Il y a beaucoup de raisons à notre rationalité limitée tenant à notre information imparfaite et notre débilité mentale, à la pression du groupe et aux paradigmes de l'époque quand ce n'est pas un savoir trop assuré pris dans la répétition jusqu'à se cogner au réel. Il y a bien sûr aussi le poids de l'intérêt comme de l'émotion. Tout cela est à prendre en compte et il y a déjà largement de quoi en rabattre sur nos prétentions mais on reste encore dans le biologique. Or, la connerie humaine va très au-delà d'un manque d'information ou d'une bêtise animale puisque ce qui nous distingue, c'est bien notre propension à délirer et d'habiter un monde presque entièrement fictif. Il n'y a de folie que d'homme. On peut dire que c'est l'envers de notre liberté mais c'est surtout le produit du langage narratif, ce qui n'est pas assez souligné et s'oublie derrière le contenu alors que c'est sans doute ce qui nous humanise et le distingue radicalement des langages animaux. Ainsi, ce ne serait peut-être pas la parole adressée à l'autre mais le récit plus que le langage lui-même qui nous aurait fait entrer dans un monde humain peuplé d'histoires de toutes sortes, pas seulement de signes.
Pour Etienne Bimbenet, ce qui nous distingue des chimpanzés, c'est l'existence d'un monde commun permettant notamment la désignation mais ce monde commun pourrait n'être qu'un sous-produit du récit, le monde absent dont on parle. On ne mesure pas ce que change le fait de pouvoir raconter son histoire, au point qu'on peut imaginer que la première révolution culturelle de l'humanité ait été l'accès au langage narratif autour des 80 000 ans peut-être ? J'ai tendance à repousser un peu la datation actuelle entre 50 000 et 60 000 ans de la langue mère dont toutes les langues seraient issues (sauf celle des Bochimans ou San, dites à clics, ayant gardé des caractères archaïques) et qui semble confirmée à la fois par les analyses linguistiques de Merritt Ruhlen que par la génétique de Luigi Luca Cavalli-Sforza. Il est malgré tout possible que cela remonte à une époque beaucoup plus reculée, rien de plus incertain que notre passé, le récit de nos origines change sans arrêt ! On peut supposer un proto-langage phonétique depuis l'origine du genre homo. Il est difficile d'imaginer l'enterrement des morts sans l'intégrer dans un récit, il ne suffit pas d'un nom. On n'a aucune raison de dénier aux animaux une certaine conscience de la différence entre le mort et le vivant, mais ce qu'on appelle conscience de la mort chez l'homme (qu'il essaye de conjurer par la croyance en son immortalité), c'est d'en faire la fin de l'histoire et de pouvoir parler d'après sa mort, ce qui est tout autre chose. Le langage narratif est donc sans doute un peu antérieur, peut-être dès les premiers Sapiens (ce qui en exclurait Neandertal sauf qu'il aurait pu l'apprendre tout autant puisque c'est un progrès culturel et non pas génétique). La difficulté, c'est que le saut culturel à retardement pourrait être dû factuellement à l'allongement de la durée de vie permettant une meilleure transmission de ces mythes et traditions par les anciens...
Il ne s'agit pas de feindre en savoir plus qu'on ne sait mais d'essayer d'appréhender la rupture introduite par un langage narratif par rapport à un langage de signes, notamment pour la mémoire. Dès qu'il y a récit, il y a mythe. Voilà bien ce qui nous caractérise, les histoires qu'on se raconte. Le récit mythique actuel imagine que ce seraient les femmes qui seraient à l'origine du langage narratif, les mauvaises langues disent pour leur commérage mais plutôt sans doute pour raconter à leurs enfants les chasses fantastiques auxquelles elles ne participaient pas (contrairement aux femmes neandertales) alors que les hommes chasseurs, eux, n'auraient pas eu besoin de narration pour se coordonner. En tout cas, René Thom avait bien vu que la base du langage, c'est la prédation : "le chat mange la souris", sujet-verbe-objet (le plus souvent dans un ordre différent). Dès lors, ce sur quoi je voudrais insister, c'est que l'essence du langage n'est pas tant l'intersubjectivité, la parole vraie, le commandement ou la prière, mais le discours indirect, la prose du monde, parler de ce qu'on ne connaît pas et raconter des histoires donnant naissance à des dieux, des rites, des dogmes.
Il n'y a pas seulement celui à qui l'on s'adresse ni les mots employés avec leurs résonances enfantines, on devrait se préoccuper un peu plus du fait qu'on raconte des histoires, ce qui est la véritable fonction du langage et non pas de nous aider à penser comme le croit Chomsky, même s'il est incontestable qu'à matérialiser la pensée il permet sa réflexion. Seulement, il fait surtout délirer, ce qu'on ne pourrait comprendre sinon et dont témoignent pourtant toutes les religions entre autres. Une des choses les plus troublantes qu'on peut constater, c'est la similitude des mythes et plus encore celle des contes de par toute la terre (j'avais lu toute la collection des "contes et légendes" en m'ennuyant de plus en plus ferme!). Avec sa "Morphologie du conte" (1928) on peut dire que Vladimir Propp fondait le structuralisme mais curieusement, il semble que le structuralisme n'était pas adapté à en saisir la dimension temporelle, diachronie recouverte par la synchronie des oppositions structurelles. Ainsi, la psychanalyse lacanienne a voulu privilégier le signifiant, voire la chaîne de signifiants, sur le récit lui-même, ce qui n'est pas sans raisons mais pose problème. Même dans "Le mythe individuel du névrosé" qui aurait pu mettre la puce à l'oreille, Lacan ramène le récit fantasmatique à une structure quaternaire. Or, l'oubli du récit lui-même laisse incritiqué notamment le récit de l'analyse, problème de ce qu'on appelle "la passe", laissant croire qu'on y trouverait sa vérité alors qu'on ne fait que construire un mythe !
Il ne manque pourtant pas d'indications sur l'importance des histoires qu'on se raconte, notamment dans les rêves. Freud parle du besoin, pour le rêve, de sacrifier aux besoins de la mise en scène, on pourrait dire de sa mise en récit bien qu'on soit plus dans le visuel et que les chats rêvent aussi mais, dans l'analyse au moins, il faut bien en faire le récit. Il ne s'attarde pas cependant sur ce que la mise en scène implique, sa (relative) cohérence et surtout son déroulement temporel univoque. On connaît encore mieux l'importance du récit familial comme du roman des origines (tentative de reconstruction de sa filiation) dans leur supposé caractère déterminant, destin tout tracé auquel on devrait se conformer, répéter dans le réel le scénario raconté à l'avance dont on est la victime ou le héros. Le récit ne se réduit pas à l'imaginaire, l'identification, l'imitation, il introduit une continuité temporelle, l'identité narrative, et une progression dramatique en faisant exister ce qui n'est pas là. Enfin, le fantasme n'est pas seulement un montage, c'est bien une histoire. Comme le dit Kristeva, "toute phrase est un fantasme, et tout fantasme une narration" (Colette, p268). Les bons pornos sont ceux qui nous font croire à une histoire, il ne suffit pas d'aller directement au fait, et pourtant là aussi Lacan réduira le fantasme à une structure où se perd toute autre dimension temporelle que la répétition. Il est d'autant plus étonnant qu'il n'ait pas creusé un peu plus cette dimension temporelle qu'il avait commencé par le temps logique et voyait bien que la vérité avait une structure de fiction (son dernier séminaire sur la topologie et le temps étant assez vide).
