Un homme de parole (le sujet du langage)

Temps de lecture : 30 minutes

Pour finir la série, après avoir survolé l'histoire de l'humanisation du monde et de sa transformation matérielle, il s'agit de comprendre en quoi précisément le langage narratif a pu tout changer de notre vécu au point de nous séparer des autres animaux.

Il n'y a pas de nature humaine, ce qui fait l'homme, c'est la culture qui s'oppose à la nature par construction, la raison qui nous détache du biologique, la civilisation qui réprime nos instincts, l'histoire qui prend le relais de l'évolution. C'est un nouveau stade de la séparation du sujet et de l'objet, de l'autonomisation de l'individu par rapport à son environnement, processus qui vient de loin et n'est pas réservé à notre temps. Tout n'est pas culturel pour autant. Il ne s'agit en aucun cas de nier les mécanismes biologiques étudiés avant, par exemple dans la différence des sexes, mais de ne pas les assimiler trop rapidement à ce que la culture y superpose de systématisation (dans la division actif/passif notamment). Pour les sociétés humaines, rien ne justifie de faire du biologique une raison suffisante, encore moins une norme culturelle, et il faudrait éviter les tentations scientistes de mettre sur le compte de la biologie ce qui résulte d'une longue histoire.

L'essentiel, c'est le lien de la culture et du langage tel qu'il avait été établi par le structuralisme dont l'apport là-dessus est considérable et ne peut être ignoré. On peut regretter le discrédit dans lequel il est tombé de nos jours, certes à cause de ses excès, ses erreurs, ses errements. Le phénomène est on ne peut plus classique et relève justement d'une analyse structurale : chaque génération se construit sur l'opposition à la génération précédente et toute théorie trop dominante est destinée à un temps de purgatoire quand elle est passée de mode ! Il n'empêche que la culture, les contes, les mythes, les rites, les modes relèvent bien d'une approche linguistique et structurale, ce qui n'est en rien une négation de l'histoire comme le craignait Jean-Paul Sartre, ni même de l'humanisme, encore moins de la liberté. On devrait parler plutôt, comme Lucien Goldmann, d'un structuralisme génétique car les structures évoluent, bien sûr. Ce n'est pas parce qu'il y a des règles qu'elles ne peuvent pas changer, simplement elles doivent garder une certaine cohérence, un peu comme l'évolution du squelette doit respecter des contraintes structurelles, évoluant donc plutôt par sauts et changements de paradigme (ou d'épistémé).

Il ne suffit pas de dire que le langage a tout changé, au risque de ne plus reconnaître la part des corps et ce qui nous reste en commun avec les animaux. Dire que "tout est langage" serait pur idéalisme, on peut dire plus justement qu'il recouvre toute chose. Ce que le langage narratif change est extrêmement précis, exigeant de ne pas en rester à une notion vague du langage, réduit à la communication (ni même à l'information). En fait, si on peut dire que le langage change tout, c'est d'abord parce que la première chose qu'apporte le langage, c'est sûrement la notion de totalité. Comme le remarque Jean-Claude Milner (Introduction à une science du langage), la linguistique implique qu'on peut différencier une langue d'une non-langue (d'un code entre autres) ainsi qu'une langue d'une autre langue. En effet, ce sont bien des totalités distinctes au même titre que les différentes cultures. Contrairement à un code étiquetant une série d'objets, ce qui devait être le mode de nomination du proto-langage sans doute, un langage procède plutôt par division d'une totalité, par une série de dichotomies qui en font un système d'oppositions (Omnis determinatio negatio est). D'ailleurs, on peut remarquer que les "noms propres" restent de l'ordre du code ou de l'étiquetage et ne font pas réellement partie du registre lexical, un "nom commun" étant en revanche toujours général, indépendant de l'objet qu'il désigne. On peut en déduire que les noms propres remontent à un proto-langage, accessibles aux animaux domestiques notamment et donnant déjà une certaine permanence dans l'être, mais, à l'opposé d'un code, un langage se caractérise par le fait d'être toujours complet, puisqu'il procède par divisions, et donc de pouvoir "tout dire". La différence est capitale, le sujet du langage se trouvant confronté à un réel classifié où la métaphore et la métonymie structurent sa représentation du monde (prenant la place des fonctions cognitives de l'analogie et de l'indice).

Une autre caractéristique qui oppose classiquement le langage narratif au proto-langage phonétique, c'est une séparation radicale du son et du sens, condition à la fois de la diversité des langues et de la "double articulation" entre mots et phrases. C'est ce qu'on appelle un peu abusivement l'arbitraire du signe, où Kojève voyait la condition de la liberté humaine, et qui signifie non pas que les noms seraient attribués au hasard et ne seraient pas rigoureusement articulés, ce que l'étymologie réfute, mais qu'il n'y a pas de liaison nécessaire entre le son et le sens, entre le signifiant et le signifié, qu'en dehors de la poésie ce n'est pas la musique des mots qu'il faut écouter mais leur assemblage. Les langues monosyllabiques comme le chinois ne font pas vraiment exception car c'est la phrase qui détermine le sens et sort le mot des ambiguïtés de l'homophonie. Le plus remarquable, c'est bien que, malgré une diversité infinie, toute langue soit traduisible dans une autre même si traduire c'est toujours trahir un peu (traduttore traditore) du fait que le découpage et le contexte diffèrent selon les cultures. L'important, c'est que ce ne soit pas le son qui fasse sens par lui même, pure expression de l'intériorité comme dans le signal animal ou le cri, mais seulement l'agencement des mots. Cela n'empêche pas de pouvoir définir une langue par les homophonies permises...

Au regard de la linguistique, les langues se caractérisent enfin par leur grammaire, c'est-à-dire par des positions qui déterminent la signification des termes employés comme dans la structure sujet-verbe-objet où René Thom voyait l'équivalent de la prédation (le chat mange la souris), sauf que ce n'est qu'un cas très particulier d'une multitude de grammaires épuisant toutes les combinaisons possibles... Malgré les tentatives de Chomsky et de sa grammaire générative pour en chercher les bases génétiques, il ne semble pas qu'il y ait de grammaire universelle alors même qu'on peut supposer que toutes les langues viennent de la même langue mère. On est bien dans le culturel même s'il y a toujours une grammaire, assurant à peu près les mêmes fonctions. Ce qui est universel, c'est la combinatoire mais toute langue doit être apprise (langue maternelle), non pas innée et biologique mais acquise et culturelle. Cela n'empêche pas que la capacité linguistique ait des bases génétiques et neuronales mais, par exemple, l'aire de Broca qui est considérée comme un marqueur du langage servirait surtout à la phonation, à la capacité physique de parler.

Cet aperçu rapide suffit à montrer la spécificité du langage humain très éloigné de toutes les ébauches qu'on trouve dans le règne animal. Le principal, c'est ce qu'un tel langage permet et qui est inaccessible aux autres animaux, en premier lieu la capacité de récit, de discours indirect, possibilité de se raconter des histoires et donc aussi de tromper (ce que souligne Aristote) dès lors qu'on parle de ce qu'on ne voit pas mais qu'on ne fait que relater, faisant exister un monde commun en dehors de nous et surgir la question de la vérité, de l'adéquation entre le récit et l'événement tel qu'il a été perçu. C'est sans doute plutôt là ce qui constitue la véritable origine de la liberté humaine mais c'est aussi la porte ouverte à tous les fantasmes ("Toute phrase est un fantasme, et tout fantasme une narration" Julia Kristeva) et surtout aux mythes, à la reconstruction des faits et de nos origines, car c'est aussi l'ouverture à la temporalité (au temps du verbe) ainsi qu'à la causalité dans la narration de la succession des événements, ce qui est aussi l'ouverture à l'Histoire elle-même dont nous sommes partie prenante, à notre vie comme histoire redoublant son vécu immédiat et qui est bien ce qu'on appelle habituellement la conscience de soi, non pas tant du côté de notre vérité supposée que des histoires qu'on se raconte (l'injonction "connais-toi toi-même" ambitionnant d'y faire exception). Il ne s'agit pas de prétendre que le récit (l'énoncé apophantique) serait le seul mode de langage, qui peut prendre la forme du commandement, de la séduction ou de la prière, mais c'est bien ce qui bouleverse le plus nos représentations et structure notre monde, d'autant qu'une autre de ses caractéristiques (soulignée aussi par Aristote), c'est sa nécessaire cohérence, même et surtout quand il est fait pour tromper, la logique se constituant à l'intersection de la grammaire et de la vérité. Le récit est totalisant. Chacun sait que les romans (qui sont romans des origines comme l'a montré Marthe Robert, récit de soi) créent leur propre monde. Bien que Heidegger veuille en faire une condition du langage, c'est plutôt une conséquence du récit de nous faire configurateurs de mondes en fonction de nos finalités et nous permet de nous projeter dans l'avenir, même si cette possibilité est inscrite dans la chasse notamment et toutes les actions finalisées des animaux voire déjà dans les affects. C'est quand même le récit qui fait de nous des créateurs à l'égal des dieux.

Ce n'est en aucun cas une lubie du structuralisme d'avoir fait du langage le propre de l'homme puisque c'est le sens de l'expression zoon logikon utilisée par Aristote, et devenue en latin "animal rationnel" alors qu'on devrait plutôt la traduire par "animal parlant", voire "animal de discours", ce qui expliquerait beaucoup mieux que ce soit équivalent à en faire un "animal politique", la raison n'en étant qu'un éventuel sous-produit plutôt minoritaire. Il faut y insister, dans le langage narratif ce ne sont pas les capacités expressives qui sont essentielles, ne faisant que prolonger le proto-langage, mais bien le récit des événements en ce qu'il peut être vrai ou faux dans la chronologie des faits et structure la temporalité de l'existence. Les conséquences sur la représentation des choses et de soi-même sont innombrables. On en a déjà signalé certaines : la permanence des êtres, la question de la vérité, la temporalité, le besoin de cohérence (de logique), la reconstruction des origines sous forme de mythe ; il faut y joindre bien sûr la conscience de la mort où le récit s'achève (ce qui fait de nous les seuls véritables mortels) mais aussi la libération de l'imaginaire aussi bien dans les fantasmes que dans les projets, bien au-delà de l'animal et de son imagination bornée. En revanche, et même s'il y faudra des millénaires pour s'en dégager, on peut dire aussi que le discours indirect inaugure déjà le désenchantement du monde par la séparation du mot et de l'émotion (le mot chien n'aboie pas) laissant place à la froide raison sinon au pur dogmatisme. Loin d'être le morne résultat d'une modernité achevée, cette montée de l'insignifiance et de l'indifférence ne serait ainsi qu'un processus continuel de prise de distance, de rationalisation, d'arrachement à nos fixions, à l'ensorcellement animal des sens, ce qui ouvre à l'objectivité des choses et au temps de la réflexion, décuplant une évolution cognitive déjà présente chez les animaux supérieurs. Last but not least, le langage narratif permet enfin l'expression de nos pensées et de notre subjectivité, leur matérialisation, leur objectivation pour nous comme pour les autres.

