Le langage de la conscience

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Les progrès rapides de l'Intelligence Artificielle et de l'étude du cerveau posent à nouveaux frais la question de la conscience dont on voudrait doter les robots, imaginant le pire et mettant du coup en question notre identité humaine. C'est qu'il y a confusion entre différents niveaux de conscience. Il y a sans conteste une conscience qu'on peut dire animale ou cognitive, se distinguant de l'inconscience totale des automatismes ordinaires et impliquant une certaine conscience de soi, de sa position dans l'espace. On voit bien cependant que cela n'a rien à voir avec notre propre conscience qu'Alain assimilait à la conscience morale et qui est plus largement une conscience sociale et de notre responsabilité, ce qui constitue notre identité. Or, celle-ci n'est pas réductible au calcul ni à l'imitation mais implique le langage narratif, condition d'un monde commun, ainsi qu'un récit de soi, condition de l'individuation. On s'éloigne ainsi du cognitivisme comme de la crainte de pulsions maléfiques prêtées à tort aux machines pour retrouver les pulsions maléfiques des humains qui se racontent des histoires...

Il ne s'agit pas de contester les études de spécialistes comme Stanislas Dehaene, même s'il y a des théories divergentes, mais plutôt de savoir de quoi on parle quand on parle de conscience. On peut évacuer rapidement l'assimilation de la conscience à un simple épiphénomène, ce qui est une mauvaise interprétation d'un retard de la conscience sur la décision (qui peut certes aller jusqu'à une demi seconde), mais le phénomène de la conscience a bien une fonction spécifique et un corollaire neurologique, ou plutôt plusieurs car il y a plusieurs types de consciences, pas seulement l'éveil, qui nous permet d'éviter automatiquement des obstacles. Il ne suffit pas non plus d'opposer la conscience aux réactions inconscientes, ce qui est la définition dominante mais qui recouvre différentes consciences et ne rend pas compte de ce qui constitue notre conscience humaine.

Il y a un niveau animal de conscience et de réflexion qui consiste à inhiber l'action pour rechercher des informations complémentaires et comparer différentes évaluations quand une réaction automatique inconsciente n'a pas été possible. C'est une conscience immédiate qu'on peut définir comme manque d'information, ce qui ne suffit pas à faire une personne consciente ni une conscience durable (conscience de soi et de sa place dans un monde commun). On est juste au niveau d'un traitement conscient, de la méta-cognition (notre savoir sur notre savoir), d'une centralisation des données et d'une reconstruction de la situation pour engager un mouvement, prendre une décision. Cette conscience se réduit ici à une focalisation de l'attention qui se substitue aux traitements parallèles automatiques (on parle de goulot d'étranglement), échappant en partie au moins aux automatismes de la nature (comportements instinctifs) ce qui implique aussi, comme on l'a dit, une certaine conscience de soi, de sa position, de ses possibles, y compris pour un animal. Rien ne semble s'opposer à pouvoir implanter un tel mécanisme dans un robot, cela paraît même indispensable.

Ce réductionnisme qui prétend reproduire notre conscience en la cherchant dans le cerveau nous réduit effectivement à des machines, faisant l'impasse sur notre formation et tout ce qui nous constitue de l'extérieur, ce que nous, nous appelons notre (petite) conscience. Les philosophes qui assimilaient conscience et responsabilité morale ne pouvaient avoir complètement tort mais il est clair qu'on ne parle pas de la même chose que la conscience animale. C'est ce qui peut choquer dans la prétention de donner une conscience aux robots, mettant ainsi en cause notre identité humaine qui est justement au coeur de notre conscience, de notre présence au monde et de nos préoccupations, au-delà de la biologie et du mécanisme cognitif lui-même.

Après avoir insisté sur les mauvais côtés de l'identité - nous enfermant dans notre passé ou nos habitudes (en-soi) et construite dans l'opposition à l'autre (au non identique, au bouc émissaire, à l'étranger, l'esclave ou l'animal) - il faut revenir sur ses côtés positifs et admettre que nous ne pouvons nous en passer, ne craignant rien plus que de perdre notre identité (on connaît le malheur de n'être personne, et qui donc désirerait être heureux mais fou?). De sorte que notre conscience est essentiellement conscience de notre identité et de notre image (plus que simple conscience de soi animale), d'une continuité entre notre passé et notre avenir, possibilité de dire "je" qui est un "nous" à qui on s'adresse puisqu'il n'y a de sens que commun sauf pour les idiots. Certes, on a vu que l'identité était multiple, changeante, floue, incertaine, contradictoire et surtout relationnelle. On se réclame de nos origines, d'une tradition, d'un peuple, d'une race ou de notre espèce seulement par défaut, quand on ne sait pas se réclamer d'une fonction, d'un titre ou d'une hiérarchie, de notre place dans la société ou de nos compétences particulières. La conscience de soi consiste pour nous à se poser en toute circonstance la question de notre identité, moins à la postuler ou l'affirmer qu'à la refaire, la reconstruire en posant sans cesse la question de notre reconnaissance, de qui suis-je pour les autres, ce qu'on attend de moi. La conscience de soi est d'abord conscience de soi au regard de l'autre, conscience de la représentation que l'autre a de moi et à laquelle on répond, pouvant nourrir la passion de la corriger au nom de notre véritable identité, l'image idéale que nous avons de nous-même, nos valeurs et appartenances, la continuité d'une histoire et la responsabilité qu'elle entraîne, celle de tenir son rang et de la parole donnée. Cette dimension identitaire de la conscience de soi sort du biologique et déborde la fonction de synthèse de la conscience, l'individualisation n'étant pas originelle mais construite à partir d'un discours courant qu'on adopte ou d'une nomination qui nous y intègre. Il faut insister sur le fait que le langage ne détermine pas seulement l'identité comme classification et différenciation statique mais surtout comme récit de soi permettant de se situer dans un parcours et de planifier notre avenir. Loin d'un simple éveil des sens, notre conscience se révèle identification narcissique et discours intérieur.

Ce qui spécifie notre humanité est bien difficile à définir, tout ce qui semblait nous différencier (du rire à la planification ou la fabrication d'outils) pouvant trouver au moins des ébauches animales. On a fini par se persuader qu'il n'y a de propre à l'homme que le langage narratif. Non pas seulement un langage de signes utilitaire ni, bien sûr, la communication, mais la possibilité de parler de ce qui n'est pas là, de raconter des histoires. Sans doute que les emboîtements en phonèmes, mots, phrases, unité de sens sont essentiels à la constitution d'une langue mais l'important, c'est le résultat qui fait exister un monde commun continuant à exister hors de nous, même quand on en est loin. Etienne Bimbenet fait de ce monde commun le marqueur de notre humanité, nous différenciant des chimpanzés notamment, mais il ne se rend pas compte que c'est le langage narratif qui le permet pas seulement la désignation. Tout le reste s'ensuit, vérité et mensonges, universel et intériorité, le besoin de donner sens, de se raconter, de forger un mythe des origines, d'instituer des religions du salut, de croire à une autre vie après la mort - refus de la conscience de la mort en même temps qu'affirmation qu'on vaut mieux que la vie animale et qu'on peut mettre sa vie en jeu pour ce qui nous dépasse, pour la reconnaissance des autres ou pour fuir la honte et le déshonneur. La responsabilité envers son interlocuteur serait d'ailleurs identique avec des extraterrestres tout comme la moralité inhérente au langage. Il faut souligner que l'existence d'un monde commun remet en cause la phénoménologie d'un sujet constituant. Sartre avait déjà remarqué que l'autre échappe à notre intentionalité, il a sa vie propre avec laquelle nous devons composer, mais, comme le montrera le structuralisme, c'est aussi le cas du monde culturel en dehors de nous, qui ne dépend pas du sujet mais s'impose à lui - tout comme le fait le système de production - structurant sa conscience (qui n'est pas simple, pure négativité, mais structurée), bien plus que la conscience ne structure son objet.