Le fin du fin, pour un Serge Leclaire qui a eu son moment de gloire, c'était d'arriver au non-sens absolu d'une formule purement signifiante mais ce "poor-djeli" un peu ridicule ne vaut qu'à raconter une histoire. Il faut se convaincre au contraire que le fantasme, c'est un scénario. Il n'y a pas de délire qui ne soit un roman. On peut dire que, par essence, le récit est trompeur qui joue sur les mots et les émotions, il porte en lui le mensonge romantique auquel s'oppose selon René Girard la vérité romanesque, celle du désir de désir. Disons plutôt qu'à produire de l'illusion, le langage narratif donne place à une désillusion possible, ce qui constitue l'histoire de l'art moderne (car la répétition de l'illusion n'est plus tenable, le nouveau récit doit intégrer la dénonciation de l'ancien récit). On peut dire, en tout cas, que tout le mal vient de là, de notre mythe individuel. On se la raconte, on se la joue et le récit de notre vie est devenu désormais public, nous faisant simplement mentir un peu plus ouvertement... L'Histoire avec une majuscule n'y échappe pas, manipulée dans tous les sens par des idéologies contraires. Il ne fait aucun doute qu'on ne s'imaginerait pas en sauveur du monde sans les ressources de l'épopée ou les histoires qu'on nous raconte à la télé. Le discours indirect nous met en position d'auteur et de créateur de mondes, nous qui n'en sommes que des acteurs parmi tant d'autres, folie on ne peut plus ordinaire. S'en rendre compte changerait pas mal de choses sans doute, non pour tomber dans un scepticisme imbécile, mais pouvoir distinguer les faits de ce qu'on en dit, leur reconstruction, comme on distingue la carte du territoire.
Il faut analyser bien sûr à qui l'on parle, la place de l'Autre en arrière plan et les mots qu'on emploie, mais aussi le fait qu'on parle et qu'on raconte des histoires, sinon on finirait par croire à ce qu'on dit, comme un prestidigitateur pris à son propre jeu ! Il ne s'agit pas pour autant de donner foi à la prétendue fin des grands récits (qu'est-ce d'autre que le Big Bang?), seulement qu'il ne faut pas trop y croire, savoir que c'est du story telling, ce qui a fini par se savoir même si cela vient de publicitaires, jusqu'à toucher des psychiatres (il paraît que le concept de narrativité est en plein essor, ce qui est une bonne chose mais pas sûr que ce soit assez bien orienté, un peu comme la philosophie de l'information). Il a fallu les excès du management et des communicants pour rendre manifeste cette dimension pourtant si essentielle de notre monde d'êtres parlants qu'on ne fait certes pas qu'habiter mais dont on se fait tout un cinéma. Il n'y a là rien de nouveau puisque le roman national n'est rien d'autre, sélectionnant les événements les plus glorieux pour en faire ressortir la supposée unité. Or, ces récits mythiques ont une fonction de dénégation de tous les démentis qu'on peut en recevoir du réel, dénégation qui n'est pas narcissique cette fois mais plutôt "textuelle", ce qui revient au même quand le récit du meilleur de nous s'oppose au récit du pire des autres, principe de l'exclusion des nouveaux arrivants selon Norbert Elias. La fonction du bouc émissaire (ou des théories du complot) serait d'expulser ce qui contredit le récit mythique pour continuer d'y croire. On peut même soupçonner que le dogmatisme n'est rien d'autre que la prétention d'avoir un monopole du récit permettant de donner un sens univoque à sa vie comme au monde.
Depuis la Révolution Française, l'intrusion de l'histoire dans la politique peut s'analyser comme une libération de récits multiples, ce qu'on a appelé les grandes idéologies, et qu'il faudrait mettre aussi sur le compte du langage narratif tout comme la multiplication des utopies. J'ai du mal à comprendre la propension des philosophes à valoriser l'utopie comme principe d'espérance ou d'opposition au monde alors que ces enfantillages sont un obstacle à toute transformation réelle la plupart du temps. Il vaudrait mieux dénoncer leur caractère de fiction sans aucune effectivité, tout comme la science-fiction qu'on prend un peu trop au sérieux ces temps-ci, aussi bien pour notre avenir politique que technologique. Il suffit pourtant de comparer les visions de l'an 2000 avec la réalité pour voir à quel point ces historiettes faites pour nous émouvoir sont loin d'une réalité plus contradictoire et imprévisible. En ne voyant pas le caractère simplificateur et purement symbolique de ces projections imaginaires, toutes roses ou toutes noires, on prend la cohérence du récit pour la réalité même, ce qui est bien la caractéristique de la connerie humaine, en effet.
Pierre Macherey ne voit aucun mal à ce que toutes les utopies prétendent révolutionner la sexualité elle-même alors que c'est là le signe de leur caractère purement fantasmatique, roman finalement familial, reconstruisant nos origines et restant bloqué aux théories infantiles de la sexualité. On a affaire incontestablement à des puissances pulsionnelles très fortes et facilement manipulables. Il n'est pas question pour autant de sortir du langage ni d'arrêter de raconter sa vie, juste de se rappeler de temps en temps qu'on parle, un peu plus attentif au fait que ce ne soit qu'un récit, et de ce que cela ajoute à l'être. Au lieu d'oublier la narration en la prenant pour argent comptant, enlevez le récit, et voyez ce qui reste...
Merci pour cet article.
Cela me fait penser aux réflexions de Wittgenstein (que je connais essentiellement via Bouveresse, cf ses Essais, tome I), notamment sur la psychanalyse qu'il estime être un nouveau mythe pour expliquer d'anciens mythes, mais aussi sur la philosophie qui doit bien se garder selon lui d'inventer un récit (même si c'est toujours séduisant évidemment) et plutôt se consacrer à l'étude des faits afin d'éviter les fausses explications, les utopies et autres mythes que vous citez.
Non, je ne crois pas qu'on puisse se passer de récit ni sortir du langage pour n'avoir plus affaire qu'au réel, je crois que c'est encore un autre récit et très simpliste (de pure opposition). Le seul progrès qu'on peut espérer, c'est de ne pas trop y croire, restant dans le provisoire comme les récits scientifiques (il n'aura pas échappé que j'ai fait plusieurs récits de nos origines, ils sont plusieurs mais j'en tente des récits au moins pour contrer les récits dominants). Il ne s'agit pas de sortir du récit comme de notre humanité, seulement de ne pas oublier qu'on parle et ce pouvoir du récit de faire exister ce qui n'existe pas. Plutôt qu'une sortie de la religion tout aussi impossible et qui ne serait qu'un scientisme tout aussi borné, je suis plutôt pour reconnaître notre caractère religieux et mythifiant (dire que la psychanalyse construit des mythes n'est pas la disqualifier). C'est un principe de précaution plus qu'un relativisme.
Je ne sais s'il suffira d'attirer l'attention là-dessus mais cela pourrait finir par se savoir, facilitant la vie ensemble peut-être ? En tout cas, c'est un chantier à reprendre, me semble-t-il, où le structuralisme rejoindrait l'existentialisme en les dépassant (cette existence dont je suis le héros).
Bien sûr on ne peut se passer de mythe et d'utopie, l'idée "wittgenstenienne" concerne avant tout la philosophie, c'est à dire que pour lui la philosophie n'a d'intérêt que si elle est capable de débusquer le récit et non d'en produire un autre (tâche difficile à mon sens, voire impossible?). Un peu comme la sociologie peut dans une certaine mesure dévoiler le vrai sens, du moins les intérêts en jeu, dans un récit/mythe...
J'ai lu Wittgenstein il y a longtemps et je ne m'en souviens guère sinon que cela ne m'intéressait pas. Je crois au contraire qu'il faut produire des récits alternatifs même s'il ne faut pas trop y croire. Sortir du récit est encore un récit.