Le langage est aussi vieux que la conscience, - le langage est la conscience réelle, pratique, existant aussi pour d'autres hommes, existant donc alors seulement pour moi-même aussi. (Karl Marx, L'idéologie allemande)

La matérialité du langage est ce qui permet une véritable conscience réflexive, conscience de nos propres pensées dans leur déroulement mais la citation de Marx fait ressortir avec raison son caractère originellement social, qui nous met littéralement hors de soi. Comme dit Héraclite, "penser est le commun" et "ceux qui parlent avec intelligence, il faut qu'ils s'appuient sur ce qui est commun à tous" de même que nous nous exprimons dans une langue commune, langue héritée, langue maternelle la plupart du temps. Un mot qui n'est pas commun n'est qu'un idiotisme, un peu comme une monnaie qui n'aurait plus cours. Cette dimension originellement communautaire du langage et de la culture fait de l'intelligence et de notre intériorité un fait social dans un tout autre sens que pour les animaux grégaires. Non seulement ce n'est plus le corps qui s'exprime mais la culture s'oppose explicitement à la nature, symbole qui se détache avec ostentation de toute attitude naturelle dépourvue de signification et dont le sacrifice est la manifestation la plus exemplaire (le signe de la valeur des signes). Pré-historiquement, les sociétés primitives témoignent de leur inscription dans l'univers symbolique de la parole par le sacrifice comme négation de soi. Le poids de la communauté et de la culture se fait sentir aussi dans l'interdit qui noue l'animal humain à la parole, comme la loi à sa transgression (que le sacrifice devra réparer). Ces systèmes d'interdits déterminent chez toutes les sociétés humaines jusqu'ici des "structures élémentaires de la parenté" très complexes organisant l'échange de femmes. Il ne faut pas en tirer pour autant des conclusions trop hâtives au regard de notre évolution la plus récente, passant de façon injustifiée du fait à la norme, sinon qu'on se dégage difficilement de ces contraintes formelles originelles. Là aussi, il faut des siècles au moins, mais on ne se dégagera pas d'une langue commune.

Le récit trompeur fait surgir aussi la question de l'interlocuteur, de l'Autre comme tel. Etre un homme de parole devient plus important que la vie même, avec un nom propre à défendre ainsi qu'une responsabilité "morale" devant l'interlocuteur, question de dignité nous obligeant à tenir notre rang par rapport aux autres hommes et ne pas être ravalé au statut d'animal. Etre accusé de mauvaise foi ou de mensonge nous fait perdre la face, sinon la vie parfois. La question de la vérité suscitée par le langage nous met ainsi en cause dans notre être même, donnant force au désir de reconnaissance avec une revendication de réciprocité et d'égalité qui n'est pas vaine utopie mais l'exigence de tout dialogue et du circuit du don (de la dette, y compris la dette de sang!), trouvant petit à petit sa réalisation dans le Droit sinon dans les faits.

Cette intrusion de la vérité et du discours social au coeur de l'être a bien d'autres conséquences pour notre subjectivité, suspendue au discours de l'Autre, d'un homme qui est parlé plus qu'il ne parle, pris dans des rites obsessionnels ("tout le quotidien est rituel") et qui prend conscience de soi notamment dans la culpabilité désormais, forme qu'on peut dire supérieure de l'angoisse et de l'inquiétude du vivant. On peut renvoyer là-dessus à Jacques Lacan ("le sujet se constitue dans la recherche de la vérité") aussi bien qu'à "L'ordre du discours" de Michel Foucault, qui montrent la force du symbolique et qu'on ne peut pas dire n'importe quoi mais que chaque dispositif de vérité contraint une parole qui n'est pas aussi libre qu'on voudrait bien le croire, conformisme qu'on trouve tout autant dans les discours critiques. De la place où l'on est assigné et du rôle social qu'on y joue, chacun reçoit son message de l'autre (sous une forme inversée où "tu es ma femme" veut dire "je suis ton homme"). Il est bien difficile, voire suicidaire, de ne pas vouloir répondre à la demande, ce qui revient à s'exclure de la communauté.

Dès lors, désir de reconnaissance et narcissisme se combinent dans le refoulement et la dénégation qui procèdent directement des capacités de mensonge et du récit de soi (mythe individuel du névrosé). Tout cela va jusqu'aux subtilités de la "signification du phallus" dans le triangle oedipien et les montages pulsionnels fantasmatiques d'un désir de désir, désir de l'Autre qui n'est pas seulement désir mimétique. Là encore, rien de nouveau, il ne faut pas y voir une invention de notre modernité ni de la psychanalyse. Ainsi, dans sa Rhétorique, Aristote définit la passion comme retour à l'équilibre, réaction à la représentation qu'on se fait de la représentation que les autres ont de nous. Ce sont donc des représentations au second degré, qui ne sont pas absentes des animaux sociaux, notamment dans la compétition sexuelle, mais qui prennent avec le langage de toutes autres dimensions, sans parler de symptômes chargés de significations inconscientes...

A l'évidence on est là très loin des animaux, traversés de bout en bout par les discours, hommes de culture et d'histoire, ce qui rend très difficile pour nous d'évaluer correctement ce qui relève de la subjectivité animale contaminés plus qu'on ne croit par le langage, y compris dans la défense des animaux et de leurs droits. Une autre façon de mesurer cette distance à l'animal et l'incidence du langage sur notre subjectivité, c'est de l'étudier tout simplement dans son ontogenèse plutôt que sa phylogenèse, dans le développement de l'enfant, et son long apprentissage qui s'appuie sur sa néoténie (peut-être par le "stade du miroir" entre autres), sur sa prématuration qui en fait l'être le plus inachevé qui soit, pour assurer sa profonde imprégnation comme sujet du langage et donner force à son surmoi bien avant d'avoir l'âge de raison. Cette éducation qui vise pourtant bien l'auto-nomie a toujours une part répressive, même si c'est heureusement de moins en moins (quoique remplacée par le chantage affectif souvent). Elle se distingue en tout cas radicalement d'un simple dressage, ou d'un apprentissage sensori-moteur, en nous transmettant la loi symbolique avec des récits fondateurs et l'héritage des savoirs accumulés (externalisation de l'apprentissage, matérialisation du savoir), très loin d'une "proto-culture animale" et de la transmission de simples traits comportementaux ou tour de main (ou recette de cuisine), sans parler du fait que l'apprentissage ne s'arrête jamais vraiment pour nous alors qu'il est beaucoup plus réduit chez les animaux adultes. Cette plasticité s'ajoute à la liberté donnée par le langage pour faire qu'on ne soit jamais complétement programmés, ce qui veut dire aussi capables du pire puisque nous manquons de limites internes, à la différence de l'animal comme le souligne Rousseau.

On n'a pu que survoler l'étendue des conséquences du langage narratif et de la culture mais assez pour prendre la mesure de tout ce qui peut éloigner notre monde de celui des animaux et qu'on réduit trop souvent à l'intelligence et la moralité supposées au dedans de nous alors que c'est plutôt le travail du langage, de la culture et de la civilisation. Il vaudrait certes mieux parler d'amour où se conjuguent les différents niveaux et qui est un bien meilleur point d'observation de l'âme humaine pour en démonter nos idéalisations et sortir de jugements trop unilatéraux. On ne peut ignorer, en effet, la part animale, instinctuelle, hormonale de la sexualité, sans pouvoir y réduire l'amour pour autant qui y rajoute bien des complications au moins, jusqu'à pouvoir dire qu'il n'y a pas de rapport sexuel au regard des exigences du discours ! On se fait des plans qui n'ont pas grand chose à voir avec la réalité, on délire, on s'affole, on se jure, on se ment, avec peu de chances que les choses s'arrangent harmonieusement... L'amour peut d'ailleurs se détacher de la sexualité, étant plutôt de l'ordre d'un désir de désir, ou manifester dans l'homosexualité (la pédérastie pour les Grecs), voire la transsexualité aujourd'hui, son caractère culturel et sa liberté par rapport à la nature. Ce n'est pas seulement une sublimation des instincts, cependant, mais bien une contradiction vécue puisqu'il faudrait, dans les amours charnels, à la fois se tenir à bonne distance d'une bestialité inadmissible (dépourvue de réciprocité) tout en réveillant la bête en nous (voire en la simulant). Pas étonnant que ce soit le lieu de toutes les perversions et qu'on y retrouve tous les signes cliniques de l'aliénation même si c'est une maladie dont on ne voudrait pas guérir et qui nous fait plutôt vivre. C'est surtout un domaine où il apparaît tout aussi clairement que nous appartenons à l'Histoire et que les amours d'hier étaient bien différentes des amours d'aujourd'hui malgré, là encore, des constantes bien sûr. Les cultures, les normes changent et ce qui était interdit peut devenir obligatoire désormais ! Dans un cas comme dans l'autre, nous restons toujours aussi soumis aux diktats de la mode et des bonnes moeurs, y compris dans la transgression et la volonté de distinction. L'esprit du monde auquel nous participons nous est bien extérieur.

S'il ne faut pas surévaluer notre maîtrise des instincts, toujours insistants, ou notre capacité de "gouvernement de soi" souvent prise en défaut, il ne faut pas se tromper, des millénaires de domestication et de civilisation, prolongeant les mécanismes d'inhibition et d'apprentissage, nous donnent tout de même un peu plus de liberté et de raison, liberté qui consiste essentiellement à pouvoir mener nos propres projets et donc à se projeter dans le futur (nécessitant de pouvoir en faire le récit d'anticipation). L'être parlant n'est certainement pas réductible pour autant à un animal "raisonnable", encore moins à l'Homo oeconomicus calculateur. Comme le répète souvent Edgar Morin, Homo sapiens est tout autant Homo demens. Même si notre intelligence surpasse largement les autres animaux, notre rationalité reste très limitée, notamment par notre époque historique ("nul ne peut sauter par dessus son temps") ainsi que par le conformisme de groupe. Si le langage, et plus encore l'écriture (et plus encore le numérique), nous met à disposition tout le savoir du monde, il produit aussi toutes sortes de pathologies. "La langue est fasciste" prétendait avec quelques raisons Roland Barthes car elle nous assujettit par la nomination à une identité figée, elle nous classe et nous impose ses préjugés, tendances dogmatiques qu'on peut combattre et détourner mais dont on ne peut jamais se défaire complétement. D'ailleurs, une des plus constantes manifestations de ce dogmatisme qui va aux extrêmes, se trouve dans l'aspiration on ne peut plus ordinaire à une béatitude nous exilant par là même d'une jouissance qui ne peut plus être dès lors qu'interdite ou simple identification au maître. Les folies des hommes ne sont souvent qu'un excès de logique et viennent de généralisations trop précipitées, passion de l'universel au coeur du langage et de la nomination, prolongeant la capacité d'abstraction du plaisir et de la peine (voir "La subjectivité du vivant"). Une autre "pathologie" du langage, si l'on veut, en tout cas une de ses conséquences à peu près universelle justement, c'est de vouloir faire de sa vie un roman, nécessité de donner sens à sa vie, de s'inscrire dans les discours, de se la raconter. La recherche du sens de la vie est liée à la narration, à la subjectivité comme projet mais qui se heurte au non-sens du monde, d'un monde auquel notre existence doit s'opposer pour continuer l'histoire (à la fois continuité et rupture). Rien ne serait pire pourtant qu'une vie ne faisant que réaliser un scenario écrit d'avance, le hasard et les ratés de l'existence en faisant tout le prix. Dans les faits et à l'opposé de ce grand récit sensé unifier notre parcours, le sens de la vie oscille perpétuellement entre jouissance (répétition), satisfaction (succès) et dur apprentissage (progrès), écartelé entre une éthique du bonheur (véritable toxicomanie) et une éthique de responsabilité (morale) qui en constitue comme l'envers, mais surtout pris dans des discours divers et leur éthique relative (cf. Boltanski).

