L'idée d'un revenu de base ou universel est incontestablement à la mode, pas seulement dans les milieux branchés de la silicon valley. En dehors des Verts et autres groupuscules, ici, c'est d'abord la droite qui s'en est emparée, notamment avec Dominique Villepin et son revenu citoyen de 850€. Désormais ce sont des socialistes qui en font un enjeu central de leur campagne, façon sans doute de se prétendre radical à bon compte car il faut voir ce que cela recouvre au-delà de la communication politique.
On peut remarquer comme, à chaque fois, la mesure semble improvisée, comme si on n'y avait pas pensé avant. Ainsi, Pour Manuel Valls, on est déjà passé du "revenu universel garanti" à un "minimum décent" pour ce qui n'est pourtant guère plus qu'une fusion de différents minima sociaux. On ne sait quel crédit on peut donner à l'affirmation que "ce minimum décent peut aller jusqu'à 800-850 euros (...) pour une personne seule en fonction des ressources, avec toujours le lien sur l'insertion, sur la formation". Le montant fait simplement référence sans doute au maximum de l'allocation aux adultes handicapés, ne signifiant pas que tous en profiteraient également car on n'est plus dans un revenu universel et inconditionnel, s'éloignant du revenu de base qui avait servi simplement d'amorce. Si cela ne va pas beaucoup plus loin qu'un rhabillement du système actuel et une simplification des procédures, un lien est gardé avec le travail bien que sous une forme dont on n'a pas de raison de penser que ce sera plus efficace que depuis la mise en place du RMI. J'insiste sur le fait que ce lien reste indispensable à un système viable et soutenable même s'il faut, en même temps, refuser tout travail forcé et permettre d'accéder au travail choisi.
Benoît Hamon est plus fidèle à la logique d'un "revenu universel d’existence" sauf que, du coup, son montant mensuel devra "dans un premier temps" être équivalent à celui du RSA (524€), avant de passer à 750€, une fois le processus lancé et expérimenté... On voit qu'il ne faut pas en attendre grand chose, "dans un premier temps" au moins. Personne ne prétendra qu'on peut vivre avec un RSA, que ce serait un revenu de liberté s'il n'est pas complété par un revenu d'activité. Le montant de 750€ correspond au montant que nous avions évalué comme minimal pour survivre, à la commission des Verts sur le revenu. L'objectif n'est donc pas critiquable mais sa réalisation douteuse ainsi que son financement si on ne se préoccupe pas de donner les moyens à chacun de valoriser ses compétences mais qu'on en fait une dépense nette. La question du revenu ne peut être détachée de la question du travail et de ses transformations actuelles, de l'environnement productif. Qu'une garantie de revenu soit un découplage du revenu et de la production immédiate n'empêche pas son lien global à la production, qu'il faut organiser.
Bien sûr, pour tous ceux qui croient que c'est la fin du travail à cause de l'automation et de l'intelligence artificielle, il n'y a pas de problème. Le revenu de base est un revenu de consommation et non pas un complément de revenu pour un travail autonome. Certains vont même jusqu'à faire appel à la création monétaire pour le financer ! Il y a bien de quoi dénoncer la pensée magique, en effet. C'est pourtant un enjeu fondamental de comprendre ce qui fait la nécessité d'un revenu garanti pour tous (formulation qu'on préférera au revenu universel ou revenu de base), au-delà de son apparence utopique et de l'irrationalisme de ses partisans, pourquoi il est dans l'air du temps et s'impose dans le débat malgré son caractère apparemment infaisable. Or, ce n'est pas parce que les robots nous auraient déjà pris tout notre travail - c'est loin d'être le cas - mais bien parce que le travail est devenu plus précaire en devenant autonome, hors salariat pour une part grandissante de la population. Le problème n'est pas tant le chômage (transitoire) que la précarité (à l'ère de l'information) et les travailleurs pauvres. C'est même la raison pour laquelle l'originalité du revenu de base, sa définition, est d'être cumulable avec un revenu d'activité insuffisant - ce pourquoi on peut dire que c'est un revenu pour travailler (à ce qu'on aime). Le thème apocalyptique de la fin du travail et d'un chômage éternel a bien sûr beaucoup plus de succès. Heureusement, la théorie n'a pas autant de poids que les contraintes matérielles qui s'imposent aux nouvelles forces productives. Il n'y aura pas disparition du travail ni une allocation universelle en pure perte mais il faudra s'adapter aux transformations du travail et sécuriser les revenus qu'on le veuille ou non.