C'est effectivement comme la sociologie dont Kojève se moquait en disant qu'un autre sociologue peut toujours dire du sociologue précédent que ce qu'il considère comme vérité l'est pour des raisons sociologiques, ce dernier sociologue pouvant être analysé par un autre sociologue, etc. On ne peut s'en tirer qu'à assumer son parti pris comme sociologue engagé mais il faut éviter à la fois le relativisme, comme si tout se valait et qu'il n'y avait pas de vérité, tout comme l'objectivisme, comme si on pouvait être dans le réel et en dehors de tout récit. La physique me semble un bon exemple d'un récit assumé (le Big Bang) permettant d'intégrer tout ce qu'on sait sans un faire un dogme inébranlable mais pouvant être remis en cause par d'autres données (On peut ajouter l'exemple donné dans l'article des récits beaucoup plus changeants de la paléoanthropologie)
Pour le coup la science (et pas seulement la physique) serait l'idéal de la production de récit puisqu'elle n'y "croit" pas trop (étant donné que tout peut être remis en question), si je comprends bien...
Oui, du moins la science des chercheurs, pas des professeurs. La littérature aussi pourrait représenter l'idéal du récit en tant qu'il se donne comme récit mais plutôt que de vouloir trouver un refuge permettant de ne plus romancer notre vie, il vaut mieux savoir que notre lucidité est limitée et qu'on n'y accède qu'aux moments d'un changement de récit car la science peut se dogmatiser et la fiction se prendre pour la science. Le chemin est toujours le même de la philosophie / science / démocratie, ni dogmatisme ni scepticisme.
Très bon texte, qui vise juste, on est dedans...
Puisqu’on parle de récit, je lis en diagonale sous la pression amicale de copains (je lis vite et c'est bien commode) le bouquin de Jérémy Rifkin "la 3ème révolution industrielle".
Avez vous jeté un coup d’œil à çà ? J'ai l'impression que ça a un impact par contre, chez des jeunes plutôt sympathiques techniquement bien formés comme on dit
Votre point de vue la dessus, au cas ou vous avez regarder la prose de ce gars m'intéresse.
EcoRev' m'avait demandé d'en faire le compte rendu mais ça ne m'intéressait pas. Jeremy Rifkin a l'intérêt de se focaliser sur les questions les plus déterminantes (la fin de l'emploi, les énergies renouvelables, les réseaux) mais je le trouve trop simpliste et unilatéral (pas assez dialectique). C'est certainement utile pour le grand public qui y apprendra ce qu'il pouvait ignorer encore mais je n'ai pas vu que ces livres débouchent sur autre chose que des wishful thinkings. Lorsque j'étudiais les questions des transformations du travail, je ne peux dire que son livre m'ait beaucoup apporté, sinon ce qu'on pouvait considérer comme admis par les chercheurs ou les autorités. Sa promotion de l'empathie correspond à un mouvement actuel chez les anglo-saxons qui n'en faisaient avant qu'un produit de la religion au milieu d'un darwinisme social implacable. Il faut toujours mettre un bémol aux nouveaux convertis et il s'est à mon avis planté avec l'hydrogène qui n'est pas un bon carburant mais on n'est pas si éloignés quand même et je n'ai pas lu son livre (juste quelques interviews) donc je ne peux en parler.
Pour revenir au sujet de l'article, je crois qu'on peut dire que le talent de Rifkin lui permettant de toucher un vaste public, c'est une mise en récit qui est en même temps sa faiblesse, éludant tous les autres récits qui se croisent (ce qu'on appelle dialogique en littérature). Vouloir restituer la complexité réelle serait tout simplement illisible (c'est ce qui me fait renoncer à écrire une "somme"). J'ai bien vu lorsque j'ai tenté l'expérience du récit dans "l'avenir radieux" comme on tombe facilement dans une présentation exagérément optimiste à vouloir exposer certains avantages sans s'attarder sur les contreparties plus problématiques. En se suffisant à lui-même, le récit fait comme si le négatif dont il ne parle pas n'existe pas au contraire d'un article théorique pouvant lister les avantages sans prétendre à l'exhaustivité. A l'image du réel, tout récit est supposé complet - sauf qu'il y en a plusieurs...
Le Mardi 21 août 2012 à 11:54, VASSELON a dit :
J’ai pratiquement fini son bouquin sur la 3ème révolution industrielle. Je crois qu’on peut dire que son texte est un récit. Il y a des trucs plutôt bien vus et je comprends l’intérêt de mes jeunes copains pour cela. Peut être que ça peut faire faire un bout de chemin.
Mais il veut tout faire rentrer dans une espèce d’ingénierie globale qui considère qu'on peut refaire le monde comme on fait un projet d'architecture.
Je trouve très importants vos deux derniers billets, que je placerais volontiers comme rubriques de votre livre sur « Le sens de la vie ». Le premier au début car exprimant la nécessité de rupture avec toutes les « sagesses de consolation » . Le dernier à la fin, après que nous ayons pris acte d’un destin de subjectivité déjà chez l’animal à un stade réputé très inférieur de la hiérarchie présumée des êtres. Et de ce qu’apporte de langage narratif par rapport aux langages de signes.
Si votre dernier billet n’a peut-être aucun rapport avec Vittgenstein ou Rifkin, vous me semblez faire cependant comme Francis Ponge le constat de l’absurdité de tout « dire sur le monde » ou sur les choses, de toute tentation ou tentative de réponse aux « instances qu’elles nous font qu’on les parle ».
Les philosophies ou religions de la consolation oublieraient, dénieraient, ou détourneraient la fatale discordance de ton ( ab-surdité) entre les logiques du langage et les « choses », les faits, les circonstances, l’Umwelt, le « y » quand nous disons à propos d’une chose « il y a », son "là" quand nous faisons le récit de tout être particulier , selon son lieu et son instance dans l’écoulement du temps , etc…
Surtout, par la référence à Ponge, ne pas s’engager à contresens en rejetant votre position ( remettre notre rationalité humaine dans ses limites ! Une urgence écologique !) dans le domaine marginal de la poésie :Francis Ponge n’était pas un faiseur de rimes, et il est bien connu que toute pensée effective commence par une capacité à l’étonnement, constat,par un sujet, d'une absurdité ou d'un manque, d'un blanc, qui font sens?
Merci en tout cas pour ces deux beaux textes, avec mes meilleurs sentiments.
Il est certain qu'on pourrait composer plusieurs livres, c'est-à-dire plusieurs récits avec mes textes où s'enchevêtrent plusieurs thèmes. Je ne verrais pas pour ma part "une philosophie sans consolation" au début du "sens de la vie" où "l'improbable miracle d'exister" est plus pertinent. Par contre, oui, "l'oubli du récit" ne fait que prolonger ce qu'avait déjà établi "un homme de parole" ou "retour sur les religions" mais il me semble mieux placé avec "pour une philosophie de l'information" qu'il dépasse. Il n'y a rien là de très nouveau, juste une actualisation, l'accent mis sur leur actualité. Cependant, si je suis sur les plates-bandes de la philosophie analytique, c'est tout autrement.
Il n'y a effectivement aucune raison que le monde puisse se dire simplement et se totaliser, sauf à en faire une création intentionnelle. Même la physique à la poursuite d'une théorie du tout doit en rabattre sur tout ce qui échappe à une telle physique (émergence, chaos, horizons, etc.). Il y a des totalités effectives mais pas de totalité des totalité (d'ensemble de tous les ensembles). Ne pouvoir tout dire n'est en rien une raison pour ne rien dire mais nous rend plus responsables de notre récit.
Je ne crois pas que la poésie soit aussi marginale qu'on le croit mais bien sûr pas la poésie romantique ou virtuose, celle de l'étonnement plutôt qui est effectivement le début de la philosophie, de la pensée questionnante, mais aussi amoureuse des mots comme des sens multiples qui entrent en résonance et font éclater le récit.
Le storytelling (l'art de raconter des histoires), très à la mode dans l'anglophonie, est utilisé pour changer les choses, aussi bien par les militaires que dans les entreprises ou par les politiques, la publicité. (cf par exemple, le livre de Christian Salmon, "Storytelling" 2007).
