La question de l’organisation

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La période est objectivement révolutionnaire avec la conjonction des crises économique, écologique, géopolitique et même anthropologique depuis notre entrée accélérée dans l'ère du numérique, cela ne fait aucun doute. La question n'est pas des raisons de se révolter ou de changer les institutions, elles sont légions depuis longtemps, mais cela ne suffit pas à faire une révolution car les conditions subjectives sont loin d'être remplies alors qu'on assiste à la fois au pourrissement des vieux partis ainsi qu'à la dispersion des forces de gauche impuissantes à surmonter leurs divergences bien réelles, sans parler des syndicats devenus purement opportunistes et dépourvus de projet comme de toute stratégie.

La leçon qu'on devrait en tirer, c'est qu'à l'organisation en partis concurrents ou même en réseaux plus ou moins occultes, il faudrait préférer une organisation en communes et en comités locaux ouverts à tous. Aussi bien pour la démocratisation que pour l'alternative à la globalisation marchande, il faut désormais partir du local. C'est là seulement qu'on peut changer les choses vraiment.

Chaque jour qui passe renforce l'indignation et la colère, témoignant non seulement de l'aggravation de la crise mais tout autant du renversement idéologique déjà effectif avec la perte de crédibilité d'un libéralisme débridé. On peut espérer que la brutalité de la crise réveille un mouvement social désorienté mais il ne faut pas en attendre trop. Plus on voudra mettre la barre haut et plus on deviendra minoritaire. L'extrémisme mène à l'impuissance. Tout au contraire, il faut fédérer le maximum de mécontents et retrouver des solidarités de classe (prolétaires de toute la France unissez-vous !). Est-ce qu'on ira jusqu'à une grève générale reconductible au lieu de quelques promenades de République à la Bastille ? Rien n'est moins sûr, en tout cas ce n'est pas pour tout de suite, même si cela reste un objectif prioritaire et relativement réaliste.

A supposer qu'on y arrive, cela ne sera pas plus que la crise bancaire la fin du capitalisme pour autant, ni quoique ce soit de véritablement révolutionnaire. Si de grandes mobilisations devaient déboucher sur une situation révolutionnaire, ce serait par une dynamique interne plus que par volonté expresse mais ce serait bien étonnant. Rien ne permet de l'espérer, et d'abord parce qu'il n'y a pas de réelle alternative. Tout ce qu'on peut espérer pour l'instant, c'est donc seulement une certaine "moralisation du capitalisme" dont on peut se gausser mais qui dépend d'un rapport de force plutôt (ou du niveau du chômage) et ce ne serait déjà pas si mal si on arrivait à revaloriser les salaires, améliorer conditions de travail et protections sociales, intégrer les "externalités" écologiques et sociales, sortir enfin de la dictature de la rentabilité financière immédiate. Dans la conjoncture actuelle, il faut certainement s'en tenir à un programme minimal le plus consensuel possible au niveau national, ce qui n'empêche pas une plus grande radicalité au niveau local. On pourrait dire : réformisme global, radicalité locale !

Affirmer qu'il ne faut pas trop croire dans une révolution imminente peut paraître d'autant plus scandaleux que c'est non seulement ce dont on rêverait mais qu'il y un réel besoin de changements révolutionnaires tout comme de sortir du capitalisme salarial. Seulement, il ne suffit pas d'écouter ceux qui disent ce qu'on voudrait entendre, ni de prendre ses désirs pour la réalité et d'appeler à une révolution, en croyant qu'il suffit de le vouloir très fort et de le crier bien haut ! Il faudrait d'abord savoir quoi faire d'une telle révolution si elle se produisait, risquant de ne rien donner du tout comme Mai68 et bien d'autres simili-révolutions depuis.

Il y a une difficulté particulière, en effet, à vouloir faire une révolution en régime démocratique car il suffit d'un vote contraire (comme en juin 1968) pour l'arrêter net. Supprimer le vote serait bien sûr le contraire de l'objectif démocratique. Dans ce cadre, que pourrait donc signifier "prendre le pouvoir" ? qui le prendrait et au nom de qui ? d'un parti ? d'un réseau ? C'est au fond la vieille question de l'organisation mais l'opposition du réseau au parti n'est pas la bonne comme on l'a cru un moment. Non, là encore, il n'y a pas le choix, on ne peut construire un mouvement démocratique qu'en partant du local et d'une fédération de communes, la radicalité devant s'inscrire dans une démocratie de face à face et dans la confrontation aux réalités du terrain sans qu'un parti séparé impose sa volonté à tous.

