Les 1% contre-attaquent

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PeterThielMême si elle est critiquable sur de nombreux points, une étude d'Oxfam prétend qu'en 2016 les 1% les plus riches du monde possèderaient autant que les 99% autres. En fait, ce serait surtout les 0,1% qui en détiendraient la plus grande part, grâce aux bénéfices mirobolants de la pharmacie ou de la finance. On a donc confirmation d'un monde dominé par une toute petite oligarchie, conformément aux thèses de Piketty et du mouvement d'occupation des places. Un peu comme devant les désastres de la saignée grecque, on se dit que la simple connaissance de ces faits devrait suffire à mettre fin à ces aberrations. Ce n'est pas du tout ce qui semble se passer. Non seulement il n'a pas suffi de révéler le complot pour que les conjurés tout honteux soient mis hors d'état de nuire mais l'oligarchie organise la contre-attaque, justifiant d'un côté ces inégalités par des lois de la nature (loi de puissance) ou de l'économie (compétitivité) et achetant des politiciens de l'autre. Il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils baissent la garde et se laissent dépouiller par souci de justice !

Peter Thiel, fondateur de Paypal, est un libertarien, soutien de Ron Paul, qui veut construire des villes flottantes, véritables micro-Etats offshore échappant aux taxes et législations nationales. Il s'affiche à la fois comme homosexuel et chrétien mais opposé à la redistribution (pur produit américain). La tradition de justification des inégalités par les lois de la nature est très ancienne, au moins dans sa prétention de scientificité depuis Spencer, qu'on fasse référence à la compétition individuelle ou au biologisme raciste ou sexiste. Cette fois, dans son livre Zero to One, c'est une loi statistique qui est invoquée et à laquelle on ne pourrait se soustraire.

On pourrait se dire qu'on n'a pas de temps à perdre avec une nouvelle idéologie d'extrême-droite, sauf que c'est celle des nouveaux milliardaires (comme Elon Musk), qui ont la puissance financière. De plus, il faut bien admettre que cela ne s'appuie pas sur rien mais sur son expérience dans le domaine des startups qui a fait sa fortune. C'est effectivement un domaine qui illustre une version extrême du principe de Pareto qui constatait une inégalité de distribution très courante, dite des 80-20, par exemple entre 20% du temps de travail effectuant 80% de la production et, donc, 80% du temps restant ne produisant que 20% de mieux (fignolage). Une loi de puissance prolonge ces inégalités qui augmentent de façon asymptotique (jusqu'au 1% puis 0,1%, etc.). Cette tendance à la concentration du capital est l'exact contrepied des phénomènes entropiques d'homogénéisation puisque ces distributions ne tendent pas vers la moyenne, ne suivent pas une "loi normale" - ce qui lui fait dire qu'on ne vit pas dans un monde normal mais sous une loi de puissance.

C'est purement descriptif et un fait, à prendre en compte, notamment avec le numérique où "le premier rafle tout", sans que ce soit une raison bien sûr pour l'ériger en norme et prôner un libéralisme débridé mais au contraire pour en corriger les effets (en terme de répartition de la richesse ou de limitation de puissance). En effet, la première leçon à en tirer, c'est bien qu'à laisser faire, malgré l'entropie universelle, il n'y a pas homogénéisation autour de la moyenne mais au contraire creusement des inégalités, principe bien connu de la théorie des systèmes (canalisation) ou même des banquiers qui ne prêtent qu'aux riches...

Encore faut-il pouvoir réduire ces inégalités, et il ne faut pas croire que les oligarques vont se laisser faire. Ainsi des milliardaires beaucoup moins connus, Charles et David Koch, ont décidé de financer massivement les républicains les plus favorables aux riches afin de "sortir du collectivisme" de Barak Obama ! C'est la conséquence directe de la décision de la Cour suprême des États-Unis de déclarer anticonstitutionnelle la limitation des contributions politiques des entreprises, livrant la démocratie aux puissances d'argent. On peut dire que c'était déjà le cas avant, la Chambre de Commerce des États-Unis ayant toujours pesée sur les politiques suivies, mais il faut croire que ce n'était pas assez pour ces nouveaux riches arrogants !

On peut toujours en rire, faire comme si ce n'était que fétu de paille, prétention du tout petit nombre vite balayée par la masse des électeurs. Sauf que la puissance de l'argent est effective à la fois dans la propagande télévisuelle et dans l'organisation. Sauf que cette domination vient de la réussite de leurs affaires, d'une puissance matérielle contre laquelle il ne suffit pas de se révolter en coupant quelques têtes. On peut même dire qu'à faire reposer nos sociétés sur l'économie et la richesse, elles ne peuvent être que des oligarchies, si l'on en croit Aristote, vouées à la maximisation de leurs profits. La démocratie y devient purement formelle comme on s'en est aperçu depuis quelques années et comme le souligne Juncker pour qui il doit être bien entendu que la démocratie ne pourrait remettre en cause aucun traité, aucun contrat.

Malgré la victoire de Syriza, il serait donc bien imprudent de s'imaginer qu'on serait épargnés par ces dérives, qu'on serait à l'aube d'un renouveau démocratique et d'un retour de la social-démocratie. Pour des enseignants à l'ESSEC, qui parient sur leur échec, ces mirages d'une autre économie ne seraient ni plus ni moins que de la simple démagogie, les souffrances du peuple grec étant ramenées à un ressentiment psychologique déplacé, un manque de gratitude envers ceux qui imposent pourtant des politiques qui font des morts et sont à l'évidence contre-productives (ne faisant qu'augmenter la dette), mais la logique financière ne connaît pas d'états d'âme et n'est pas prête à nous faire des cadeaux, encore moins des excuses, fière de défendre une loi implacable, dure aux petits et douce aux puissants :

Hélas, le peuple n'a pas approuvé le succès économique des hommes courageux du gouvernement mais a exprimé la rancœur qui l'habite d'avoir été soumis à pareille purge, lui habitué à être ménagé et acheté par le personnel politique désireux d'être élu et réélu. Il a donc porté massivement au pouvoir les démagogues de la gauche radicale incarnée par le parti Syriza.

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