Le bluff des « nanobabioles »

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Un univers différentLe prix Nobel de physique 1998 Robert B. Laughlin dénonce dans son livre "Un univers différent" le bluff des nanotechnologies qui sont faites en aveugle, tout comme les OGM, bien loin d'en maîtriser les produits, encore moins les processus de fabrication, alors qu'à cette échelle les fluctuations quantiques posent des problèmes insurmontables. Les nanotechnologies seraient le dernier avatar d'un réductionnisme dont le physicien annonce la fin devant l'impossibilité de déduire les propriétés émergentes de la matière à partir de ses composants atomiques qui ne sont absolument pas réductibles à des particules solides qu'on pourrait assembler une à une. L'escroquerie serait du même ordre que celle de la fusion froide. Les seules véritables nanotechnologies relèvent jusqu'à ce jour de la chimie ou de la biochimie.

Les nanotechnologies ont le vent en poupe, c'est le nouvel eldorado high tech vers lequel les investisseurs se précipitent après Internet et les biotechnologies, en espérant des profits gigantesques. En effet le BANG des nanotechnologies réaliserait la convergence des technologies informationnelles ("Bits, Atoms, Neurons and Genes"). C'est une maîtrise totale de la matière qu'on nous promet, que ce soit sous une forme idyllique permettant de résoudre tous nos problèmes, ou cauchemardesque détruisant nos bases vitales. Seulement, pour Robert Laughlin qui étudie les phénomènes quantiques comme la supraconductivité, tout ceci n'est qu'une course pour capter des budgets de recherche et n'a aucune chance de marcher, nourrissant une bulle spéculative qui devrait crever assez rapidement.

Il appelle "nanobabioles" les gadgets qu'on prétend fabriquer "par exemple des robots qui s'autoassemblent, un traitement pour le cancer ou des membres neufs pour les amputés", ce qui n'est pour lui que baratin publicitaire pour attirer des capitaux. Le fond de son argumentation c'est que les propriétés physiques (simples) qu'on attend de ces matériaux ne sont pas le résultat de la combinaison de quelques éléments de base (trop aléatoires à ce niveau), elles émergent de leur organisation collective (complexe), ce qui exclut des assemblages de quelques atomes et donc une bonne part des nanotechnologies. "La simplicité en physique est un phénomène émergent" 171, c'est-à-dire résultant d'un phénomène statistique impliquant des échantillons assez grands pour être significatifs (stables). Il s'attache à montrer que les images qu'on en donne sont trompeuses quand elles ne sont pas complètement fabriquées.

Mon intention en créant le mot "nanobabioles" est bien sûr de brocarder la nanotechnologie - la nouvelle technologie de contrôle de la matière à cette échelle de longueur qui va nous conduire, paraît-il, à des lendemains glorieux. Pourquoi faut-il la brocarder ? Ce n'est pas une évidence immédiate, puisqu'il est hors de doute qu'une nouvelle loi organisationnelle émerge à la nanoéchelle, que cette loi est potentiellement pertinente pour le vivant, et que d'importantes découvertes se profilent. Ce n'en est pas moins un besoin réel, et il s'éclaircit lorsqu'on a suivi assez d'exposés illustrés par des photos éblouissantes qui ne se répètent jamais, assez de recherches qui n'aboutissent jamais, assez de raisonnements qui ne débouchent jamais sur rien (...) Si notre savoir sur la nanoéchelle explose en ce moment de façon presque immaîtrisable, à peu près tout son contenu est d'une parfaite futilité. Prédire l'apparition de nouvelles technologies grandioses à partir de ça, c'est comme prédire celle des lasers à partir des boules de Noël.