Défendre des scénarios de revenu de base élevé permettant de vivre, ce qui serait effectivement souhaitable, ne sert à rien qu'à tromper les gens, ce que fait Marc Basquiat dans son livre qui en présente une version libérale (sous forme d'impôt négatif) en prenant d'abord comme exemple un revenu de 1000€ pour finalement ne proposer que 450€ (ainsi qu'une flat tax de 23% payés par tous, à la place de l'impôt progressif). En faire "un revenu de liberté pour tous" est juste ridicule. Le problème n'est pas de s'étriper sur ce que ce revenu de base devrait être (un revenu suffisant) mais de se rendre compte de ce qu'il sera s'il est adopté dans le contexte politique actuel. Ce que les 35h nous ont appris, c'est que les réformes se font toujours a minima et dans la pire version la plupart du temps, rien à voir avec ce dont on pouvait rêver. Or, si le revenu de base n'est pas suffisant, il faut absolument se préoccuper de le rendre suffisant (par un revenu complémentaire, revenu d'une activité rémunératrice) sinon c'est une économie qui n'est pas viable, n'assure pas sa reproduction.
La dernière fois que je suis sorti de ma retraite, c'était pour le lancement de journées d'été du revenu de base. Il me semblait intéressant d'apporter un soutien critique au mouvement en faveur d'un revenu de base qui prenait de l'ampleur dans toute l'Europe et soulevait bien un problème de fond, celui d'un droit universel au revenu. Cependant, j'ai voulu insister sur le fait que non seulement son montant ne pouvait être suffisant dans le contexte actuel, inutile de vouloir faire de la surenchère au plus disant, mais surtout que se limiter à la question du revenu était très insuffisant en soi, qu'il fallait le relier à la question du travail immatériel et des nouvelles conditions de production ou de formation avec la nécessité des institutions locales du travail autonome et du développement humain (comme des coopératives municipales). Je le répète, il faut s'occuper des transformations du travail, pas de sa prétendue fin. D'une part parce que, malgré tous les idéologues qui prétendent nous délivrer du travail, le chômage de masse manifeste au contraire le besoin qu'on a de valoriser ses compétences et que d'autre part, c'est la seule façon qu'un revenu garanti soit soutenable, d'être productif et non pas dépense sociale en pure perte, impossible à financer.
Il y a donc deux erreurs possibles, celle de justifier un revenu universel par la fin du travail, d'en faire un revenu non productif, et celle de penser qu'avec un revenu de base tout s'arrangerait tout seul, qu'il serait suffisant alors qu'il faut le compléter par les institutions du développement humain, du travail autonome, de la valorisation des compétences, d'adaptation enfin à la nouvelle économie. Ce qu'il faut, c'est l'inscrire dans un projet global et cohérent. Une autre erreur serait de confondre un droit universel au revenu avec l'obligation de verser effectivement ce revenu à tous, même à ceux qui n'en ont pas besoin (Alain Caillé parlait d'inconditionnalité faible). Il semble que rien n'en a été entendu jusqu'ici et l'on peut éprouver un grand sentiment d'inutilité à voir qu'on retombe sur les mêmes impasses et semble redécouvrir ce dont on parlait il y a plus de 10 ans...
Sans surprise, les critiques commencent à pleuvoir contre des propositions aussi extravagantes et constituant à l'évidence une fausse solution aux problèmes qui se posent. De même, ceux qui regardent de près la production ainsi que les progrès de l'intelligence artificielle, n'ont pas de mal à démonter le mythe du remplacement de tous les travailleurs par des robots. Ces critiques ont incontestablement raison, sauf que s'en tenir aux premières objections n'est pas comprendre la nécessité qui reste d'un revenu garanti, non à cause de la disparition du travail cette fois mais de son caractère devenu discontinu, non linéaire, par projet, risqué, etc. Que les robots fassent mieux que nous ce que nous faisons aujourd'hui n'empêchera jamais de valoriser ses compétences pour autant que les structures sociales nécessaires existent et la monnaie (locale) disponible.