Les révolutionnaires se sont toujours posé la question de l'organisation ou du parti, forme aujourd'hui dépassée, les partis n'étant plus que des machines électorales qui n'assurent même plus la formation des militants. Avec Internet, la mode, c'est les réseaux et l'on voit effectivement se multiplier les groupuscules et réseaux affinitaires. Ce n'est pas la bonne méthode, on le voit bien. La question de l'organisation ne peut se résoudre qu'au niveau local par des assemblées communales. C'est à ce niveau que devraient être rédigés des cahiers de doléances contre le totalitarisme marchand et pour un peu plus de démocratie et de justice, une réduction des inégalités, de meilleures conditions de travail et la protection de notre milieu de vie.

La vie politique locale a l'avantage d'être une démocratie de face à face où il est plus difficile de délirer sur une société utopique et un homme nouveau alors qu'il faut s'accommoder de nos voisins tels qu'ils sont. Les appels à l'insurrection et à la fraternité font comme si tout le monde voulait la même chose et qu'il suffisait d'une volonté inflexible pour soumettre le réel à nos désirs les plus fous et contradictoires. Certes, tant qu'on y est, et quitte à tout changer, autant changer pour une vie parfaite et débarrassée de tous les méchants. Sauf que c'est tout simplement la voie du totalitarisme...

Pas étonnant, donc, que cela ne paraisse pas tellement séduisant et ne trouve aucun débouché politique mais cela ne veut pas dire pour autant que toute alternative serait forcément totalitaire. La condition, c'est de reconnaître la division démocratique et la pluralité des opinions, des pratiques et des aspirations légitimes comme les divisions de classes et les conflits sociaux. Cependant, en face de ceux qui visent une perfection imaginaire et des révélations métaphysiques, la vérité, c'est que ce qu'on peut proposer de possible, même si cela changerait la vie vraiment, ça ne tient pas le coup et paraît juste une petite amélioration à la marge, avec même des côtés négatifs, pensez donc, ce qui est impensable pour les bonnes et pures intentions révolutionnaires ! Pourtant, on ne va pas supprimer les sales capitalistes, ni enfermer tous les électeurs de droite, ni former des brigades de rééducation. C'est avec les gens tels qu'ils sont qu'il faudra construire une autre façon d'être ensemble, de produire et répartir les richesses, où chacun devra être libre de ses choix. Car s'il faut se révolter, c'est pour être plus libres et solidaires, pas pour perdre nos libertés au profit d'un pouvoir prétendu populaire et devoir se conformer aux nouvelles valeurs dominantes.

S'il faut donc bien se rassembler, ce n'est pas par affinités mais par lieux. C'est le fondement même de la démocratie, les "dèmes" étant des découpages géographiques sensés réduire la prédominance des liens familiaux, regroupement des citoyens sans distinctions, dans la diversité des opinions et des appartenances. Il ne faut pas faire preuve de trop d'angélisme. Dire que c'est une condition nécessaire, n'est pas prétendre que ce soit une condition suffisante pour autant, comme si tout devait s'arranger du coup miraculeusement ! La naissance de la philosophie est très liée à la démocratie (tout comme les sciences) mais on a tort de s'offusquer des critiques des philosophes contre une démagogie qui la menace effectivement, ce qui n'est pas la condamner mais admettre qu'il faut partir du fait que la démocratie ça ne marche pas, c'est compliqué, aussi bien la démocratie représentative que la démocratie "directe", encore plus une hypothétique "démocratie cognitive". C'est un processus infini. Il faut toujours et encore "démocratiser" (le savoir, la parole, le pouvoir, les ressources) mais il n'y a pas de politique pure, dénuée d'arrières pensées, d'intérêts, d'ambitions, de stratégies d'alliances, de rapports de forces, de rivalités, etc., toutes choses qu'on expérimente déjà au niveau local.

