L’écologie est politique (pas individuelle)

Temps de lecture : 6 minutes

Il a fallu une révolte populaire pour que les écologistes admettent enfin que les écotaxes sont absurdes appliquées à des personnes qui n'ont aucune autre alternative. L'évidence des écotaxes pour les écologistes était tel jusqu'ici que les critiquer était complètement inaudible, preuve qu'on n'était pas écologiste ! C'est qu'elles ont une véritable utilité appliquées aux entreprises qui peuvent investir dans des économies de consommation et des énergies renouvelables, ce que le système des quotas assurerait mieux cependant avec un prix du carbone plus élevé.

Le problème, c'est que, justement, on ne peut pas trop taxer les entreprises, souvent exonérées au contraire pour ne pas grever leur rentabilité et qu'elles se délocalisent ! La concurrence internationale est l'élément déterminant ici, ce pourquoi l'urgence serait d'avoir un prix du carbone mondial. Croire que la taxation des individus pourrait compenser l'absence d'un tel mécanisme ciblant les plus pollueurs relève de l'aveuglement et finalement d'une conception marchande, libérale et individuelle de la société alors que nos modes de vie sont entièrement déterminés par l'organisation sociale de la production et de la distribution, ce n'est pas une simple taxe qui peut y changer quoi que ce soit, sans aucun bénéfice écologique donc. L'écologie n'a rien d'une question personnelle comme on nous en rebat les oreilles, c'est uniquement une question politique. Certes, une fois le tri des déchets organisé, il faut s'y plier individuellement, mais c'est d'abord une organisation collective.

En fait, non seulement l'écologie ne peut pas être individuelle - ce qui n'a aucun sens, l'individu ne faisant que participer à son milieu - mais, on l'a vu, elle ne peut se réduire au local non plus, même si le local est bien un maillon indispensable dans la diversité des situations et des solutions. L'essentiel de notre avenir se joue désormais en Inde après la Chine et avant l'Afrique (ou le Brésil), c'est à dire le développement des pays les plus peuplés dont les émissions montent en flèche bien qu'étant encore loin des nôtres par habitant. Les petites économies qu'on pourra faire ici seront de peu de poids si ces pays ne se convertissent pas rapidement aux énergies renouvelables au lieu du pétrole et du charbon. Plutôt que se regarder le nombril en voulant être un écologiste irréprochable et culpabiliser les autres, c'est donc bien sur l'action politique et globale qu'il faut se concentrer si on veut avoir une chance de dépasser notre impuissance individuelle. Pour que des mesures écologiques ne soient pas insignifiantes, il faut qu'elles soient absolument massives.

Après avoir reconnu les dangers d'un réchauffement brutal, le consensus sur la façon d'y faire face a été long à se dégager mais commence à s'imposer, surtout grâce au Giec. En témoigne la proposition de Green New Deal, de la démocrate radicale Alexandria Ocasio-Cortez, qui intègre bien la capture du CO2, tellement critiquée par les écologistes pourtant, aussi bien pour un charbon propre que par la reforestation ou une meilleure gestion des sols agricoles.

Bien qu'il ne manque pas de bonnes âmes pour nier là aussi l'évidence, la transition énergétique est bien engagée, il ne faut que l'accélérer encore mais les masses en jeu sont tellement énormes que cela prendra des décennies, il n'est pas sûr qu'on puisse aller beaucoup plus vite. On peut cependant se passer du nucléaire, ce qui est une très bonne chose, devenu de toutes façon trop cher par rapport aux renouvelables et en déclin. En plus de la diminution de la part des hydrocarbures, la priorité doit donc aller aux économies d'énergie, en premier lieu l'isolation des bâtiments. Les bâtiments représentent en effet de 25 à 40% de la consommation. Des aides publiques sont pour cela indispensables mais il faut organiser aussi l'offre. La gestion intelligente de l'énergie serait un facteur supplémentaire non négligeable de baisse de la consommation (autour de 15%) mais la construction elle-même est très énergivore.

Tout cela est en cours tout en restant très insuffisant, au moins pour les deux points les plus décisifs : l'agriculture et la reforestation. Changer l'agriculture est sans doute plus décisif que de compter sur nos changements alimentaires (la production précède la consommation) mais l'agro-écologie tarde à se mettre en place et la déforestation continue. Même si nous ne sommes pas agriculteurs, il faudrait porter beaucoup plus d'attention à l'agriculture qui est l'élément le plus déterminant pour notre avenir puisqu'elle pourrait à la fois nourrir l'humanité jusqu'au pic de population, capturer bien plus de carbone dans les sols et mieux préserver la biodiversité (ou ce qui en reste!). On sait comme ces changements rencontrent de grandes résistances, en particulier en France, là aussi à cause du marché mondial sur lequel on exporte. Il faudra bien pourtant se convertir à "la production de cultures variées et riches en nutriments, préservant les écosystèmes. Il y a besoin surtout d'une intensification de l'agriculture écologique, tenant compte des conditions locales pour générer des cultures durables et de haute qualité". Il faut ajouter régénérant les sols et favorisant les circuits courts.

On voit bien que, en dehors du local, où il y a beaucoup à faire que personne ne peut prendre en charge à notre place, pour l'agriculture comme pour la reforestation et la capture du CO2, bien peu dépend de nous personnellement, sinon en pesant politiquement par l'action collective sur nos gouvernants et l'opinion mondiale, comme le font les jeunes actuellement, qui sont les premiers concernés, afin de pousser à la mise en place de ces mesures vitales mais impossibles à prendre unilatéralement, encore moins individuellement.

1 503 vues

Les commentaires sont fermés.