Il y aura peut-être une (très progressive) fin du salariat, du travail subordonné, comme il y a eu une fin de l'esclavage, ce qui est sûr, c'est qu'il y a une transformation du travail qui va vers la fin du travail forcé d'autrefois dès lors que le plaisir est devenu un facteur de production (dans de plus en plus de métiers). Ce n'est pas pour autant le temps de loisirs marchands ennuyeux et d'un revenu de misère, c'est le temps du travail choisi, du travail passion, peut-être, et sinon de la reconnaissance monétaire de nos compétences. Il ne s'agit pas de peindre la réalité en rose comme s'il n'y avait plus de boulots de merde, mais c'est ce dont un revenu de base pourrait nous aider à sortir. On ne peut réduire en tout cas la question du revenu à un slogan. La conception qu'on a de l'avenir du travail détermine complètement son organisation et la fonction d'un revenu garanti qui ne peut être une mesure isolée ou purement symbolique. Il ne s'agit pas de morale ni de préférences personnelles mais du possible et du nécessaire.
Avez-vous lu "la grande dévalorisation" de Trenkle et Lohoff du groupe Exit! ...?
Quelle propositions faîtes-vous pour que soit envisagée l'idée que le travail n'est peut-être pas le seul moyen d'assurer une émancipation humaine plus égalitaire? Sinon, on reste soit dans l'illusion d'un futur radieux ( émancipation différée, mais réalisable par des ajustements plus ou moins doux ou radicaux?), ou dans l'illusion de pouvoir transférer le travail sur les automates, esclaves intelligents : droit à l'oisiveté étendu à la multitude humaine libérée du "boulot"? Et évitant de devenir "boulote" par la randonnée, le sport, le binage des espaces verts de préférence à la musique et au dessin,aux spectacles, à la lecture, activités plus sédentaires? L'illusion ou l'ennui. Qu'est-ce qui mérite d'être changé, sinon les finalités: la question d'une réciprocité des preuves que nous avons à échanger entre le fait d'être là pour un temps très limité et le lieu terrestre de ce séjour : comment laisser le moins de merde possible? Là, il y a du boulot... ça devrait pouvoir se planifier?
Si le travail c'est rechercher , organiser , construire et faire vivre un monde humain .....Alors la tâche est immense , sans fin et épanouissante .
Si le revenu d'existence s'inscrit dans le sens de politiques planifiées alimentant les divers domaines d'activités repérés comme favorables à cette tâche.... c'est un excellent outil.
La relocalisation est une réappropriation du travail de production et c'est dans ce domaine que l'injection d'un revenu serait utile , comme levier puissant aux initiatives locales .
Je suis d'accord.La mesure seule, en tant que réforme dite innovante, serait une escroquerie, un altercapitalisme permettant que tout continue autant que possible comme avant. Jean Zin a raison d'intégrer une telle mesure à une relocalisation ( à une démondialisation donc ) à des monnaies locales et à des organisations en coopération municipale et autres ateliers communs, seuls niveaux où les décisions peuvent se prendre en assemblées générales sérieuses ( comme lorsqu'au Moyen Age des assemblées paysannes décidaient de la répartition de assolements et des vaines pâtures) Cela semble le seul moyen d'une transition planifiée vers un développement non pas "durable" mais " nouveau"! L'équivalence de la "vaine pâture" c'est la gratuité quand c'est souhaitable, le covoiturage, le fablab et le revenu de base ( avec une diversité des expériences, c'est là que le sens de "planifier" est à débattre: il s'agirait de planifier le respect de la diversité, en fonction de réalités territoriales
( géographie, géologie, climat, etc..)
Beaucoup de jobs pourraient pourraient pour partie être réalisés de chez soi ou proche de chez soi avec le télétravail et pourtant c'est toujours très peu développé actuellement, malgré les avantages que cela procurerait. Il y a une vraie résistance des esprits, même pour les syndicats qui voient le télétravail comme une aliénation 24h/24 à l'outil numérique tandis que des accords peuvent être prévus pour empêcher le on line permanent à toute heure des travailleurs.