Comme je déplorais depuis longtemps "l'oubli du récit", j'avais été très agréablement surpris du succès rencontré par le livre de Yuval Harari, Sapiens, faisant du langage narratif la clef de notre révolution cognitive autour de 70 000 ans. A première vue, il disait la même chose que moi, mais en fait, c'est assez différent sur le fond, pas sur les faits. Pour lui, l'importance du langage narratif est de faire exister ce qui n'existe pas, donc le monde des esprits et des religions plus tardives. Il y voit la condition de coopérations élargies aux inconnus d'une même religion. On peut y objecter que les groupes élargis, impliquant une baisse de testostérone, précèdent un langage et une culture complexes dont ils sont une condition mais surtout, une langue commune est en soi un support suffisant aux coopérations éloignées même si des croyances communes renforcent la confiance et auront un rôle important.

Il reste crucial de montrer en quoi la narration (la prose du monde, le discours indirect, non pas la communication ni l'expression ou la poésie) est effectivement constitutive de notre conscience humaine en faisant exister un monde commun, faisant exister ce qui n'est pas immédiatement présent et donc aussi ce qui est pure fiction comme une personnalité morale constituant l'entreprise aussi bien qu'un autre monde, monde des morts et des esprits où Yuval Harari ne voit que des mythes aussi arbitraires que les langages dans leur diversité (tout comme égalité et liberté seraient arbitraires). Sauf, qu'introduire l'après-coup de la sélection par le résultat introduit des causalités très matérielles là où il ne voit qu'illusion rétrospective et arbitraire du signe, comme si le langage et l'idéologie n'avaient aucun rapport avec l'infrastructure et le monde dont ils parlent, simples mèmes qui se reproduisent pour de mystérieuses raisons... Il est vrai que si la narration institue un monde commun, cela n'empêche pas qu'il y ait une diversité de récits en concurrence et donc plusieurs "mondes communs", contradiction qui nous divise, nourrit les conflits et la nostalgie d'une communauté perdue, d'un sens unique. "Aussi faut-il suivre le (logos) commun", dit Héraclite "mais quoiqu’il soit commun à tous, la plupart vivent comme s’ils avaient une intelligence à eux". Ce que manque cet idéalisme post-moderne ne voyant qu'arbitraire des mythes et relativisme culturel, c'est la logique du récit d'un côté et le fait massif que l'évolution technique a sa propre logique, que les divers récits ne font qu'habiller. Certes, l'idéologie a un rôle décisif localement, ce qu'un matérialisme mécaniste ne pourrait expliquer, mais il ne faut pas pour autant inverser les causes. S'il y a bien un développement cognitif et culturel, ce n'est pas tant l'auto-développement de l'Esprit ou de l'Humanité ni de ses contradictions internes mais une évolution matérielle sous pression environnementale, largement indépendante de nous, qui sélectionne ce qui marche et ne serait pas si différente dans les grandes lignes pour d'autres êtres parlants sur d'autres planètes avec d'autres idéologies.

Le tournant linguistique des années 1960, qui était parti pourtant de la morphologie du conte, a bizarrement négligé le cadre narratif pour se focaliser sur la phonologie et les structures mais la pensée ne se réduit pas aux symboles ni aux signifiants, elle raconte des histoires et donne des explications causales qui ne relèvent pas de la pratique, d'un apprentissage répété, mais d'un savoir hérité, dogmatique. Ces fictions justificatrices et normatives font exister un ordre imaginaire intersubjectif (fétichisme de l'argent, hiérarchie, etc.) qui n'est pas illusoire pour autant mais fonctionnel, productif et donc lié intimement au mode de production. Ainsi, on peut penser que le langage narratif est une condition nécessaire à la projection dans un futur lointain, ce n'est peut-être pas une condition suffisante si on en croit les mythes des origines tournés plutôt vers le passé. Sans doute qu'avec l'agriculture, l'attente des récoltes a dû renforcer le souci de l'avenir mais plutôt sous la forme cyclique d'un éternel retour semble-t-il. A notre époque, c'est l'accélération technologique et les menaces écologiques qui nous rendent inquiets de l'avenir et nous obligent à la prospective, anxieux ou impatients de connaître la fin de l'histoire. Ce qui nous paraît inhérent à la conscience ou à la narration risque de n'être lié finalement qu'à notre stade actuel ?

Le langage est aussi vieux que la conscience, - le langage est la conscience réelle, pratique, existant aussi pour d'autres hommes, existant donc alors seulement pour moi-même aussi. (Karl Marx, L'idéologie allemande)

On voit comme il suffit du langage narratif, presque rien, pour distinguer radicalement le monde de l'être parlant et celui de l'animal. Notre conscience humaine narcissique (sous le regard des autres) est essentiellement un produit du langage, la continuité d'un récit (qui ne se réduit pas à la mémoire), nous occupant à "vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire" (Pascal). La caractéristique de notre conscience que ne prennent pas en compte les cognitivistes, c'est qu'elle consiste en un bavardage continuel (il n'y a pas que les fous qui entendent des voix, ils ne font que les attribuer à d'autres). Plus qu'imagination ou flux de sensations, notre conscience est biographique et sociale. On pense aux autres, à ce qu'ils pourraient dire et les pensées qui nous viennent sont le plus souvent des phrases, des argumentations. Que ce soit aux reproches imaginés de quelqu'un d'autre qu'on répond silencieusement, en ruminant ses griefs, ou des chansons insistantes ou toutes sortes de discours ou commérages, ce sont moins des "réflexions" que des formulations qui nous viennent et la reconstruction permanente de notre histoire.

C'est tout cela qu'on semble oublier en réduisant la pensée à un flot d'informations ou de calculs, qui existent bien dans notre cerveau et notre système de perception, mais auxquels on voudrait prêter paradoxalement une volonté individuelle qui n'a aucun sens hors d'une conscience sociale et d'un récit de soi ! On ne voit pas encore comment on pourrait implanter ce genre de conscience dans un robot pour le doter d'une véritable identité. Il faudrait d'abord comprendre le langage, ce qui est loin d'être le cas jusqu'ici. Qu'on implante dans une Intelligence Artificielle l'équivalent d'une conscience animale (qui pourrait souffrir ?) n'a pas du tout la même portée. Ce que cela révèle, au contraire, c'est ce qui nous en distingue et nous fait humains, irrémédiablement, qui se résume finalement à croire aux histoires qu'on nous raconte...

Ulrich Neisser (1928-2012), psychocogniticien à l'Université Cornell, écrivait : « Se souvenir, ce n'est pas comme écouter un enregistrement ou regarder un tableau ; c'est plutôt comme raconter une histoire. »

Le réseau par défaut du cerveau responsable du vagabondage de l'esprit abrite les deux aires principales du langage : l'aire de Broca (responsable de la production de mots), dans le cortex préfrontal, et l'aire de Wernicke (impliquée dans le décodage des mots), dans une région recouvrant le lobe pariétal et le lobe temporal.

« Quelle est la seule chose évidente que nous, les humains, faisons, et qu'ils ne font pas ? Les chimpanzés peuvent apprendre le langage des signes, mais dans la nature, pour ce que nous en savons, ils sont incapables de communiquer à propos de choses qui ne sont pas présentes. Ils ne peuvent pas enseigner ce qui s'est passé il y a 100 ans, sauf en manifestant de la peur à certains endroits. Ils ne peuvent certainement pas faire de projets pour les cinq années à venir. » (Jane Goodall)
L'esprit vagabond et le langage

Suite : L’existence éthique de l’être parlant.

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57 réflexions au sujet de “Le langage de la conscience”

    • Moi, je rêve peu. Ordinairement je ne fais que ressasser les soucis de la journée. Il y a bien sûr des exceptions. Je ne pense pas cependant que les rêves appartiennent complètement au langage, d'ailleurs les animaux rêvent. Freud parlait de "mise en scène", on est donc plutôt dans l'image, sauf que les personnages y parlent et que le psychanalyste n'a affaire qu'au récit du rêve, où les mots choisis sont significatifs, renvoyant à un supposé texte sous-jacent. On ne peut pas parler vraiment de conscience si on dort, mais on a un statut d'observateur, rarement critique. On peut paraît-il s'exercer malgré tout à maîtriser ses rêves, ce qui se rapprocherait de la conscience, d'une demi-conscience ?