Cette mode a toutes les chances d'être un allié objectif de votre texte, par retournement dialectique.
C'est moi qui m'appuie sur ce qui est plus qu'une mode mais la manipulation d'une dimension fondamentale de notre humanité pour en montrer toute l'importance car, bien sûr, le storytelling n'a pas commencé avec la publicité. On peut dire qu'il avait déjà été théorisé par Hitler dans Mein Kampf qui ne faisait que reprendre ce qui faisait la force du marxisme mais les récits à la gloire du souverain ou du peuple sont aussi vieux que le monde. On ne peut imaginer qu'on puisse s'en passer. Il ne s'agit donc pas de suivre une mode mais juste de prendre conscience qu'on nous raconte des histoires (puisqu'on nous le dit et qu'il y a des gens payés pour cela).
"Il ne s’agit donc pas de suivre une mode mais juste de prendre conscience qu’on nous raconte des histoires"
Bien d'accord.
Les mythologies font aussi partie des histoires qu'on se raconte.On doit profondément en avoir besoin, j'ai vu de très près une personne en mal d'identité mettre une énergie et une inventivité considérable pour s'inventer une mythologie qui lui permette de se remettre au monde.
Toutes ces théories, ou récits, qui prétendent remonter aux sources du langage me font gerber. Leur intérêt est rigoureusement nul. Voyons pourquoi. Le langage humain n'a pu être inventé que par des être humains, c'est-à-dire des hommes et des femmes ayant réellement existé et vécu et souffert comme ceux et celles d'aujourd'hui. Par ailleurs, on note que la mémoire, individuelle aussi bien que collective, a tendance à retenir les choses les plus importantes. Il est donc probable que le langage a été inventé pour parler des choses les plus importantes du point de vue de leurs inventeurs. Et qu'est-ce qui pouvait être important pour eux ? Ce qui fait souffrir, comme toujours, et que l'on ne peut pas comprendre : la mort des proches, de ceux qu'on aime. J'en conclus que "le monde absent dont on parle" a été, d'abord et avant tout, celui de proches dont la mémoire avait conservé le souvenir alors qu'il était impossible de conserver leurs corps. Ma théorie à moi est certes rustique, mais elle a le grand mérite de mettre d'emblée en présence tous les termes qui ont pu motiver l'invention du langage : la mémoire, l'émotion, l'absence, (donc l'abstraction), le désir et l'information.
Ce commentaire avait été classé comme indésirable, sans doute à cause du mot "gerber", d'autant plus indésirable ici que c'est pour nous faire une théorie de l'origine du langage ce qui n'est pas du tout le cas de l'article qui tente de cerner l'apparition du récit, le discours indirect, pas la douleur personnelle. Il est évident par contre que la mort deviendra un sujet privilégié du récit. Je n'ai aucune théorie personnelle de l'origine du langage et ne fais que rendre compte des hypothèses changeantes des anthropologues (ainsi il a été soutenu que la chasse ne bénéficiait pas beaucoup d'un langage narratif et que les femmes pouvaient en être l'origine, ce qui n'est qu'une hypothèse mais intéressante pour montrer la spécificité du récit). Ce sur quoi j'insiste, c'est sur le récit lui-même, ici et maintenant, même si j'en fais une cause possible de l'explosion culturelle qui a eu lieu autour des 80 000-50 000 ans, ce qui est aussi une simple hypothèse pour montrer l'importance du récit.
En tout cas, on comprend pourquoi la Société linguistique de Paris (SLP), fondée en 1866, avait mis dans ses statuts, à l'article 2 de son règlement, l'interdiction d' « aucune communication concernant soit l'origine du langage, soit la création d'une langue universelle » !
Je tombe par le hasard d'une alerte Google sur votre intéressante discussion.
Simplement vous signaler une piste qui permet de sortir de la tenaille storytelling/récit ou imaginaire/réel. Je veux parler des réflexions de Deleuze dans ses livres sur le cinéma qui proposaient de "politiser" l'idée de Bergson sur la fonction fabultrice. Il s'y essayait en opposant "les fictions du pouvoir"qui prétendent dire le droit, le vrai, la norme, la loi à la fonction fabulatrice et imageante des minorités et du "peuple qui manque"... Une fonction du désir et du rêve qui pousse sa tête chercheuse en direction des devenirs animaux, indiens, nègres, femmes...
Oui, bon, je ne suis pas du tout deleuzien, ne comprenant pas bien sa surévaluation avec sa conception machinique du désir (qui est plutôt désir de désir). Franchement, vous ne trouvez pas cela un peu bête ? Cet espèce de manichéisme renversant le négatif en positif absolu ? Justement, je ne crois pas que la gauche (qui ne devrait jamais avoir le pouvoir selon Deleuze) serait épargnée par le storytelling et que le récit serait bon pourvu qu'il soit du bon côté ou se prétende critique. Je crois au contraire à une nécessaire critique de la critique (et du politiquement correct). Ce sont les récits actuels de la gauche qui sont un obstacle à la conquête de plus de justice et à notre adaptation à l'ère post-industrielle. Ce n'est pas en multipliant les récits en autant de minorités plus ou moins autistes qu'on s'en sortira mais bien en s'affrontant au récit dominant pour en dénoncer la fausseté et lui opposer des scénarios alternatifs. Le langage est commun. Je ne crois pas qu'on puisse sortir du modèle dialectique, contradictoire, de la philosophie / science / démocratie.
Dans un billet « La maladie de la disparition » de 10 mai 2007, vous opposiez deux façons de raconter une histoire, en appui sur le même « modèle » concret. Peut-être est-il utile de rappeler ces deux « fables des abeilles », pour apprécier quels écarts sont possibles dans l’interprétation du même signifiant. ? Et pour dire aussi notre difficulté à oublier une vieille guenille pour enfiler un vêtement plus approprié ?
« On sait que la première « fable des abeilles » , celle de Mandeville (l’homme du diable!), et qui n’a pas tellement de rapport avec les véritables abeilles, a pu avoir une certaine importance à l’aube du capitalisme britannique, en 1714, réussissant la prouesse de fonder l’économie sur les intérêts les plus bas (l’envie, l’intempérance, le luxe, la friponnerie) au nom du paradoxe que l’appétit de consommation et les vices privés concourent au bien public ! Depuis Robinson Crusoé jusqu’à Malthus ou Spencer (plus que Nietzsche) c’est bien une inversion de toutes les valeurs qui s’est imposée, morale individualiste paradoxale mais toujours bien vivante comme morale de la réussite financière, de la concurrence, et du marché.
La seconde « fable des abeilles », plus réaliste, nous dit tout autre chose sur ce qui nous relie aux autres espèces et sur notre dépendance du milieu, sur les limites des perturbations qu’on peut y apporter tout comme les limites de son exploitation au profit de notre intérêt immédiat ! C’est un renversement complet de perspective. Yann Moulier-Boutang donne en exemple l’activité de pollinisation des abeilles comme illustration de la nouvelle richesse sociale qui se constitue dans une société de la connaissance où ce n’est pas la production directe de miel qui est la plus importante mais la contribution des abeilles à la dissémination de l’information génétique, activité « gratuite » dont le coût (plus de 50 milliards) s’avère bien plus considérable, lorsque la pollinisation vient à manquer, que le montant assez ridicule comparativement (quelques centaines de millions) des ventes de miel. »
Cela pourrait être un genre littéraire utile de raconter les mêmes faits avec des histoires complètement différentes montrant le caractère mystifiant du récit et son caractère trop unilatéral. Cela s'est déjà fait sans être très concluant, pourtant il y a là un potentiel de dé-sidération qui irait bien plus loin que la dénonciation de la télévision ou de se croire obligé d'aller aux extrêmes pour sortir du langage. Il ne s'agit pas d'opposer un récit de droite à un récit de gauche (la France de droite à la France de gauche) mais de fragiliser l'un et l'autre dans leur légitimité par de tout autres récits pour revenir ensuite "aux faits", c'est-à-dire à un nouveau récit commun.