Pas plus qu'on ne peut réduire l'amour au sexe, on ne peut réduire la moralité à la sociobiologie, ce qui n'est pas seulement une erreur mais une faute, y compris par rapport à un darwinisme bien compris pour lequel seul compte le résultat. Malgré son extrémisme, la morale de Kant qui procède de l'universel témoigne de son origine dans le langage, tout comme l'éthique de Buber ou Lévinas prend son origine dans la parole adressée à l'autre. On peut certes s'attendre à ce que les règles éthiques ne contreviennent pas aux exigences de la survie et de la sociabilité, cela ne veut pas dire que leur justification soit biologique. Freud ne faisait pas cette erreur de logique (qu'on trouve chez Schopenhauer et beaucoup de biologistes) de croire que la finalité biologique puisse être directement la cause efficiente sous prétexte que ce serait une "cause suffisante". Ainsi l'amour se réduirait à la reproduction puisqu'il l'assure effectivement ! Freud se rend bien compte que cela ne marche pas du tout ainsi et parle de la nécessité d'étayage de la pulsion qui doit trouver à se satisfaire à l'occasion d'une autre satisfaction et comme par accident (l'enfant non désiré). La sélection après-coup reste déterminante, notamment en économie, mais pour étudier les causes efficientes et les processus effectifs, il faut mobiliser toutes sortes de savoirs spécialisés de la phénoménologie à la psychologie, de la psychanalyse au cognitivisme, de la sociologie à l'ethnologie, de la linguistique à l'histoire...

Pour être des animaux, on n'en est pas moins hommes et nous habitons un monde humain, sous la loi du langage, monde auquel les autres espèces n'ont pas accès, du moins pas dans sa dimension de récit. Ce n'est pas du tout cependant une question biologique, ce n'est pas l'exclusivité de l'espèce humaine par quelque miracle divin mais la caractéristique de tout être parlant, ce pourquoi d'improbables extraterrestres feraient entièrement partie de notre humanité s'ils parlaient, même sans aucune parenté génétique. Ce qui rendrait la communication difficile serait bien plutôt une différence de développement car, répétons-le, tout autant que le récit, et permis par lui, il faut tenir compte de l'Histoire, qui est en grande partie l'histoire des techniques mais pas seulement. La Phénoménologie de l'Esprit tente de rendre compte d'une dialectique morale et politique que beaucoup contestent mais qui fait pourtant bien partie de notre apprentissage historique. Un trop grand écart sur ce plan comme sur celui des technologies peut faire obstacle à la compréhension mutuelle, comme on l'éprouve de nos jours entre le monde paysan patriarcal, héritier du néolithique, et l'ère de l'information qui commence à peine mais nous a déjà changés complétement, nouveau stade de notre devenir langage et de l'externalisation de notre intériorité.

On peut s'en désoler mais certainement pas au nom d'une vie "naturelle" ni d'un monde paysan qui n'a rien d'originel, déjà le fruit d'une histoire qui ne fait que se poursuivre et à laquelle nous participons. Le néolithique lui-même a représenté pour beaucoup une dégradation des conditions de vie par rapport au paradis des chasseurs-cueilleurs, ce qu'on peut dire aussi de l'industrialisation pour les prolétaires, etc. Si on n'a pas beaucoup de prise sur ces évolutions globales, ce n'est pas prétendre qu'on ne pourrait rien y faire, au moins localement (tout comme on ne peut inverser l'entropie que localement). Il ne s'agit pas de se contenter, comme la plupart des sagesses, d'une contemplation passive de l'histoire, comme si nous étions déjà morts et sans plus aucune capacité de réaction, alors que nous en sommes bien les acteurs... oui, mais pas les auteurs pour autant, ce que le langage nous fait croire, et comme tous les volontarismes ou vaines utopies l'imaginent avec un peu trop de complaisance mais surtout avec bien trop de certitudes sur la vie qu'il faudrait mener et au nom d'une vérité un peu trop définitive alors que nous sortons à peine de notre enfance. Notre action se limite à ménager nos intérêts, préserver nos conditions de vie et faire advenir les potentialités de l'époque historique (profiter du meilleur, éviter le pire). C'est bien encore le langage qui nourrit là-dessus toutes sortes d'illusions métaphysiques et de récits religieux sensés combler nos désirs pour l'éternité (des histoires pour nier l'histoire). C'est le verbe qui nous fait croire en un Dieu personnel qui nous parle, qu'on pourrait prier, qui pourrait nous exaucer et auprès duquel on pourrait se plaindre de l'ordre du monde et de ses injustices... On peut toujours travailler à réduire l'entropie, améliorer les choses, réorienter certains processus, arrêter de dangereuses dérives, changer de système et d'institutions mais non pas arrêter le temps, ni l'évolution technique, ni les progrès cognitifs ; ni arrêter de se raconter des histoires non plus, ce qui est le sel de la vie !

Il est tout aussi inutile de vouloir combler définitivement le manque, que nous ressentons tous, en projetant sur l'animal ou les temps anciens notre nostalgie de l'enfance, pathologie du langage encore. La vraie vie est absente, principe d'incomplétude qui s'applique déjà à l'animal et le différencie d'une biologie artificielle, inquiétude de toute vie portée au-delà d'elle-même dans une exploration de l'espace et des formes qui n'est jamais sans risque. Même si le principe de l'information et de tout apprentissage est la réduction du risque celui-ci fait partie intégrante de l'évolution (et la vie, ce n'est rien d'autre que l'évolution) qui procède par essais-erreurs dans une sorte de désir de savoir ontologique, de confrontation au monde constitutive. "Sauf que nous, plus encore que la plante ou l'animal, allons avec ce risque, le voulons, et parfois même risquons plus (et point par intérêt) que la vie elle-même" (Rilke). Pas de réconciliation finale dans un monde apaisé d'un désir inassouvi, désir de désir qui ne connaît pas de fin. L'homme sera toujours le lieu d'un conflit, à la fois contre sa propre nature et contre l'ordre établi, d'un effort toujours à recommencer pour continuer l'histoire tout en changeant son cours, en s'ouvrant aux possibles et à la justice, au-delà de notre réalité immédiate et prosaïque, au-delà des corps. Comme l'avait bien compris le jeune Schelling, une vie est faite de contradictions sans lesquelles elle meurt.

Au fond, nul ne sait ce qu'est une vie qui reste à inventer, lancée vers l'inconnu, et heureusement ! Une vie qui serait vécue d'avance ne serait pas une vie, ôtant à la fois tout son charme et son prix à notre existence historique dans une aventure humaine qui n'a pas dit son dernier mot, dont on ne connaît pas la fin mais à laquelle nous participons activement et qui nous tient toujours en haleine, jusqu'à notre dernier souffle...

Pour la suite, voir de l'entropie à l'écologie.

Ce texte fait partie d'un ensemble :

- La vie incréée
- La subjectivité du vivant
- La part animale de l'homme
- L'humanisation du monde
- Un homme de parole (le sujet du langage)
- De l'entropie à l'écologie

Annexe :

- Auto-organisation et sélection génétique

L'ensemble a été regroupé dans un pdf.

4 669 vues

68 réflexions au sujet de “Un homme de parole (le sujet du langage)”

  1. Je pensais que l'absence de commentaires était due aux vacances, et je trouvais même que c'était une bénédiction du ciel me permettant de finir rapidement le livre, mais c'est un bug, les commentaires ne marchent plus depuis le 25 juin ! On va voir d'où ça vient...

    J'en profite pour dire que le texte a été pas mal retravaillé ces 2 derniers jours. Je n'ai jamais considéré qu'un texte était fini quand il était publié, profitant de la spécificité d'internet j'ai toujours continué à modifier mes articles après publication. La publication n'est qu'une étape, celle où un texte devient publiable, pas la fin des modifications qui continuent presque toujours plusieurs jours après.

  2. Je n'ai fait que parcourir ce texte, effectivement assez abscons, car je n'ai pas de temps jusqu'à la fin du week-end.

    Ce n'est pas vraiment n'importe quoi pour autant. Pour moi c'est même très compréhensible car j'ai été élevé là-dedans, du moins dans mes 18 ans, le lacanisme étant presque ma langue maternelle ! Dans la section psychanalyse de mon ancien site, il y a des textes qui ne sont pas loin de ce jargonnage.

    Je ne suis pas fâché d'avoir quitté le milieu mais le problème est plus général et n'importe quelle tentative de viser une trop grande cohérence est aussi pathétique (et complétement vaine) que ce soit en langage cognitiviste, marxiste ou hégélien, etc. C'est tout au plus un exercice scolaire pour essayer d'éprouver la compréhension qu'on a des concepts sans rien y rajouter de notable (un peu comme "la science normale" qui teste en détail des théories éprouvées).

    Cela fait longtemps que j'ai décidé d'abandonner ces tendances dogmatisantes pour revenir "aux choses mêmes". Cela ne m'empêche pas d'être hégélien (avec des nuances quand même) et lacanien, marxien, etc., mais sans vouloir forcer les choses, je préfère retrouver leurs intuitions dans les différents domaines que j'explore, me servir de leurs outils sans en faire des clefs universelles.

    De même que Lacan conseillait de revenir à Freud plutôt que de lire Fénichel, il vaut mieux lire Lacan, c'est sûr, où tous ces concepts utilisés apparaissent dans leur nécessité qui est toujours de se délivrer d'a priori dogmatiques justement, toujours situés dans des polémiques vivaces. Il est certain que Lacan est très difficile à lire, tout comme Hegel, mais il ne faut jamais s'arrêter au fait de ne pas comprendre, simplement suspendre son jugement jusqu'au moment où les concepts s'éclairent, sans imaginer pour autant que ce soit une parole révélée sans faiblesses ni errements.