      • Je dois être un cas à part, car dans certains de mes rêves, il y a du langage, des sortes de dialogues et réflexions qui seraient dignes d'un livre, et qui me font penser que mon mode de réflexion onirique fait partie d'une autre personne/monde que mon mode de réflexion diurne.

        Le problème, c'est qu'il ne m'en reste que des bribes au réveil.

        • Je dis bien que les personnages d'un rêve parlent mais il y a aussi des situations sans parole, le rêve n'étant pas entièrement langage mais aussi réminiscences, consolidation de la mémoire, le langage s'y introduisant plutôt comme reste diurne. Du moins, c 'est une hypothèse pour ne pas annexer complètement le rêve au langage du fait que les animaux rêvent aussi.

  1. Les progrès rapides de l'Intelligence Artificielle et de l'étude du cerveau posent à nouveaux frais la question de la conscience dont on voudrait doter les robots, imaginant le pire et mettant du coup en question notre identité humaine
    Le clonage (Dolly) me semble être un évènement qui remet question notre identité de façon très bouleversante. Peut-être encore plus que les robots "intelligents". Je me suis dit à l'époque de Dolly que le clonage, bien qu'il ne concerne que si peu d'êtres vivants aujourd'hui, allait être le rocher sur lequel les religions du livre allaient se fracasser (le Bouddhisme ou l'animisme résistant mieux), est-ce en cours?

  2. Certes, l'idéologie a un rôle décisif localement, ce qu'un matérialisme mécaniste ne pourrait expliquer, mais il ne faut pas pour autant inverser les causes
    Un matérialisme mécaniste pourrait l'expliquer s'il intégrait que l'idéologie est une réalité en interaction avec les autres réalités. Le mécanisme idéologique, quand il concerne une idéologie collective, apporte une cohésion à un groupe, cette cohésion est bien un phénomène matériel.

    • Non, il faut maintenir le dualisme de l'esprit et de la matière qui sont deux domaines différents avec leurs lois propres. Il est vrai que l'idéologie devient une puissance matérielle quand elle s'empare des masses et assure sa cohésion mais cela ne dit rien de son contenu. Le matérialisme mécaniste supposerait que l'idéologie dérive directement des conditions matérielles, ce qui n'est pas le cas étant seulement sélectionnée après-coup par le résultat matériel. Même si l'idéologie dépend de la position sociale, la théorie de la conscience-reflet qu'adoptait la plupart des marxistes, y compris Lukàcs, ne tient pas la route, il y a bien interactions entre deux ordres distincts, l'idéologie étant dépendante de l'histoire alors que l'économie dépend des techniques, ce qui finit par influencer l'idéologie qui l'intègre dans son récit.

      • A un premier niveau, la réalité n'est qu'une, et il peut donc être légitime de considérer la réalité de nos représentations comme une réalité en interaction avec les autres réalités, surtout s'il s'agit d'idéologie dont le poids peut être très important, comme c'est le cas avec les religions ou le fascisme ou le communisme (sans vouloir les mettre dans le même sac). A un second niveau, le dualisme de l'esprit et de la matière est un choix de catégorie assez efficace, et à ce titre il est aussi légitime de l'utiliser.

    • Oui, on peut faire dériver la conscience de la culpabilité et du devoir-être. La question de l'émergence de la conscience peut se prendre au niveau du développement de l'enfant et de son individuation (du social à l'individuel) où le mensonge révèle une intériorité opaque à l'autre et la culpabilité (si présente chez les enfants) interroge son rapport à l'autre, éveillant sa conscience morale, sa responsabilité d'être parlant.

      Un robot pourrait se demander s'il n'a pas déçu, s'il a effrayé, se réglant sur les réactions des utilisateurs pour s'améliorer, il ne pourrait se sentir coupable ni avoir honte.

  3. Ce texte m’a donné envie d’approfondir la remarque faite sur le temps de retard (jusqu’à une demie seconde) entre un signal perçu et sa réponse, dans la vie courante, par défaut d’attention ou manque d’éveil. Cette remarque m’a conduit - en relisant les notes de lecture mises sur son site par Jacques Darriulat à propos des deux ouvrages de Deleuze sur le cinéma- à remarquer ceci: A une autre échelle, parlons donc de ce temps utile de réflexion, comme rupture ou changement de vitesse du fil des réponses instinctives habituelles entre l’image-perception et l’image-action . Soit l’embrayage que constitue l’image –affection. Ce qui nous ramène au propos de votre billet sur langage et conscience. Au cinéma pour laisser jouer ce temps de « prise de conscience », on a appris à couper le récit par des séquences sollicitant l’affectivité du spectateur ( gros plan sur un ou des visages, ou sur une scène dramatique sans lien direct avec les acteurs principaux du drame). Depuis le XIXeme siècle la littérature a inventé aussi le style du « courant de conscience », d’écriture de la conscience, une sorte de monologue, sans interlocuteur, mais qui lève le voile sur la représentation de soi dans le récit. En politique, ce temps de la prise conscience d’une catastrophe annoncée, non pas en tant que prophétie, mais par des intellectuels ou spécialistes donnant l’alerte en se basant sur des données concrètes,peut être malheureusement très long et susciter d’ailleurs beaucoup de discours faisant diversion pour éviter l’action. Sous prétexte que le vrai du probable n’apparaîtra que dans le futur...

    • Non, il ne s'agit pas du temps de réflexion mais du délai entre ce qu'on peut voir par l'imagerie cérébrale d'une décision prise, activant les zones concernés du mouvement, et la conscience explicite de cette décision. La réflexion peut être plus ou moins longue mais elle requiert en permanence des évaluations qui sont le fait de processus inconscients, comme la perception est le résultat de toute une reconstruction mentale, le processus de perception n'étant pas perceptible mais prenant du temps même s'il est quand même presque immédiat pour la perception de l'image. Le délai auquel je faisais allusion ne concerne pas le temps de comprendre ni de la perception (le temps de voir) mais entre la décision cérébrale et sa conscience qui enregistre le résultat obtenu (et peut d'ailleurs s'y opposer, arrêter le geste). Il faut dire que les tests qui donnent le délai le plus long concernent des décisions arbitraires comme d'appuyer sur un bouton quand on veut ! ce qui n'a rien à voir avec une conscience ordinaire et une réflexion rationnelle qui doit choisir entre deux options à évaluer.

      J'aurais pu par contre convoquer la différance de Derrida comme différenciation constamment différée ou suspendue de l'identité rejoignant le Pour-soi de Sartre comme activité de la conscience.

      • Dans la vie quotidienne on évite en effet la réflexion rationnelle entre plusieurs options possibles, en laissant nos sensations obéir à la conscience commune d’un monde rassurant, habité selon les concepts les normes et des codes dont on a partagé l’apprentissage. Heureuses habitudes !
        Francisco Varela dans « l’inscription corporelle de l’esprit » ( Points ) parle aussi du moment de conscience de l’esprit qui demande - selon les écoles bouddhistes auxquelles il se réfère également en plus des méthodes expérimentales sur les liaisons et réseaux neuronaux - au moins 5 « facteurs mentaux » qui ensemble lient le mental à son objet :
        « Il y a donc un contact entre l’esprit et son objet, une certaine tonalité de sentiment qui le reconnaît comme agréable désagréable ou neutre, un discernement de l’objet, une intention dirigée vers l’objet, et une attention à l’objet » (page 132) Dans le chapitre suivant, si j’ai bien compris, Varela reproche aux sciences dites cognitives une recherche hors de l’homme social « jusqu’ici poursuivie indépendamment de toute analyse disciplinée et de tout examen direct de l’expérience humaine ». Donc elles postulent un humain « dénué de son moi » ? La question n’est pas close ( page 220 et suivantes) comme celle de "savoir ce que pourrait être un réseau neuronal pour soutenir un Dasein, une existence incarnée ?» Ne faisons-nous pas ainsi l’inventaire d’une structure de pensée sans conscience, vers un esprit qui n’a pas de vie, pas de soi « hors du laboratoire»?