Un exemple du fait qu'un récit de gauche peut être encore plus trompeur qu'un récit de droite, c'est l'histoire de Jack et le haricot magique raconté avec un ogre gentil alors que c'est Jack le méchant qui a volé la poule aux oeufs d'or et dévasté le royaume des géants. Cette façon de réfuter un mythe ne fait que le conforter en permutant simplement un terme, comme il est d'usage avec les mythes. On fait passer ainsi pour plus réel ce qui est encore plus fictif, tout comme les chrétiens (la vraie religion) détruisent les idoles pour les remplacer par des croix !
Vous parlez très souvent se « notre rationalité limitée ». De votre part je soupçonne qu’il ne saurait être question d’une rationalité « par essence imparfaite » (comparée au Logos originaire divin ? ) ni de la qualifier comme relative à des niveaux discernables quantitativement entre une débilité vide et lucidité pleine.
Pour moi, j’admets l’hypothèse d’une inadéquation entre les structures logiques du langage humain, et celles du « monde » physique, biologique,…). Ce qui fait en m^me temps sa puissance et sa faiblesse
Quelle que soit la spécialisation du discours narratif (science, ou littérature, ou arts) il n’y a jamais échange entre le locuteur et les choses. (Vieux mythe du hiatus entre l’image et la ressemblance ? Fausse esthétique du reflet !). Pour moi Ponge a été déterminant comme philosophe par son constat d’une absurdité dans le rapport du parlant au monde : Le monde, muet en tant que communiquant, ne répond jamais à nos hypothèses ou à nos spéculations. Mais il n’est pas neutre et il nous informe sur leurs qualités : elles s’avèrent propres ou impropres aux choses dont elles prétendent dire le fait. Par l’évènement d’une improbabilité inattendue qui remet en question le bel édifice rationnel des conventions antérieures partagées (sans lesquelles il n’y a plus de communication possible entre un locuteur et un auditeur, à propos des choses).
Ainsi, l’avènement en réalité d’une « maladie de leur disparition » révèle la débilité de la fable des abeilles selon Mandeville. Et, deux siècles plus tard, une meilleure connaissance de la biosphère et des biotopes spécifiques auxquels les abeilles sont utiles, permet d’étayer de nouvelles constructions logiques en économie, moins dangereusement fabulatrices si la raison humaine y prend en compte ses limites, dans une dialectique du propre et de l’impropre, de la discordance de ton ( l’ absurde) , de la déformation informative, de la perte et du ressourcement du sens.
Vous aviez eu l’habileté de titrer « maladie » de la disparition . Bravo: il faut une répétition de l’évènement pour qu’il présuppose un sens à découvrir, une erreur à corriger. Pour la recherche en science il faut que la formule annoncée soit répétable ailleurs par un autre. On ne peut plus introduire sa thèse par " il était une fois", si les arguments sont volontairement réfutables...
La dénomination "maladie de la disparition" était le nom français initial pour ce qui est devenu "Colony Collapse Disorder" mais bien sûr il était plus riche sémantiquement, il croisait plusieurs récits, ce qui me semble une caractéristique de la poésie (à l'opposé du discours universitaire) mais si j'ai beaucoup aimé Ponge, je suis plus du côté de Rimbaud, c'est-à-dire des illuminations aussi bien que de la saison en enfer qui se termine mal. Je ne crois pas aux positions figées mais qu'on passe d'un extrême à l'autre, du rire aux larmes. Reconnaître ce mouvement dialectique conformément à la dichotomie du signifiant, c'est reconnaître l'imperfection de notre intellect, sa bêtise intrinsèque, fonctionnant par essais-erreur en se cognant au réel et qu'on ne peut dépasser très relativement qu'en admettant qu'on évolue, qu'on apprend (qu'on vieillit). On est là dans un aspect de notre rationalité limitée qui n'est pas tout-à-fait du même ordre que le récit lui-même, encore plus trompeur. Il ne suffit pas de constater une inadéquation trop générale du langage à l'être, de façon classiquement kantienne, mais de s'intéresser aux processus effectifs qui limitent notre rationalité dans leur diversité, d'en faire la liste au moins (comme on me le reproche!) et d'essayer de comprendre leur dialectique avec le réel.
Notre rationalité est non seulement limitée par rapport à celle, à vrai dire impensable, d'un Dieu omniscient qui n'est lui-même qu'un effet du langage (l'Autre à qui on s'adresse, le sujet-supposé-savoir, le garant suprême), ou même par rapport aux capacités de calcul des machines numériques (les programmeurs le savent bien dont l'objet est le bug), mais surtout par rapport à ce qu'on s'imagine de sa propre rationalité, par force, de la même façon qu'on se fie à nos yeux sans prendre en compte son point aveugle ni les imperfections de la vision. Coluche le disait, personne ne se plaint de manquer d'intelligence ! Je dois dire que c'est ce qui m'a le plus frappé de retrouver à la fois limitations cognitives et délire à tous les niveaux, même en physique ou biologie, sans parler du réchauffement climatique, de l'économie, de la crise, des théories du complot, des élections ou révolutions. Tout cela n'empêchant pas un progrès dialectique mais restant ignoré comme tel, chacun persuadé d'être dans le vrai, ce qui est aussi mon cas bien sûr sauf que je manque beaucoup d'assurance et suis tellement confronté à mon ignorance dans tous les domaines où je m'aventure que je ne la ramène pas trop, persuadé de pouvoir dire autant de bêtises qu'un autre (ce qui me terrorise). Avec l'âge, la dégradation de la mémoire entre autres nous confronte plus directement à l'imperfection biologique et lorsqu'on n'a plus une confiance aveugle dans son esprit ni dans les histoires qu'on nous raconte, un certain nombre de délires tombent d'eux-mêmes...
Parler, c'est ordonner (mettre en ordre), c'est donc faire des choix arbitraires, des approximations. Ordonner des événements chronologiques c'est raconter des histoires. C'est aussi faire des choix arbitraires, des approximations qui peuvent se révéler très fausses. Mais, à moins de vouloir détruire le langage, les histoires qu'on se raconte permettent d'appréhender, maladroitement sans doute, des dynamiques.
Il me semble, contrairement à vous, que les capacités cognitives humaines, soient beaucoup trop efficaces et que c'est cette efficacité qui a permis à notre espèce de coloniser la planète et d'avoir une empreinte écologique qui viendrait de dépasser la biocapacité de la terre (Selon Global Footprint Network).
Il est vrai que là où nous ne sommes pas assez intelligents, c'est de continuer sur cette trajectoire catastrophique. Les dynamiques de systèmes, ce qui les stabilise, et qui peut être vu comme un élément indispensable à leur existence, apportent un éclairage sur notre bêtise collective.
D'un côté, le groupe peut se comporter comme un excellent éducateur capable de nous aider à faire le tri entre nos délires et les réalités, et de l'autre, comme un âne borné incapable de dévier de ses trajectoires les plus funestes.
Evidemment que nous sommes les animaux les plus intelligents. Nous héritons aussi de techniques trop puissantes qui nous donnent l'impression d'être beaucoup plus intelligents que nous ne le sommes réellement (et il faut raconter l'histoire des découvertes pour se rendre compte à quel point notre marche est tâtonnante). Malgré toute notre intelligence, nous faisons encore partie de la nature et subissons une sélection darwinienne au lieu de décider de notre sort et d'écrire notre histoire comme le langage nous y invite. Je ne préconise ni d'arrêter de parler ni de laisser faire mais de se rendre compte qu'on parle, ce que cela peut avoir de trompeur, et de ce qui nous empêche d'éviter les catastrophes sauf parfois au dernier moment.
