Vers des villes vertes

Temps de lecture : 16 minutes

L'écologie comme "vie naturelle" peut difficilement s'appliquer aux grandes villes et pourtant, non seulement la majorité de la population mondiale vit maintenant dans des grandes villes mais c'est devenu écologiquement incontournable, réduisant les déplacements et l'impact sur l'environnement. Il n'y a pas d'alternative au moment où l'on va atteindre le pic de la population mondiale qui doit encore augmenter de 40%, ce qui n'est pas rien. Dans ce contexte, le retour à la terre ne sera possible que pour une toute petite minorité (qu'on peut certes encourager).

C'est bien là où l'écologie responsable se révèle incompatible avec des utopies écologistes complètement en dehors du temps alors qu'il faut bien s'affronter aux réalités de l'époque pour sauvegarder l'avenir. On ne choisit pas le monde dans lequel on naît et il ne fait aucun doute que le monde futur sera à la fois numérique et plus peuplé qu'aujourd'hui (sauf épidémie foudroyante toujours possible) avant d'entamer sa décroissance dans 50 ans peut-être ? Au lieu de rêver d'un déferlement des urbains sur les campagnes, l'enjeu actuel est donc plutôt de rendre les villes plus écologiques, d'amener la nature dans les villes plutôt que de bâtir des villes à la campagne.

A part un petit nombre de voyageurs impénitents qui n'ont pas de foyer, nous vivons tous quelque part, et le plus souvent dans des villes où les problèmes écologiques et sociaux aussi apparaissent concentrés. C'est certainement l'un des enjeux principaux des décennies à venir de parvenir à réhabiter les territoires urbains. Pour cela, un urbanisme vert ne pourra se limiter à l'occupation de l'espace et la circulation des flux mais devra inclure toutes les facettes de l'existence, notamment la vie démocratique et l'économie locale. On aurait besoin d'un grand mouvement autour d'un urbanisme écolo qui ne soit pas un urbanisme utopique redessinant les villes de leur plume souveraine mais un urbanisme pour les villes existantes dans leur diversité et un urbanisme démocratique qui soit la réappropriation de la ville, ou plutôt de ses quartiers, par leurs habitants, véritable projet politique local tenant compte des spécificités de chaque ville. On a besoin, en effet, d'un urbanisme majeur politiquement, qui ne tombe pas dans la planification autoritaire détruisant le tissus social mais soit plutôt correctif, fournissant un certain nombre d'aménagements, d'outils, de solutions.

Ce qu'on appelle ici les "villes vertes" n'est pas si éloigné de ce que les anglo-saxons appellent les "villes de transition", mouvement très intéressant de relocalisation auquel on peut reprocher cependant de se focaliser trop exclusivement sur la consommation d'énergie, ce qui se justifie dans une période effectivement de transition entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables mais, une fois le problème énergétique résolu, il restera toujours aussi nécessaire de rendre nos villes plus écologiques et plus humaines. Il ne faut pas limiter la question écologique à celle de l'énergie. Pour l'écologie urbaine, on aurait besoin au contraire de ce qu'on pourrait appeler un "urbanisme unitaire" (bien qu'assez éloigné des modèles réduits d'un Constant) avec une approche résolument transdisciplinaire mais ce n'est pas une raison suffisante pour opposer des démarches presque identiques se différenciant surtout par le rapport au politique.

La culture dans les villes

La prise de conscience est assez récente, en tout cas pour moi, de l'intérêt écologique des villes même si Calthorpe, l'un des fondateurs du new urbanism, avait souligné dès 1985 que "La ville est la forme d’établissement humain la plus bénigne pour l’environnement. Chaque citadin consomme moins de terre, d’énergie, d’eau, et pollue moins que l’habitant de lieux de plus faible densité". Il est beaucoup plus facile et économique de fournir des services en ville, avec un impact écologique réduit. Cela ne veut pas dire que la vie en ville soit toujours satisfaisante, loin de là, mais que c'est un objectif vital de rendre les villes plus vivables et plus vertes.

