Il ne fait aucun doute pour moi, qu'être de droite, c'est être un salaud, égoïste et violent envers les autres, partisan du colonialisme, de l'esclavage, de l'extermination des pauvres, du rejet des immigrés, du mépris des faibles, de la dictature de l'argent, si ce n'est de la dictature tout court. On voit bien tous les thèmes défendus par la droite, de la sécurité ou la xénophobie à la défense des riches ou de la réussite individuelle, en tout cas de la culpabilisation des assistés, toute la barbarie humaine même bien refoulée. On sait que Sarkozy a bâti sa carrière sur le refus de s'excuser d'être de droite, légitimant au yeux de ses partisans soulagés les positions les plus immorales (sa réplique habituelle étant "on ne va pas se gêner !").
Un livre qui vient de paraître voudrait nous persuader que c'est une erreur de perspective de la gauche d'avoir une idée si négative des électeurs de droite, qui seraient eux, plus clairvoyants sur les gauchistes ! Certes, il n'est pas imaginable qu'il n'y ait une droite et une gauche mais il est assez ridicule de vouloir réduire cette division constitutive des démocraties à une question biologique entre réformateurs et conservateurs, refoulant les déterminations sociologiques beaucoup plus prégnantes. Qu'il y ait une droite raisonnable, pourquoi pas, celle que représenterait le prétendu "Parti Socialiste" par exemple serait encore acceptable, mais les droites actuelles ne semblent pas si bien intentionnées.
Le livre de Jonathan Haidt "The Righteous Mind" fait le buzz dans le monde anglo-saxon avec son anthropologie évolutionariste censée rendre compte de notre division entre droite et gauche. Les anglo-saxons adorent ces explication biologiques et purement individuelles qui font l'impasse sur les causes sociologiques et historiques, comme si on les faisait disparaître du paysage d'un coup de baguette magique et qu'on avait connu cette division depuis l'époque des australopithèques au moins ! On est dans le pur délire même si on doit admettre qu'il y a toujours dans le vivant une répartition en courbe de Gauss entre qualités opposées (entre risque et prudence par exemple). Ce qui plaît dans ce livre, c'est surtout une sorte de réhabilitation de la droite par cet homme de gauche au nom de la science : les gens de droite ne sont pas les monstres que s'imaginent ceux de gauche, ils ont simplement d'autres valeurs...
On admettra que le relativisme politique est une conséquence du relativisme culturel de toute anthropologie qui se veut scientifique, mais ce genre de généralité abstraite ne fait que refouler les enjeux pratiques et matériels, en particulier les intérêts de classe, derrière des différences purement psychologiques (qu'on pourrait envoyer dans des camps de rééducation pour les soumettre à l'ordre établi tout comme en URSS). Même si ce type d'analyse restant au niveau idéologique ou biologique est discrédité d'emblée par rapport aux véritables causalités matérielles et historiques, l'expérimentation auquel l'auteur s'est livrée n'en porte pas moins enseignements, pas forcément ceux qu'il en tire.
Lorsqu'on demande aux gens de se déclarer soit de droite, soit de gauche (en américain on dit liberal, moderate or conservative, "liberal" voulant dire de gauche là-bas !), puis qu'on leur demande comment ils voient les autres, ceux de droite auraient une compréhension plus juste de la gauche alors que plus on serait à gauche et plus on se tromperait sur ceux de droite, trop diabolisés. Au fond, on voudrait nous faire croire que ce ne sont pas des monstres mais des humains comme nous et que nos différences ne sont pas grand chose. Sauf qu'il y a des gens qui non seulement souffrent mais meurent de politiques inhumaines et qu'il n'y a pas à transiger là-dessus comme si on ne devait se soucier que des meurtres médiatiques alors que la misère tue constamment, en silence et loin du regard des bourgeois. On voudrait nous faire croire qu'être de droite ce serait juste être plus apeuré que ceux de gauche alors que c'est surtout être plus vieux, presque toujours, et plus riche aussi au milieu de ceux qui n'ont rien.