Même la liste des réalisations d'intérêt industriel de la nanotechnologie se révèle, après examen, dominée par de petites nanobabioles enthousiasmantes mais indociles. Le nanotube, petite structure de carbone pur en forme de cigare, large de quelques atomes, semble constituer un contre-exemple en raison de ses multiples utilisations potentielles, mais les apparences sont trompeuses. De nombreux usages des nanotubes, en tant qu'additifs conducteurs dans les plastiques par exemple, reposent sur la chimie, et ces tâches sont réalisables par d'autres moyens. Quand aux applications du style micro-sous-marin propulsé par nanotubes, comme dans le Voyage fantastique d'Isaac Asimov, elles relèvent de la science-fiction. Les nanocosses - nanotubes farcis de molécules plus petites - sont incontestablement des nanobabioles, de même que les structures de nanotubes disposées en hexagone qu'on appelle les nanocordes (...) Comment des personnes faisant preuve par ailleurs d'une implacable logique peuvent-elles faire une fixation sur des sujets aussi manifestement dérisoires ? C'est une question fascinante - à laquelle la réponse ultime, à mon avis, est la puissance de séduction de la foi réductionniste. Les objets à nanoéchelle doivent être contrôlables : cette idée a une telle force qu'elle rend aveugle aux preuves écrasantes du contraire. 176-177

Ce qui nous arrive vraiment n'est pas, bien sûr, une invasion de créatures extraterrestres mais un changement de paradigme scientifique - une vaste réorganisation de notre mode de pensée, qui nous est imposée par les événements. Pour tous ceux qui n'en sont pas directement partie prenante, il est clair que le carnaval des babioles représente un phénomène nouveau dans l'histoire des interactions humaines avec la nature, et que transformer cela en science va exiger une invention - une structure sociale qui associera des éléments des anciennes disciplines en quelque chose qui soit capable d'extraire le tout de la somme des parties. Il est clair que cette invention n'a pas encore eu lieu. 181

Robert B. Laughlin, Un univers différent, Fayard, 2005, "Nous vivons la fin du réductionnisme, la fausse idéologie qui promettait à l'humanité la maîtrise de toute chose".

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3 réflexions au sujet de “Le bluff des « nanobabioles »”

  1. La physique a toujours été lieu à controverse, prix Nobel ne veut pas dire pour autant philosophe, devin ou parole d'évangile, Bernard d'Espagnat [1] en son temps se posait des questions métaphysiques et en appelait même à dieu, et la liste des objecteurs est longue dans cette discipline. Ce qui aurait été interessant eut été que vous inscriviez notre nobelliste dans la perspective de pensées dont il pourrait dépendre, réalistes atomiques, réalistes abstraits, finitistes [2] ou que sais-je. Un petit tour chez Brunshvicg [3], quelques références identifiables et une réflexion de fond nous donnerait à croire que vous n'êtes pas un simple lecteur du café du commerce, ou un éternel étudiant nostalgique de sa Sorbonne, mais un intellectuel honnête et compréhensible.
    [1] - Une incertaine réalité, B. d'Espagnat, Gauthier-Villars, 1985
    [2] - Logique, informatique et paradoxe, J.P. Delahaye, PLS, 1993
    [3] - Les étapes de la philo. Mathématique, L. Brunshvicg, 1912

  2. C'est un commentaire bien déplacé, avec son petit côté méprisant parce qu'on a lu 3 livres, et surtout parce qu'il n'est pas question de réalisme ici. D'ailleurs les débats sur le réalisme quantique sont du passé depuis les expériences d'Alain Aspect. Les atomes existent bien, ce n'est pas la question mais ils cristallisent en masse. Ce qui n'est pas réaliste c'est de croire pouvoir contrôler le niveau quantique caractérisé par des fluctuations d'énergie (ou d'entropie). Dire qu'il est difficile de contrôler les échelles trop petites n'est pas prétendre qu'elles n'existent pas mais seulement constater qu'à ce niveau les règles ne sont pas les mêmes.

    Laughlin défend ce qu'on peut appeler une forme de holisme, ce qu'il appelle l'émergence, c'est-à-dire des propriétés de l'organisation de la matière comme son caractère solide ou gazeux, comme la supraconductivité qu'il a étudiée plus particulièrement. Je ferais peut-être un compte-rendu plus complet de son livre que j'invite simplement à lire. Mon opinion en ces questions n'a pas d'importance je peux juste me faire le relais de plus compétents que moi, qui ne sont pas paroles d'évangile non plus mais qui sont peut-être à prendre en compte.

