L’appauvrissement volontaire

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Bien loin des analyses du Capital, les marxistes avaient tendance à réduire le capitalisme à la captation illégitime de la force de collectivisation du travail, ce qui leur permettait de promettre des lendemains qui chantent avec une productivité soi-disant augmentée et une abondance socialiste que tout démentait hors la propagande soviétique. Il faut se persuader au contraire que le capitalisme et son productivisme intrinsèque sont imbattables dans la production de richesses monétaires et de marchandises. Toute alternative devrait donc se traduire par une réduction plus ou moins sensible du pouvoir d'achat d'une majorité de la population, d'autant plus dans ces périodes de crise. Prétendre qu'on saurait mieux faire marcher l'économie que le capitalisme marchand est une illusion sauf à en adopter son productivisme justement.

On ne fait pas ce qu'on veut en économie. L'échec de 1936, c'est la dévaluation et l'inflation qui ont annulé les augmentations de salaire arrachées de haute lutte, sa victoire, ce sont des droits conquis comme les congés payés. On peut certes attendre beaucoup d'une "libération du travail" et de la créativité qu'elle devrait produire, une bien meilleure qualité de vie mais certainement pas une augmentation du PIB ni des revenus sauf pour les plus pauvres.

Il faut donc être très clair sur les conséquences de toutes les mesures radicales qu'on veut défendre et l'amputation de notre pouvoir d'achat qu'elles impliquent. D'une certaine façon, on peut dire que, ce qui donne une chance à l'alternative, c'est que la crise de toute façon appauvrit toute la société mais ce serait mentir que de prétendre éviter cet appauvrissement qui est même désirable écologiquement et qui doit simplement être beaucoup plus équitable.

L'appauvrissement n'est acceptable qu'à 2 conditions, d'abord de supprimer la pauvreté en renforçant le droit à l'existence et le socle commun (revenu minimum, santé, logement, formation), ensuite en donnant accès à un travail épanouissant, au travail choisi et aux moyens du développement humain, ce qui est la seule façon de passer du quantitatif au qualitatif, d'améliorer la qualité de la vie en produisant et consommant moins.

Qui donc serait prêt à réduire son train de vie sauf à y être forcé ? Il y a bien quelques stratégies compatibles avec un retour de la croissance comme l'investissement dans les énergies renouvelables mais les enjeux écologiques, notre niveau de développement et la révolution numérique, pas seulement dans la finance, exigent des changements plus profonds. On ne peut plus accepter la domination universelle du profit ni une société de consommation qui devrait redevenir une société de producteurs autonomes ou associés. Il faut juste savoir que cela a un coût. Même la simple régulation de la finance, absolument indispensable, se traduit par un coût financier, certes inférieur à l'écroulement d'un système dérégulé, mais quand la finance produisait de la richesse, rien ne pouvait l'arrêter. Les mesures plus radicales comme le retour au Franc ou le protectionnisme coûteraient encore plus cher, sans parler de l'autogestion des entreprises ou, bien sûr, des coopératives municipales. La relocalisation se traduit tout autant par un certain renchérissement des prix même si elle donne accès aussi à de nouveaux services de proximité. Il n'est pas question d'arriver au même niveau de vie, ce n'est pas forcément un drame s'il y a des contreparties mais il faut en être conscient.

Le slogan de la décroissance a été trop dévoyé et paraît particulièrement déplacé dans un moment de décroissance économique, cependant, son principal défaut tient non seulement à son caractère purement quantitatif mais à son abstraction trompeuse. Il faut parler plus clairement d'appauvrissement qui en est la réalité vécue qu'il faut regarder en face. Il s'agit de passer d'un appauvrissement subi à un appauvrissement voulu. Rien à voir avec tous ceux qui revendiquent une "simplicité volontaire" dans une stratégie individuelle plus religieuse et sacrificielle que politique. C'est de l'ordre du choix collectif, pour autant qu'on peut vraiment choisir, de la prise de conscience collective au moins, en tout cas de l'organisation de la production et de la sortie du productivisme salarial qui ne se fera pas sans perte de revenu. Il n'y a pas de mystère, si on cherche à se faire employer par une grande entreprise, c'est parce qu'on y est mieux payé qu'ailleurs et bien plus qu'à son propre compte. Il faudrait avoir mieux à faire, plus intéressant, et substituer l'objectif d'un travail choisi épanouissant au travail forcé rémunérateur. Il n'y a sans doute pas de majorité encore pour ça mais la crise pourrait en donner l'opportunité, sait-on jamais !