C'est frappant avec la crise européenne, on se rapproche toujours plus de l'éclatement parce que les acteurs ne peuvent sortir de leur rôle. On a différents récits qui s'opposent les uns aux autres avec pour résultat une paralysie ne faisant qu'augmenter le fossé entre le Nord et le Sud. Quelque soit l'issue, les récits devront changer complètement mais seront très différents selon qu'on aboutit à la fin du projet européen (à vrai dire impensable) ou à un sursaut fédéral (qui ne peut être que contraint par l'urgence).
Il y a bien sûr une dialectique entre groupe et individu comme entre normativité et inventivité mais le reconnaître, c'est abandonner l'espoir de tout régler d'un seul coup dans un constructivisme excessif, pour se contenter de suivre les dynamiques en cours sur lesquelles on peut toujours influer, mettre tout son poids d'un côté, sans pouvoir être complètement déterminant. Ce sur quoi j'insiste depuis longtemps, c'est que notre principale faiblesse est cognitive, l'impossibilité de s'accorder sur une analyse et un récit commun.
Ainsi, la destruction programmée de nos protections sociales est renforcée par les lignes Maginot de la gauche incapable de changer de récit en refaisant la dernière guerre alors que tout a changé et qu'il faut une toute autre stratégie. Pour que la gauche accepte le revenu garanti dont elle pourrait faire un axe de refondation, il faudra que la baisse des allocations réduise à la misère une partie encore plus importante de la population. Notre rationalité limitée n'est pas un problème de plus mais bien le principal problème politique (plus encore que les intérêts de classe et toutes les turpitudes du pouvoir).
@Michel Martin
Je crois que dans les récits mythiques la succession des phases à partir d’une origine est significative, bien qu’arbitraire (Hésiode) Chronologie imaginaire mais racontée de manière immuable une fois établie. Sinon dans les épopées et les histoires, plutôt qu’une chronologie, on visait surtout à fixer dans les structures d'une histoire épique la distribution de fonctions sociales réputées immuables. Répartition par classes fonctionnelles. Du moins selon Dumézil ( Mythe et épopée) . C’est à l’époque moderne que les choix deviennent plus arbitraires avec l’imprimerie donc la liberté individuelle d’écrire des histoires sans respecter les canevas sociaux traditionnels, pour le meilleur ou pour le pire.( perte progressive d'un sens partageable en commun, constate Jean Zin)
Les mythologies reconstruisent après-coup une histoire qui apporte une cohérence au groupe ou à l'individu, mais plus généralement une cohérence à un monde dont on a besoin d'appréhender le sens qui nous échappe inéluctablement.
Elles sont aussi à l’œuvre pour stabiliser les structures sociales et éviter que toute inégalité ne dégénère en combat.
Même si les marges de manœuvre individuelles semblent avoir pris plus de place, on ne se passe pas pour autant de mythologie collective. Le roman national (cf l'engouements au moment des JO par exemple), le roman religieux etc prennent toujours une place importante).
Monsieur Zin,
Merci pour vos réponses pertinentes. Très rares sont les blogs où le blogueur répond, surtout avec autant d’attention. J’interviens encore une dernière fois car le sujet m’interpelle …
Quel que soit le champ d’expression ( sciences, arts, lettres), choisir des structures logiques adéquates veut dire qu’on les considère comme « appropriées à leur objet ». Certes, mais aussi qu’elles en rendraient compte de manière exhaustive. ? Ce qui est impossible !: La coïncidence n’est jamais parfaite avec l’objet d’étude (application, soin, de connaître, après dépassement du moment de stupeur : si dans l’état d’une chose il n’y a rien de « frappant » elle ne suscite ni crainte ni désir de la mettre en questions. On pense que les mots stupeur et studieux et stupide comportent le même radical indo-européen originaire !). Merleau- Ponty s’étonnait qu’il soit impossible de ressentir un objet et en même temps la main qui le touche cet objet
Bien sûr, on peut parler pour ne rien dire. Ma grand’mère disait pour cela qu’on « babole ». Le verbe semble dénoter directement les réponses en écho d’une mère avec son bébé qui tente ses premières émissions sonores, et ainsi éveille en lui le désir d’être désiré, le plaisir de l’échange. Eveil donc, avant toute possibilité d’expression langagière objectivante, du sentiment d’être au monde, Exister c'est « être perçu comme sujet ». (le mythe de Narcisse et Echo ?)
Etre, avant toute pensée. Subjectivité maximale.
A l’opposé, c’est de conditions maximales d’objectivité dont s’entoure le chercheur en sciences ou le poète Francis Ponge (« promeneur professionnel » !). Chacun, selon les visées de son champ d’expression, utilise des structures logiques extérieures au monde physique pour rendre compte d’un réel en partage avec des interlocuteurs, en éliminant autant que possible leur subjectivité. Exprimer au mieux possible, dit Ponge, « le mimosa, sans moi » ; ou bien, comme à l’inverse, parler de la pierre « s’en s’empêtrer soi-même». Refuser de raconter des histoires. Ponge écrit « calmes blocs, nés d’un désastre obscure », puis il corrige, ne s’autorisant à écrire que « calmes blocs » et à ajouter le constat de « leur permanence », autocensurant l’attribution d’une histoire pour ces rochers là, purement subjective, sans aucune preuve.
Dans « Mal vu mal dit » (1980) Samuel Beckett réussit le tour de force d’établir une vieille femme et son environnement dans un paysage purement verbal : nous l’imaginons à distance de toute image précise que voudrait construire le lecteur sur la base d’une description complètement impropre à saisir son être, indicible. Et ça fonctionne à merveille http://www.leseditionsdeminuit.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=1520
Je ne crois pas que ce soit très bien vu qu'un auteur réponde ainsi à presque tous les commentaires, cela empêche l'appropriation par d'autres et fait "verrouillage du débat démocratique" mais je profite de rester confidentiel. Le fait de ne pas répondre est normalement un attribut de la "grandeur" selon la théorie de la justification de Boltanski et Thévenot. S'abaisser à répondre, ce serait se mettre au niveau de celui à qui l'on s'adresse (et il est vrai que des fois, il n'y a rien à répondre). De plus, cela prend un temps infini en pure perte car plus personne ne lira ces commentaires. Pour moi, comme je l'ai dis à plusieurs reprises, la réponse aux commentaires a toujours été une tâche pénible mais pas ces derniers temps où cela m'a semblé largement plus intéressant, me permettant de compléter utilement le texte (il aurait mieux valu un texte complémentaire ?). Cependant, on entre dans la période de la revue des sciences et j'aurais beaucoup moins de temps à y consacrer (il faut varier les plaisirs!).
J'allais oublier l'essentiel qui est qu'on devrait remplacer "être, c'est être perçu" par "être, c'est être parlé", c'est appartenir au récit commun, l'oeil de l'esprit supposé donner existence à ce qu'il perçoit n'est pas un véritable oeil, limité à son périmètre, mais l'oeil du récit, ce qu'on voit avec les oreilles plutôt et de façon idéelle, fictive.
Organiser l'écoute.
Un point me semble être resté dans l'ombre, c'est le poids de l'engagement sur la force du récit. Dès qu'on passe d' l'autre côté du comptoir, on se met à défendre la boutique. C'est la force de cohésion qui prend le dessus ou au moins de l'importance, et vient réduire les capacités cognitives. Il faut vraiment que l'objection ait un statut organisé et protégé au sein du groupe pour contrebalancer l'esprit de clan, qui se développe très spontanément, afin de donner un peu plus de chance à nos capacités cognitives. La démocratie est une tentative d'organiser cette protection, mais je crois que la sociocratie va un peu plus loin pour sortir du "cause toujours" en donnant un peu plus de chances au récit alternatif d'être entendu.