Là où la gauche se tromperait complètement, nous dit-on, c'est dans la croyance que la justice serait indifférente à la droite, mais qui s'imaginerait que ce soit si franc ? L'acceptation des injustices est bien sûr enrobée de tout ce qu'on veut pour garder une bonne image de soi, comme M. Camdessus responsable à la tête du FMI de politiques d'ajustement structurel réduisant des populations entières à la misère. Cela ne l'empêchait pas de garder bonne conscience et se dire bon catholique, de même que les dirigeants de Goldman Sachs sont de bons protestants. Ces gens là se soucient de la justice, ils sont même prêts à verser leur larme sur les malheurs du monde dans de grandes envolées verbales mais non, malgré Valéry Giscard d'Estaing qui prétendait que la gauche n'a pas le monopole du coeur, le coeur est bien à gauche, c'est biologique ! Certes, il est sans doute exagéré de croire pour autant qu'à droite, côté portefeuille, on soit insensible aux animaux, là n'est pas la question. Incontestablement, la diabolisation mène à dire n'importe quoi mais ce n'est pas une raison pour pactiser avec les oppresseurs anonymes.
Son petit sondage sur les valeurs des uns et des autres établirait qu'il y aurait un socle de valeurs communes, qu'on peut donc dire humanistes : le soin des autres, la liberté contre l'oppression et la justice mais que la gauche s'en tiendrait à ces valeurs alors que la droite y ajouterait la fidélité à son groupe, le respect du sacré, de la hiérarchie et de l'autorité. On a quand même bien l'impression que ces valeurs en plus servent de bonne raison pour minimiser les valeurs humanistes et les recouvrir au profit d'une préservation des inégalités, de l'oppression des autres et de la misère des pauvres. Ce n'est pas juste une autre théorie sur ce que doit être une société meilleure, ce qui est une formule creuse sans contenu précis sur ce qu'est la droite au pouvoir, remettant à chaque fois en cause les acquis sociaux. Il faut admettre au contraire que ce sont des valeurs antinomiques avec les valeurs humanistes qu'elles prétendent conserver, ce qui ne veut pas dire qu'il soit facile de se débarrasser de ces tendances autoritaires mais c'est la continuation du combat des lumières...
Certains vont jusqu'à prétendre que la gauche serait hémiplégique à refuser les valeurs de droite considérées comme "anthropologiques" (et partagées par le monde entier) alors qu'elles sont aussi archaïques que le patriarcat ! Au lieu de faire preuve de compréhension avec une droite régressive qu'il ne faudrait pas rejeter dans la barbarie comme ce livre nous y invite, il faudrait tout au contraire dénoncer sa barbarie, rendre la honte encore plus honteuse devant les injustices qu'on tolère trop facilement et rendre de nouveau ringard d'oser se dire de droite quand on voit ce que sont les droites. Ce n'est pas dire qu'on puisse se passer de droite pour autant, répétons-le. Si à droite ils sont si cruels et bas du plafond, il ne faut pas s'attendre à ce que ça soit beaucoup mieux à gauche, nous sommes de la même espèce assurément. C'est le point sur lequel l'auteur a raison, notre rationalité limitée. Il est vrai qu'on est tous enfermés dans nos dogmatismes et la pensée de groupe. Avec toutes les conneries qui se disent à gauche, on n'irait pas loin. Lacan qualifiait les politiciens de droite de valets mais ceux de gauche de fous, et il n'avait pas vraiment tort, il n'y a pas de limite aux revendications et bien peu d'expériences de gauche ont été durables. Comme dit John Stuart Mill, un des seuls libéraux respectables : "Un parti de l'ordre ou de la stabilité, et un parti du progrès ou des réformes, sont les éléments tous deux nécessaires d'une vie politique saine". L'unanimité du peuple n'est qu'une illusion totalitaire. La démocratie, c'est la division (Lefort) et l'alternance d'une droite et d'une gauche où l'on peut dire que la droite consolide les acquis qu'elle ne remet pas en cause et la gauche corrige les inégalités créées par la droite. La droite ici (dans le meilleur des cas), c'est le réalisme dont on a forcément besoin pour durer mais ce réalisme n'est jamais que la défense de ses intérêts ou privilèges et il y a droite et droite. Entre une droite effectivement respectable, plutôt centriste voire sociale-libérale, et les thèmes de la droite extrême, la limite devient de plus en plus floue ces temps-ci. Cette résurgence qui entre en résonance avec la grande crise précédente des années 1930 n'est pas une question de sérotonine ou de dopamine et ne se traitera pas par la chimie des corps ni par une merveilleuse compréhension réciproque mais bien par des mouvements politiques opposés avec leurs errances et leurs excès, des moments où il faut prendre parti ou entrer en résistance.
Voir aussi le New York Times.
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