Il n'est pas si étonnant qu'on le dit que le capitalisme financiarisé ait tant de soutiens quand tant de gens auraient à perdre à son effondrement et la difficulté n'est pas tant de trouver un autre système mais qu'on le voudrait aussi productif (et une réduction du temps de travail sans perte de salaire). Les Chinois ont bien vu la différence entre l'économie administrée et le productivisme capitaliste. On ne peut nier que pas mal de gens auraient beaucoup à y perdre mais ce serait s'aveugler que de ne pas admettre le fait que toute sorte d'alternative ne peut que nous appauvrir, réduire des revenus déjà bien entamés, en commençant par une inévitable hausse des impôts. Il est naturel et sain de manifester contre ces agressions on ne peut plus injustes mais la revendication d'un retour à la prospérité antérieure est tout ce qu'il y a de plus vaine, on ne reviendra pas de si tôt à l'emballement du crédit et des bulles spéculatives. Après l'effondrement de la pyramide, les économies développées ne peuvent éviter des années de récession et de reconstruction. Ce qu'il faut, c'est se réorganiser en fonction de cette baisse des revenus, ce qui veut dire notamment réorganiser la distribution des revenus. Ce qu'il y a de bien dans ces luttes salariales, c'est qu'elles créent de nouvelles solidarités entre populations touchées à un titre ou un autre et c'est sur cette solidarité qu'il faut s'appuyer. En effet, ce qui semble sûr, c'est qu'un tel appauvrissement général rend les inégalités plus insupportables encore, soulevant l'indignation partout dans le monde.

Dans la suite d'un mouvement altermondialiste, qui a pu avoir une influence certaine malgré sa relative inconsistance, le mouvement des indignés semble prendre de l'ampleur et se répandre un peu partout, phénomène autant médiatique que social mais qui pourrait être le premier acte d'une véritable révolution mondiale qui commence avec la révolte contre une finance devenue folle. Il ne faut pas imaginer que se passer de la finance nous rendrait plus riches, mais plus libres, sûrement. Si nous ne pouvons pas retrouver notre niveau de vie antérieur, nous pouvons du moins ne plus courber la tête sous le joug de la finance et retrouver notre dignité et notre liberté avec notre solidarité. Les mots d'ordre des indignés ne sont pas si éloignés de l'ancien mot d'ordre des résistants grecs contre la dictature des colonels : "Pain, éducation, liberté". La crise actuelle qui a commencé par l'immobilier met en avant la question du logement qui s'ajoute au socle de droits qu'on peut attendre d'une société riche afin de protéger tous ses membres de la précarité : revenu minimum, droit au logement, sécurité sociale, éducation gratuite, participation citoyenne, liberté de parole, de manifestation et de moeurs.

Il faut quand même le dire, notre appauvrissement reste très relatif. Ce sont effectivement les sociétés riches qui s'appauvrissent alors que les pays pauvres se développent à un rythme accéléré. Cet appauvrissement pourrait même devenir un enrichissement si on en profitait pour augmenter les protections sociales et réduire les inégalités, pour organiser la relocalisation de la production et construire les institutions du travail autonome. La perte de productivité immédiate pourrait alors être compensée par une meilleure qualité de vie, la diminution des destructions et pollutions en tout genre, une société où les compétences seraient mieux valorisées. Il y a donc quelques raisons de prétendre qu'il n'y aurait finalement pas vraiment de perte de productivité ni véritable décroissance sur le long terme mais peut-être une production moins destructrice dans un monde plus fraternel et plus sûr. Oui, mais avec moins d'argent, même si une monnaie locale peut tenter de le compenser...

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25 réflexions au sujet de “L’appauvrissement volontaire”

  1. Mais je comprends que dans le cas de la simplicité volontaire, on situe la critique plutôt à l'interne de sa théorisation d'ensemble, sans trouver à redire de sa dénomination. Dans les deux cas il suffirait d'ajouter le mot «social(e)» entre chacun des deux mots pour avoir équivalence de sens.