Insister sur la démocratie municipale ne signifie pas qu'il faudrait abandonner le terrain idéologique et national. Cela ne veut pas dire qu'il serait inutile de s'organiser en réseaux au niveau national, pour favoriser les échanges intellectuels au moins, mais savoir que l'essentiel sera d'en donner une traduction locale avec nos concitoyens. Ce n'est pas non plus prétendre que ce serait la seule urgence du moment. Il y a différentes temporalités (cycle, mutations, limites planétaires) et dans l'état actuel d'égarement, on a vu qu'il vaut sans doute mieux se concentrer sur la régulation de la finance et le rééquilibrage du rapport capital/travail, en poussant à de meilleures conditions de travail et de meilleures protections sociales. Sans être révolutionnaire, cela permet au moins de reprendre les luttes et d'en éprouver les limites. A plus long terme, ce sont des alternatives locales qu'il faudra construire et fédérer mais il faudra du temps pour dégager des perspectives claires partagées par une partie significative de la population.

Il ne s'agit pas de prétendre qu'il ne serait pas souhaitable qu'il y ait un soulèvement général, mais qu'il devra s'appuyer sur la démocratie locale pour aller au-delà du réformisme sans devoir sombrer dans l'autoritarisme. Ce serait en tout cas une façon de résoudre la crise de la gauche, avec l'impossible question des alliances d'appareils, en constituant des comités locaux (ou comités de quartier) et une dynamique qui part de la base, non pas seulement pour initier un mouvement global mais une véritable transformation locale, de nouveaux rapports entre nous et commencer à construire un monde nouveau inscrit dans le territoire.

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26 réflexions au sujet de “La question de l’organisation”

  1. Je ne crois pas qu'il faut mêler Heidegger à la démocratie locale, ce serait la tirer vers l'objection qu'on y a toujours fait de son caractère régressif et conservateur, pétainiste enfin. Il y a effectivement des risques de féodalisme. Ce n'est pas le dimanche de la vie et une fin de l'histoire où tout se passerait bien mais c'est parce que la délocalisation est achevée qu'il doit y avoir relocalisation qui n'est pas un retour au passé.

    Même si je reconnais qu'Heidegger est certainement le plus grand philosophe du XXème siècle, qu'il a écrit des textes indispensables, donné des cours très brillants (Le Sophiste), et que je reprends quelques unes de ses démonstrations, il reste pour moi un nazi que je n'aime pas du tout. S'il a raison de nous faire sujets de la technique plus que ses acteurs, il pense trop par généralités abstraites comme la volonté de la volonté qui se mord la queue tout autant que le désir de bonheur.

    Deleuze, c'est un peu le contraire. Je l'aime bien et me sens de son côté mais n'accorde aucune valeur à sa philosophie... Il est vrai qu'il y a des questions pratiques d'organisation du territoire mais cela n'empêche pas les principes et l'idéologie de faire partie du jeu même si les "nouveaux philosophes" et leur droit-de-l'hommisme sont des outres vides. Il n'y a pas que le singulier, il y a l'universel aussi. Etre de gauche ne se réduit pas à la jurisprudence, c'est un rapport à la vérité de l'homme, à son universalité comme à la division sociale dans la révolte contre l'injustice et la libération de ses chaînes (quand la droite privilégie la particularité ou l'identité et l'unité sociale dans la fidélité à ses appartenances et l'obéissance aux pouvoirs).

  2. Merci pour cet éclairage.

    Deleuze je l'aime bien aussi en tant qu'individu, je ne me sens pas apte à juger de la valeur de sa philosophie, mais c'est dur votre jugement pour quelqu'un qui a écrit "Qu'est-ce que la philosophie ?", l'élément central y étant le concept. Je reconnais que parfois je me suis demandé si Deleuze pouvait présenter une philosophie efficace, affreux mot j'en conviens, mais tout de même la philo c'est pas uniquement fait pour bailler aux corneilles, il faut bien qu'elle se traduise dans des actes et des faits.

    Ceci dit je m'étais posé la question de savoir si Nietzsche c'était de la philosophie, ça ressemble plutôt à du lyrisme.

  3. Pour cette apologie de la jurisprudence par Deleuze, ça m'a aussi surpris, dans la mesure où je ne vois pas en quoi il existe une jurisprudence sans l'existence de lois, qui constituent des formes d'universaux, en tout cas dans le droit romain, je connais peu le droit anglo saxon.