        • Les sciences ont besoin d'être modestes au départ, le fait d'étudier la conscience animale d'abord et une conscience dépouillée du social était une nécessité qui a permis bien des progrès mais, bien sûr, comme je l'argumente, cela ne correspond pas à notre conscience langagière et identitaire, ce qu'il faudrait reconnaître.

          En fait, ce qui devrait imposer cette distinction entre nature et culture, ce sont les études culturalistes et en premier lieu, les études sur le genre qui montrent à quel point le naturel est recouvert par le culturel. Il n'y a plus de sensation directe, authentique, qui resterait indemne du langage et de ses projections. C'est une question éminemment politique.

          Il est dommage cependant que ces évidences nourrissent souvent un constructivisme totalitaire qui se croit obligé de nier le substrat biologique qui ne disparaît pas pour autant, pas plus que les lois de l'évolution ni les mécanismes cognitifs et la conscience animale, simplement envahie, parasitée par les discours ambiants et les normes sociales. Il est vrai qu'il est difficile de faire la part des choses entre un mysticisme délirant et un matérialisme réductionniste.

          Le dualisme est précieux de permettre de préserver les spécificités du corps et de l'esprit sans vouloir ramener l'un à l'autre dans leur confusion mais on n'est plus dans un dualisme strict à opposer le culturel au cognitif puisque se superposant au dualisme de l'information et de la matière, division qui se propage dialectiquement dans le culturel ensuite, etc.

  4. 2 jours après cet article, Rémi Sussan a publié sur Internet.actu "La conscience, un phénomène historique ?" consacré surtout aux théories de Julian Jaynes pourtant particulièrement débiles sur l'origine de la conscience par l'effondrement de la séparation entre nos deux hémisphères ! Contrairement à ce que suggère la vidéo jointe, Julian Jaynes ne fait pas de la narration l'origine de la conscience de soi, même s'il met le langage à l'origine mais plutôt la métaphore et l'impératif pas le récit lui-même. Au moins, cela témoigne de l'égarement des esprits sur le sujet qu'il faudrait approfondir.

    Le fait qu'il y ait une historicité de la conscience de soi est une évidence depuis longtemps mais supposer que les Grecs en étaient dépourvus est risible. Par contre, il est vrai que le salariat, le revenu individuel et la différenciation des parcours a renforcé la conscience de soi purement individuelle et notre responsabilité donc, de même que l'agriculture et la culpabilité envers les dieux avait modifié cette conscience de soi qui existe malgré tout chez les chasseurs-cueilleurs (mais certains prétendent que les Chinois d’aujourd’hui n'auraient toujours pas de conscience de soi et seulement de leur groupe !).

  5. Bonjour,
    Harari n'a fait que considérer l'homme comme un étant. Il est l'un des représentants de l'achèvement de la métaphysique et il est passé à côté de l'essence de l'homme. Il y a une différence ontologique entre le langage et l'essence, la forme et le contenu

  6. Cette thèse d'une "bicaméralité" du cerveau est en effet délirante, mais drôle, qui postule une sorte de latéralisation entre l'activité de l'artiste qui occuperait la chambre de droite d'où il propose à partir de ses facultés sensori-motrices une représentation du dehors , alors que le littéraire dispose dans la chambre de gauche d'une aire de Broca ouverte sur ses états de conscience?
    Dont acte pour un droitier, mais chez un gaucher ? Justement un site internet prétend que chez le gaucher, l'hôtel cérébral est moins clairement organisé!

  7. La première phrase de votre article pose la question suivante : est-ce que l’Intelligence Artificielle des robots pourra accéder à une conscience de type humain ?

    On parle bien de conscience évoluée, c’est-à-dire conscience de Soi, de son identité, de ce que l’on sait, de ce que l’on ignore, de ce qui est nécessaire à faire et le planifier pour arriver à un but que l’on s’est fixé en relation avec le monde qui nous entoure. La conscience morale du bien et du mal. La conscience d’être à la fois autonome et dépendant des autres. La conscience politique qui rend capable d’accepter une privation de liberté individuelle parce que l’harmonie collective est à terme plus bénéfique aussi pour soi, etc…
    La conscience de soi apparait vers 3 ans, et j’ai eu le bonheur d’assister au premier JE de ma petite fille. La conscience s’éveille tout au long de l’apprentissage, la conscience émerge progressivement façonnée par la culture acquise.

    Est-ce que cette conscience évoluée est juste le résultat d’une activité biologique ? A mon avis, et je n’en ai jamais douté, oui, nous sommes juste une machine biologique. Autrefois, il était difficile de se passer de l’âme pour expliquer la complexité de la pensée (et cela reste toujours tentant). Ces 30 dernières années les progrès sur la connaissance du cerveau démontrent son extraordinaire complexité, notamment grâce à l’imagerie médicale. Juste deux chiffres, 200 milliards de neurones sont connectés par un câblage de 100 000 kilomètres qui se reconfigure tout au long de sa vie (épigenèse et plasticité). Antonio Damasio a mis en évidence le rôle essentiel des émotions ressenties dans son corps. Le cerveau est certainement la machine la plus complexe de l’univers, la biologie en est le support. Cette hyper-complexité biologique suffit, à mon avis, à expliquer la complexité de la pensée, notamment la conscience évoluée.

    En IA nous en sommes aux balbutiements, on simule au plus quelques milliers de neurones, en dépensant une énergie de plusieurs milliers de watts alors que le cerveau de 100 milliards de neurones fonctionne avec moins de 20 watts. Nous ne sommes pas dans les mêmes ordres de grandeur. L’IA effectue des opérations complexes et rapides mais pour l’instant les chercheurs ne savent pas faire expliquer à l’IA sa décision lorsqu’on lui signale une erreur manifeste de jugement.

    Je pense que la complexité de la conscience humaine se situe dans sa capacité à verbaliser sa décision, à écouter un avis extérieur, à argumenter sa position jusqu’à comprendre son erreur pour corriger son point de vue. Corriger son point de vue exige de posséder un référent culturel modifiable selon des critères eux-mêmes culturels. Pas de conscience sans culture.

    Si le robot ne dispose pas d’une conscience, il restera un automate, puissant, rapide, utile, éventuellement dangereux, mais un automate esclave de l’humain qui maîtrise son code.

    En conclusion,
    Même si la conscience humaine résulte d’une activité biophysique purement matérielle et cela ne fait plus aucun doute, le développement d’une conscience de ce type dans un robot basé sur nos calculateurs actuels se heurte à un mur de complexité et énergétique infranchissable de plusieurs ordres de grandeur.

    A mon avis, la réponse à la première question est non.

    Voir http://www.tekamat.com/la-conscience/#more-123

  8. En avant première de la revue des sciences cet article de Pour la Science sur Le discours intérieur :

    Converser mentalement avec soi-même fait partie du quotidien de chaque individu. Quel est le rôle de ce langage intérieur et quelles sont ses caractéristiques ? L'imagerie du cerveau en activité apporte un éclairage sur ces questions.

    Quand on leur demande de décrire ce qui se passe dans leur tête, les gens disent souvent que leur vie intérieure est peuplée d'une multitude de mots. Les psychologues utilisent les termes de discours ou langage intérieur pour décrire ce phénomène.

    Le « discours privé », consistant à se parler à soi-même de manière audible, est son cousin. Si vous vous dites : « N'oublie pas d'acheter du café », ou : « Concentre-toi sur ton objectif » sans émettre un son, alors vous utilisez le discours intérieur. Si vous dites à peu près la même chose à voix haute, il s'agit de discours privé.

    Chez l'adulte, le discours intérieur tend à être plus fréquent que le discours privé ; il intéresse tout particulièrement les psychologues, car c'est sans doute la forme de langage qui occupe la plus grande place dans notre pensée.

    Entrez dans n'importe quelle crèche ou école maternelle, n'importe où dans le monde, et vous verrez (et entendrez) une classe entière d'enfants pensant tout haut, c'est même assez bruyant. Or ce phénomène naturel qu'est le discours privé fournit des éléments significatifs sur les zones de notre cerveau d'où proviennent ces mots.