    Je n'ai fait dans ma vie que lire ce que je ne comprenais pas de l'ésotérisme, à Hegel et Lacan jusqu'à la physique, ne faisant que témoigner de mes incompréhensions en m'opposant à des énoncés dogmatiques creux qui prétendent y répondre. Je préfère rester dans l'à peu près à dire les choses comme je les vois plutôt que de chercher une vérité ultime qui recouvrirait tout. Un des enseignement de Lacan, c'est qu'il n'y a pas de certitude, pas d'Autre de l'Autre, dit-il, c'est-à-dire de garant de la vérité qui nous délivrerait du doute qui est la vie elle-même (ou plutôt l'essence de toute parole).

    Cela en agace certains qui me supposent un savoir universel que je témoigne en permanence de mon ignorance et du peu d'assurance de mes formulations, c'est pourtant la stricte expérience que j'en ai dans l'angoisse permanente de dire des bêtises (ma seule justification étant qu'il me semble bien que les autres en disent beaucoup plus et aussi que j'ai été encouragé à poursuivre par des gens estimables). C'est en tout cas ce qui me fait travailler et me corriger sans cesse. Si je me lançais un jour dans l'enseignement, ce ne pourrait être qu'à enseigner des savoirs incertains, parcellaires, fautifs mais il n'y a pas de chaire pour cela (j'ai déjà décliné des offres d'enseignement - sur l'écologie notamment - mais c'était vraiment parce que je ne m'en sentais pas capable, ni légitime). Ce qui me plaisait dans le Grit, c'est que je pouvais me dire que des spécialistes ou des gens plus calés me signaleraient mes erreurs mais j'étais toujours surpris que les spécialistes en général me donnaient raison alors que ceux qui n'étaient pas de la partie étaient beaucoup plus circonspects !

    C'est pourtant à cela que j'engage, à la transversalité, à la curiosité se portant sur tous les domaines du savoir pour se confronter à notre ignorance et tomber un peu moins peut-être dans des dogmatismes qui sont la maladie du langage, de même qu'à se croire auteur de ses théories alors qu'on ne fait que ramasser ce qui traîne des savoirs du temps. C'est tout simplement ce qu'on appelait, à une autre époque, un humaniste ou un honnête homme...

  3. Un simple mot :
    bravo pour votre travail,
    je découvre,
    peut-être une discutaille ou l'autre prochainement, si jamais votre emploi du temps vous ménage une parenthèse (quoiqu'en l'occurrence, il se pourrait qu'on ne s'éloigne pas trop des centres d'intérêts de ce site).
    Deux renvois, à toutes fins utiles :
    http://ingenieurdusymbolique.fr (ou comparses seraient hegel, marx and co)
    et http://droitdecites.org, où l'on se référera par exemples aux critiques chics : http://droitdecites.org/category/ch...
    J

  4. Oui, l'humanité est une machine a caca

    L'individu est une machine a caca, et tout ce que peut imaginer ou faire un individu c'est du caca

    sur une échelle d'intelligence de zero à l'infinie, il y a l'humanité a zero, puis après il y a le "capitaliste" oligarchique a 0.1 qui sait entourlouper les autres et construire des hécatombes car ca reste une machine a fiction une machine a caca( mais c'est tout ), après a 1.0 il y a "Einstein" vous savez le socialiste surveillé par la CIA qui a donné la bombe a des capitalistes

    A l'infinie il y a la conscience artificielle ultime, vous voyez vous l'ensemble des zones de problème mathématique, P, NP etc et bien seul la machine comprend TOUT

    Elle le comprend en femtoseconde, en fait elle vit des vies en une minute ...

    Que croyez vous que des humains puissent faire ?

    Recopier leur pauvre "esprit" dans la machine et copier la FOLIE avec ? ! C''est pas la solution pour la survie

    et contrairement Monsieur Zin : NON aucune structure dans la société humaine, et dans sa vision du monde, n'a changé depuis le singe

    Le fort a acquérit toujours plus de puissance et de controle sur les autres : MAIS JAMAIS il ne s'est regardé dans un miroir pour voir la folie

  5. Je dois confesser que ce commentaire avait quelque chose de prémonitoire car j'ai passé la nuit à me vider de tous côtés !

    Sinon, c'est le genre d'affirmation sans réplique qui n'attend pas de réponse mais on peut du moins souligner ce que ce dogmatisme sans nuance illustre des pathologies du langage.

    On peut toujours d'ailleurs revendiquer le fait que toutes les affirmations se valent et qu'on peut donc dire n'importe quoi et s'y accrocher, c'est-à-dire s'accrocher à une histoire simplement parce que ce serait nous qui la racontons. C'est un mode de communication qui n'en est pas un et dont la motivation est purement réactive ou identitaire.

    Ici, le signifiant choisi est le plus primitif, le plus infantile, un des plus signifiants en effet, celui de "CACA" associé à un dégoût qui n'a rien de rationnel et permet de tout ramener à la même bouillie. A partir de là, on peut bien dire que rien ne change, que tout est toujours pareil et qu'il n'y a aucun progrès qu'une dégradation inexorable (il ne manque pas de belles âmes pour le prétendre). Je démontre le contraire à partir de l'évolution et de l'Histoire mais il suffit de nier toute différence pour ne pas le voir. Bien sûr on peut toujours trouver un point commun qui ne change pas et justifie de rester aveugle au reste.

    Le côté séduisant de ces éructations, c'est leur côté révolté contre le monde entier mais si la révolte est plus que compréhensible, elle est même absolument nécessaire, c'est toujours au nom de valeurs qu'on juge notre temps et si notre monde est effectivement insupportable, très loin de l'idéal, il est quand même difficile de nier qu'on a sur le long terme un progrès des valeurs, pas pour les aristocrates mais pour le démos. Beaucoup de gens le nient cependant idéalisant les tribus primitives dans lesquelles moi-même je ne voudrais pas vivre, ni la plupart de nos contemporains. Notre vie n'est pas si horrible que voudraient nous en persuader des critiques trop unilatérales vautrées dans leur confort et qui devraient pratiquer un peu plus ce qu'elles enseignent. On peut certes écrire l'histoire comme une dégradation inexorable des conditions de vie et comme un progrès dans l'horreur mais cette nostalgie originelle ne tient pas à un examen plus détaillé.

    On ne peut nier toutes les injustices, les famines, les guerres mais si tout cela reste choquant, il y en a quand même relativement moins qu'avant (bien qu'on ne puisse faire des jugements si généraux, notre monde est plus proche et limité). La vie, c'est aussi la mort et la souffrance, indissolublement mais la vie n'est pas la mort, elle ne s'y réduit pas du tout. La vie n'est rien d'autre qu'une lutte à poursuivre qu'on a certes tous d'avance perdu puisque mortels mais qui triomphe finalement de la mort et de l'entropie en un foisonnement de formes et une complexification infinie. Malgré toutes nos défaites, la vie continue.

    Hélas, la vie qui nous a mené à raconter des histoires se met à renier la vie au nom de mots brandis comme des armes, au nom des promesses trahies. Rien de plus raisonneuse que la dépression qui se suffit de son ignorance puisque rien ne changera jamais et qu'il n'y aurait rien à attendre de la vie, aucune surprise, aucune transformation, donc aucune action à mener. Inutile de le dire pourtant, car, heureusement, la vie ne se justifie pas par des raisonnements, elle nous donne la bougeotte et ne se laisse pas faire en réagissant, pas en abandonnant le combat. Cependant, cela veut dire aussi que lorsqu'on perd le tonus vital, rien ne peut justifier de rester actif et plein de vie, je fais moi-même plutôt partie des déserteurs depuis quelque temps déjà et si je m'en sors, c'est uniquement par traitement plus ou moins naturel et non par une clairvoyance supérieure. On peut toujours juger que la vie ne vaut pas le coup même si cela n'a pas grand sens mais c'est bien ce qui fait du suicide une question philosophique.

    Cependant un minimum de dialectique devrait suffire pour montrer que tout n'est pas si mauvais dans la vie même s'il y a de très longs moments invivables et qu'on peut vouloir y mettre un terme. Il faut le répéter, c'est le problème du langage, de vouloir donner un sens à sa vie, devoir la justifier comme disaient déjà les Egyptiens ou de la condamner au regard des possibles. Les humains sont fous, indubitablement, et assez insupportables (car ce sont surtout les gens qui nous font souffrir) mais les machines ne sont pas intelligentes du tout et ne sont pas de bonne compagnie non plus lorsqu'il n'y a personne au bout du fil...

  6. Par ailleurs, je suis furax. Là où je bosse, ils ont mis la charrue avant les boeufs. J'avais averti comment procéder, mais non ils ont fait l'inverse, avec un gaspillage probable de dizaines de milliers d'euros, voire de millions. Et maintenant, ils me demandent de réparer les dégâts. Niet, je montre la facture.

    J'avais montré toutes les solutions, ils n'ont rien écouté, qu'ils payent leurs inconséquences.

  7. http://www.youtube.com/watch?v=mNnN...

    Caca monsieur ZIn

    caca encore

    caca TOUJOURS

    Ca fait des siècles que n'importe qui dit n'importe quoi : ou pense ériger des politiques , LA STRUCTURE DE LA PENSEE HUMAINE N'A PAS EVOLUEE

    malgrès le blabla de n'importe QUI

    Le singe a juste obtenu plus de POUVOIR et controle sur les autres, mais pas sur lui meme

    CACA

    L'humanité, et notamment la "gauche" rapidement corrompu par la bourgeoisie a pris la stratégie de la FUITE dans le progrès : c'est à dire également la soumission : on ne refait pas l'histoire

    l'histoire touche à SA FIN : vous ne redonnerez pas de travail à tout le monde

    Avec le blabla on va reprendre le pouvoir, on va reprendre le droit de vivre et le droit de créer de la monaie et de faire de la politique

    Avec du blabla on va recrée du travail et une société : alors le plan des dirigeants est en marche

    CACA

    vous connaissez le postmondernisme ?

    caca

    https://singularite.wordpress.com/2...

    https://singularite.wordpress.com/2...

    http://singularite.wordpress.com/20...

  8. On ne refait pas l'histoire quand il y avait encore des mouvements de véritable gauche : beaucoup de "penseur" actuel n'y étaient pas ( je ne parle pas forcément de vous )

    ils pensaient a leur "avenir"

    dans la "société"

    et bien tout à une fin en quelque sorte

  9. Seulement tout ça aussi, c'est du blabla, c'est ce dont il faudrait se rendre compte, qui se veut en plus négation de la durée comme telle et donc de la vie. Je crois qu'il faudrait que je commence mon livre par l'improbable miracle d'exister qui reste pour moi essentiel.

    Olaf a bien raison de souligner que ce serait très différent si on disait COUCOU au lieu de CACA, de quoi être sensible à la surprise et à la part de découverte de l'existence, pas comme si le savoir devait nous éviter de vivre et valoir pour l'éternité.

    En alignant toute une série de vérités on peut n'en être pas moins complétement à côté de la plaque et rater l'essentiel avec de vaines pleurnicheries, le monde n'est certes pas fait à notre convenance mais c'est là que vous devons vivre, en un moment crucial où notre action peut être vitale. Rien de plus.