    Appauvrissement social volontaire
    Simplicité sociale volontaire

  2. Oui, j'étais conscient de l’ambiguïté du titre. J'ai hésité avec "l'appauvrissement organisé" qui pouvait aussi être compris de travers. Je trouvais quand même intéressant l’ambiguïté avec la "simplicité volontaire" qui me permettait de marquer l'opposition dans le texte avec des stratégies individuelles tout en étant fondé sur les mêmes nécessités. Je voulais aussi montrer qu'on devrait substituer ce slogan de l'appauvrissement volontaire à celui de la décroissance. Dire "appauvrissement social" avait l'inconvénient de ne pas assez insister sur le fait que cet appauvrissement devrait être sensible individuellement alors que, au niveau social justement, on pourrait plus facilement parler d'enrichissement. Le choix d'un travail autonome se fait souvent au détriment du revenu. Il aurait peut-être fallu dire "L'alternative comme appauvrissement volontaire" mais un titre n'est jamais parfait. Ce qui m'a fait écrire l'article, c'est l'impasse de ceux qui protestent contre un appauvrissement qui peut seulement devenir "voulu", c'est-à-dire organisé, ce que personne ne dit me semble-t-il.

  3. Reconsidérer la richesse :

    http://www.dailymotion.com/video/x7...

    "notre appauvrissement reste très relatif" ....Pour l'instant !
    Comme l'indique Viveret , il faut introduire dans le PIB les richesses naturelles qui bien que non comptabilisées fondent les autres richesses et le fait qu'elles vont nous faire défaut :crise des océans , crise du climat ,crise de l'énergie....

    L'appauvrissement matériel est certain ; ce qui est moins certain c'est notre capacité à nous refonder et réorganiser structurellement et spirituellement dans une relation au monde et aux autres durable.
    Faillite ? Ou gain en humanité ?

  4. Cet article ayant pour titre l'appauvrissement volontaire au lieu de décroissance me semble judicieux. De toute façon, le numérique et la créativité en matière d'énergies renouvelables devraient ouvrir à l'humanité un autre avenir plus paisible déjà, ce qui est un acquis essentiel. Il est opportun de préciser que le Cantique des Cantiques(Saint François d'Assises) malgré son caractère "chevaleresque" peut s'avérer utile afin de re-poétiser notre modernité désenchantée.

     Il conviendra dès lors d'établir une éthique du "Christ" tiré d'un ouvrage de l'historien et philosophe Frédéric Lenoir, qui reprend de l'égalité à l'amour du prochain une autre humanité fraternelle et apaisée, pas du gâteau, mais nous pouvons déjà essayer des recettes pour la réaliser.
  5. Je ne suis pas du tout pour aller du côté de la religion en politique, ni d'une trop grande espérance même si je reste attaché aux valeurs chrétiennes dans lesquelles j'ai été élevé et en particulier à François d'Assise. Tout cela reste des enfantillages quand on a besoin de "grandir en humanité" comme dit Viveret, sauf que cela signifie plutôt devenir plus responsables, plus adultes et non s'imaginer un monde de bisounours. On a besoin de dispositifs concrets, pas de baratin comme les prêtres nous en abreuvent depuis des millénaires. Je suis toujours étonné aussi qu'on réduise la poésie à l'eau de rose. Il m'arrive de dire que je me considère surtout comme un poète, dans la lignée d'un Rimbaud pour qui la poésie doit dire la vérité plutôt que donner de fausses consolations. Vive la poésie mais du monde réel et de l'amour malheureux et non pas d'ornement ni de séduction ! Ceci dit, j'aime bien Frédéric Lenoir dont j'ai connu le père qui était le président des parents d'élève de mon lycée.

    Je suis à la fois très proche de Patrick Viveret que je considère comme un ami (même s'il trouve que je le malmène) et nous avons pourtant des discours incompatibles. Justement lorsqu'il mélange l'amour à la politique ou l'économie. Je pense vain de faire appel aux valeurs et plus efficient de donner un choix qui n'existait pas (entre travail forcé rémunérateur et travail choisi épanouissant) pour réorienter la consommation compensatoire sur une production valorisante. Il a bien sûr raison sur la nécessité de reconsidérer la richesse mais ce qu'on ne dit pas assez sur le PIB, ce qui fait sa pertinence, c'est d'être une base de prélèvement fiscaux. Je ne crois pas pour ma part qu'on puisse donner une valeur à la nature mais seulement au produit du travail humain. La nature devant être régénérée, on peut considérer que c'est sa valeur alors que ce n'est que son coût. La valeur de la nature comme celle de la vie est infinie et ne peut rentrer dans nos calculs.