Il faut distinguer la pression du groupe de la force de conviction du récit.
Mon expérience, c'est qu'on n'évite pas les conflits. Je ne crois pas qu'on puisse domestiquer la contradiction vraiment comme le voulait Habermas, il y a toujours de l'inassimilable. Il y a certes une "bonne contradiction" (ce que d'autres appellent les désaccords féconds) et puis les contradictions réelles, impossibles à régler sans conflits quand les intérêts sont réellement divergents. Reste qu'on peut institutionnaliser la contradiction entre avocat et procureur, cela améliore la justice sans éviter d'en faire une justice de classe.
On peut là aussi prendre l'exemple des sciences où certains faits n'existent tout simplement pas car ils ne font pas partie du récit officiel. Ainsi les théories du chaos ont fait entrer des nouveaux phénomènes dans la physique. Ce n'est pas une question de pression du groupe dans ce cas mais du manque d'un langage. On parle toujours dans un système contraint, ce qu'on appelle discours (Kojève, Foucault, Lacan) ou paradigme dont je pense utile de souligner la dimension de récit. Boltanski parle de "cités" (religieuse, domestique, marchande, civique, industrielle, etc.) ce qui est presque l'anagramme de récit ! Il ne s'agit pas d'ailleurs de tout réduire au récit, il faut que ça fonctionne, que ça se reproduise, la causalité restant matérielle en dernière instance mais le récit y introduisant un certain nombre de fictions et de déformations, en particulier par la sélection des faits et une causalité unilatérale dont les théories du complot ne sont qu'un exemple actuel.
D'accord avec le fait qu'il existe de vrais conflits d'intérêt qu'on ne peut résoudre et des choix qui sont incompatibles.
Je voulais insister sur le brouillage cognitif, la perte de lucidité, provoqué par l'engagement de l'individu pour un collectif. cad que le parti-pris va bien au-delà des contradictions réelles (conflits d'intérêts ou choix incompatibles) dès lors qu'on a commencé à agir pour un collectif (agir vraiment ou agir en parole). L'action transforme la position et le récit.
J'ai assisté à un baptême il y a peu et j'ai noté quelques gestes très engageants qui m'ont dérangé parce que je n'ai aucune intention de faire partie du collectif catholique, j'étais juste là pour faire plaisir aux parents amis. Le signe de croix, les chants, les prières, on se donne la main avec ses voisins (c'était le plus fort)...
Je suis d'accord, je voulais juste insister sur la différence entre la pensée de groupe et la narrativité qui ne sont pas du même ordre mais moi aussi je trouve insupportable ces rites de fausse amitié forcée qui sont repris aux sectes !
Je participe à l'occasion à des groupes prétendus de thérapie, moi je trouve que c'est assez sympa, mais c'est parfois risible dans une volonté de contrôler l'expression et que c'est juste du développement personnel. Je disais on ou ça, on me rétorquais tu dois dire je... J'ai rétorqué je que je trouve ce fétichisme du pronom personnel idiot, d'autant plus que quand je parle c'est en mon nom, une évidence. Il y a dans ces formes de groupes, parfois délirants, des choses utiles mais aussi des scléroses du langage et de l'expression conservatrice.
J'étais le seul homme parmi des femmes, drôle de situation... D'ailleurs, je ne sais jamais trop si elles me draguent ou si elles se foutent de ma gueule. Elles font un travail intéressant, mais des fois c'est un peu dans le décor.
Quand j'étais jeune, on appelait cela de la dynamique de groupe et je trouvais cela très violent même si ça se calmait ensuite.
Il y a des côtés intéressants dans la dynamique de groupe, famille etc...
Mais des fois ça part un peu en roue libre. Dans mon cas, je ne dirais pas qu'il y avait de la violence, mais
quand même une légère rigidité lexicale à laquelle je me suis opposé, face à une forme de consensus quasi religieux sur le bon mot. Mais bon, c'est un peu mon caractère, face à un groupe uni sur une broutille, si ça ne me plait pas, je tape dans la fourmilière. Mon côté estimé comme caractériel...
Une m'a encore ressorti la médecine quantique, écoutée comme un oracle, et moi m'en allant lui rétorquer qu'il fallait tout même pas trop extrapoler dans un domaine encore très jeune, celui de la mécanique quantique. Peu après, pour rigoler, dans une autre situation, j'ai évoqué la fluctuation quantique, qui elle est une notion physique établie, et...on m'a regardé avec dédain et mépris. C'est étrange, que des "créatifs culturels" soient tant dans la prétention religieuse, transformant des concepts de la physique en éléments de langage quasi mystiques.
J'ai vraiment l'art de me faire mal voir assez souvent.
Un petit dicton sénégalais pour illustrer les désaccords insolubles sur les choix:
LE CHIEN A BEAU AVOIR QUATRE PATTES, IL NE PEUT EMPRUNTER DEUX CHEMINS A LA FOIS.
@michel martin
Bonjour. Sur "l’engagement de l’individu pour un collectif."
Dans le roman de Victor Hugo ‘ Quatrevintg treize » que j’ai relu il y a peu, aussi bien les gens du peuple ( des matelots, un vagabond, une mère, un groupe d’enfants) que ceux qui parlent au nom du peuple sans en faire partie (le contre révolutionnaire Blanc Lantenac ou le responsable politique Bleu Cibourdin) ne suivent pas, dans les moments cruciaux les enchaînements argumentatifs que l’on attendrait par rapport aux groupes d’appartenance ou aux partis respectifs où il sont engagés. On dirait que tous ont lu Kant : « l’immaturité est l’incapacité d’exercer son entendement sans être guidé par autrui » Les actes (que leur attribue l’auteur) seraient estimés exemplaires dans une société de libertés , mais tous ces personnages relèveraient du camp de redressement pour insoumission grave que nous vivrions dans un régime plus ou moins totalitaire: Quoi, on ne venge pluss son frère ? on ne dénonce plus l’ennemi et on est inattentif à la récompense ? on refuse de prendre parti ? on regrette ses actes ? on se fait enfermer à la place d’un autre ? on renonce à s’évader pour sauver des enfants ? lesquels devant la page qui s’envole d’un livre réputé précieux qu’ils ont déchiré, trouvent merveilleux l’ inattendu effet produit par la catastrophe : « Un papillon ! » s’écrie la plus jeune…
Intéressant.
Peut-être un retournement dialectique? Une réaction devant la brutalité excessive du groupe? Une tentative de rééquilibrage devant les forces brutales désinhibées?
Delirer serait l'envers de notre liberté, le produit du language narratif est-ce a dire que nous souffririons d'un trop plein de mythes? J'ai bien l'impression par contre que nous aurions besoin d'un mythe mondial commun qui puisse nous sortir de l'impasse socio-politico-economico-religieuse terrestre actuelle, au risque de nous déconditionner du seul destin terrestre.
Peut-etre est-cela qui est a construire pour les générations futures, au dela d'une écologie malthusienne ou d'une singularité imaginaire.
Il faut éviter en ces matières ce qu'on peut appeler constructivisme, kantisme ou idéalisme, c'est-à-dire de croire que la représentation n'a rien à voir avec la chose représentée (chose en soi) et qu'on pourrait en décider à notre guise (faire un homme nouveau, transformer les gens, les rééduquer, organiser sa propre utopie). Il faut réintroduire une dialectique entre le récit et le réel, processus historique où ce n'est pas nous qui sommes maîtres du jeu mais nous pouvons participer à l'invention du monde nouveau.
Un discours commun devrait finir par émerger qui est déjà celui de la science (partagée partout) mais si une nouvelle religion planétaire s'impose, elle sera assurément aussi bête que les autres malgré toutes ses bonnes intentions. Pire, plus on voudra un récit commun, plus cela sera la guerre, le retour des guerres de religion qui ne sont rien d'autre que cette exaltation de l'unité. Ce qui fera notre récit commun, ce sont nos expériences communes et nul doute que la question écologique en fera partie.