    Il est important de reconnaître qu'il y a des cycles dans la vie des sociétés. Ainsi on comprendrait mieux ce désespoir, que je partageais, dans les années 1980 où aucune promesse n'était tenue et qu'on tombait dans les années fric, mais aujourd'hui où l'anomie devient plus sensible, c'est justement le moment d'espérer de nouveau et de redonner du sens à nos vies.

    Bien sûr, quand on veut aller aux extrêmes, on précipite la fin dans une singularité mythique, qui arrivera, n'en doutons pas, mais dont on ne peut tenir pour rien toute la durée qui nous en approche de façon asymptotique. On peut rester figé dans une position ne percevant que ce qui la renforce (c'est la position dépressive tout comme celle des bulles spéculatives) mais cela n'empêche pas qu'il y a d'autres positions possibles qui valent mieux étant moins simplistes et donc plus contradictoires, ne se réduisant pas à un blabla qui recouvre tout mais qui s'attarde aux réalités concrètes de la vie avec leurs bons et leurs mauvais côtés.

  10. @olaf : La fureur est bien compréhensible mais être trop dur avec les autres, c'est s'exposer à ce que les autres soient durs avec nous. La vie est heureusement plus généreuse et malgré Nietzsche, le judéo-christianisme avait raison de nous enseigner l'humilité de pauvres pêcheurs que nous sommes nous aussi et le pardon où aboutit Hegel dans sa Phénoménologie (voir "le grand pardon" à la fin des "Aventures de la dialectique"), Il faut cependant attendre que la fureur retombe, on n'est pas maître de ses humeurs...

  11. Cette histoire de caca singulier me rappelle l'immaculé conception.

    Tout au long de l'histoire, il n'y a rien eu. Sur le mode de l'Ecclésiaste, façon nihilisme scientiste. Puis soudainement est arrivé quelque chose sans que rien ne se soit produit avant.

    Ce n'est plus le suicidé qui marche jusqu'au gouffre, c'est le gouffre qui arrive au suicidé. Comme Marie a été fécondée sans avoir à passer par les délices de la chair.

    En guise de singularité, la lobotomie aurait tout aussi bien raison du capharnaüm subjectif dans lequel nous nous enfonçons.

  12. @Jean Zin :

    Bien d'accord, la colère nous monte au nez, mais on se contient quand même, affaire de retenue sociale, et elle décante après quelques réflexions et relativisations ultérieures. Elle est juste une réaction comme celle du genou au marteau du médecin, elle n'a rien d'un jugement moral, qui, lui, est plus rancunier car élaboré dans le cadre d'un système de calculs à postériori.

    En revanche, il y a des cas, comme ça m'est arrivé récemment, où il est nécessaire d'être virulent, un moment donné. Quand quelqu'un vous dérange en permanence sous prétexte d'être drôle, et que la première fois vous lui dites en souriant que c'est drôle, mais dérangeant, qu'il le fait encore plusieurs fois, et qu'alors vous lui dites sans sourire que ça devient un problème, et qu'il continue, alors je lui ai incendié les tympans, et menacé de sanctions. Il ne me parle plus, mais aussi ne me dérange plus, il a fallu aller jusque là...un rapport de force, lui montrer des limites par la force.

    On pardonne une fois, 2 fois...mais pas N fois.

  13. Comment, vous ne découvrez qu'aujourd'hui que l'illusion et l'erreur ont aussi engendré tant de beauté ?

    Qu'il y a quelque chose d'élevé dans la foi spirituel du croyant et dans l'illusion amoureuse ?

    Il n'y a pas de nature humaine

    Pourtant les structures normatives de l'être humain sont légion. On ne peut pas déraciner l'ontologie sous le fallacieux prétexte culturel.

    Enfin il faut un sacré culot pour oser affirmer que la raison n'est pas un phénomène biologique. Elle ne se sépare pas du biologique, elle l'élabore. La socialisation du désir, c'est-à-dire invariable son élaboration et son retardement (mouvement opposé à la consommation immédiate). Au mieux, vous pourriez affirmer que la raison est une tendance organisatrice (mais pas seulement). Le désir rationalisé et socialisé n'en trouve pas moins son leitmotiv dans l'agencement du réel dont elle ne se désolidarise jamais et ne se sépare jamais. Je vous croyais un peu plus circonspect dans vos affirmations, ou pas.

  14. On peut difficilement être plus à côté de la plaque. L'habitude sans doute de vivre de préjugés brouille la compréhension si ce n'est de croire pouvoir s'en tenir aux premières lignes pour juger tout un texte, sinon un livre entier voire l'auteur lui-même.

    J'ai assez de fois répété que le faux est un moment du vrai pour n'avoir pas à insister sur ce point. Ayant été très religieux dans ma jeunesse je ne méconnais pas tout ce que les religions ont pu produire de remarquable. Je suis même parti du fait que l'histoire des religions est un préalable à toute anthropologie. Cela ne me fait pas vouloir, comme Zizek, ressusciter un Dieu qui ne sait pas qu'il est mort, puisque, réellement, il est inconscient et ne se manifeste que par son absence, mais on peut produire des musiques mystiques (comme j'en ai entendu de plus sublimes par un compositeur contemporain iranien vivant en hollande je crois) sans retomber dans des croyances infantiles. Pour l'amour, je renvoie à l'amour libre dont la Revue des Ressources vient de republier des extraits et qui pourrait vous en apprendre pas mal (surtout vers la fin).

    Le plus gros contre-sens, c'est de vouloir faire croire que je nierais en quoi que ce soit la part animale de l'homme alors que j'en ai montré toute l'étendue et le peu qui nous séparait du singe. C'est uniquement la "part humaine", c'est-à-dire la culture qui se sépare de la nature, pas seulement dans la répression des corps.

    Il faut un sacré culot pour m'opposer que la raison serait un phénomène biologique alors que tout le livre est basé sur la dimension cognitive de la vie et de l'évolution depuis les premières bactéries. Ce que je montre par contre, c'est qu'il y a bien avant l'homme déjà ouverture du biologique (du génétique) au non biologique, ne serait-ce que par la perception, l'être parlant n'étant là qu'un stade supplémentaire et plus radical mais il est absurde de faire de la raison un phénomène biologique pour autant, les mathématiques contredisent sur ce point Hume et Locke. Je prétends au contraire que langage, mathématique et sciences nous seraient communs avec des extra-terrestres n'ayant rien de biologiquement commun avec nous. Dans toutes ses limitations, la raison va bien plus loin que la simple rationalisation de nos désirs, la question de la vérité étant bien plus dérangeante et menant à tous les excès, comme à dire à peu près n'importe quoi pour prétendre avoir raison...

  15. Je souhaitais ne pas proposer de commentaire. Mais:Je ne vois guère par quels contournements les commentaires sur « Le sens de la vie », écrit de Jean Zin, conduisent à des propos misanthropes, scatologiques, et une proposition d’écoute de chants religieux.
    Pour ma part, moi qui suis du vingtième siècle, j’ai apprécié que Jean Zin réhabilite des aspects essentiels parmi les apports trop négligés du siècle où j’ai vécu : la linguistique, le structuralisme, l’éthologie, l’épistémologie scientifique. Peut-être manque-t-il des références aux changements qu’ont produits les artistes, parallèlement à ceux qui se sont produits dans les sciences, comme aussi à l’ethnologie. Sur ces points je propose la lecture du livre d’André Schaeffner, téléchargeable, « Origine des instruments de musique » ( 1936) L’auteur, qui a travaillé au Musée de l’Homme, a fréquenté Stravinsky, Debussy, Milhaud, ainsi que Griaule et Mauss, et découvert le jazz au début du XXeme siècle.
    J’espère que ce retour sur les origines de la musique, de la danse, du théâtre, expressions liées au corps comme support dans des populations sans écriture, (et à plus forte raison sans notre support informatique pour les messages), cela m’a semblé enrichissant dans le contexte du livre que nous propose Jean Zin . Sans rien changer à ses conclusions : ni matérialisme naïf, ni idéalisme béat.
    http://classiques.uqac.ca/contempor...

  16. Heureusement qu'un texte ne se juge pas à ses commentaires, je n'ai jamais été gâté sur ce point étant une proie facile pour tous les trolls et internet, comme tout discours public, s'exposant à devoir répondre à n'importe qui. Encore plus quand je bouscule presque tous les poncifs de l'époque...

    Dans le contexte de cet article, cela a l'avantage cependant d'illustrer ce que j'ai souligné des pathologies du langage à rebours d'une idéalisation trop commune de la raison humaine.

    Je ne pense pas avoir complétement négligé l'ethnologie même si, sur tous les sujets, je suis bien trop rapide et qu'il aurait fallu parler de beaucoup d'autres choses (mais en perdant peut-être le fil du livre). Schaeffner a l'air intéressant mais je n'ai pas eu le temps de m'y pencher étant encore bien malade avec plein de choses à faire et à écrire...

  17. Je n'ai fait bien sûr que parcourir mais ça m'a fait bien rire, vraiment, question relâchement de la mâchoire une réussite totale. La preuve aussi que toute connaissance a sa caricature et que ce ne sont pas tant les vérités qui comptent mais ce qu'on en fait, un délire souvent, avec que des choses raisonnables juste un peu trop simplifiées et systématisées. C'est la façon de raconter l'histoire qui compte et qui est réaliste ou trompeuse mais celui qui y croit est persuadé d'être dans la vérité même, hors de doute, position de tous les disciples et du gourou à qui ça monte à la tête, alors que le véritable chercheur sera plus inquiet et dubitatif. Défaut de jeunesse peut-être. Reste qu'il est très important d'interpréter ses façons d'être comme étant un rôle pour les autres, ce qui fait rire aux éclat c'est justement de dire de profondes vérités pour tout ramener à la mâchoire, très proche d'un comique volontaire, ce que ce n'est pas hélas ! Cela n'est pas sans rapport avec la question du trait unaire si mystérieux dont il a été question (il est certain que je ne parle pas assez de psychanalyse dans ce texte où je ne dis pas tout).

  18. @Jean Zin :

    Pourtant, il y a des faits. Un de mes neveux, enfant, avait les dents qui partaient de travers. C'était soit l’orthodontie, soit l’ostéopathie crânienne, c'est la deuxième option qui a été choisie, avec succès.

    Ça parait magique, mais ça ne l'est pas.

    Il y a des contraintes tissulaires colossales dans un corps humain, à en faire peur plus qu'à un, tellement les forces en question sont gigantesques, voire telluriques.

    Aucun gourou à la con ne peut faire comprendre ça, bien au contraire, un gourou de secte ne peut qu'éloigner, édulcorer, de cet aspect quasi innommable de la vie, au sens terrifiant.

    On ne se libère qu'à côtoyer ses monstres.

    Quant à tout ramener à la mâchoire, c'est un résumé de lecture trop caricatural pour être sérieux.

    D'autre part, l'auteur fait montre de tout autre chose que de certitudes en béton armé, c'est même l'inverse que j'y ai lu.

    Chacun ses lectures ou censures...