    Je crois cependant qu'en général, pas toujours, les problèmes écologiques sont surévalués par les écologistes qui font du catastrophisme. Je persiste à penser qu'il y a un risque majeur du côté de la bombe climatique avec un emballement des dégagements de méthane mais ce n'est pas pour tout de suite. Pour le reste, on ne comprendrait pas que la population continue à croître et surtout l'espérance de vie si nous vivions dans l'enfer qu'on nous décrit. Contre l'apocalypse de Cochet, je continue à penser que l'humanité n'a pas de problème d'énergie, juste une difficile transition, car le soleil nous en prodigue plus qu'il ne nous en faut. L'acidification de l'océan est un problème lié à la question du climat mais la reconstitutions des stocks de poisson peut être très rapide dans cette immensité, ce n'est qu'une question de régulation de la pêche (et de multiplication de fermes piscicoles). Il y a aussi un problème sérieux avec les sols mais on peut prendre des mesures pour redresser la barre. Je ne crois donc pas à des visions à la Mad Max, ni à un appauvrissement durable au stade où on est arrivé, avec les capacités d'imiter le vivant dans son inversion de l'entropie (recyclage, régénération) et une décroissance de la population après 2050.

    Par contre notre capacité à nous refonder pour nous adapter aux nouvelles conditions de l'anthropocène est effectivement plus que douteuse mais là-dessus aussi, je ne peux que répéter qu'on ne réagit jamais qu'au bout du gouffre. C'est-à-dire qu'on peut être presque sûr qu'on ira à la catastrophe, pas assez sages pour renoncer à des gains faciles, mais on peut raisonnablement espérer qu'on ne reste pas sans réaction devant l'impasse. Je suis donc catastrophiste, moi aussi, surgissement du réel qui est décisif, mais d'une toute autre façon que ceux qui pensent la catastrophe irrattrapable et veulent peindre tout en noir, attitude d'autant plus contre-productive dans les périodes révolutionnaires.

    Je sais, ça ne se voit pas trop ici qu'on est dans une période révolutionnaire qui ne fait que commencer avec une crise qui n'a pas encore vraiment eu lieu, mais c'est vraiment le moment où il faut guetter l'occasion (plutôt du côté des indignés que des élections).

  6. Se refonder pour s'adapter aux nouvelles conditions d'un monde malade ? Mais au fond, n'est-ce pas cela même, le transhumanisme, à ce détail que la maladie est reportée ad hominem au nom d'une religiosité du progrès. Deux aspects d'un crucifix tourné au gré des théories, s'accusant l'un l'autre de marcher sur la tête.

    Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale d'être bien adapté à une société malade.

  7. En attendant l'arrivée d'énergie renouvelable abondante, on va probablement revenir pour un temps au pouvoir d'achat des années 50. Je n'étais pas encore né, mais des témoignages de ceux qui les ont connues, ça n'était pas l'enfer, il y avait même de l'optimisme et des moment gais. On aura moins de gadgets.

    Personnellement, la consommation et le shopping m'ont toujours ennuyé. Tout ce que j'ai ou ai eu, je l'ai conservé jusqu'à ce que ce soit usé jusqu'à la corde, au risque de paraitre pour gitan ou presque clodo parfois.

    Rue de la sardine de Steinbeck a été l'une de mes premières lectures préférées, ambiance garage et bleu de travail.

  8. Bonjour;
    Je suis moi-même simplicitaire, je cherche où ma vie est sacrificielle et religieuse...
    Je suis juste consciente du prix que l'on demande au Sud pour avoir une vie "moderne et confortable"... Et aussi de l'état de la crise écologique.
    J'ai un rôle politique dans ma commune.
    Je demande un minimum vital pour tous: un toit, de l'eau potable, de la nourriture et l'accès à la santé?
    En quoi ma démarche est-elle moins sociale, parce que franchement ça m'échappe.