    Dans les années 1930, un psychologue russe du nom de Lev Vygotski émit une autre hypothèse, selon laquelle les enfants réutilisent délibérément des termes qu'ils ont déjà réussi à employer dans le cadre d'une interaction sociale avec d'autres personnes. Au lieu d'influer sur le comportement d'autrui, ils s'en serviraient pour se contrôler eux-mêmes. Au cours des récentes décennies, les recherches sont venues étayer la théorie de Vygotski sur la façon dont le discours intérieur se développe et acquiert peu à peu ses fonctions.

    L'une des implications les plus importantes de la théorie de Vygotski est que le discours intérieur aurait la même structure que la conversation à voix haute : c'est-à-dire la qualité d'un dialogue entre différents points de vue.

    Lorsque les participants étaient engagés dans un dialogue intérieur, le réseau de langage semblait fonctionner conjointement avec une partie du système de cognition sociale, située dans l'hémisphère droit, près de la jonction entre le lobe temporal et le lobe pariétal. Ce schéma n'apparaissait pas quand les participants produisaient un monologue silencieux.

    Ce lien neuronal entre le langage et la cognition sociale semble corroborer les intuitions de Lev Vygotski selon lesquelles, lorsque les gens se parlent à eux-mêmes, ils s'engagent dans une véritable conversation.

    En termes de configuration de l'activation cérébrale, il y a un assez grand contraste entre le discours intérieur survenant de manière naturelle et celui qui a été provoqué sur demande.

    Vygotski a noté que le discours intérieur et le discours privé étaient souvent abrégés, comparés aux paroles que l'on prononce quand on s'adresse à autrui. Quand on se parle à soi-même, il est en général inutile de composer des phrases complètes.

    Seule une minorité de gens ont indiqué que leur discours intérieur avait tendance à être condensé, mais cette caractéristique est suffisamment courante pour justifier des investigations supplémentaires.

    La nouvelle science du discours intérieur nous dit qu'il est tout sauf un processus solitaire. Sa puissance vient en grande partie de la façon dont il orchestre le dialogue entre différents points de vue.

    Il est fascinant de voir qu'une étude consacrée au langage intérieur ne parle jamais du langage lui-même, de ce que la narration permet. Par contre on voit une certaine identification du discours intérieur au surmoi et à l'intériorisation du social, expliquant comment il parasite notre conscience biologique avec des discours extérieurs. Ce qu'on ne comprend pas du coup, c'est ceux qui, comme Stanislas Dehaene, étudient la conscience sans en tenir compte.

        • Dans une approche scientifique de la connaissance des mécanismes du cerveau la plus grosse difficulté concerne les expériences. Comment faire des expériences répétables et signifiantes ?

          Non pas que les chercheurs ignorent que la conscience puisse avoir des formes plus complexes mais il faut bien commencer par des approches de bas niveau. Bas niveau qu'il convient de comprendre avant de prétendre aller plus loin.

          Ce qui est sûr c'est que même la conscience humaine, de haut niveau d'abstraction avec le langage narratif, reste le résultat d'activités bio-physiques qui créent de multiples modèles mentaux qui s'activent en parallèle, coopèrent et/ou entrent en compétition, pour créer un nouveau modèle mental qui sera verbalisé.

          Bien sûr que l'on explique pas encore comment le cerveau auto-organise cette complexité bio-physique.

          On comprend maintenant que des maladies mentales ont bien une origine bio-physique qui prive par exemple certains patients de capacité cognitives pour les uns, pour d'autres prive d'empathie, etc...

          Voir : http://www.cea.fr/multimedia/Pages/editions/clefs-cea/le-cerveau-explore.aspx

          • Il est bien sûr légitime d'étudier la conscience animale à condition de savoir que ce n'est pas identique à la conscience humaine et de le dire au lieu de faire croire qu'une telle conscience pourrait nous diriger !

            Comme on le voit avec l'article de Pour la Science (entre autres) le langage intérieur est déjà étudié par des chercheurs qui font des expériences répétables.

            Personne ne conteste que le cerveau est biophysique mais le langage ne l'est pas qui doit être appris. Les fondements génétiques du langage postulées par Chomsky sont restées introuvables, la variété des langues étant infinie. La culture et le langage sont extérieurs et le cerveau s'y soumet, non pas par processus cognitifs d'abstractions (qui existent) mais en suivant ses règles (changeantes) et en faisant exister des fictions irréelles qui ne sont pas dans le cerveau mais dans le social, dans les livres, dans les lois. Ce n'est pas forcément complexe et peut être très simple. La conscience narrative (et morale) n'est pas le tout de la conscience, il y a une consciente calculante, mais la (mauvaise) conscience narrative serait plutôt hétéro-organisée, sous influence, présence en nous de l'autre et de la société, du monde commun.

            Il y a effectivement un grand nombre de maladies mentales, psychoses ou dépressions, qui ont un substrat neurochimique mais il y a aussi des névroses qui ne tiennent qu'à l'histoire familiale ou au récit de soi. Vouloir tout réduire au biologique est un aveuglement absurde, ce n'est pas de la bonne science (c'est l'esprit qui se nie avec la force infinie de l'esprit). Il ne s'agit pas de croire à un esprit divin mais au monde des signes qui n'est pas biologique et suit ses propres lois (limité bien sûr par le biologique et le physique, construit dessus mais ayant sa propre réalité dont rendent compte les sciences humaines).

          • Le problème est aussi chez ceux qui situent tout dans le langage, sorte de logiciel supra-matériel, et niant toute histoire biologique, matérielle des traumas neuros qui laissent des engrammes hors de toute narration possible, car refoulée sous forme de "réflexe" antalgique à priori situé dans les zones réflexes pré-conscientes.

          • Oui, il y a un aveuglement réciproque de ceux qui n'admettent pas le dualisme du hardware et du software comme de l'homme et de l'animal que nous sommes. Ils sont effectivement assez rares ceux qui font la part de l'un et de l'autre. Les drogues permettent pourtant d'expérimenter facilement les interactions du biologique et du mental mais la différence reste manifeste.

            On peut dire que le langage n'est qu'une toute petite chose, très locale, mais qui change tout (représentations, temporalité, responsabilité). Ou plutôt, il faudrait dire très précisément ce que la narration change, comment les mots classent, s'opposent, et comment le récit nous raconte le monde humain dans lequel nous vivons, ce qui n'empêche pas toutes les vicissitudes du corps ni les troubles de l'esprit.

          • Et les interactions entre hardware et software, elles se situent où?
            La plasticité cérébrale est un champ d'investigation et de découvertes du cerveau et de ses interactions avec le reste du corps dans son environnement, avec à la clé quelques réussites thérapeutiques inespérées jusqu'ici.

          • Je pense que le dualisme du "hardware et du software" ne traduit pas la réalité du fonctionnement du cerveau humain à la lumière des découvertes de ces trente dernières années. Il y a encore du mystique dans cette vision qui dissocie le corps et l'esprit et l'âme n'est pas loin.

            Le cerveau ne possède pas de software, il est la pensée elle même par le complexe routage neuronal qui s'est façonné pour construire les modèles mentaux.

            Il y a un continuum du cerveau et du corps qui sert de lien avec le monde réel. Corps qui porte nos capteurs sensoriels, nos actionneurs et l'homéostasie qui nous maintient en vie.

            Le monde extérieur dont nous avons conscience et avec lequel nous sommes en interaction est "câblé" dans notre cerveau en une multitude de schémas mentaux qui évoluent dans le temps. Notre vécu c'est à dire nos expériences subjectives gravent de manière différente les modèles mentaux qui nous habitent.

            C'est la même réalité extérieure mais câblée différemment chez les uns et les autres qui permet comme maintenant d'opposer nos opinions.

          • C'est effectivement désespérant la panique provoquée par le dualisme qui fait tellement craindre un retour de l'âme qu'on préfère s’abêtir et se faire un article de foi d'ignorer le langage et les sciences qui l'étudient, y compris neurologiquement, comme des paroles (des opinions, des idéologies, des discours) qui viennent d'ailleurs, pas de notre expérience directe.

