La stabilisation du climat comme objectif économique

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Il faut revenir sur l'assimilation abusive du caractère effectivement dramatique du réchauffement climatique à la "fin du monde" et la fin de l'humanité, ou même à un effondrement général mal défini. Il est clair qu'on sort ainsi des prévisions scientifiques pourtant déjà assez alarmistes, annonçant bien l'effondrement de nombreux écosystèmes mais pas de tous, et une multiplication des catastrophes, voire une "terre étuve" si on ne fait rien, ce qui est incontestablement très grave mais n'a rien à voir avec une fin de l'humanité.

On peut s'interroger sur le besoin d'en rajouter à ce point comme si seule la montée aux extrêmes pouvait nous toucher. Il n'est pas question de minimiser les risques qui peuvent aller jusqu'à l'empoisonnement de l'atmosphère à très long terme alors que des boucles de rétroaction positives sont enclenchées, notamment la fonte du permafrost. On peut difficilement imaginer pire mais ce n'est pas tout-à-fait la même chose malgré tout que l'événement grandiose d'un effondrement final.

Il faut bien dire que lorsqu'on entend les scientifiques égrener avec prudence les conséquences probables du réchauffement, cela ne nous fait ni chaud ni froid en général (que la mer monte de 7m, qu'importe ?), on n'en est pas ébranlé dans notre être, chacun imaginant comment il pourrait s'en tirer, ce qui n'est plus possible si c'est l'humanité elle-même qui est menacée d'extinction. Il y a cependant un gros problème avec cette présentation. En dehors du fait qu'elle paraît bien absurde alors qu'on n'a jamais été aussi nombreux, elle suppose qu'on pourrait se mobiliser contre cette fin du monde catastrophique pour l'éviter alors que la question est plutôt de stabiliser le climat et d'empêcher la multiplication des catastrophes même si nous ne pourrons les empêcher toutes. Ce n'est pas tout ou rien, ce n'est donc pas la fin du monde qu'on aura évité, et ce sera toujours la fin du monde pour tous ceux qui resteront victimes des catastrophes futures, même à contenir le réchauffement (ce qui n'est pas encore le cas).

Si on peut comprendre la dramatisation à l'extrême, qui s'impose sans doute à un regard englobant devant l'accumulation de mauvaises nouvelles, chacun sent bien qu'elle n'est pas crédible et n'est pas accréditée par les spécialistes, n'aboutissant qu'à paniquer les plus fragiles. Ce n'est pas "qu'on ne croit pas ce qu'on sait" (comme le prétend Dupuy), c'est qu'on veut nous faire croire à ce qui est faux. Reconnaître la gravité de la situation ne doit pas mener à déformer les faits. D'ailleurs, malgré toutes les dénégations, on ressent bien que la foi exigée dans les prédictions de fin du monde ont à l'évidence une dimension religieuse, ce qui explique l'autre erreur de ses propagandistes de laisser croire que l'avenir planétaire dépendrait de nos convictions intimes, d'une auto-affirmation de l'humanité méritant son salut, en s'épargnant la si difficile traduction concrète de ces bonnes intentions au niveau collectif, seul pertinent.

L'avenir qui s'annonce est bien sombre et malgré les accords climatiques (qui ne sont pas rien) on est bien mal parti. L'urgence est reconnue, il faut diminuer au plus vite nos émissions de gaz à effet de serre, mais on n'en prend pas le chemin avec le développement des pays les plus peuplés (Chine, Inde, Afrique). Ce n'est pas si simple, en effet, le nécessaire n'est pas toujours possible et surtout, malgré tout ce qu'on entend, cela dépend bien moins de nous et de nos petits gestes que de l'industrie et de l'agriculture, ce qui est une autre paire de manches. Il est ridicule de vouloir culpabiliser les gens qui n'y sont pour rien en masquant les véritables coupables. On se heurte à des procédés matériels, pas à de belles idées.

Dans ce contexte, au lieu de tout baser sur l'heuristique de la peur, d'une mobilisation planétaire modifiant le système pour éviter le pire, il serait sans doute plus utile de jouer sur une toute autre motivation, plus rationnelle, la stabilisation du climat comme objectif favorable à l'économie comme au développement des sociétés. Il ne s'agit pas de chercher un climat idéal qui conviendrait à tous dans un impossible unanimisme, mais seulement de réduire les variations climatiques autant qu'on peut pour mieux s'y adapter, assurant une certaine homéostasie dans l'intérêt de l'économie. En faire un paramètre économique, c'est assurer son effectivité par son intégration au système de production.

Comme on ne pourra jamais se protéger de toutes les catastrophes, la question climatique ne devrait donc pas se limiter aux risques accrus du réchauffement mais se donner explicitement l'objectif d'arrêter de modifier le climat (ce qui nous en a rendu responsables). C'est, certes moins enthousiasmant que de prêcher la fin du monde mais donne sans doute un meilleur angle que de se reposer sur une conversion des esprits à l'écologie ou un changement des modes de vie, ce qui ne mène à rien, même si on peut l'encourager. Ce qu'il faudra surtout, c'est changer la distribution et favoriser les relocalisations (circuits courts).

En tout cas, pour avoir une idée plus précise des enjeux, plutôt que de laisser tout cela aux idéologies ou l'arbitraire de phénomènes non-linéaires incertains, il faut souhaiter plus d'études scientifiques afin d'évaluer très concrètement les conséquences probables du réchauffement avec leurs temporalités respectives ainsi que les actions possible pour les contrer, comme le Giec a commencé à le faire. Nous n'en sommes qu'au début, le savoir progressera comme nos moyens.

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