Les écologistes ont une obligation de résultats

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Les militants politiques y compris écologistes, restent pris la plupart du temps dans l'imaginaire du XIXè, sans intégrer encore le complet renversement opéré par la question écologique, même par rapport au combat toujours nécessaire contre les injustices - sans parler de l'utopie d'un monde idéal. En effet, l'affaire du siècle n'est plus désormais celle d'un progrès historique futur, mais, qu'on le veuille ou non, l'urgence de limiter la casse devant le désastre annoncé.

Le militant pour la justice ou l'idéal peut bien échouer, sa bonne volonté plaide pour lui, confiant que l'avenir lui donnera raison. Dans ce cadre, se battre pour des causes perdues garde un côté héroïque gratifiant pour notre narcissisme. On peut penser que, même si la révolte est écrasée, le prolétaire y a gagné en dignité, sortant de sa condition d'instrument dans la fraternité exaltante des camarades de lutte.

Pour un écologiste soucieux de l'état de la planète, c'est très différent car il ne suffit pas de vaines rêveries, ni de vivre des bons moments entre nous, il faut empêcher l'irréversible et ce qui est perdu sera perdu pour toujours. Comme lorsqu'on est en guerre, cette contraction du temps, qui rend les toutes prochaines décennies décisives et bouche l'horizon, exige de suspendre nos projets à très long terme et n'a que faire des bonnes intentions, ni même d'une simple obligation de moyens, chacun faisant ce qu'il peut, quand il s'agit de responsabilité collective et qu'on a une obligation de résultats.

Contrairement à l'idéologie écolo, le plus important pour des écologistes, c'est effectivement de ne pas être dans l'u-topie de nulle part, un autre monde imaginaire, mais dans les réalités locales actuelles avec toutes leurs diversités et leurs fragilités. Il nous faut des résultats concrets, même minimes, qui valent mieux que rien et que les belles paroles ou les actions purement symboliques. Le désastre écologique n'attend pas et n'est pas une affaire subjective ni individuelle alors que l'écologie est politique, qu'il s'agit d'organisation de la société et de majorités à conquérir, non pas de faire chier le monde ni de faire des efforts pour moins consommer - préoccupation de riches avec la bonne conscience et le cerveau de petits colibris. Il nous faut absolument obtenir des mesures massives touchant l'agriculture et l'industrie. Certes ce n'est pas gagné, pas à la hauteur, ayant toutes les chances d'être décevant voire désespérant, mais ce sont des batailles à livrer et il ne sert à rien de rêver à l'impossible dans le monde actuel et ses rapports de force, avec une considérable inertie qu'il faut prendre en compte malgré le temps qui presse.

Raccourcir les délais et la visibilité aux 20 années à venir, on peut dire à l'immédiat, va à l'encontre de la prétention de tous les partis d'avoir un "projet de civilisation" et une vision de l'avenir. Prétention exorbitante des idéologies depuis la Révolution française et qui se sont fracassées sur le réel, ce dont témoigne notre impuissance à sauver ce qui peut l'être. Bien sûr, pour tous ceux qui s'imaginent que nous commandons à la nature et que la force de notre volonté suffit à transformer le monde en paradis, la modestie du réalisme semble méprisable, mais devant les menaces écologiques, ces illusions sont criminelles. On n'est pas dans la frime, notre action ne se juge qu'au résultat et non seulement les bonnes intentions ne suffisent pas mais elles peuvent aggraver la situation.

La véritable radicalité ne se paye pas de mots et vise à changer vraiment les choses. Ainsi, l'anticapitalisme peut mener à sortir du salariat capitaliste au profit d'une relocalisation de l'économie qui est une entreprise de longue haleine et loin d'être acceptée encore. Plus ordinairement, l'anticapitalisme est juste un slogan, un positionnement politique de l'ordre de la pensée magique, condamnation morale de la réalité sans solution de rechange.

Or, cette pure idéologisation peut avoir (a eu) des conséquences dramatiques qu'on peut illustrer par l'échec de la conférence de La Haye sur le climat à cause, entre autres, de la fausse radicalité purement idéologique de Voynet (ministre alors) et des Verts français refusant les prétendus "marchés des droits à polluer" (Qui ne serait pas contre une telle horreur?) dont les USA faisaient une condition de leur accord. Le pire est qu'ils étaient très fiers de leur résistance à la marchandisation (!), suscitant ma démission car nous avons perdu là de précieuses années. Certes ces mécanismes étaient très imparfaits et critiquables mais pas au point de se couper du principal pollueur ! Le véritable marché des droits à polluer est simplement le marché des hydrocarbures qui nous polluent, le système des quotas envisagé étant moins libéral que les écotaxes.

Il faut prendre conscience des méfaits de la fausse radicalité et des postures idéologiques, ne pas surestimer nos moyens ni surtout empêcher des avancées même timides au nom d'une radicalité mal placée qui devrait plutôt s'exprimer localement. C'est un enjeu du moment. Il y a d'un côté ce qu'on peut obtenir, certes insuffisant, de majorités à gagner, et de l'autre des alternatives locales à expérimenter, stratégies qui devraient s'ajouter et non pas se combattre, pour des résultats effectifs, ici et maintenant.

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