            Le rapport du cerveau et du langage n'est certes pas le même que celui du hardware et du software servant juste de paradigme au dualisme (matière/information) mais le langage est bien séparé du corps qu'il malmène souvent. Ce n'est pas du tout du même ordre que la perception par exemple (que le mot recouvre) mais le cerveau est plus l'organe de l'extériorité que de l'intériorité, il se branche sur l'extérieur et répète les discours ambiants (sur le cerveau comme sur le reste). Vouloir identifier le cerveau au corps se vérifie dans ses mouvements mais ne marche plus dès qu'on est conscient et que la réflexion inhibe justement toute réaction. Le spinozisme ne tient pas la route. Il n'y a pas grand mystère pourtant du rapport du langage au cerveau, il se fait par l'apprentissage et la socialisation, non pas naturels mais culturels. Un homme seul, un enfant sauvage n'est pas humain, le corps et le cerveau ne sont rien en eux-mêmes par rapport à l'organisation sociale, la culture et la technique qui sont les véritables réalités humaines, objets des sciences humaines qu'il serait très obscurantiste d'ignorer et qui ne sont ni individuels, ni dans le cerveau qui y participe mais d'abord dans la société.

            Il est impossible, en tout cas, de discuter avec un animal dont les représentations câblées sont singulières et n'a pas de langage commun. C'est toute la question de la différence ontologique.

          • Le langage est un des moyens d'échanger avec ses semblables des modèles mentaux, c'est ainsi que la culture se construit et se transmet. Sans langage l'humain serait réduit à l'animal. Mais le langage sans les capacités d'empathie et de prédiction par inférence perdait beaucoup de son efficacité. C'est plus généralement l'intelligence humaine qui donne toute sa puissance au langage. Cela n'enlève rien à cette extraordinaire capacité du cerveau à verbaliser les modèles mentaux qu'il construit dans le but de les partager.

            ... le cerveau est plus l'organe de l'extériorité que de l'intériorité, il se branche sur l'extérieur et répète les discours ambiants

            Oui pour l'extériorité mais le cerveau heureusement ne répète pas toujours les discours ambiants lorsque la personne dispose d'esprit critique. L'intelligence sait créer le doute et mettre en compétition des modèles mentaux.

            Vouloir identifier le cerveau au corps se vérifie dans ses mouvements ...

            Le cerveau n'est pas identifié au corps, cerveau et corps forment un continuum. Damasio démontre que les sensations physiques et les émotions ressenties sont nécessaires pour obtenir des comportements intelligents. Les émotions dites ressenties sont celles nées de l'expérience subjective.

            Un homme seul, un enfant sauvage n'est pas humain, le corps et le cerveau ne sont rien en eux-mêmes par rapport à l'organisation sociale,

            Oui bien sûr, l'humain en bonne santé mentale est un être social par nature. Dans beaucoup de cas un comportement asocial est le signe d'un trouble mental.

          • "La plasticité cérébrale est un champ d'investigation et de découvertes du cerveau et de ses interactions avec le reste du corps dans son environnement, avec à la clé quelques réussites thérapeutiques inespérées jusqu'ici."

            La plasticité cérébrale ce sont aussi à mon avis des aberrations cérébrales et cognitives, sortes de béquilles compensatrices pour continuer sa route.

          • Olaf, sur la plasticité cérébrale.
            Les premières réussites thérapeutiques issues de la compréhension de la plasticité cérébrale portent sur la douleur chronique. La douleur, c'est usuellement une partie du corps qui envoie des info au cerveau. La douleur chronique, c'est en partie le cerveau qui adopte un mode autonome de douleur. Par exemple le livre de Norman Doidge "Guérir grâce à la neuroplasticité"

  9. C'est bien car on a tous les poncifs du cognitivisme qui en montrent bien les aveuglements (certes en permettant de débrouiller d'abord la conscience animale). Vouloir faire du langage un support neutre de la communication est encore beaucoup plus absurde que de croire que la monnaie pourrait être un intermédiaire neutre ! L'ethnologie, notamment structuraliste, montre pourtant clairement que la culture n'est pas une émanation de l'intériorité, des sentiments, mais une construction mythique. Certes, les sentiments y sont partie prenante, aussi bien dans l'apprentissage de la langue maternelle que dans l'enthousiasme des rites.

    Il y a une intelligence cognitive, c'est indéniable, des systèmes d'inférence (bayésienne). On peut trouver les chimpanzés très intelligents et nous le sommes encore plus (avec des neurones plus rapides), cependant, encore une fois, un enfant sauvage ne va pas très loin malgré les histoires de Tarzan, on ne le trouverait pas du tout intelligent. Sans nos capacités cognitives, sans doute le langage narratif serait impossible, il ne s'agit pas de s'en passer évidemment, seulement de prendre la mesure de ce que le langage y ajoute, pas seulement de pouvoir traiter et mémoriser plus de données et pas toujours pour nous rendre plus intelligents. La puissance du langage, c'est de pouvoir raconter ce qui va se passer, planifier à long terme, se projeter dans le temps, transmettre des procédures, mais c'est aussi son dogmatisme, ses préjugés, ses simplismes, tout comme de faire exister ce qui n'existe pas, dieux ou diables. Si on peut verbaliser nos états mentaux, la plupart du temps nos récits parlent du monde ou des autres (commérage) en reprenant les discours courants.

    L'esprit critique fait aussi parti des belles histoires qu'on nous raconte depuis les lumières et n'importe quel croyant vous dira qu'il doute souvent (c'est la moindre des choses). Les sciences sociales montrent pourtant avec constance qu'on ne fait que répéter et les esprits critiques qui se croient libres ne font que reprendre l'idéologie critique du moment et de leur milieu (le marxisme pendant longtemps). On ne fait que défendre son groupe (par exemple celui des cognitivistes), ne pas être dans la ligne étant trop coûteux (quitter sa religion ou son parti). Notre intelligence effective n'est que la reprise de l'état des sciences et des savoirs de notre temps, avec leurs limites historiques, savoir hérité qui n'a pas été vécu biologiquement. Dire que le langage narratif fait notre humanité, c'est aussi attirer l'attention sur ses travers et sa dimension sociale dans un tout autre sens que grégaire.

    Le dernier livre de Damasio ne semble guère convainquant à trop généraliser mais, s'il est sûr que les émotions sont essentielles (comme dit Spinoza, l'affect est puissance d'agir), "il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour" ! Il ne peut être question de contester le corps biologique ni la conscience animale qui sont bien là mais seulement de prendre la mesure de la couche supplémentaire qui les recouvre, les verbalise avec des mots, des concepts, des croyances qui viennent de l'extérieur. La nomination transforme la perception, la catégorise, l'hallucine. Notre "intériorité" n'est pas le bruit de nos organes mais notre être social, le récit de soi et les voix de nos proches comme de la télévision qui se mêlent, la reprise de discours entendus qui occupent notre réseau par défaut comme nos rêves.

    Il ne suffit pas de dire qu'on est un animal social comme la plupart des mammifères alors qu'on est un animal parlant et politique, comme le disait déjà Aristote, ce qui est tout autre chose. S'il faut penser la continuité avec l'animal comme le fait le cognitivisme, on ne peut rester aveugle à ce qui nous en sépare avec le langage et qui n'est plus biologique, oppose la culture à la nature, ce que le structuralisme avait mis en valeur - cette très mince différence qui va faire violence au corps, le domestiquer, le couvrir de signes et le faire courir après des chimères.

    • La puissance du langage, c'est de pouvoir raconter ce qui va se passer, planifier à long terme, se projeter dans le temps, transmettre des procédures, mais c'est aussi son dogmatisme, ses préjugés, ses simplismes, tout comme de faire exister ce qui n'existe pas, dieux ou diables. Si on peut verbaliser nos états mentaux, la plupart du temps nos récits parlent du monde ou des autres (commérage) en reprenant les discours courants.

      Oui je suis d'accord que la puissance du langage c'est de pouvoir raconter ce qui va se passer. Mais encore faut-il qu'il ait eu précédemment le mécanisme intelligent de création d'un modèle mental qui simule un futur avec toute la planification nécessaire pour atteindre un objectif.