Il faut se faire son propre récit, je le répète, pour ne pas subir le récit dominant, mais ne pas trop y croire, le dénoncer comme récit provisoire. Le récit de nos origines le montre, ce ne sont pas les faits qui changent mais le récit qui est provisoire en attendant d'autres découvertes.
J'ai écouté la fin de l'émission de France-Culture de midi sur le livre de Jean-François Dortier "L’homme cet étrange animal aux origines du langage, de la culture et de la pensée" et qui semble dénier toute différence avec les animaux ce qui est quand même très excessif. Hervé Le Tellier soutenait notamment que les prédateurs en général et les corbeaux en particuliers avaient accès au mode narratif du fait qu'ils construisaient des scénarios. La différence avec le langage narratif me semble rester considérable. Il ne s'agit pas de trouver absolument un trait qui nous distingue de l'animal que nous sommes toujours mais de rendre compte d'une différence patente, notamment depuis 50 000 ans.
Heinz Wismann raconte deux trois choses intéressantes sur le rôle du connotatif (esprit de finesse chez Pascal?) dans notre capacité de prise de distance du réel, là où le langage dénotatif s'attache à le décrire au plus près et de façon univoque. D'après lui, c'est le grand défi de l'école que de savoir développer l'aspect connotatif du langage qui serait important pour développer la réflexivité, l'empathie...
Le récit ne devient nocif pour la lucidité que quand il est au service du pouvoir, qu'il est parti prenante de la violence symbolique (pouvoir perçu comme naturel par le dominé). C'est qu'une cohésion de groupe mûrement consentie demande sans doute trop d'énergie la plupart du temps.
Que le récit soit nocif dépend de son instrumentalisation mais le récit est en soi unilatéral et très sélectif, il a une charge de conviction irrationnelle. Il n'y a qu'à voir les batailles de chiffonnier autour de l'histoire de France. Certains demandent explicitement de ne retenir que les épisodes glorieux permettant de s'imaginer une France toujours au meilleur. Les Allemands sont obligés de s'alléger de ces prétentions car, sauf à se faire néonazis (il y en a), il y a un épisode inassimilable. Le repli sur le régionalisme peut susciter d'autres récits tout aussi fictifs. On peut tout autant prendre l'exemple des récits de notre propre vie qui peuvent être aussi convaincants sur la pente de l'échec dans les moments de déprime que dans l'épopée de conquêtes des moments de victoire. En même temps si le langage narratif datant d'un peu plus de 50 000 ans a produit toute la culture avec ses mythes, ses rites et ses techniques, ce n'est pas rien mais c'est, comme toujours, une arme à double tranchant et sa part de folie qui nous a fait conquérir le monde à la poursuite de quelque histoire fantastique peut aussi causer notre perte. On ne peut pas balayer ce qui nous déplait d'un geste de la main, il y a une nécessité implacable, on peut du moins faire preuve de discernement.
D'autres se basent sur nos supposés 2 cerveaux, droite et gauche, l'un étant spécialisé dans les images et l'autre dans les mots. Tout ceci est spéculation simpliste alors que le récit est quelque chose de très concret et trop inaperçu dans son opération. Je ne veux pas en faire trop, peut-être est-ce exagéré mais je crois vraiment que raconter des histoires est tout autre chose que de parler à quelqu'un, de lui dire qu'on l'aime par exemple. Ce ne sont pas seulement des images. Ce sont des films parlants, O combien ! Dans le spectacle, on ne peut ignorer les discours, la dimension de storytelling qu'il ne s'agit pas tant de critiquer que de révéler, la rendre manifeste. La structure du langage narratif sujet/verbe/objet est absolument convaincante, c'est ce qui donne corps aux esprits de la forêt et prête une intention à la foudre même. On parle de personnification mais c'est au sens du personnage d'un récit, d'un être parlant mais surtout parlé. Ce ne serait donc pas forcément l'Autre comme source du langage le plus décisif mais de se raconter des histoires, ce qui n'a rien à voir avec des soucis d'équilibre biologique ou d'harmonie sociale.
Vouloir que l'école forme le citoyen est excessif (c'est l'éducateur qu'il faudrait éduquer), elle doit donner des connaissances, développer des aptitudes. On voudrait désormais qu'elle enseigne l'esprit critique, la créativité, la rébellion même ! Heureusement que cela ne dépend pas des maîtres d'école ! Rien de plus ridicule que le parti révolutionnaire institutionnel mexicain. Il suffit d'enseigner la littérature et les sciences bien mieux que de faire une morale qui ne tient pas debout. L'histoire des religions serait ainsi bien plus subversive que de vouloir cultiver le doute dont tous les croyants se réclament. La pluralité des récits est ce qu'il y a de plus subversif.
Le récit a une puissance du déni. J'ai quelques cousins, cousines, vivant tranquillement des féroces rapines de leur père, un vrai shark, imaginatif qui plus est.
Ils n'ont quasiment jamais travaillé et ont vécu dans des maisons de luxe sur les côtes et dans le sud. Tout ça grâce aux étranglements de recouvrements financiers de petites entreprises, dont certains gestionnaires ont fini par se suicider, et autres truandages du fisc. Eh bien, leur papa nourricier, ils l'adorent... Inutile de leur rappeler les faits, les escroqueries, ils ne mordront jamais la main de leur nourricier. Ils se satisfont et continueront très bien de leur statut, spiritualité bidon, art bidon, pour combler le temps qui passe.
commentaire pour la philosophie de l'information qui peut aussi coller avec l'oubli du récit.
J'ai écouté une conf de Michel Foucault de 1984 sur "le gouvernement de soi-même et des autres" dans lequel il développait la notion de paresia (franc-parler), de l'Autre indispensable à dire la vérité sur soi etc... Son point d'entrée dans la philosophie de l'information se fait par la recherche de vérité (information) individuelle et du rôle de l'Autre pour réduire notre subjectivité. Il fait ensuite le lien entre cette vérité qui rend possible de dénouer les noeuds arbitraires du pouvoir, les pouvoirs non-légitimes ou abusifs. Je ne connais pas assez le travail de Michel Foucault pour dire s'il a développé des compléments à cette introduction à une philosophie de l'information, mais il me semble que la convergence de point de vue est importante, quand bien même il me semble rester trop proche d'un niveau de "misère philosophique".
Le lien au cours de Michel Foucault de 1984: Le courage de la vérité.
Theodore Zeldin développe la parresia au travers d'une conception approfondie de la conversation:
"La conversation est l'échange entre des personnes qui reconnaissent ne pas tout savoir et qui désirent progresser dans leur recherche de la vérité." .
Tout le contraire des dialogues de sourds où chacun tente de gagner la conversation.
Mais Zeldin évite, de façon faussement naïve, le lien et les conséquences politiques de sa conception de la conversation, contrairement à Foucault qui y voit une façon de réduire l'abus de pouvoir.
Je poursuis ma biblio sur les philosophies cousines de votre philosophie de l'information et il me semble que le concept de philosophie empirique de Bruno Latour en fait partie. Qu'en pensez-vous?
Un lien sur cette philosophie empirique.
Une tentative d'organiser la mémoire numérique en récits (en série d'événements) plutôt que d'organiser l'intelligence artificielle en jeu de règles semble bien confirmer sa puissance pour imiter notre propre raisonnement et prédire la suite aussi bien que pour construire d'autres récits. La réussite du projet n'est pas encore prouvée mais ce changement de paradigme pourrait être décisif.
http://www.newscientist.com/article/mg21628945.700-storytelling-software-learns-how-to-tell-a-good-tale.html