pour que ce ne soit pas seulement devant la catastrophe qu'on se décide à réagir à la mesure des enjeux.
En tout cas, l'avenir n'est pas un long fleuve tranquille, la menace d'effondrement restant bien réelle jusqu'au pic de population au moins, exigeant pendant cette période notre vigilance constante, notre intelligence et notre mobilisation pour des mesures effectives, pas pour continuer à rêver ni croire à une catastrophe qui nous sauverait de nous-mêmes !
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