Absurde, inefficace, arbitraire, liberticide, raciste

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L'article 179 du code pénal iranien prévoit la peine de mort à la troisième récidive d'interpellation pour consommation d'alcool. Un iranien vient donc d'être exécuté (pour l'exemple ?) à cause d'une consommation d'alcool trop répétée...

Comment peut-on être Persan ? Chez eux l'alcool est interdit et réprimé brutalement, de façon aussi cruelle qu'absurde - sans arriver pour autant à éradiquer l'alcoolisme - alors que, chez nous, l'alcool est partout, mais c'est le chanvre qui est interdit ! Sans aller à ces extrémités, les peines pour infraction à la prohibition pouvaient être assez lourdes jusqu'ici alors que, maintenant, la consommation ne sera plus passible que d'une amende de 150 à 200 Euros. Cela peut sembler un progrès mais est difficilement justifiable et s'apparente plutôt à du racket (à la tête du client) quand la tendance est à la légalisation (Colorado, Californie, Canada), à l'évidence sans grand dommage.

On a pu croire assez longtemps que la prohibition allait de soi, s'appuyait sur des raisons médicales objectives dès lors qu'elle était à peu près universellement pratiquée (en dehors de la Hollande notamment). Ce n'est plus du tout le cas. Ce sont les données scientifiques qui ont remis en cause une différence de traitement entre l'alcool et le chanvre qui n'a aucun rapport avec leur dangerosité respective. Cette différence relève purement de l'idéologie ou de la culture, comme le dénonce une déclaration de l'ONU sur les drogues. De même, la légitimité de la prohibition du cannabis vient d'être contestée comme simple héritage colonial par l'Inde et l'Afrique du sud. Le consensus international sur la prohibition s'est bien renversé devant son échec et ses effets pervers, faisant apparaître la prohibition absurde, inefficace, arbitraire, liberticide, raciste.

En France, sûrs de nous et sourds aux autres, on est revenu au temps de Pascal : "Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà" mais la position intermédiaire d'amende pour un produit moins dangereux que l'alcool consommé par des millions de Français n'est pas tenable même si elle a l'avantage de désengorger les tribunaux, preuve simplement que la prohibition ne marche pas, qu'elle est inapplicable et fait violence à la société sans autre résultat que fournir un marché juteux aux trafiquants et un pouvoir d'arbitraire aux policiers tout en favorisant l'alcoolisme - prohibition se révélant bien plus dangereuse que la drogue elle-même, comme la prohibition de l'alcool l'avait été aux USA. On ne peut contraindre les hommes à la vertu et le pouvoir d'Etat doit être limité.

De plus, que la France résiste de toutes ses forces idéologiques au mouvement anti-prohibitionniste s'explique malheureusement, en partie (et en toute innocence), par la répression des populations immigrés auxquelles est opposée une identité française dont le vin et l'alcool seraient des éléments sacrés - et incompatibles avec l'Islam ! On a là un exemple frappant de nos limites cognitives pour aborder une situation, de la difficulté d'intégrer la vérification scientifique à nos idéologies, trop attachés à nos croyances, nos préjugés identitaires, à ce qui est supposé nous donner une supériorité sur les autres, y compris en vantant l'alcool contre le cannabis, c'est dire !

On ne peut pas feindre de découvrir ces vieux problèmes mais il n'y a pas tant d'intellectuels qui semblent s'émouvoir de ces incohérences ou qui ont le courage de les dénoncer. On a tort de s'obstiner à trouver futile, au regard d'autres urgences, la question de la politique des drogues étant données leurs conséquences sociales, sur les banlieues ou les prisons. A l'heure où l'état d'exception est instauré pour faire barrage à la pandémie, l'exigence première est que les amendes et interdictions d'un hygiénisme autoritaire soient basées sur des données scientifiques sérieuses, qui ne sont pas si facile à avoir, comme on l'a vu, mais cela seul suffit à montrer que la répression du cannabis n'est plus défendable scientifiquement alors qu'un excès de contrôle de la population gangrène le Droit et la société, ce dont tout le monde peut pâtir.

Il faudrait mieux défendre nos libertés même si ce n'est pas la tendance actuelle, plutôt fascisante. Il est toujours difficile de défendre une liberté dont on doit bien reconnaître qu'elle n'est pas sans risques. C'est juste une question de balance entre avantages et inconvénients. Là où elle a lieu, la légalisation n'a pas du tout provoqué l'apocalypse prophétisée par certains. La consommation a pu certes augmenter un peu, surtout chez les vieux, mais en soulageant de nombreux malaises et en diminuant la consommation d'alcool, d'antidouleurs et autres médicaments. Au niveau de la réduction des risques, l'expérience est donc bien probante et donne même l'impression d'une sortie de l'obscurantisme (comme de la répression de la masturbation ou de l'homosexualité). A chaque étape de l'émancipation, il faut faire face à la crainte de transgresser un interdit qui ferait s'écrouler l'ordre du monde, sans plus de lois, alors que, bien sûr, tout continue.

Au-delà de la question des libertés, la répression des drogues témoigne de fausses représentations de notre humanité, du monde et de la conscience, ce qui ne présage rien de bon dans notre réponse à un réchauffement qui s'annonce bien pire que prévu (jusqu'à l'emballement de la bombe méthane ?). Nous avons en effet à la fois la capacité de nier les évidences, de refuser les savoirs (d'en être fier), en même temps que nous nous faisons des représentations idéalisées de nous-mêmes et de notre intelligence qui est prise pourtant si souvent en défaut. Nous remettre à notre place avec toutes nos faiblesses serait la condition d'un peu plus d'efficacité. Au lieu de nous surestimer, il serait pas mal en tout cas d'admettre la réalité ancestrale et que les drogues semblent bien consubstantielles à nos gros cerveaux qu'elles modifient biochimiquement, utilisées par Homo sapiens depuis l'origine avec avantage médical, cognitif ou social - l'alcool et le chanvre depuis le néolithique au moins - dans une vie qui n'est pas si facile tous les jours et a besoin de béquilles plus que de l'hypocrisie de nos pères la morale.

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