  9. Je n'ai rien contre la simplicité volontaire en soi. Je n'en suis moi-même pas si éloigné, c'est ce que prônent à peu près toutes les philosophies car c'est bien sûr plus raisonnable que le bling-bling et la fascination publicitaire. Je récuse que ce soit en quoi que ce soit politique, effectivement plus proche des attitudes religieuses et sans impact écologique notable. Le caractère sacrificiel peut être absent des esprits les plus éclairés mais c'est assez rare, la privation étant ouvertement valorisée dans la plupart des discours sur la simplicité volontaire, et ressenti comme tel par ceux qui n'atteignent pas à cette sainteté.

    Dans une démarche politique, on ne se soucie pas d'avoir affaire à des anges et il est dangereux de se donner en modèle, on ne change pas les gens, on change la façon de s'organiser. Non seulement il est inutile de réduire sa consommation alors que c'est la production qu'il faut réduire (sinon ce qu'on économise d'un côté sera dépensé de l'autre) mais il n'y a qu'un moyen de réduire les consommations, c'est de changer le travail et c'est le contraire d'une privation. Pas la peine là de brider ses désirs mais au contraire de s'y consacrer à plein temps. Des publicitaires diraient qu'on passe de l'avoir à l'être sauf que ce n'est pas du baratin mais des possibilités concrètes.

    Après, chacun vit sa vie à sa façon, en fonction de son éthique propre et qu'on peut espérer d'une grande sagesse mais qui témoigne le plus souvent de nos folies. Il ne s'agit pas de polémiquer entre nous sur ce qu'on est mais sur ce qu'on peut faire ensemble. Le problème n'est pas notre esprit d'économie mais le système économique lui-même, ce n'est pas de s'adapter personnellement à son propre appauvrissement mais d'assumer collectivement cet appauvrissement, d'en tirer les conséquences économiques, sociales et politiques sans vouloir diriger les consciences ni attenter à la pluralité des modes de vie et de pensée.

  10. je ne pense pas que le problème se pose en terme de sacrifices pour les consommateurs. On voit tous sans arrêts des gens vivre mieux en consommant moins. Le malheur est que dans le système productiviste, souvent les plus pauvres se font avoir par la pub et la valorisation de type bingbling; C'est plus une affaire de culture. Si je passe un moment extraordinaire avec un bouquin, je m'en sort mieux que si je veux faire la malin avec des quatres-quatres qui coutent les yeux de la tête ou en achetant des vêtements de luxe sans arrêts !
    Le problème est dans la machine productiviste capitaliste et c'est bien ce qui est au coeur du problème notamment de la gauche traditionnelle qui continue de lier progrès avec croissance et hausse globale de la consommation.

  11. @Jean Zin :
    "Après, chacun vit sa vie à sa façon, en fonction de son éthique propre et qu'on peut espérer d'une grande sagesse mais qui témoigne le plus souvent de nos folies. Il ne s'agit pas de polémiquer entre nous sur ce qu'on est mais sur ce qu'on peut faire ensemble. Le problème n'est pas notre esprit d'économie mais le système économique lui-même, ce n'est pas de s'adapter personnellement à son propre appauvrissement mais d'assumer collectivement cet appauvrissement, d'en tirer les conséquences économiques, sociales et politiques sans vouloir diriger les consciences ni attenter à la pluralité des modes de vie et de pensée."

    D'accord, mais à part pour quelques esprits résolument tournés vers la raison capables comme vous de bien faire la différence entre politique (choix collectifs) et éthique (choix personnels), la façon dont nous faisons nos choix collectifs est fortement similaire aux processus religieux, la foi et la confiance y jouent un plus grand rôle que la raison. On vote plus avec son cœur qu'avec sa raison. Alors on fait comment pour la faire cette révolution? D'autant que la raison a ses limites, que les raisons s'affrontent avec passion! Laquelle suivre quand on ne peut être raisonnable à plein temps?