      On ne fait que défendre son groupe (par exemple celui des cognitivistes), ne pas être dans la ligne étant trop coûteux (quitter sa religion ou son parti)

      Quitter la ligne n'est pas coûteux dans la mesure où l'on en comprend le bien fondé, que l'autre chemin rapproche de l'idée que l'on se fait d'une vérité objective. La notion de preuve raisonnable est pour moi indispensable.

      Le dernier livre de Damasio ne semble guère convainquant à trop généraliser mais, s'il est sûr que les émotions sont essentielles (comme dit Spinoza, l'affect est puissance d'agir)

      Le rôle des émotions vu par Damasio n'est pas le même pour Spinoza, le cadre n'est pas le même. Un humain privé d'émotions agit mais de manière automatique sans percevoir si son action est pertinente. J'ai eu l'occasion de percevoir ce comportement étonnant chez un traumatisé crânien, comme privé d'intuition.

      Il ne peut être question de contester le corps biologique ni la conscience animale qui sont bien là mais seulement de prendre la mesure de la couche supplémentaire qui les recouvre, les verbalise avec des mots, des concepts, des croyances qui viennent de l'extérieur

      Il me semble que cette couche supplémentaire qui les recouvre est pour vous un concept magique car d'un niveau d'abstraction qui ne pourrait pas avoir de support biophysique, mais alors c'est quoi ? De quoi est fait l'être social que nous sommes ?

      • Il n'y a rien de magique dans le langage qui a toujours un support matériel (signifiant) mais un signifié immatériel (division dichotomique) et qui suit ses propres lois (comme la géométrie et les mathématiques s'imposent de l'extérieur), son émergence dans l'histoire (recouvrant le monde) étant due à son efficacité matérielle. Il faut faire de la linguistique et de la sociologie (qui sont des sciences aussi) au lieu de refuser de comprendre cette sorcellerie (ou cette hypnose) bien réelle qui est notre quotidien et qu'il faut être très dogmatique pour ne pas l'admettre.

        Je vais arrêter de répondre ici car je fais la revue des sciences et vais en extraire les brèves concernant le langage (en fait non!).

  10. Je viens de voir une conférence de Chomsky à l'université de Genève où il déplore le peu d'études sur le fait qu'on passe son temps à se parler à soi-même mais surtout sur le fait que ce discours intérieur est en grande partie inconscient (ce qui rend problématique sa propre théorie où le langage ne serait qu'expression de nos pensées).

      • Bonsoir,

        On peut définir une pensée comme une activité cérébrale dont on a le souvenir, peu importe qu'elle nous paraisse absurde. Une pensée est construite par un assemblage de modèles mentaux qui font appel à de multiples zones du cerveau. Pendant la phase d'endormissement, nous perdons conscience progressivement, des zones du cerveau "se déconnectent" et sans avoir complètement plongé dans les phases de rêve, nous percevons des pensées incohérentes, dénuées de sens, stupides.

        Cela m'arrive souvent et je ne suis pas le seul pour en avoir discuté autour de moi. Par contre je n'essaie pas de faire une analyse pour trouver une signification à ces pensées.

        • Ce qui est essentiel, au-delà de noter la liaison entre la conscience et les différentes aires cérébrales, c'est bien comme dit Jean Zin la liaison intime entre la conscience et langage.On le constate au moment où le jeune enfant commence à nommer "je" (après le mot "moi" devant sa propre image): Il peut se confier lui-même dès lors , en tant que sujet, à un sujet grammatical. Il ouvre ainsi son propre horizon perceptif . Son horizon de vie immédiat est concret, limité. Mais le mot " horizon" quant à lui va gagner en extensibilité et pouvoir s' appliquer dans une une grammaire à des espaces concrets divers, et orienter le monde sensible. La conscience n'est-ce pas seulement cela?

  11. Il y a des "pensées" qui ne sont pas langage, les animaux aussi rêvent et le cerveau produit incontestablement des images. La question est de savoir si, on peut se souvenir de ce genre de pensées sans les mettre en mots, sans doute très peu (un ou deux flashs). Le langage permet la réflexion en matérialisant la pensée, lui donnant un support linguistique sans lequel la pensée est à peine consciente (sans verbalisation). Il semble aussi que le mode par défaut de notre cerveau à nous soit commandé par le langage narratif (on se raconte des histoires) mais il faudrait le vérifier.

    Ce qui est difficile mais crucial, c'est de bien distinguer plusieurs sortes de consciences au lieu de vouloir tout confondre. Lacan distinguait l'imaginaire, le symbolique et le réel. La conscience imaginaire serait la conscience animale, impliquant le corps, la conscience symbolique serait le récit de soi, de celui qui dit je, la conscience réelle pourrait être la logique ou la souffrance ? En tout cas, il ne faut pas dire que tout est langage alors que son extériorité reste le plus déterminant. C'est plus subtil, il faut dire que le langage recouvre tout, ce qui est autre chose, il reconstruit nos représentations et substitut un apprentissage culturel (dogmatique) à l'apprentissage pratique.

    Une chose sur laquelle on peut être d'accord avec Chomsky, c'est qu'on en sait encore très peu sur l'incidence du langage narratif sur la pensée. On prend comme naturel un monde commun qui exige un récit, une culture, une écriture, etc. Les progrès de l'IA comme de l'imagerie cérébrale se heurtent concrètement à cette énigme qu'ils mettent ainsi en valeur - permettant de la résoudre ?

  12. Un article intéressant (que je cite dans la prochaine revue des sciences) en ce qu'il montre que le récit de soi est automatique et préconscient, même s'il fait stupidement de la conscience un simple épiphénomène et de la narration une simple compression de données. Cela remet en cause la catégorie d'auteur et fait du récit de soi un facteur de communication de l'intériorité et de socialisation, fondement de notre intersubjectivité et de l'importance de l'Autre en nous, de notre suggestibilité par les mots jusqu'à l'hypnose - mais c'est aussi un support de réflexion et de "prise de conscience". La difficulté, c'est que dans ce schéma, il n'y a pas de conscience animale mais cela souligne du moins ce que notre expérience consciente peut avoir de spécifique.

    https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2017.01924/full

  13. J’ai lu avec grand intérêt cet article, merci Jean Zin de l’avoir déniché et merci au traducteur Google !

    Si j’ai bien compris, en résumé, les auteurs soutiennent que la conscience ne serait que le produit de mécanismes inconscients et en conséquence n’aurait qu’un rôle passif de communication avec le monde extérieur.

    Ce qui me plait dans leur théorie, c’est qu’ils reconnaissent implicitement que le cerveau n’est qu’une machine bio-physique.

    Il est prouvé que le cerveau est majoritairement occupé à exécuter des processus inconscients, mais c’est aller un peu loin d’affirmer qu’il n’existe pas de processus conscients actifs.
    Dans leur schéma ils ont été obligés de mettre une rétroaction du PN (conscient) vers le CES (inconscient) pour expliquer des phénomènes tout en maintenant que cette boucle de rétroaction est décidée avant par le CES.

    Le CES modifie le contenu du récit narratif pour éviter et résoudre les conflits internes (dissonance cognitive).
    On peut expliquer différemment, le CES propose un récit narratif mais comme "il ne le trouve pas satisfaisant", il lui ajoute de la dissonance cognitive. La dissonance cognitive est un signal d’alerte vers la conscience pour permettre de chercher une meilleure solution. Une rétroaction consciente se met en œuvre avec le choix dans une batterie d’outils psychologiques pour effacer la dissonance (déni, procrastination, etc…) ou bien par une action pour résoudre définitivement le problème (par exemple exécuter le travail demandé).

    Pour moi la conscience est un autre mode de fonctionnement du cerveau, destiné à résoudre des problèmes sans solution avec les processus inconscients. Le CES génère une amorce vers le processus conscient. En reprenant l’image des auteurs, l’arc en ciel apparaît quand le cerveau change de mode de fonctionnement.
    Bien sûr le processus conscient travaille à partir de processus inconscients mais que lui-même active ou désactive, par exemple par l’attention qui focalise sur une tâche particulière.

