Pour un New Deal : revenu garanti pour tous

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Alors que des sommes faramineuses sont injectées dans le système financier et qu'une récession mondiale s'annonce dont les conséquences pourraient être dramatiques pour les plus pauvres, on est atterré de voir le patronat ne rien trouver de plus pressé que de réclamer une baisse de l'indemnisation du chômage ! C'est non seulement extrêmement choquant mais d'une bêtise immonde ! Il faut de toute urgence une mobilisation générale pour non seulement étendre une couverture chômage réduite à une peau de chagrin (puisqu'elle ne concerne même plus la moitié des chômeurs) mais obtenir un revenu garanti pour tous, véritable New Deal devenu indispensable après le krach à la fois économiquement et moralement dans une société devenue presque entièrement salariale et marchande, où plus personne ne produit ce qu'il consomme, avec une précarité qui se généralise !

C'est une revendication qui doit s'imposer rapidement, il y a urgence, question de vie ou de mort et pas seulement pour le système dont il faudrait effectivement éviter un effondrement trop dévastateur mais ce n'est pas pour cela que ça se fera tout seul et si le revenu garanti stabilise bien le système à court terme il constitue aussi un progrès social considérable de notre autonomie favorisant la sortie du capitalisme salarial au profit du travail autonome ainsi qu'une économie relocalisée, intégrant la dimension écologique et orientée vers le développement humain, les services, l'immatériel. Tout comme la monnaie est bien une institution sociale, le revenu garanti est l'institution permettant le passage du travail forcé au travail choisi dans une société plus coopérative et conviviale à l'ère de l'information, des réseaux et de la gratuité numérique...

Il est déjà honteux de voir dans quel état est tombé notre système social avec la complicité de la CFDT notamment qui expliquait qu'à exclure les précaires des indemnités Assedic, elle luttait ainsi contre le travail précaire ! C'est le pendant de l'idéologie néolibérale chez les syndicats qui s'y opposent. Cette bonne conscience écœurante face à la misère créée n'est plus tolérable et doit être réparée en revenant aux principes qui ont fait leurs preuves avant que la folie néolibérale ne s'attaque à toutes les protections. Il n'y a pas de temps à perdre. Si la crise de 1929 a été si sévère, c'est sans doute d'abord à cause d'un temps de réaction de plusieurs années qu'il faudrait réduire au maximum, comme on l'a fait pour la crise bancaire...

Ce n'est pas que la crise actuelle soit vraiment identique à celle de 1929 car nous ne sommes pas dans un cycle comparable. Le développement de la Chine, de l'Inde et du Brésil, c'est-à-dire des pays les plus peuplés de la planète, laisse augurer d'une phase de croissance soutenue une fois les pendules remises à l'heure. Il n'empêche qu'on peut avoir des moments très difficiles à court terme. La crise actuelle n'est sans doute pas comparable non plus à celle de 1987 qui n'a eu que très peu de conséquences économiques en dehors du Japon qui était entré dans une stagnation de 10 ans avec des taux si bas qu'ils sont proches de zéro (actuellement encore de 0,50% seulement, ce qui fait que le Japon n'a pu s'associer aux autres banques centrales pour baisser ses taux de 50 points !). Il y a malgré tout pas mal de ressemblances dans l'éclatement des bulles spéculatives. La bêtise triomphante y occupe le premier rôle, magnifiquement décrite par John Kenneth Galbraith en 1954 dans "La crise économique de 1929" (petite bibliothèque Payot) dont la préface de 1988 fait justement le parallèle entre 1929 et 1987. On ne peut qu'être frappé par les analogies avec la crise actuelle : baisse d'impôts des riches, effet levier permettant de jouer gros avec des apports réduits, dépenses militaires excessives, financiarisation de l'économie favorisant la spéculation, croyance dans une croissance infinie ("un droit acquis à l'euphorie"), et même le fait que ces krachs se sont produits au mois d'octobre, les lundis étant particulièrement propices aux grandes dégringolades ! Ensuite on a eu la recherche de boucs émissaires avec l'arrestation de banquiers ou des dirigeant de la bourse et quelques suicides retentissants (beaucoup moins qu'on ne dit) d'anciens gourous de la finance admirés de tous les golden boys...