  12. Oui, la tentation est forte de mobiliser le religieux en politique mais on va ainsi à l'échec, ce que Royal incarne dernièrement mais les exemples sont légions. A ce jeu, ce sont les plus hypocrites qui gagnent ou les plus fous. Il est presqu'impossible de s'opposer à une vague émotionnelle mais ce n'est pas une raison pour en rajouter. Cela peut condamner à la solitude pendant un moment de rester à l'écart de la foule mais il ne faut pas être si défaitiste. La révolution se fait, en dehors des partis et des religions, des révolutions arabes aux occupations de place. Bien sûr, cela risque de prendre pas mal de temps dès lors qu'il ne s'agit pas d'une "conversion de masse" mais d'un processus de refondation réellement démocratique à partir des citoyens eux-mêmes. On ne crée pas les occasions historiques, on y prend place. J'ai été surpris d'entendre le secrétaire du PC dire à peu près la même chose : laisser la base décider au lieu d'un affrontement des appareils et des conceptions du monde (sauf que je fais confiance au PC pour bien noyauter les réunions de base, même sans le vouloir vraiment!). On revient toujours à cette dimension de rassemblement local dans toutes ses limites et qui contraste en effet avec ce qu'on voudrait comme grand mouvement de l'histoire soulevant tous les coeurs dans une humanité régénérée ! Cette exaltation n'est d'ailleurs pas absente des occupations de place et ce n'est pas une mauvaise chose à condition de ne pas trop y croire. Dans ce cadre, il est crucial d'observer une stricte laïcité, y compris envers les partis, pour rassembler un maximum de population et non pas ceux qui pensent comme nous.

  13. @Jean Zin :
    Dans ce cadre, il est crucial d'observer une stricte laïcité, y compris envers les partis, pour rassembler un maximum de population et non pas ceux qui pensent comme nous.
    Dans cette optique qui prône une écoute bienveillante de tous les points de vue, et même une prise en compte des objections à partir du moment où elle sont argumentées, j'aime particulièrement la cohérence de l’approche sociocratique d'Endenburg qui sait ménager une place à chacun.

  14. Je vous signale une vidéo de Jorion avec un titre humoristique qui va dans le sens de l'appauvrissement volontaire, en particulier au moyen d'une redéfinition du droit de propriété qui permet à quelques uns d'accumuler très au-delà de toute raison et ainsi rendre impossible tout appauvrissement collectif volontaire.

    Je signale aussi un site anglais prônant l'égalité 'Equality trust", eux qui sont plutôt fan de justice.

  15. Autant je trouve Jorion pertinent sur les mécanismes immédiats de la crise et des mesures comme l'interdiction des CDS sur des positions nues, autant je trouve sa "théorie" du capitalisme vraiment simpliste, d'un niveau certes facile à populariser mais qui ne tient pas compte de l'efficacité du capitalisme, tenant pour acquis le fonctionnement de l'économie et une possible affectation optimale du capital (il manque au moins de théorie des systèmes et de la complexité). De même qu'il cite beaucoup Kojève tout en étant kantien et pas du tout dialecticien, il cite pas mal Marx sans tenir compte de son analyse du capitalisme et comme s'il était si facile de trouver une alternative dès lors que le collectivisme a témoigné de sa faillite.

    Certes, si je croyais que c'était si simple, je ne défendrais pas des mesures improbables comme les monnaies locales et les coopératives municipales (le revenu minimum ayant un peu plus de succès pour la mauvaise raison de suppléer à un chômage qu'on suppose faussement définitif).

    Enfin, si je suis pour une réduction drastique des inégalités, je ne crois pas qu'il faut s'obnubiler sur l'égalité alors qu'on est tous inégaux car différents. Comme le montre l'article suivant, je préfère privilégier la liberté dont l'égalité est une composante essentielle (l'égalité, c'est la liberté) plutôt que la norme, l'hygiénisme et l'uniformité. L'aspiration à l'identité des conditions est essentiel à la dignité autant que des conditions matérielles qui n'obligent pas à l'indignité mais l'égalité doit toujours rester servante de la liberté sans quoi elle ne vaut rien : que nous importe d'être égaux si nous sommes tous esclaves ?

  16. Il vaudrait mieux faire une histoire sérieuse de l'esclavage, sinon Marx avait déjà fait le lien entre l'esclavage et les sociétés agricoles comme entre le salariat et la machine à vapeur, car la machine est plus déterminante que le type d'énergie, le pétrole étant bien plus récent que le charbon et le bois.

    Il y a toujours cette manie de raconter des histoires qui donnent l'impression de comprendre en faisant abstraction des processus réels mais je reconnais qu'en tant qu'être parlant, on ne peut guère éviter ces raccourcis fautifs.

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