    La conscience a un rôle actif et essentiel dans l’apprentissage complexe, l’usage d’outils complexes et la communication avec ses semblables.

    Je ne suis pas persuadé que l’écriture automatique (voir § Enid Blyton) puisse produire, au delà de la phrase, des textes cohérents. Des artistes reconnaissent que l’usage de stupéfiants augmente la créativité, mais que le lendemain tout est à jeter.
    En Deep Learning on obtient maintenant automatiquement des textes étonnamment bien formés mais incohérents. Voir écriture automatique façon Shakespeare : https://www.youtube.com/watch?v=BtAVBeLuigI

    Le fonctionnement du cerveau en mode conscient apporte un gain de performance créative car la boucle de rétroaction sur les processus inconscients fonctionne par itérations en se focalisant sur un problème à résoudre.

    Vaste sujet…

    • C'est Paul Jorion qui a signalé l'article car les auteurs prétendent comme lui que la conscience n'est qu'un épiphénomène, ce qui est absurde et contredit par la neurologie. Dans ma revue des sciences du premier janvier je confronte cette théorie à celle de l'espace de travail dont parle le dossier de Pour la Science. En fait, l'existence de processus top-down est caractéristique de la conscience et sert effectivement à l'apprentissage mais on peut bien sûr toujours prétendre que c'est un processus inconscient sous prétexte qu'il n'est pas arbitraire, sans causes, mais forcément médié par des processus neurologiques inconscients. Beaucoup de confusions viennent de mauvaises définitions.

      Moi, ce qui m'a intéressé, c'est tout autre chose, c'est la reconnaissance de l'importance pour notre conscience du discours intérieur qui est effectivement en grande partie inconscient mais permet la réflexivité et le raisonnement. C'est un article de psychologues et non de neurologues (qui définissent la conscience par rapport au sommeil ou au coma).

      Les auteurs ne prennent pas assez en compte la matérialité du langage qui est essentielle. Personne ne prétend que le cerveau pourrait être autre chose qu'un organe biophysique mais le langage est autre chose, il est immédiatement social, présence en nous de la culture et du jugement des autres, de ce qu'ils peuvent dire de moi, le cerveau biophysique se réglant sur cette extériorité qui a ses propres lois (comme le code de la route), les internalisant. En rester au biophysique, c'est n'y rien comprendre, comme de réduire une photo au mécanisme photographique. Ce n'est pas faire appel à une mystique mais à l'extériorité, notamment du langage et de ses lois. Le cerveau est l'organe de l'extériorité (perception, mémoire, mouvements, langage) bien plus que l'expression des organes internes.

      La conscience ne peut être passive quand on ne sait pas quoi faire mais pour décider, il faut se baser sur des calculs inconscients comme la perception s'efface derrière le perçu, synthèse qui a forcément un temps de retard. L'important n'est pas de prétendre à un impossible libre-arbitre mais d'y introduire au contraire la pression sociale. Au lieu de réduire la conscience à un épiphénomène, il faudrait prendre conscience du rôle du récit de soi (rejoignant Harrari mais aussi Sartre avec son pour-soi qui se raconte l'en-soi qu'il est devenu). En suivant les auteurs, au lieu du simple épiphénomène qu'ils prétendent inactif, ils suggèrent plutôt que cette verbalisation est un puissant opérateur de socialisation, d'asservissement de la conscience à des valeurs sociales et des croyances partagées jusqu'à l'hypnose mais plus ordinairement structurant nos représentations, les classifiant et y projetant un sens commun appris.

      Ceci dit, il faut se garder d'avoir une conception personnelle de la conscience sauf à être un spécialiste qui la teste. Je ne fais que rendre compte des recherches sur le sujet, dont on constate le caractère encore très hésitant en même temps que très dynamique. Les choses sont toujours plus compliquées qu'on imagine, on ne peut donc savoir en dehors de patientes expériences mais comme il nous est impossible de ne pas nous identifier à notre conscience, chacun croit savoir ce que c'est en ne faisant que reprendre les conceptions dogmatiques de l'époque, le récit commun qu'on en fait...

      • "Le cerveau est l'organe de l'extériorité (perception, mémoire, mouvements, langage) bien plus que l'expression des organes internes."

        J'aimerais bien savoir comment l'on détermine la frontières des interactions entre les organes internes, leur homéostasie, et l'extériorité qui comprend de nombreuses interfaces ex-int ou bi-faces.

        • Ce qui est interne, c'est la faim, la soif, la fatigue, ce qui est externe, c'est la perception et de prendre les jambes à son coup devant un danger. Spinoza définit bien l'affect comme puissance d'agir, c'est une projection à l'extérieur à laquelle notre intériorité participe mais qui n'en est pas l'origine, plutôt l'effet.

          De même, quand on pense, on pense à des événements extérieurs, pas à nos organes, la conscience est conscience de quelque chose, absorbée par elle et non expression de l'intériorité. Le récit intérieur est présence des autres et de la société en nous (d'un monde commun) même dans ses fantasmes inavouables et son narcissisme.

          Le récit est influencé quand même par l'état du corps (il y a plutôt une boucle de rétroaction entre corps et récit actuel), pouvant être un récit de gloire ou un récit d'échecs selon les moments positifs ou négatifs, mais qui agence des éléments extérieurs et renie plutôt son subjectivisme en se persuadant que c'est la réalité objective. En faire la simple expression de l'intériorité serait très réducteur.

          • "Ce qui est interne, c'est la faim, la soif, la fatigue, ce qui est externe, c'est la perception et de prendre les jambes à son coup devant un danger."

            Pour résoudre les problèmes de la faim, soif, fatigue, il faut fatalement se tourner vers l'extérieur pour y trouver les ressources, nourriture, eau, endroit calme pour se reposer.

            Celui qui a faim a forcément conscience de sa faim en même temps que le moyen extérieur permettant d'y satisfaire, c'est du multitâche.

      • "Ceci dit, il faut se garder d'avoir une conception personnelle de la conscience sauf à être un spécialiste qui la teste. Je ne fais que rendre compte des recherches sur le sujet, dont on constate le caractère encore très hésitant en même temps que très dynamique. Les choses sont toujours plus compliquées qu'on imagine..."

        Je ne suis pas chercheur, juste curieux de ce domaine qui montre une complexité en augmentation au fur et à mesure des découvertes.
        Si je donne l'impression d'avoir une conception "personnelle" de la conscience, c'est uniquement parce que je reformule par écrit ce que j'ai retenu de mes lectures sur le sujet.

        Je trie mes auteurs en fonction de leurs parcours suivant l'idée que je me fais de leur rigueur scientifique.
        Là interviennent mes à priori qui font souvent l'objet du reproche suivant : "tu ne lis que des documents qui te confortent dans tes opinions".
        Mais comment expliquer que ces à priori forment un rempart contre les idéologies et les croyances, en résumé contre l’obscurantisme ?

        • Tout le monde a ses biais cognitifs, c'est la raison de la méthode scientifique, tout le monde a sa conception de la conscience, en prendre conscience doit amener à prendre ses distances avec au lieu de la conforter. Il faut certainement passer pour cela par l'épreuve d'être démenti par les avancées scientifiques (en physique, c'est effarant comme une conception logique peut s'avérer fausse et la réalité impensable mais cela a été le cas aussi de la production de neurones tout au long de la vie qui contredisait la stabilité de la mémoire). Il faut savoir aussi que lutter contre l'obscurantisme n'est une garantie de rien, pouvant faire sombrer dans un nouvel obscurantisme. Les premiers paléoanthropologues très rationalistes ne pouvaient accepter que nos ancêtres aient des croyances religieuses...

          Bien sûr, la suspension du jugement qui est au coeur d'un suivi des sciences est intenable dans les faits. Quand j'en rappelle la nécessité, c'est aussi contre moi, pour dire que je ne défends pas ma conception actuelle suspendue aux résultats futurs (dont certains sont faux ou nous égarent. La leçon de la dialectique hégélienne, c'est qu'on n'approche de la vérité que pas à pas en tordant le bâton d'un côté puis de l'autre, se corrigeant sans cesse).

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