Du fait que les villes minimisent l'occupation des sols et vivent depuis toujours sur leur campagne environnante, il peut paraître incongru de vouloir y introduire jardins et cultures vivrières, c'est pourtant le principal changement urbanistique qui doit transformer nos villes et qui a déjà commencé. En premier lieu, ce sont les toits qui sont transformés en serres avec l'avantage supplémentaire d'améliorer notablement l'isolation du bâtiment. Il ne s'agit évidemment pas de faire de la production agricole l'activité dominante en ville, l'objectif doit juste être d'utiliser le maximum d'espaces disponibles pour y mettre des cultures en jouant sur des incitations et l'initiative citoyenne plus que par décret. Il ne fait aucun doute que ce n'est pas l'intérêt économique le plus important dans la présence de jardins au coeur des villes mais le fait qu'ils structurent l'espace et entretiennent tout un biotope, fournissant de plus un loisir sain à une population urbaine vieillissante. Pour nourrir les citadins, il vaut mieux compter cependant sur ce qu'on appelle les "fermes verticales" qui sont des immeubles dédiés à la production alimentaire mais il n'est pas question de viser la suffisance alimentaire pour une ville qui ne peut absolument pas vivre en autarcie, il s'agit seulement de réduire un peu cette dépendance et surtout de raccourcir les circuits tout en augmentant la biodiversité urbaine et la qualité de la vie.

Tout cela peut paraître marginal par rapport à des plans grandioses de transformation du monde mais ne devrait pas être négligé pour autant. C'est d'ailleurs sans doute ce qui transformera le plus le paysage urbain mais ce n'est bien sûr pas la seule chose à faire. Sans parler de l'architecture qu'on voudrait plus inventive et moins impersonnelle, l'organisation de circuits courts ne peut se limiter à la ville elle-même et doit s'étendre à sa périphérie. Parmi les priorités écologiques, il y a aussi, par exemple, l'isolation des bâtiments, à laquelle les cultures en terrasse participent, mais c'est moins visible. Il ne s'agit pas de faire la même chose partout ni de tout changer comme s'il n'y avait pas déjà des quartiers agréables, réussis, conviviaux, seulement d'améliorer ce qui peut l'être et d'y faire pousser plus de verdure. Même en ville, la transformation du monde doit d'abord être locale, modifiant radicalement notre environnement immédiat.

La production en ville

Une fois planté le décor de villes vertes assez différentes des mégapoles actuelles, les villes restent des villes et, s'il faut favoriser aussi l'artisanat local dont on a un réel besoin, l'essentiel des activités urbaines resteront les services, notamment ceux liés au numérique. Il ne s'agit pas de faire comme si nous n'étions pas intégrés à des réseaux globaux ou qu'on devrait tous redevenir des cultivateurs. Les villes du futur sont des villes numériques, ce qui ne veut pas dire qu'elles seraient complètement déterritorialisées, qu'elles ne seraient plus des villes car, contrairement à ce qu'on croit, il n'y a rien de plus local que la ville puisque c'est bien la proximité qui constitue les "externalités positives" des villes. Si le problème des petites villes de campagne, c'est de ne pouvoir trouver ni valoriser toute sorte de compétences, l'intérêt des grandes villes, c'est de mettre plus facilement en relation l'offre et la demande. Il y a donc bien une économie locale à entretenir malgré la dépendance globale aux industries rejetées en périphérie. L'ouverture aux marchés extérieurs ne doit pas empêcher de favoriser les échanges locaux, de fausser les marchés en faveur des résidents. Pour cela, comme je l'ai assez martelé, une monnaie locale me semble le bon outil mais son périmètre devrait changer selon les endroits, de la ville à l'arrondissement ou même au quartier (il peut y avoir deux monnaies locales superposées), sans viser le moins du monde, là encore, une autarcie qui n'aurait aucun sens.