J'ai pratiqué le télétravail, et il se développe mais effectivement plus lentement qu'on ne pouvait le penser. En partie sans doute pour une question de surveillance mais l'essentiel est plutôt la socialisation et l'esprit d'équipe qu'on perd à distance. Il y a aussi la réelle difficulté, au début, à gérer le travail à domicile. Pour le travail intellectuel ou la programmation, il y a un vrai plus à pouvoir travailler chez soi mais il ne faut pas que ce soit trop généralisé et imposé à tous, la diversité des situations, des emplois et des gens doit être respectée. Le simple fait que ce soit possible assure que la pratique va continuer à se répandre.
La présence physique en équipe a son importance, c'est pour cela que je parle de télétravail partiel qui avec les mels, chats, share points de documents et skype permet une communication assez spontanée, souple, procure le confort d'être chez soi. Il est évident que cela relève du type de métier, d'entreprise, de projet ... et ne peut pas être spécifié dans le détail pour chacun par une loi globale.
je partage bien volontiers ton sentiment d'inutilité jean ... il y a 10 ans on pensait que les luttes sociales pouvaient porter cette revendication, en vain ... la lutte des intermittents à été une lutte corpo en 2003 , le cpe c'est achevé sur une défense illusoire du cdi et la problématique du pouvoir d’achat , les banlieues ont cramées pour rien en 2005 ( comme d'hab le ghetto cloue son propre cercueil ) et la loi travail à été la désillusion ultime montrant si il fallait encore le démontrer l'archaïsme des syndicats et les débilités insurrectionnelles de l'ultragauche comme la nullité des dirigeants politiques de tous bords et voilà maintenant que sous une forme édulcorée ( par rapport à une revenu garanti suffisant et indexé sur l'inflation) et pour de mauvaises raisons on veut faire le revenu de base : on se pince ... la mise en place ne peut être que catastrophique et décevante .. la double erreur que tu pointes me semble vrai ... il faut sans doute s'attendre à ce que ce revenu s'impose uniquement pour de mauvaises raisons toutes fausses et quelques débilités à quoi ça sert d'écrire dans ce cas là ... autant se la couler douce autant que c'est possible quand il n'y a plus rien de rationnel dans les débats d'idées ... le fait que d'autres pays européen mettent en place le revenu de base compétitif et gagnent en compétitivité nous assurent que nous y viendront bientôt pour des raisons de compétitivité ...
Bonsoir,
Je suis surpris de constater qu'il y a encore des gens pour promouvoir le revenu de base ou universel. Ne voyez-vous donc pas tous les partis de se jeter sur cette bonne idée qui permettrait de remplacer par ce revenu toutes les allocations actuelles : retraite, RSA, chomage, allocations familiales etc... pour un montant de 524€ dit Benoit Hamon, votre défenseur du PS de gauche. Il le promet la main sur le coeur, il le passera à 750€.
Je recommande de combattre ce bâton merdeux et de vous retrouver sur d'autres luttes : évasion fiscale qui justifie le détricotage de la fonction publique, licenciement des fonctionnaires, privatisations en tout genre, ceta, tafta, etc...
cordialement
Pour être surpris, il faut ne pas connaître la question car il y a au contraire de plus en plus de gens de par le monde comme en France qui défendent un revenu de base. Ce qui est plus surprenant, c'est de ne pas voir que dans cet article j'en fais une critique sévère, notamment des propositions de Valls et Hamon ! Je dénonce clairement que ce progrès social a toutes les chances ("dans un premier temps") d'être une régression, comme pour les 35h introduisant la flexibilité, et le fait que je me soucie d'y articuler le travail me fâche avec une bonne part de ses partisans. Je ne fais pourtant que des constats incontestables.
Quand à abandonner la revendication d'un revenu garanti, ce serait criminel car bien sûr, ce sont les plus faibles qui souffrent de son insuffisance. Son besoin est réel. Pour le reste, il semble bien qu'on soit dans une période protectionniste et qu'il n'y aura pas de traité avec Trump. Tout le monde promet de lutter contre l'évasion fiscale mais ce n'est pas si facile, compter sur cet argent perdu, c'est payer en monnaie de singe. Les problèmes de fond ne sont pas tant la privatisation, certes regrettable, que le numérique et les transformations du travail (chômage et précarité), problèmes qui ne sont pas sensibles aux professions qui n'en sont pas affectées et ne rêvent à rien d'autre que les choses continuent comme avant...