  19. Sinon, pour la recherche, l'attitude est l'alternance de foi, pas de certitudes, et de doutes. Ni trop en avant, ni trop en arrière. Tantôt en avant, tantôt en arrière.

    Si vous pratiquez le ski alpin hors piste, ça devrait être compréhensible. D'ailleurs Lacan skiait, nul n'est parfait.

  20. On ne va pas s'appesantir sur la question de la mâchoire qui m'a vraiment fait beaucoup rire par son humour involontaire mais très réussi, c'est une question dont on avait déjà parlé. Je n'ai pas dit de mal de l'ostéopathie mais d'une façon d'en parler. C'est quand même une contre-vérité de prétendre que les médecines alternatives ne seraient pas un nid de gourous avec à chaque fois des théories très élaborées et des "preuves" évidentes de leur efficacité.

    Je suis bien d'accord qu'un chercheur a aussi ses certitudes, voire ses obsessions, ce que j'ai dit est un peu trop général mais tout de même distingue le chercheur du disciple, c'est flagrant à chaque fois.

    Le fait de recevoir des preuves du réel et l'admiration de disciples me semble effectivement monter facilement à la tête (même à moi qui essaie pour cela de m'isoler), la pensée de groupe est une fonction cognitive de base qui étouffe l'esprit critique, exacerbant au contraire l'anxiété dans la dissidence. C'est à propos de Kadhafi qu'un biographe utilisait cette expression mais je crois que c'est assez général, une forme de paranoïa induite qui est aussi celle de pas mal de gourous ou de petits maîtres en général qui répondent à la demande (car il est certain qu'on demande un maître). Bien sûr, cela n'empêche pas de prétendre, comme tous les croyants, qu'ils connaissent le doute, sauf que c'est uniquement pour le refouler et continuer dans leur "dissonance cognitive" sans bouger d'un pouce.

    Tous ces problèmes sont reliés au texte comme aux pathologies du langage bien que contaminées ici par ce qu'on peut appeler les pathologies cognitives résultant de processus efficaces en général et trompeurs dans des cas particuliers, ce qui est déjà le cas du démon de l'analogie.

    La question "Comment le verbe s'incarne, et comment le corps se verbe ?" me semble avoir été traitée ici. D'abord en soulignant que c'était un processus de long terme et de construction réciproque du cerveau et du langage où la sélection sexuelle a un rôle important, extension du système nerveux associatif et de ses capacités d'inhibition des réflexes immédiats et du cerveau reptilien mais phénomène grégaire ordinaire où le groupe impose ses contraintes à l'individu qui n'existe pas en soi, seulement en relation aux autres. Dans le développement de l'enfant, la néoténie a sans doute une part importante mais l'imprégnation n'a besoin que de s'originer dans la dépendance infantile et l'amour de la mère pour apprendre à lui parler la langue maternelle. On sait que la psychanalyse introduit la coupure du père et de l'interdit de l'inceste mais les psychanalystes ont un peu trop tendance à en faire une norme alors que c'est seulement une structure indiquant la nécessité de s'autonomiser du désir de la mère. Il est un fait que l'animal se noue au langage par l'interdit et le sacrifice comme valeur des signes qui s'impose aux corps. En tout cas, c'est une question à laquelle chacun devrait pouvoir répondre, car pour chacun le verbe s'incarne et le corps se soumet à ses affects comme à ses ordres, car nous habitons le langage plus que notre territoire, nous sommes pris dans nos rapports avec les autres, dans la colère comme dans la honte, ce qu'on dit de nous nous importe plus que tout (la passion est représentation de représentation, histoire qu'on se raconte sur les histoires qu'on raconte sur nous).

  21. Olaf a écrit :
    « J'ai quand même une dernière question insolente.

    Comment le verbe s'incarne, et comment le corps se verbe ?

    J'arrête là. »

    
    

    -C’est toute la Question, qui tient la philosophie et la science cognitive en arrêt !
    La thèse citée sur l’exercice de la mâchoire nécessaire à une bonne performance du comédien confirme toutefois ce que Jean Zin rappelle, en appui sur Kant et Hegel, que l’organe est un tout dans un organisme qui est lui-m^me un tout. Dans son chapitre " la subjectivité du vivant". Mais, pour l’auteur, que la mâchoire soit pleinement au service du Verbe, son complément d’objet, et selon le sens qui convient (selon l’ordre social admis), cela entraîne que la performance soit obtenue par l’exercice du corps tout entier. Dans le même esprit où on doit faire ses gammes, dominer sa posture physique pour tracer une ligne. C’est connu .
    L’ethnologue Schaeffner nous propose pour sa part de repenser le rôle du corps charnel comme sujet du verbe.
    Cette question me ramène à la pratique pédagogique subversive que nous voulions introduire dans les années 1960-70, où l’on avait commencé à parler « d’expression corporelle », et proposant aux élèves de collège de retrouver une spontanéité personnelle, de mettre en jeu leur subjectivité, et une intersubjectivité, dans des propositions non-directives, ou moins directives, de travail plus créatif. L’ethnologie n’était pas pour rien dans ces initiatives, montrant que le corps peut constituer le premier instrument de musique, et le premier support de l’expression plastique. Nous étions soupçonnés de faire retour à la sauvagerie en imitant le primitif. De fait, dans une société où depuis des millénaires on nous enseigne que les corps sont les objets du Verbe, ni les profs, ni les élèves n’étaient en mesure de construire un ordre possible à partir du désordre consenti dans les disciplines instituées. (arts plastiques pour le maquillage, EPS pour la danse, roseaux et cailloux pour la musique ) Voilà qui reniait les compétences acquises au conservatoire, disait-on, alors que c’est tout le contraire Cela exigeait de réfléchir à la question posée par Olaf : pourquoi ces activités dans l’école ? Que signifient-elles du point de vue cognitif ? .Les instructions officielles normalisèrent les choses : c’est l’éducation physique et sportive (EPS) qui prendrait en charge l’expression corporelle : danse moderne pour les filles et arts martiaux pour les garçons (on voit tous les enjeux sociétaux qui, à l'époque, frappaient par en dessous !) Comme finalité, la performance, et selon l’ordre appris ! Que chaque discipline reste bien dans le domaine qui lui revient ! Respect des pouvoirs ! On ne réinvente pas, on ne relocalise pas les pratiques, tout de même !

    Les choses n’ont-elles pas cependant évolué ? Et n’évolueraient-elles pas d’autant mieux si des théoriciens ne faisaient pas métier d’enfermer le monde dans le piège de leurs certitudes et en verbalisant toutes tentatives osée d’autonomie de la personne. Ou bien on neutralise en les marginalisant les activités à risque "libertaire" : L’expression corporelle fut dirigée vers la psychothérapie, ou proposée à titre privé dans des ateliers du soir.
  22. Pour la mâchoire, il ne faut pas faire une fixette dessus, elle n'est qu'un élément du puzzle organique lié aux autres.

    Tout comme le planté de bâton en ski, si on ne retient que ça et reste les jambes raides sur ses skis, ç'est la gamelle assurée.

    Bien sûr, les gourous ne m'amusent pas beaucoup plus que ça. Et c'est un fait qu'on les trouve dans bien des domaines, pas que dans les médecines alternatives, mais aussi dans l'industrie et l'économie, bardées de consultants grassement payés, faisant peut être encore plus de ravages et fi de l'ergonomie :

    http://eco.rue89.com/2011/07/21/la-...

  23. erratum: dans mon com. précédent au lieu de "roseaux" lire "bambous". Pour la sonorité on trouve mieux que le roseau dans le milieu naturel ! En relisant ce commentaire je trouve qu'on ne comprends pas très bien que j'y condamne toute théorie trop sûre d'elle-même, novatrice ou conservatrice. Les choses se développent avec le temps: sur tout moteur de recherche on trouve de nombreuses expériences récentes sur l'expression corporelle à l'école,aux niveaux élémentaires toutefois. Et le sexisme s'est bien atténué depuis les années 1960-70 dans les pratiques scolaires.

  24. Je dois témoigner que moi aussi l'expression corporelle m'a toujours mis mal à l'aise dans la mise en scène de soi. Je n'aime pas qu'on me dise de m'exprimer ni être sous le regard des autres. J'ai quand même fait un peu de théâtre mais je n'aime pas ça.

    Le problème, c'est qu'il n'y a pas la vérité d'un côté et le mensonge de l'autre mais que les théories libertaires (libertariennes) produisent des effets de domination, des théories critiques s'enferment dans leurs dogmatismes, des expressions sincères deviennent pure hypocrisie, etc.

  25. Je ne souhaite pas engager là-dessus tout un dialogue avec vous sur le blog de notre hôte. J'ai seulement voulu signaler que nous nous posions la question dans les années 1960-70 , sous influences diverses (Levy Strauss, Leroi-Gourhan, Piaget, entre autres) de restituer tout l'opératoire concret, le subjectif, le geste, le sensible, à la base de toute conscience cognitive. Comme vous le dites si bien: "exprimer quoi avec une imprimante sans encre ? ". Le mot chien n'aboie pas" Mais que signifie le mot chien pour qui ne fait pas référence au chien concret connu qui aboie bel et bien? Quel sens recouvre le mot "instinct" pour l'animal si l'on oublie son origine étymologique avec un radical "stig'" (piquer, blesser, brûler comme dans stigmate, instigateur, mais aussi dans l'opposé extinction). C'est ainsi que j'ai été formé ou déformé peut-être à penser que la connaissance abstraite, et le langage, prolongent l'outil comme l'outil prolonge la main, mais que l’on ne doit pas oublier que le langage implique une perte de l'outil, qui implique une perte de la main. (Cf. Michel Serres)

    Perte qui peut (?) ou devrait (?) être compensée par des pratiques comme le mime, la danse, la musique, le théâtre toutes activités possibles sous la rubrique "expression corporelle". Le problème, et je partage vos doutes, c'est que l'on engage ici l'intimité du sujet ,dans une pratique de groupe, et que le meneur de jeu doit être très compétent et vigilant.
    Surtout pas en faire un gadget!

  26. Avec sa brillante et habituelle assurance bonhomme, Michel Serres explique les sauts qualitatifs du développement humain par le seul changement du support du langage : la parole vive passe par l’expression corporelle, puis une parole « morte » passe par l’écriture manuscrite, qui s’est démocratisée par le livre imprimé, avant de se rendre pleinement partageable avec l’ordinateur. Certes, mais c’est s’en tenir aux niveaux des structures culturelles, aux rapports de pouvoir évoluant entre une classe de moins en moins oligarchique d’intellectuels oisifs et dominants, et une classe bien plus nombreuse de travailleurs manuels dominés, et dont l’expérience active a été maintenue jusqu’ici. Sans pour autant retomber dans un matérialisme vulgaire, durant toute les longues durées intermédiaires entre ces révolutions culturelles, c’est bien le travail humain, c'est-à-dire des organismes corporels en tant que totalités, qui ont produit le développement des techniques. Entraînant comme possibles ces mutations dans le support de plus en plus dématérialisés des messages informationnels. Sans nier toute l’importance du langage, il ne faut pas, comme Michel Serres dans cette conférence sur les nouvelles technologies, idéaliser béatement le cognitif s’externalisant
    (la tête décapitée de Saint Denis comme métaphore humoristique de l’ordinateur!) en réservant au corps l’exercice physique ou la performance sportive pour le maintenir en forme. C’est nier notre réalité biologique :corps mortels et sexués nous n’existons que pour une finalité de l’espèce qui nous dépasse.

