Qu'est-ce pour nous, Mon Cœur, que les nappes de sang...
Il se trouve que la première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est que les guerres font de moins en moins de morts. C'est un fait trop peu connu cette diminution considérable du nombre de guerres et surtout du nombre de morts qu'elles provoquent, ce qui est bien difficile à admettre quand on est en guerre soi-même et qu'on compte ses morts, mais phénomène considérable à l'échelle de l'humanité et qu'on peut mettre sur le compte d'une unification du monde plus avancée qu'on ne croit. Dans ce contexte, ce qui frappe, c'est le caractère spectaculaire des morts du terrorisme malgré leur relatif petit nombre par rapport aux anciens conflits. Certes, nous ne sommes pas à l'abri d'une montée en puissance, mais il y a encore de la marge (le risque nucléaire est cependant toujours présent, sans parler du nouveau risque biologique).

Evidemment cette constatation est déplacée, injustifiable, témoignant de cynisme et d'un manque de compassion inexcusable mais, c'est un fait que, loin de Paris (bien que j'aurais pu y être ce jour là), je me suis senti beaucoup moins touché par ces 130 morts que par les quelques morts de Charlie-Hebdo. Peut-être parce que je connaissais un peu Bernard Maris mais je crois plutôt parce qu'un symbole était alors en jeu et des valeurs de liberté. Cette fois, même si la "perversion" était visée, c'est surtout la guerre dans sa simplicité. On ne fait jamais la guerre impunément, guerre qui nous fait forcément exister comme communauté par ceux qui nous ciblent indistinctement et nous rendent responsables de nos gouvernants (pourtant élus par une petite partie seulement des électeurs). Voilà qui nous sort en tout cas de nos intérêts individuels mais, pour ma part, ce n'est pas tant l'émotion (légitime) pour les victimes qui m'étreint, restant abstraites et s'ajoutant aux morts quotidiens de migrants, ou d'autres attentats contre les Kurdes, au Liban, etc. A l'évidence nous ne sommes pas sur une autre planète, protégés de la violence extérieure et ce qui me soucie immédiatement, ce sont plutôt les conséquences pour l'avenir, de plus en plus sombre, la fascisation de la société qui nous attend et contre laquelle il semble qu'on ne puisse rien faire. Curieusement, alors que ces réflexions auraient de quoi me faire passer pour un sans coeur (comme un Meursault condamné pour n'avoir pas pleuré à l'enterrement de sa mère), d'entendre Madonna (que je n'aime pas) chantant "la vie en rose" en hommage à Paris m'a tiré des larmes !
Ma troisième réaction a été de révolte non pas tant à l'encontre des Islamistes, manipulés par nos ennemis, que devant les déclarations de défense de la société et de nos valeurs qui suivent chaque drame. Non, de même que je ne soutiens pas notre gouvernement, je ne défends pas nos inégalités, le règne de la bêtise et de l'argent ("L'égoïsme des possédants atteint des sommets qui rappellent les injustices de la « Belle Époque »"). L'union nationale se fait toujours contre un ennemi commun mais pas tant entre nous comme on le proclame, juste de belles paroles qui mèneraient plutôt facilement à la diminution des transferts sociaux au nom de l'urgence guerrière. A la place de l'unité qu'il nous faudrait pour agir, on a juste ces moments d'union sacrée où toute dissidence est interdite, nous expulsant de la communauté nationale. Non, je ne fais pas de la société française un modèle pour le monde avec son chômage de masse et tous ses laissés pour compte. Même s'il y a bien pire ailleurs, ne me parlez pas d'égalité encore moins de fraternité ! La valeur commune minimale en l'affaire, serait qu'on ne doit pas tuer son prochain... sauf quand on est en guerre justement !
Pour le reste, comment ne pas comprendre la révolte contre ce monde corrompu ? Que valent nos vie laissées à l'abandon ? Comment ne pas être du côté de toutes les sortes de "révolutionnaires" dans la dénonciation de l'injustice du monde ? Bien sûr, le scandale c'est qu'il ne suffit pas de prétendre y remédier avec les meilleures intentions pour ne pas faire pire encore, ces dangereux fanatiques de tout bord ne faisant qu'ajouter au malheur du monde qu'ils prétendent combattre et dominer. C'est encore une fois le Bien rêvé qui est la cause du Mal, non un quelconque manque de moralité. Ce n'est pas la première fois loin de là que les belles idéologies tournent au massacre. Le constat du XXème siècle est là-dessus sans appel d'un échec politique complet, mais cela reste pourtant la seule question qui vaille : comment améliorer ce monde malgré tout ce qui l'empêche, notre peu de moyens, notre folie, notre impatience, notre façon d'agir sous le coup de l'émotion et surtout l'impossibilité de s'accorder sur ce qu'il faudrait faire ?
Même si ce n'est pas ce qui arrêtera islamisme et terrorisme, tous les illuminés persuadés de détenir la vérité, c'est la question à laquelle il faudrait s'attacher à donner une réponse effective au moment où c'est sur tous les plans qu'on va dans le mur sans pouvoir prendre les mesures qui s'imposent, démontrant notre impuissance collective comme on le voit pour le climat. Voilà qui devrait être notre question à tous. Ce serait moins indécent que de prendre prétexte des victimes innocentes pour s'auto-admirer sur notre magnifique société (qui a effectivement ses bons côtés auxquels on tient mais qui glisse depuis quelque temps déjà sur une très mauvaise pente). Il semble que la seule solution qu'on trouve, comme toujours, ce soit encore la guerre...
J'ai voulu attendre un peu que l'émotion retombe avant de publier cette réaction à chaud sur les attentats du vendredi 13.
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