C'est comme si c'était trop compliqué d'associer ce RdB avec le travail et la production, avec la transformation du travail, comme vous le faites pourtant si clairement. Je ne vois pas où ça coince, pourquoi cette évidence reste marginale, j'ai beau chercher.
Si, c'est très compréhensible. D'une part il y a la peur que vouloir relier travail et revenu mène au travail forcé (activation des dépenses sociales). D'autre part, les inamovibles qui ont mis la main sur ATTAC (qui était une si belle initiative au début) refusent un revenu d'existence parce que ce serait renoncer au plein emploi (qu'ils sont bien incapables de fournir).
La position que je défends depuis le début est impossible à faire entendre car il faut à la fois que le revenu soit inconditionnel, sans aucune obligation de travailler, mais aussi que des moyens soient donnés pour valoriser ses compétences et que ce soit un véritable travail choisi (ou même une activité non rémunéré si on arrive à survivre avec le minimum) avec un droit à l'oisiveté, des années sabbatiques ou de recherche, à condition d'avoir le choix. C'est beaucoup moins simple que de parler juste d'un revenu d'existence sans parler du travail ou d'invoquer le plein emploi salarial sans se préoccuper de la précarité réellement existante. Une fois que ce sera rentré dans la pratique ce sera une évidence mais ma position m'a toujours distingué sur le sujet et même isolé.
La grande différence avec mes positions initiales, c'est que je défendais, avec de très bonnes raisons en accord avec Gorz, un revenu suffisant, alors que désormais je pense qu'il ne faut pas se raconter d'histoire mais être conscients qu'il sera insuffisant, au moins au début, que nous ne sommes pas en mesure de décider théoriquement d'une réalité soumise à des puissances effectives et bien plus difficile à changer qu'on le prétend (les ministres sont vite confrontés à leur absence de pouvoir réel, sauf exception). Cette voie étroite entre le nécessaire et le possible finira sans doute par s'imposer aux idéologies simplistes.
Ce qui est difficile à penser, c'est l'association de travail (donc une production en prise avec un marché) et de choisi (parce que si on avait le choix pour la plupart d'entre nous, dans un premier temps, ce serait de ne pas travailler).
Le moteur, qui fait que cette association peut fonctionner, c'est que nous avons tous besoin d'une valorisation sociale (reconnaissance-Hegel). Mais je ne suis pas certain que dans le contexte très individualiste qui s'est développé, cette réalité (notre besoin de valorisation) soit suffisamment perçue. Les nécessités écologiques devraient faire évoluer le contexte et réduire la prééminence individualiste et apporter un élément transcendant (orientant) les préoccupations individuelles. Il me semble que c'est bien ce que j'entends dans le discours des jeunes, mais je n'ai pas de repère statistique suffisant pour m'en faire une meilleure idée.
Nous avons besoin d'une valorisation sociale mais pas seulement, nous avons besoin de faire, de produire, de construire, le plus important sans doute étant l'ennui de l'individu. Il est naturel de ne plus vouloir travailler quand on y est obligé, tout comme il est naturel de vouloir dormir lorsqu'on est épuisé mais après deux ans de chômage, la plupart ont épuisé les joies de l'oisiveté.
Le travail choisi n'est jamais complètement libre car il doit rencontrer une demande et une fois engagée toute action est contraignante. Les débats sur le travail sont infinis et ne font pas bouger les choses à vouloir en faire une idéologie mais, ce que montre l'article, c'est que la question ne se pose pas dès lors que le revenu est si bas qu'il ne peut se passer d'un complément.