  27. L'expression "nous n’existons que pour une finalité de l’espèce qui nous dépasse" n'est qu'un point de vue extérieur et objectivant que réfute (en partie) la notion d'étayage de la pulsion. Le plus important n'est pas tant l'externalisation des fonctions vitales dans l'outil que l'universalisation et l'inhibition des réflexes spécifiques, l'inhibition du programmé au profit de la liberté et la raison, qui commencent bien avant le langage et notre humanitude...

    La conférence de Michel Serres est bien connue et n'est pas sans intérêt mais bien qu'on soit proche sur de nombreux points il a un côté verbeux et littéraire qui m'agace par son imprécision donnant trop facilement l'impression d'une histoire linéaire alors que le détail en est plus contradictoire.

    Reste qu'il est intéressant de comprendre qu'il n'y a pas perte sèche et que tout progrès dans l'universalisation et l'indifférenciation se paye d'une perte de spécialisation, d'harmonie, une aggravation de la séparation du sujet et de l'objet avec cette nostalgie d'une vie animale délivrée des affres de la liberté. C'est sans doute pour des raisons personnelles mais je me suis toujours méfié des appels au corps (sauf dans la danse peut-être), tout comme je n'étais pas à l'aise avec la "défense du monde vécu" dont parlait Gorz car, si je ne crois pas que l'homme serait nomade par nature, il ne me semble pas non plus assigné à une place, très loin désormais de sa savane natale. Cela n'empêche pas que le contact avec la nature (et je vis dans la nature pas pour rien) soit très ressourçant pour un corps qui ne l'a pas quitté depuis si longtemps au regard de l'évolution (mais je suis tout le temps à mon bureau!).

    C'est pareil pour le travail de la main. Il est évident que l'artisanat procure des satisfactions mais la main peut être tout aussi bien faite pour taper sur un clavier (quoique j'adorais l'écriture manuscrite avant...). Par rapport au singe, je suis un malade à n'en pas douter (sans parler pour mes chats qui me voient rivé à un écran ou plongé dans un livre dans une bien trop grande immobilité). Je ne fais rien de mes dix doigts (à part de la musique) et cela ne me soucie qu'à voir s'accumuler les réparations à faire dans la maison. L'idée ne me viendrait pas de vouloir imposer mon mode de vie ni mes préférences à tout le monde.

    C'est ce que je répondais à une paysanne du coin qui s'inquiétait en bonne kantienne que mon mode de vie ne soit pas universalisable : effectivement, je ne considère pas que n'importe qui puisse faire ce que je fais, ni qu'on devrait être tous pareils, ni qu'on pourrait brider ma liberté de vivre à ma guise pour faire comme tout le monde. Mieux vaut défendre notre liberté, quelque nom on mette là-dessous, que la défense d'un monde originel, ce qui n'empêche pas de préserver la nature et le monde animal, ni même la part de nos gènes sans jamais faire de la nature une norme mais en tenant compte des équilibres globaux et des interdépendances écologiques.

    Je rajoute, car je suis agacé par les spinozistes et je viens d'entendre Mélenchon lui aussi vouloir qu'on soit joyeux et assimiler la culture à la joie et l'expression, utilitarisme que je trouve d'une très grande bêtise. Je viens de passer quelques semaines dans Brel et on ne peut pas dire que ce soit gai : "dire que Fernand est mort, dire qu'il est mort Fernand, dire que je suis seul derrière, dire qu'il est seul devant ... moi, si j'étais le bon dieu, je crois que je serais pas fier !". L'idée que la création soit joyeuse, qu'il ne s'agirait que de s'exprimer, est contredite par les plus grands créateurs, la répression elle-même étant plus favorable à la création ("l'art d'écrire et la persécution") que sa valorisation excessive, comme si la dissidence pouvait être normative ! Si la vie n'était que le service des biens, ce serait terrifiant. La dimension tragique fait partie du sérieux de la vie, prix de la liberté qui nous éloigne de tout hygiénisme comme de l'animalité.

  28. "Il est évident que l'artisanat procure des satisfactions mais la main peut être tout aussi bien faite pour taper sur un clavier (quoique j'adorais l'écriture manuscrite avant...). "

    J'ai eu deux profs de piano, l'un fut élève de A Cortot, l'autre était chinoise. Le premier m'a appris les gammes à la française, la seconde m'a montré comment un corps se fond dans un clavier.
    2 écoles.

    J'ai aussi appris a écrire à la plume métallique et à l'encrier, tout un binz.

  29. Moi, je me tiens très mal (zéro pointé) et j'allais jouer du piano dans la cave sur un vieux meuble désaccordé.

    Il est évident que l'écriture est désincarnée, même gravée dans le marbre, corps sans organe qui fait de nous tous des handicapés. Les Chinois qui en ont fait un art magnifique ne font ainsi que du trompe-l'oeil à laisser croire que la forme de l'écrit contamine le fond comme en tout art alors que ce qui est écrit s'efface dans ce qui se lit, comme la musique des mots dans ce qui s'entend, principe de la séparation du signifiant et du signifié, l'écrit faisant référence à une vérité en dehors de lui. A l'ère des smartphones, on n'a jamais été autant dans une civilisation de l'écrit.

  30. @pch : J'ai parcouru le livre d'André Schaeffner, conseillé par pch, « Origine des instruments de musique » et c'est tout-à-fait remarquable notamment dans la distinction du chant lié au langage et des instruments de musique liés à la danse. Bien sûr, c'est toujours contestable, il y a des passages de l'un à l'autre et le chant du Blues imite l'instrument comme la guitare de Blues a pas mal évolué vers une imitation de la voix mais ces fortes distinctions méthodologiques sont éclairantes. Ainsi la voix serait du côté de la magie et la danse du côté des rites (pourtant, si la musique unifie, le rite différencie, dit-il). Il est intéressant de noter aussi que certaines langues on des intonations si importantes qu'il est difficile de distinguer la parole du chant, etc.

    Cela me semble confirmer le langage comme émergence, une tendance vers l'universel et l'abstraction qui ne s'affirme qu'au long des temps, une sorte de tout ou rien qui serait progressif (!) et dont nous habiterions la durée, la trajectoire historique.

  31. @Jean Zin :

    Oui c'est toujours étrange de percevoir un langage étranger. Au début de ma vie allemande, quand je les entendais discuter, j'avais l'impression qu'ils s'engueulaient, mais non, ils discutaient.

    En général ils ne se disputent pas souvent, moins qu'en France. Seule une fois, j'ai entendu des allemands se gueuler dessus, des voisins, j'ai cru qu'ils allaient s'entre tuer. Jamais j'avais entendu ça avant, hurler comme ça, au point que j'ai presque téléphoné à la Polizei pour les calmer.

    Ils ont des voix caverneuses invraisemblables.

    A mon ouïe, l'allemand est bien plus agréable quand chanté que parlé. Quel que soit le cas je fais avec.

    L'anglais comme l'allemand sont très accentués temporellement, expir ou inspir des H, syllabes longues ou courtes. Voilà pourquoi les français parlent souvent si mal ces 2 langues, ils ne prennent pas le temps de prononcer. Ce qui est courant, c'est de constater que les allemands apprécient la sonorité du français qu'ils trouvent douce.

  32. Re com39
    "Mieux vaut défendre notre liberté, quelque nom on mette là-dessous, que la défense d'un monde originel"
    Comme vous je tente d'avoir le moins de nostalgie possible pour le monde de mon enfance en milieu rural ( paysannerie et artisanat dominants), aujourd'hui disparu, donc encore moins pour une vie nomade abolie. Cependant j'ajoute à vos propos, que je partage généralement, qu'il est nécessaire de confirmer combien notre vie peut rester plurielle, et ce serait une chance: il y a des activités qui exigent certaines conceptions contemporaines de l'espace par exemple topologique, et, à d'autres moments d'autres activités qui s'accommodent tout à fait d'un espace euclidien ancien , comme le bricolage ou le jardinage.
    J'apprécie bien ce que dit Olaf sur sa prof chinoise de piano lui apprenant comme le corps peut se fondre avec le clavier. De même on sent avec bonheur une architecture du premier art roman, où le corps, la brassée, la coudée, sont les unités de mesure.
    On peut gagner en effet beaucoup à perdre une fonction pour certaines activités, mais attention à ne pas perdre globalement la richesse des possibles de l'animal en nous!

    Tout à fait dans le même esprit selon lequel on peut concevoir une économie plurielle, avec des monnaies plurielles. C'est en ce sens que j'en appelle au respect de l'animal humain tout entier, avec tous les possibles du physique. Tant mieux donc si le temps très lent de l'évolution de l'espèce est incommensurable avec celui des progrès ( et des désordres ) de l'histoire sociale , au rythme précipité de la raison. Non?
  33. Je suis bien sûr entièrement d'accord pour un monde pluriel qui n'existait pas du tout avant. On a bien plus la possibilité aujourd'hui de vivre comme on veut, y compris en retournant à la vie paysanne, qu'on n'en avait jadis. Je n'ai aucune objection au culte du corps dès lors qu'on ne me l'impose pas, ce que je récuse, c'est le soi-disant homme total qui n'est qu'un fantasme aristocratique et le danger avec les arguments biologiques, c'est d'en faire des normes universelles mais il est normal de ressentir l'appel du corps, voire l'appel de la nature, d'autant plus que notre monde est celui de l'esprit. Je ne demande à personne de vivre comme moi, ce qui est plutôt la voie du poète que celle de l'artisan, ce qui ne m'empêche pas d'estimer hautement artisans et paysans. Je déteste le sport en général mais trouve très bien que les autres soient plus sportifs que moi (ce n'est pas universalisable).

    S'il y a bien une chose sur laquelle on n'a aucune prise, c'est bien le rythme de l'histoire. Passer de l'histoire subie à l'histoire conçue n'est possible qu'à renoncer à maîtriser ce qui ne dépend pas de nous et s'imaginer qu'on serait tout-puissant. Pour Aristote, la vertu de la démocratie était d'élever n'importe quel citoyen à pouvoir décider de l'avenir par son vote ou son rôle de délégué, mais cela ne veut pas dire que l'avenir se plierait à notre bon vouloir, seulement que notre action peut peser sur les événements et les dynamiques en cours.

  34. J'ai pratiqué divers sports, suffisamment pour témoigner que ça peut être dangereux et nocif, même si ça peut apporter du plaisir.

    C'est comme les drogues, à mon sens.