    Si c'est la question de l'émergence qui dérange un certain scientisme, il n'y a là rien de très mystérieux, en tout cas absolument rien de mystique. L'organisation a des propriétés différentes de ses éléments, les formes se combinent et se simplifient statistiquement. Voir le texte récent sur l'émergence (et quelques textes plus anciens sur la physique) :

    La question de l'émergence, 05/07/05

    Les cordes et les concepts fondamentaux de la physique , 10/10/02

    Initiation à la physique quantique, 20/03/03

  3. En tant que participant a` une societe' de fabrication de composants electroniques a` semi-conducteurs (ouf!), il est sans doute deplace' pour moi de pretendre avoir des lumieres particulieres sur les aspects theoriques de la cristallisation en masse ou des proprietes non reproductibles-et donc non industrialisables- des phenomenes observables a` l'echelle atomique (encore que, la`...)
    Par contre, je peux avoir envie de soutenir l'un et l'autre des intervenants dans certains aspects du debat, voire ajouter de nouveaux sujets contenus en puissance vue la vastitude du champ concerne':

    - ainsi du principe d'autorite' en ce qui concerne le prix Nobel: un prix Nobel n'a pas forcement une vision juste ou prophetique des decouvertes a` venir, encore moins de leur applicabilite'

    - "les atomes existent bien", c'est vrai, j'en ai la "preuve" chaque matin en mangeant ma tartine (mais au fait, n'est-ce pas un reve, une illusion? cf. Matrix 🙂

    - les promoteurs de realisations industrielles par les nanotechnologies promettent effectivement beaucoup, mais souvent pas pour demain, juste apres-demain. Ceci est parfois difficile a` admettre pour ceux qui veulent "du concret", tout de suite

    - le niveau de difficulte' a` controler ce qui se passe (la phase d'industrialisation) est justement ce qui fait que c'est pour apres-demain, pas pour aujourd'hui ni pour demain; de nombreuses autres techniques resultant de recherches "de pointe" ont suivi le meme processus et certaines "idees geniales" sont restees sans lendemain. La faute aux credits?

    - il est evident que la recherche, fondamentale ou appliquee, a besoin d'argent pour fonctionner. Si les chercheurs sont amenes a` "surpromettre" pour obtenir des sous, cela ne traduit-il pas plutot un certain etat d'esprit de notre societe' et des gens a` ses commandes vis a` vis de la recherche?

    - Je ne suis pas sur aujourd'hui d'avoir envie de subir demain les effets nefastes anti-ecologiques ou medicalement dangereux d'une industrie des nanotubes de carbone, mais me demande-t-on mon avis? Me l'a-t-on demande' quand s'est developpee la technique des ecrans LCD dont les composants principaux (cristaux liquides) sont hautement cancerigenes mais dont le recyclage n'est aujourd'hui prevu par personne? Suis-je ici si loin des preoccupations de l'auteur qui s'inquiete des "developpements en aveugle" d'une recherche " bien loin d'en maîtriser les produits, encore moins les processus de fabrication"?

    - sans entrer dans le domaine de la mystique ("ouh, quelle horreur!"), il est interessant de relier ce fil de conversation a` la publication recente sur ce meme blog d'une nouvelle relative a` un article de "Pour la science" traitant d'une "autre perception de la realite'" cf. jeanzin.free.fr/...

    - et si finalement l'escroquerie n'etait pas tant du cote' des promoteurs des nanotechnologies (apres tout, eux aussi cherchent "un monde different" -ou meilleur), mais dans la vaste duperie que nous organisons tous nous-memes en "creant" collectivement cette "realite'", puis en l'etudiant "scientifiquement", plonges en dedans au point d'oublier ce qui est a` la base de cette recherche et de cette creation?

    - tout ca pour un fil de conversation si ancien! Y'en a qu'ont vraiment du temps a` perdre! :))

    Amities

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