Le travail est forcément perçu négativement dans des sociétés qui assimile le travail à une simple réussite sociale et un enrichissement ; son sens et sa valeur ne sont pas intrinsèques : le travail n'a pas d'intérêt en soi , c'est une obligation pour couvrir des besoins matériels , de l'enrichissement et de la valorisation sociale. De plus , les ressources énergétiques abondantes associées aux savoirs faires techniques ont démultiplié nos possibilités de production dans le cadre d'une division et d'une spécialisation du travail qui sont de plus en plus portées par des acteurs internationaux qui ,compétitivité oblige, ajoutent de l'insécurité , de la précarité et du chômage à des tâches pas toujours intéressantes et s'opérant dans des conditions qui se dégradent.
Dans ce cadre beaucoup de gens, s'ils perçoivent de quoi vivre , quitteront ces types de boulot merdiques , se feront plaisir dans d'autres activités et bosseront un peu au noir pour compléter .
On a beau tordre le sujet dans tous les sens , on ne peut pas changer la société avec des mesures , mais avec une vision d'ensemble et une certaine planification s'inscrivant dans des stratégies de projet.
L'intérêt de relier revenu d'existence et relocalisation est que ce revenu est conditionné par l'adhésion à des projets locaux qui au bout du compte vont offrir du travail de production réelle , souvent en partie déspécialisée et donc beaucoup plus épanouissante . On se réapproprie le travail qui localement à un sens dans le cadre de projet d'économie solidaire durable.
Par exemple sur un territoire doté de fermes laitières occupant une vaste zone , et organisées pour produire des volumes et vendre le lait à l'industrie , la réorganisation de ce système avec la création de coopératives valorisant directement le lait sur le territoire local ; cela en transformant et vendant directement ( lait , fromages , yaourts , glaces etc ) et dans le même temps en diversifiant et en introduisant d'autres production à destination du marché local ( farines ,biscuits , fruits sec confitures , légumes etc etc etc
Tout cela permet de créer de l'activité locale , et des emplois qui font sens ; la démesure et difficulté évident de tels passages à la relocalisation , justifie pleinement un plan d'attaque et des mesures diverses , parmi lesquelles un revenu d'existence pour les acteurs qui vont se former et s'inscrire dans ce schéma.
On ne pourra pas faire l'économie d'une certain réalisme , qui s'appuyant sur le sans issue de nos organisations , planifie un rééquilibrage de la société grâce à une remise en avant ,comme finalité, du local.
Un très long article sur "Le futur du travail et la mutation des emplois" avec de nombreux liens. Cet employé croit à la disparition des emplois alors qu'il prouve plutôt le contraire, en tout cas que ce n'est pas la fin du travail. Il a raison par contre de craindre une évolution trop rapide qui augmenterait le chômage (en baisse partout quand même pour l'instant) et plaide pour un revenu universel productif :
Il ne va pas jusqu'à penser qu'il faudrait des institutions pour rendre ce revenu universel productif (il compte sur les applications pour le faciliter). Ce qui est tout de même difficile à avaler, c'est comme des idées qu'on croyait subversives finissent par être récupérées par les entreprises. C'est un cas général, pas seulement pour l'idée de revenu universel. C'est sans doute l'idée de subversion qui est trompeuse, on pourrait dire trop publicitaire...
L'auteur, Yves Caseau, a aussi publié cet article (il me semble en plus long encore) sur son blog "Architectures Organisationnelles".
C'est un très bon connaisseur des organisations et plus particulièrement des entreprises (il élabore des schémas de management innovants genre entreprise 3.0, qui prennent en compte la révolution numérique). Il est très sensible à l'autonomie des acteurs et donc la délégation de pouvoir autant que possible, mais il demeure sur la longueur d'onde du chef comme élément structurant incontournable. Je le vois comme de droite éclairée. Par exemple, il est pour les stock-options, alors que c'est un des éléments qui a profondément perturbé l'entreprise en faisant basculer le management du côté de la finance, renforçant ainsi le capitalisme qui aurait pu s'en passer.
Sans parler, à proprement, d'institutions, il s'en approche quand même beaucoup dans sa conclusion:
*Pour conclure, il convient de souligner que ce nouveau mode de vie, en dehors du statut « traditionnel » de salarié, peut être aspirationnel... En revanche, une telle transformation de la société et de la culture représente un défi formidable qu’il faut accompagner... Néanmoins, à l’échelle de la société, cette évolution doit être accompagnée par la formation et l’éducation... "
L'OFCE critique le revenu universel comme infaisable :
http://www.latribune.fr/economie/france/le-revenu-universel-une-proposition-irrealiste-selon-l-ofce-625274.html
Le RdB est sans doute un élément ou un enjeu dans le bouleversement des rapports sociaux auquel nous assistons sans bien le comprendre. Il nous manque une analyse globale dans laquelle l'inscrire.