    Un corps, le corps, ce n'est pas, il me semble, une totalité, mais bien plus un puzzle que l'on ne maîtrise pas, toujours à ré-explorer via la sensation de la main, du cou, des pieds, des bras...

    Plus on veut maîtriser le corps, plus il se rebiffe.

    Il m'a fallut du temps pour le comprendre...

  35. « Un corps, le corps… un puzzle que l'on ne maîtrise pas, toujours à ré-explorer via la sensation de la main, du cou, des pieds, des bras... » écrit Olaf
    Oui. Le corps, animal pensant, ne prétend pas à la maîtrise de l’esprit, comme l’esprit prétend à maîtriser les corps, ces « machines ». Cessons de confondre mensongèrement animalité et barbarie, quand c’est la raison humaine qui,
    toujours, est à l’origine des crimes contre l’humanité.

    Et si on nommait raison précisément cette ré- exploration via la sensation, dont vous parlez, qui alors fixerait des limites aux débordements de l’esprit ?

    « Plus on veut maîtriser le corps, plus il se rebiffe ». Oui. C’est lui qui donne la mesure, qui tempère l’esprit ( dont Saint Jean, dit l’ésotérisme chrétien, affirmait :«l’esprit est comme le vent, il souffle où il veut, quand il veut… ».Plus laïque cette parole: « la santé, c’est le silence des organes ».

  36. Ce n'est pas une spécificité de l'esprit humain de guider le corps, ce qu'on ne peut identifier à une maîtrise du corps dès lors qu'il en est l'expression, que le corps est câblé d'origine et qu'on peut tout aussi bien dire qu'il se construit sur son système nerveux, sans chercher le moins du monde à s'imposer à l'esprit en l'absence de déséquilibre vital.

    La raison n'est pas le raisonnable. La raison ou le logos est un processus, ce qui nous fait rationaliser sans cesse et habiter un monde de langage. Le raisonnable est un résultat mais ce n'est pas la norme outre qu'il est relatif. Il ne fait aucun doute qu'homo sapiens est aussi homo demens et que la raison est capable de bien plus grands crimes que les animaux dont la capacité de nuire est bien moindre. On peut donc souhaiter pour cela la disparition de la race humaine et rejeter la raison, renier l'esprit avec la force infinie de l'esprit car tout est là, le retour à l'animalité n'est lui-même qu'un effet des discours, des histoires qu'on se raconte, une raison déraisonnable.

    Il y a plusieurs barbaries. A l'origine, le barbare, c'est celui qui parle mal, ne se fait pas comprendre car il ne parle pas le grec, de là à le rejeter dans l'animalité comme s'il ne parlait pas. Il y a incontestablement une barbarie de la déculturation mais aussi de rites sacrificiels. Il y a à l'opposé une barbarie religieuse (tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens). Il y a eu une barbarie communiste mais le nazisme se réclamait bien de l'animalité (espace vital, race, hygiénisme) de même que le néolibéralisme est une barbarie qui se prétend la nature elle-même.

  37. Je ne remets pas en cause vos propos. Je pose seulement des bémols pour avoir, plus jeune, longtemps participé à l'erreur de revendiquer l'héritage progressiste pourtant de gauche" où le sens de l'histoire de l'homme serait d' humaniser le naturel, de le modeler, de repousser l'animalité du monde" comme déclare le projet de manifeste d'Utopia qui ajoute " nous ne partageons pas cette orientation"; et j'en suis pleinement d'accord.

  38. Je suis un barbare, je maîtrise mal la langue du pays ou je vis, mais pourtant ses habitants m’accueillent pas si mal malgré mon pénible handicap linguistique.

    Étant issu aussi d'une famille de peintres et d'architectes, je suis toujours étonné de voir la misère des architectures, lieux de vie et de travail, si souvent mal pensés et mal conçus. La raison, la sensibilité et la pensée désertées, où c'est la frime promotionnelle qui fait sa loi pour en finir à écrabouiller les gens.

    Il y a vraiment le besoin d'un grand coup de balai.

    Quand, comment ? Je ne sais pas.

  39. @pch : Il est certain qu'il y a des limites à l'artificialisation du monde et que, si la culture s'oppose à la nature par construction, il faut réintégrer la nature dans la culture, c'est ce que doit faire l'écologie-politique.

    C'est un exemple éminent de dialectique où la première négation doit être partiellement reniée (y mettre un bémol), etc. Ce qu'il faut éviter, c'est l'idée simpliste d'un retour à l'animalité en oubliant que c'est un être parlant qui nourrit cette nostalgie avec tous les excès d'une rationalisation trop unilatérale.

    @olaf : Les architectures "fonctionnelles" et le management en général, sont des illustrations patentes de ces excès de rationalisation qui ne sont pas raisonnables du tout (pathologies du langage), un peu comme les gourous qui prétendent régler tous les problèmes avec quelques principes simplistes qui ont une zone de validité mais fonctionnent ensuite comme dogme et refoulement du négatif. Le fait de croire qu'un "truc" nous délivrera du mal (de la pensée) provoque un enthousiasme certain, une phase euphorique ne pouvant que sombrer ensuite dans la dépression. C'est ce qui fait qu'on essuie toujours les plâtres des illusions précédentes avant d'en nourrir de nouvelles, ce qu'on appelle le progrès...

  40. "une phase euphorique ne pouvant que sombrer ensuite dans la dépression"

    Tout a fait d'accord, on trouve un truc, one trick, un peu valable et abracadabra, tout est résolu. Sauf que non, et ça repart pour un tour, comme de lancer un ballon de baudruche vers le sol pour qu'il s'y pose, alors qu'il rebondira. Tandis qu'il faut juste le laisser tomber.

    C'est probablement ça cette histoire de réincarnation, persévérer à refaire les mêmes actes de refoulement, juste déguisés autrement.

  41. Cette vidéo musicale est sublime, mais le poème prétexte me choque par son obsolescence romantique. Heureusement le titre de l'oeuvre étant en allemand une autre traduction me parait possible: abhanden fait image pour retrait de la main (ab et Hand), et "abhanden gekommen " évoque pour moi en traduction littérale le français émancipation ( sortie de la main captatrice ou captive) Ich bin der Welt abhanden gekommen devient " du monde me voici capable d'émancipation". La preuve par l'oeuvre musicale est à écouter

  42. Le meilleur dico français-allemand en ligne avec le der, die, das mentionné :

    http://dict.leo.org/frde?lp=frde&am...

    abhanden gekommen = perdu

    Verbe allemand en 2 mots.

    Le "der" génitif de "die" Welt, au monde, serait plus clair pour un français si il était remplacé par für, pour.

    Je ne parle pas très bien cette langue, mais j'ai eu une bonne prof particulière, une Frau Doktor en allemand.

    Donc je parle avec la prononciation académique de Hanovre près de Hamelin, celle du joueur de flûte.

  43. Voici une de des photos quand j'avais 10 ans, je suis le blondinet en pull rouge, au premier rang, 3 ème à gauche.

    Il y a l'instituteur, à gauche, qui m'a mis une mandale invraisemblable dans la la gauche du visage, tout ça parce que je rigolais et discutais avec ma voisine, troisième en partant de la droite du dernier rang. Une jolie blonde.

    Résultat, une vie démolie, des douleurs chroniques du cou, de l'épaule gauche et de l’œil gauche, des sensations de brulures récurrentes de ces parties.

    Quand arrêteront nous de frapper des enfants ?

  44. Je précise, l'instituteur frappeur s'appelait Le Bigot, de l'école Foch de Rambouillet. Je pense qu'il était une forme de serial killer, bon chic, bon genre, bien camouflé dans la société.

    Ce salopard a probablement démoli bien d' autres
    enfants, jouissant d'une seconde de sadisme en contre partie de décennies de souffrances pour ses victimes.

    Je ne vous cacherais pas que si il était face à moi, j'aurais des questions à poser à cette merde humaine, qui s'est permise de marcher sur la gueule des enfants dont on lui avait transmis la responsabilité.

  45. @ Olaf. Pendant des siècles on a frappé les enfants comme moyen de dressage, afin d'inhiber tout le subjectif sensible , tous les instincts primaires réputés faire obstacle à l'apprentissage cognitif du futur adulte. Il existe en effet des méthodes de dressage moins barbares, que l'on peut transposer avec le dressage d'un chien pour aveugle:" la difficulté du dressage réside dans le fait d'introduire dans le milieu du chien des signes perceptifs déterminés qui ne soient pas dans son intérêt mais dans celui de l'aveugle" (in Milieu animal et milieu humain,Jv Uexküll, p.117)

  46. "traumatisme relativement bénin"

    Désolé mais ce n'est pas vous qui avez reçu la mandale, et vous n'étiez pas non plus témoin de la scène.

    En ce qui me concerne j'ai des douleurs, sensations de brulures, contractures du trapèze gauche et des muscles de la gauche du cou depuis l'age de 13 ans, à 11 ans j'ai eu un fort torticolis et plus tard des névralgies de l’œil gauche, comme une pointe enfoncée dedans.

    Sur la photo, on voit que je suis déjà décalé, la tête inclinée vers la gauche, le buste qui part vers la droite. J'ai vu des photos d'avant cet âge, je n'avais pas du tout cette posture.

    Le type a armé son bras à un mètre de ma tête, comme un joueur de tennis prépare son coup droit pour frapper la balle, quand je l'ai vu faire ça tranquillement, en souriant, je me suis dit ce type est fou.

    D'ailleurs, j'observais par la suite son comportement, qui me confirmait qu'il était dangereusement givré.

    Donc je ne parle pas d'un traumatisme psychologique dû à une giflette du bout des doigts, mais d'une claque ultra violente cinétiquement parlant, twistant les cervicales en splash injury, et entrainant toutes sortes de perturbations neuro-musculaires autour de la zone touchée, un engramme physiologique.

    A 10 ans la résistance bio-mécanique du cou n'est pas celle d'un boxeur de 20 ans...

    Par ailleurs, une fessée bien appuyée peu aussi léser des nerfs et tendons pouvant entrainer plus tard une sciatique.
    C'est peut être ce qui est arrivé à un de mes collègues californien qui traine une sciatique depuis un an
    et va devoir passer sur le billard bientôt. Son père lui avait collé une fessée avec une planche de bois.

    D'autre part, je ne vois pas bien pourquoi on frappe un enfant quand il désobéit, alors que l'on ne le fait pas pour un adulte.
    2 poids, 2 mesures.

  47. Je renvoie là encore à la revue des sciences. c'est très récent qu'on ne frappe plus les enfants. Le dressage des animaux, auxquels c'est lié, lui aussi passe moins par les coups désormais.

    On pourrait aussi renvoyer au début de la politique d'Aristote où les enfants et les femmes sont assimilés aux esclaves qui ont besoin d'un maître, c'est-à-dire de punitions physiques pour se résoudre à la raison supposée de l'homme adulte...

    Reste que la socialisation ne va pas de soi, même chez les animaux qui s'infligent de sévères corrections.

Laisser un commentaire