Les crises suivent à peu près toujours le même schéma puisqu'elles résultent de l'éclatement des bulles spéculatives précédentes mais il y a aussi de grandes différences, les taux étaient élevés en 1929 et 1987, en 1929 les USA étaient créditeurs, en 1987 déjà en déficit mais au fait de leur puissance et avec un système social qui amortit le choc, aujourd'hui en déficit abyssal et en déclin, avec un dollar déjà dévalué. Il est probable qu'on se trouve au début d'un nouveau cycle de Kondratieff, nouveau cycle d'inflation et de croissance, avec des perspectives à moyen terme bien meilleures que dans les précédentes crises mais une des leçons de l'analyse de Galbraith, c'est que le krach boursier ne suffit pas à expliquer la profondeur de la crise qui a suivi, et surtout que, dans la crise boursière tout comme dans l'aggravation de ses conséquences économiques, le dogmatisme a une large part avec son lot de bêtises et d'aveuglements.

Dans l'ensemble, la grande catastrophe de la Bourse peut être beaucoup plus facilement expliquée que la crise qui a suivie. p240

Considérer les gens de n'importe quelle époque comme particulièrement obtus ne semble guère valable et cela créerait un précédent que les membres de notre génération pourraient regretter. Toutefois, il semble certain que les économistes et ceux qui donnaient des avis en matière économique vers la fin des années 1920 et au début des années 1930 se révélèrent presque toujours lamentables. Dans les mois et les années qui suivirent la catastrophe de la Bourse, les conseils autorisés en matière économique conduisaient invariablement à des mesures qui allaient aggraver les choses. p256

Les gens ne supposeraient pas à nouveau que la meilleure politique serait - comme le secrétaire d'Etat Mellon l'avait si malheureusement indiqué - de "liquider les ouvriers, les stocks, les agriculteurs et l'immobilier". p267

Hélas, on voudrait bien en être sûr tant il y a encore des libéraux qui sont persuadés que c'est par manque de libéralisme qu'il y a des bulles spéculatives ! Il est effarant de constater qu'on est retombé avec le néolibéralisme et la financiarisation exactement dans les mêmes travers dénoncés par Galbraith en 1954 comme étant à l'origine de la grande dépression des sinistres années 1930. Un des enseignements principaux qu'il faudrait en tirer, c'est que les inégalités détruisent non seulement la société mais l'économie elle-même passées un certain seuil où les richesses accumulées alimentent simplement la spéculation. La dégradation du rapport travail/capital et la réduction des impôts ont un effet négatif sur l'activité économique et pas du tout positif comme le prétend une "politique de l'offre" favorable aux riches et qui a toujours été démentie par les faits. Il faut donc revenir au moins aux équilibres antérieurs des 30 glorieuses avec une réduction des inégalités, une augmentation des impôts et de nouvelles protections sociales qui constituent à l'évidence des "externalités" favorables à l'activité économique tout au contraire de la destruction des compétences et des solidarités sociales encouragée par le néolibéralisme et le capitalisme financiarisé.

Pendant les années 1920, la production et la productivité par travailleur ont progressé régulièrement : entre 1919 et 1929, le rendement par travailleur dans les industries de fabrication s'était accru d'environ 43%. Les salaires, les traitements et les prix demeuraient relativement stables, ou, en tout cas, ne subirent aucune augmentation sensible. Par conséquent, les coûts baissèrent et, les prix restant les mêmes, les bénéfices augmentèrent. Ces bénéfices soutinrent les dépenses des classes aisées et ils alimentèrent également certaines des espérances apparues dans le boom de la Bourse, mais surtout, ils encouragèrent un niveau élevé d'investissement des capitaux. p247

Si quelques leçons semblent bien retenues de 1929 (ne pas laisser les banques faire faillite, ne pas se réfugier dans le protectionnisme), beaucoup d'autres ont été oubliées entre temps (financiarisation, effet levier, réduction d'impôts) reste peut-être le principal, la peur de l'inflation, caractéristique des périodes de dépression et qui peut nous mener au pire, inscrite dans les statuts même de la BCE ! C'est encore et toujours ce dogmatisme contredit par l'histoire qui est notre plus grande menace et c'est pour cela qu'un revenu garanti et de nouvelles régulations sociales devront être conquis de hautes luttes même si c'est au nom de l'intérêt général. C'est maintenant que ça se passe et qu'il faut établir un rapport de force aussi indiscutable que celui de la finance, se rappeler au bon souvenir de ceux qui nous gouvernent pour refuser la récession qu'on nous promet et reprendre l'offensive en se battant ensemble pour une indexation générale des salaires sur l'inflation et un revenu garanti pour tous. La seule façon de s'en sortir, c'est de changer la donne, vite !

Une explosion spéculative fournit l'assurance qu'une autre explosion n'aura pas lieu immédiatement. Avec le temps et l'affaiblissement de la mémoire, l'immunité disparaît. p243

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