Emmanuel Todd a contribué à une compréhension des révolutions précédentes qui ont changé les rapports sociaux. L'alphabétisation, à partir d'un certain taux (fourchette assez précise donnée par Todd, il me semble vers les 50%), a rendu insupportable les précédentes structures de domination. Le degré d'autonomie de penser et de représentation véhiculé par l'alphabétisation a délégitimé l'ordre ancien. La forme de la révolution et son résultat a été en grande partie dicté par les structures familiales préexistantes.
Qui sera le nouvel Emmanuel Todd, enfin je veux dire celui (ceux) qui nous aidera à mieux comprendre notre temps en nous indiquant les clés diffuses de la délégitimation des dominants actuels. Le capitalisme (des propriétaires/actionnaires) y résistera t il? Comment nos rapports sociaux vont ils évoluer vers un nouvel équilibre entre nos représentations et l'ordre en place?
La Finlande commence à expérimenter le revenu universel :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/01/01/la-finlande-commence-a-experimenter-le-revenu-universel_5056148_3214.html
C'est minimaliste dans tous les sens et un peu n'importe quoi. Le montant est trop faible pour vivre là-bas, c'est une population plus fragile, le nombre est trop petit. On en attend soit que les chômeurs prennent des emplois moins payés, soit qu'il se lancent dans une activité indépendante.
Des expérimentations mal faites peuvent enterrer l'idée pour un moment, sa nécessité reste mais on voit comme on tâtonne, que si on connaît la réponse, on ne sait pas vraiment à quoi elle répond...
Le dernier argumentaire d'Alain Caillé sur le revenu universel et une inconditionnalité conditionnelle :
http://www.journaldumauss.net/Revenu-universel-Sortir-des-faux
Il est certainement nécessaire de convaincre qu'il s'agit d'une mesure juste et productive mais je ne crois pas du tout qu'il soit nécessaire d'y introduire la logique du don et bien plutôt une organisation productive qui manque ici (institutions du travail autonome comme des coopératives municipales). On ne prend pas en compte qu'une telle réforme ne se fera qu'au minimum et demandera un complément, qu'elle devra se montrer productive pour ne pas avoir un coût délirant et que cela ne se fera pas tout seul. Ce ne sont pas les bons arguments (que j'avais moi-même élaboré au tournant du siècle notamment à partir du travail d'Alain Caillé) qui permettront la mise en place d'un revenu garanti mais sa réussite économique.
Remarque sur le Revenu de base. Il me semble que la question de la redistribution de ce revenu par les bénéficiaires est trop ignorée dans les débats et dans les plans de mise en place. A l'heure où les outils favorables à une telle redistribution n'ont jamais été aussi performants, il est bien dommage de ne pas y penser pour le RdB. La loi peut aider ou favoriser cette redistribution vers deux cibles: la précarité et les projets. Ainsi, ceux qui percevraient ce RdB et qui n'en ont pas vraiment besoin pourraient le rediriger, vers des personnes en difficulté ou des projets. Il suffirait d'un tout petit coup de pouce apporté par la loi (par exemple, ce revenu redistribué sortirait directement du revenu imposable) et des plateformes d'accompagnement. En outre, une telle démarche contribuerait à construire une "validation sociale" de ce RdB. Ce point de la validation sociale est au cœur de la polémique qui a lieu entre les pour et les contre. Les contre (comme Harribey) reprochent au RdB de ne s'appuyer sur aucune théorie de la valeur digne de ce nom, et les pour (comme Mylondo) avancent que toutes nos actions, y compris jouer à la belotte avec des amis, sont socialement validées. D'autre part, considérer cette redistribution permettrait d'entrevoir que même un RdB assez faible (200-300€) pourrait se révéler efficace. Des organismes comme des coopératives municipales pourraient assez facilement capter ces RdB redistribués par le bas.