La mode est au revival de ce qu'on croyait enterré depuis longtemps, occasion de rappeler que rien ne se perd d'un passé qu'il ne suffit pas de refouler. Ainsi, il n'a pas suffi de la victoire de 1945 pour supprimer tous les fascistes, de même que l'écroulement de l'URSS n'a pas été la disparition de tous les communistes de la terre, même réduits à la portion congrue. Ce n'est pas seulement que ces idéologies survivent et reviennent nous hanter mais que les nazis et les staliniens sont encore parmi nous sous d'autres habits néolibéraux ou religieux. Cependant, l'histoire ne se répète pas et les idéologies comme les gens évoluent dans l'après-coup de l'expérience et la confrontation avec de nouveaux contextes. Les fascistes d'aujourd'hui ne sont pas aussi abjects que les fascistes d'hier, de même que les communistes qui restent ont beaucoup changé et perdu de leur assurance. Qu'on assiste à une résurgence du passé qui se donne en spectacle ne veut pas dire que ces idéologies tournées vers un temps révolu auraient un quelconque avenir en dépit du retour critique dont elles auraient été capables.
Le nouveau monde numérique dans lequel nous sommes entrés exige de toutes autres idéologies et même un complet renversement des valeurs par rapport au monde industriel qui s'achève. S'il faut absolument revenir en arrière pour trouver un appui historique, après le retour à la crise de 1929, à la Commune de 1871, voire à la Bastille de 1789, pourquoi pas revenir à 1967 dont le mouvement des occupations n'est pas si loin ? Là aussi, il ne faut pas s'attendre à devoir reprendre toutes les extravagances du New Age, le travail de l'histoire devant permettre de balayer ses naïvetés et ses outrances, mais c'est quand même plutôt dans ce sens qu'il faudrait aller plutôt qu'un retour au XIXè ou aux 30 glorieuses. Nous avons besoin de l'expression du nouvel esprit du monde, celui des pirates, de l'intelligence et du jeu, de nouvelles valeurs pour une ère nouvelle soucieuse des questions écologiques autant qu'éprise de liberté tout comme à l'époque psychédélique mais avec les réseaux numériques en plus.
En dehors de la réduction des inégalités (99%), en opposition à une période où elles se sont creusées, ce nouvel esprit du monde peut se caractériser en effet par un certain nombre de valeurs en rupture complète avec les idéologies précédentes, notamment la libération sexuelle (et le féminisme), la gratuité numérique (et le revenu garanti) mais aussi la légalisation des drogues psychédéliques, tout ce qui renforce l'autonomie des individus en même temps que leurs solidarités sociales, en opposition totale au libéralisme marchand et au culte de l'argent comme aux politiques autoritaires et normatrices.
Ce qui m'a fait penser à cela, c'est d'abord la perspective, pour la première fois, de pouvoir peut-être guérir du sida. Ce n'est pas encore le cas mais il y a une piste sérieuse et il m'a semblé que cela pourrait relancer une libération sexuelle certes déjà bien entamée mais qui était sur la défensive ces derniers temps. Là aussi, on ne reviendra pas aux promesses délirantes d'un freudo-marxisme de pacotille (Reich), la complexité des rapports humains ne devrait plus être ignorée mais on peut en attendre du moins un allègement de l'atmosphère, après un moralisme pesant, ainsi qu'une recherche de liens plus authentiques sans retomber dans la frivolité hédoniste. Par rapport à la première libération sexuelle des années 1960, il faut tenir compte du fait que le féminisme alors naissant a pris beaucoup d'ampleur depuis et s'affirme désormais comme une force véritablement révolutionnaire, constituant un des principaux facteurs de destruction des sociétés traditionnelles patriarcales. Il ne s'agit en aucun cas de préférer un matriarcat culpabilisant, comme certaines l'imaginent, le féminisme étant avant tout le droit de disposer de son propre corps et de son destin, de sortir de la subordination. Là aussi, l'égalité, c'est d'abord une liberté égale pour toutes comme pour tous. Ce n'est pas gagné mais que de chemin parcouru déjà ! En tout cas la libération sexuelle qui a commencé avec la pilule passe par les femmes, qui ne sont plus objets mais sujets, ce qui change le monde et la sexualité dans l'après-sida, donc aussi la libération sexuelle, plus retenue et moins déchaînée peut-être, banalisée sans doute sinon plus durable ?
L'autre nouvelle est plus anecdotique, de l'utilisation du LSD pour guérir de l'alcoolisme, mais néanmoins significative de la sortie de l'enfer où les expériences psychédéliques avaient été enfermées. Ceci joint au constat, de l'ONU notamment, d'un échec total de la guerre à la drogue et de la nécessité d'une légalisation contrôlée m'a semblé aussi un signe qu'on pourrait reconnaître à nouveau le LSD comme expérience du monde de type chamanique (are you experienced ? - Hendrix) et ouverture de l'esprit au surréel, même si l'après-coup doit nous rendre beaucoup moins inconscients, plus prudents et suspicieux sur les dangers bien réels des drogues, sur une échelle qui va des douces aux dures dont font partie l’alcool et le tabac. Ceci paraîtra insensé à la plupart, à mille lieues en tout cas d'un socialisme autoritaire comme des utopies sociales idéalisantes, la question pourtant n'est pas celle des drogues, il y en a toujours eu, mais du type de drogue valorisé, des drogues "récréatives", plutôt aventureuses (et non addictives), au lieu du dopage et des drogues utilitaires menant à l'épuisement. Voilà ce dont devrait se préoccuper un mouvement anti-utilitariste ! Il est en effet essentiel de sortir de l'utilitarisme qui prend le moyen pour la fin et retrouver le sens de l'existence comme expérience du réel, ce qui veut dire aussi sortir de l'économisme obsédé par les gains quantifiables et l'accroissement des revenus. Si je m'oppose résolument à la "simplicité volontaire" comme prétendue politique écologiste, négligeant par trop une organisation sociale décisive en ces matières, il faut sans conteste l'encourager dans le champ culturel où cela vaut bien mieux que la course à une réussite financière si vaine et ridicule sinon honteuse (je me souviens d'un grenoblois de pointe qui voulait qu'on soit moins complexé avec l'argent, étalant sa vacuité avec une obscénité sans complexe qui aurait dû le déconsidérer à jamais).
Je serais le premier à reconnaître le caractère absolument injustifiable des spéculations astrologiques sur l'ère du verseau mais cela n'enlève rien à la pertinence de leur contenu (se non è vero è ben trovato), d'une ère de la connaissance et de la liberté correspondant assez bien à l'ère du numérique dans ce qu'elle peut avoir d'exaltant, bien que les menaces écologiques aient de quoi certes tempérer cet enthousiasme. Revenir au New Age, c'est à dire un retour vers le futur, en moins mystique et fusionnel, débarrassé de sa désarmante crédulité et d'une écologie trop naïve, ne serait pas si mal, en effet, et vaudrait mieux que de rester enfermé dans les siècles passés (si ce n'est dans le Moyen-Âge!). On mesurera, en tout cas, la distance de ces étranges préoccupations, qui ne sont pas si étrangères pourtant au mouvement mondial des indignés, avec les campagnes politiciennes actuelles de partis qui avaient été chassés des places, avec raison.
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