Dans un monde en réseau, le travail à distance aura inévitablement une place de plus en plus grande. La relocalisation ne peut consister à nier la globalisation alors qu'elle doit l'équilibrer, la contenir, lui donner une assise locale viable. La relocalisation a donc bien un sens, même dans une mégapole. C'est le travailleur qui habite en ville, c'est son lieu de vie même s'il travaille au loin ou bien en réseau avec des collègues de tous pays. Cependant, la relocalisation ne doit pas être simplement un capitalisme plus décentralisé mais, dans un souci écologique, elle devrait permettre de se soustraire à la pression des marchés et de la course à la productivité. Pour une production plus écologique, y compris en ville, il faudrait d'abord donner à tous les moyens de sortir du salariat productiviste, non pas se limiter aux échanges de proximité, qui restent essentiels, mais donner à tous les "citoyens" les moyens du travail autonome et de valoriser leurs compétences, y compris sur le réseau. C'est le soutien aux travailleurs autonomes (la production libre) qui est local plus que la production elle-même, le plus souvent dématérialisée. On a la chance que le développement humain et l'accès au travail choisi ne soient pas seulement désirables en eux-mêmes et que, désormais, ce soit ce qu'on exige des travailleurs du savoir à l'ère du numérique, mais il faut pour cela en donner les moyens, moyens que les grandes villes possèdent en général, y compris d'assurer une forme de revenu garanti.

Comme institution du travail autonome je défends depuis longtemps des "coopératives municipales" dont l'idée vient de Bookchin et que j'ai combinée avec l'idée de Gorz d'alternatives locales. A l'évidence, le concept s'applique mal à de trop grandes municipalités et doit être adapté en fonction de la taille de l'agglomération. On l'a dit, selon l'endroit le niveau pertinent peut être l'arrondissement ou le quartier mais il faut noter aussi que les coopératives municipales recouvrent un ensemble de fonctionnalités qui peuvent être éclatées et remplies par des structures différenciées car tout ne peut être compartimenté par arrondissement dans une grande ville.

Redonnons les principales fonctions d'une coopérative municipale tel que je les avais dégagées :

  • Développement local, dynamisation des échanges locaux (relocalisation de l'économie)
  • Protections sociales contre la précarité (revenu garanti) et services d'assistance ou de formation
  • Valorisation des compétences, aide à l'autonomie et recherche des synergies (coopérations)
  • Production alternative non marchande et nouvelles forces productives immatérielles et coopératives

Il faut donc imaginer une pluralité de structures, sans doute moins "municipalisées" que dans les villes plus petites, à partir d'associations locales plus que par l'action de la Mairie, toute cette diversité devant être encouragée mais aussi fédérée dans des lieux publics et des institutions communes. S'il faut s'appuyer sur les capacités d'auto-organisation et d'auto-gestion, l'idée principale du dispositif, tout comme du développement humain selon Amartya Sen, c'est que l'autonomie n'est pas si naturelle et doit être produite socialement. Il ne faut pas se régler sur les plus débrouillards mais tenir compte des plus faibles et du fait qu'on a tous besoin d'assistance et de coopération pour valoriser nos compétences et nos divers talents, qu'on a tous nos qualités et nos défauts, ne pouvant être une entreprise à soi tout seul ni se réduire à un homo economicus calculateur.

