Comme pour le Brexit, l'élection de Trump était considérée impossible jusqu'au dernier moment, ce qui est étrange dans ce cas étant donné le nombre d'Etats qui lui était acquis mais il faut croire qu'on ne voulait pas y croire. Il semble que le populisme ne puisse gagner que par surprise. Il ne faut sans doute pas trop juger Trump sur sa campagne caricaturale, ceux qui le connaissent (comme Dominique Villepin) avertissaient qu'il était plus rationnel qu'il ne pouvait en avoir l'air. Sa présidence pourrait n'être pas aussi catastrophique qu'elle s'annonce.
Les risques sont quand même énormes et, en tout cas, cela devrait bouleverser les équilibres mondiaux. L'histoire n'est pas finie et ces coups de boutoir du populisme sont apparemment nécessaires pour débloquer des situations et réorganiser l'économie globalisée en fonction des évolutions en cours. Le tremblement de terre n'est que la conséquence d'une tectonique des plaques antérieure. Il fallait qu'il se passe quelque chose, une rupture avec la période précédente - au moins pour perdre ses illusions sur la démocratie comme sur un retour à une grandeur passée.
L'intérêt du Brexit qui ne verra peut-être jamais le jour, c'est d'avoir montré tous les problèmes que cela pose et les limites de la souveraineté retrouvée. Ce sera sans doute le cas avec Trump aussi même s'il n'est pas impossible qu'il se lance dans de grands travaux d'infrastructure à la Roosevelt, ce qui aurait sûrement un effet très bénéfique. Pour le reste, il se heurtera forcément aux réalités économiques et devrait démontrer que même la plus grande puissance ne peut se mettre hors du monde. Reagan avait été bien meilleur président qu'on pouvait l'imaginer et il semble qu'on soit plutôt en sortie de crise, la phase du cycle économique pouvant être favorable à une reprise et une réaffirmation de l'hégémonie américaine mais, quand même, les victoires du populisme en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ont plutôt l'air des symptômes d'un déclin de la domination anglo-saxonne, la perte (très relative) de l'hégémonie ouvrant sur de dangereux conflits...
En tout cas, malgré tant de différences, les analogies avec les suites de la crise de 1929 continuent à se confirmer. Les pays se ferment et les régimes deviennent plus autoritaires. La politique est réinvestie contre le libre-échange. On ressort les mêmes discours xénophobes ou même racistes, exaltant la nation avec la prétention de dire ce que les vrais gens pensent et de se battre pour les chômeurs contre l'oligarchie. Rien de mieux contre le chômage, on le sait, qu'une bonne guerre !
Il faut rappeler que les fascismes (qui commencent avant la crise en Italie), bien que dirigés contre le parlementarisme, se distinguent des autres dictatures par leur apparence démocratique et populaire, organisant élections (truquées) et plébiscites. Ce n'est pas une nouveauté par contre que la démocratie puisse mener à la tyrannie. Toutes les déviations de la démocratie étaient déjà analysées par Aristote, il ne devrait plus être possible d'avoir de la démocratie une conception trop naïve. L'élection de quelqu'un d'aussi imprévisible et démagogue que Trump doit-il être considéré comme un échec ou une victoire de la démocratie contre les élites ? Expérimenter à nouveau les limites du populisme est peut-être inévitable en ces temps de crise mais il faudrait assurément s'interroger un peu plus sur la démocratie qui n'est pas la solution rêvée qu'on prétend et comme il est facile de manipuler les foules en les dressant contre l'oligarchie, même quand on en fait outrageusement partie.
De toutes façons, on voit bien à chaque grande crise que les causes sont matérielles d'une désespérance qui cherche un coupable. Les vaincus d'aujourd'hui devront se serrer un peu plus les coudes pour organiser la résistance et préparer le renouveau mais on a bien l'impression que le rythme s'accélère et que nous allons encore changer de monde, l'incertitude étant au plus haut.
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