Que la ville ne soit pas seulement plus verte mais qu'elle permette à chacun de mieux vivre, voilà ce qu'on appelle changer la vie et mériterait bien qu'on parle de ville écologique. Bien plus que les néo-ruraux, l'accès pour chacun au travail autonome grâce au revenu garanti et aux ateliers communaux devrait avoir un impact écologique positif, constituant la précondition pour sortir d'une société de croissance condamnée à plus ou moins long terme. Pour cela, il faut des moyens, moyens d'existence et moyens de production. Une des fonctions principales des coopératives municipales consiste à mettre différents instruments et machines à disposition des travailleurs autonomes. On parle plutôt de fab labs aujourd'hui qui seront, à n'en pas douter, des éléments essentiels du dispositif et que les villes devraient encourager pour le moins. Il ne s'agit pas d'en mettre partout mais plutôt de susciter leur création par les gens intéressés sous des formes diverses, là aussi. La forme juridique n'est pas l'essentiel mais que les différentes fonctions soient remplies avec un fonctionnement démocratique. Dans ce cadre, il se peut que les imprimantes 3D prennent de l'importance jusqu'à réduire une part de la production industrielle au profit d'une fabrication sur place de toutes sortes d'objets ou de pièces détachées. Pour les objets de plus grande taille, il peut y avoir aussi des machines plus imposantes mais permettant de rapatrier une partie de la production à la demande au coeur même de la ville. S'il faut profiter de ces nouvelles potentialités, je serais plus réservé sur l'idéologie qui va en général avec, nous enjoignant de faire tout par soi-même. Au lieu de cette religion du do it yourself, il me semble préférable de pouvoir profiter, grâce à une coopérative, du savoir-faire des autres comme des artisans du coin...

La démocratie dans les grandes villes

Ce qui singularise la "coopérative municipale", c'est 2 choses. D'abord le fait d'être une institution publique, dont l'existence ne dépend pas du marché, qui n'est pas sous la pression de la concurrence, ce que l'octroie de subventions à des associations peut remplacer en partie. L'autre aspect, c'est l'aspect plus politique de prise en charge par la commune, de mise en commun qui ne soit pas cloisonnée par communautés, classes ou clans mais rassemble tous les habitants. La dimension politique est essentielle et liée au territoire de vie regroupant toutes sortes de populations, ce qui fait toute la différence avec des réseaux affinitaires mais les mégapoles constituent un cas très particulier de démocratie qu'on peut dire largement hors sol, beaucoup plus "politisée" et pour laquelle il faudrait des procédures particulières.

Il semble bien que les tentatives de indignés espagnols de décentraliser leur mouvement dans les quartiers ait relativement échoué, ce qui montre qu'on a besoin de points de rassemblement. La difficulté de la démocratie dans les grandes villes tient à la fois au nombre et à la mobilité des habitants. On ne peut véritablement parler dans ce cas de "démocratie de face à face". Il n'y a pas de dispositif miracle mais c'est sans doute là que les expériences de "démocratie participative" peuvent prendre le plus de sens à condition de n'être pas trop manipulées par les élus... Ce sont malgré tout les mouvements spontanés de citoyens qui restent certainement un des meilleurs modes d'expression dans les grandes villes, témoignant de leur vitalité démocratique. Le caractère municipal de la gestion des coopératives a sans doute moins d'importance dans ce cadre que son caractère public évitant un communautarisme trop étroit mais c'est une réflexion à continuer, en fonction des situations locales.

C'est un peu court, j'en conviens, mais il ne faudrait pas donner l'illusion qu'on saurait très bien ce qu'il faut faire, que tout est écrit dans un livre et qu'il suffirait juste d'une volonté décidée. Il y a simplement des objectifs à atteindre qui doivent être pris en charge localement par les populations (que chaque ville construise son projet). Retrouver une marge de manoeuvre et une dynamique démocratique locale, voilà tout l'enjeu car notre rayon d'action dépasse rarement notre environnement proche et l'alternative se construit par le bas (on ne relocalise pas d'en haut) même si on dépend d'une ambiance générale. Ce ne sont ici que quelques propos préliminaires sur l'importance des grandes villes pour l'écologie, programme pour un travail à venir sur ce qui importe vraiment, plus que les grands mots et les grands principes, mais qui nécessite à chaque fois tout un travail collectif pour faire de nos villes des villes plus vertes et un peu plus autonomes, ce dont nous pourrions avoir besoin plus vite qu'on ne croit....

2 114 vues

Les commentaires sont fermés.