    La jurisprudence ne découle dans sa pratique que de l'application du droit et d'une sorte admise d'interprétation, d'où aussi l'existence de la cours de cassation qui ne juge pas le fond mais en droit, le respect du droit comme valeur en recours supérieur.

    Parfois j'ai cru, peut être à tord, que Deleuze faisait aussi presque l'éloge déguisé du capitalisme sous le concept de flux et de déterritorialisation, ça m'a laissé sur ma faim.

  4. Extrait de Deleuze et Guattari : Qu'est-ce que la philosophie ?, Minuit, 1991, p.102

    "Quelle social-démocratie n'a pas donné l'ordre de tirer quand la misère sort de son territoire ou ghetto ? Les droits ne sauvent ni les hommes ni une philosophie qui se reterritorialise sur l'Etat démocratique. Les droits de l'homme ne nous feront pas bénir le capitalisme. Et il faut beaucoup d'innocence, ou de rouerie, à une philosophie de la communication qui prétend restaurer la société des amis ou même des sages en formant une opinion universelle comme "consensus" capable de moraliser les nations, les Etats et le marché."

    Et puis d'ailleurs, à propos, Deleuze, il cause d'Heidegger juste la page d'après (p.103) 🙂

    J'aime toujours bien Deleuze. Et aussi Guattari dont j'ai lu récemment le recueil de textes des années 80 "Les années d'hiver" avec autant de plaisir que j'avais lu "Chaosmose" (qu'un copain ne m'a jamais rendu...).

    Deleuze, comme philosophe, je n'en peux rien dire, n'ayant pas moi-même de formation philosophique académique (le concept comme outil, ce n'est pas mon boulot)... mais, comme "source" d'idées, comme "vitalité" intellectuelle, ses écrits ont contribué à faire sortir (un peu) de ses ornières le jeune homme que j'étais alors.

    J'ai récemment exhumé de ma bibliothèque et relu avec grand plaisir le bouquin de Gilles Châtelet Vivre et penser comme des porcs (édité désormais en coll. Folio). Quelle verve, presque aussi dru que du San Antonio...

  5. Pour ma part, je n'aime ni les livres de Deleuze, ni ceux de Guattari bien qu'on soit sur des positions relativement proches. C'est un fait mais je ne prétends pas pour cela que je puisse juger vraiment de leur oeuvre que je ne connais que superficiellement (leurs livres me tombent des mains). Cela me rappelle un interview de Foucault où l'interviewer reprend sans le dire une position de Deleuze que Foucault réfute violemment mais lorsque l'interviewer en conclue qu'il est en désaccord total avec Deleuze, Foucault refuse de le suivre, situant son rapport à Deleuze à un tout autre niveau ! En tout cas, la philosophie comme création de concept me semble une bêtise et bien qu'il soit anticapitaliste, et même que sa dernière période était surdéterminée par l'antifascisme à cause des tentations terroristes de l'époque, j'ai toujours été énervé par la complicité du nomadisme avec la flexibilité du néolibéralisme globalisé (sans parler des machines désirantes!).

    Je fais parti aussi de ceux qui trouvent Nietzsche un peu court mais je critique fortement aussi le système spinoziste ("Spinoza et le problème de l'expression", ça ne vole pas haut du tout !), cela ne m'empêche pas, comme tous les grands philosophes qui restent incontournables (il n'y en a pas tant que ça), d'y puiser abondamment. L'opinion qu'on peut avoir est de peu d'importance. Seul compte le travail qu'on fait et qui peut en rejoindre d'autres mais suit sa ligne propre. Heidegger remarquait que le destin des grands philosophes est d'être réfutés par les lycéens de classe de philosophie. Bien sûr cela n'ôte rien du tout de leur importance. Que ma réflexion philosophique ne rencontre pas celle de Deleuze ne signifie pas que Deleuze ne puisse servir à d'autres de porte d'entrée. J'appartiens simplement à une toute autre tradition, plus dialectique (Hegel, Marx, Lukàcs, Lacan).

  6. ce ne serait déjà pas si mal si on arrivait à revaloriser les salaires, améliorer conditions de travail et protections sociales, intégrer les "externalités" écologiques et sociales

    Il est très drôle de voir comment des "révolutionnaires" peuvent en venir à des conclusions foncièrement "contre-révolutionnaires" ! L'idée d'émancipation sociale ne signifie plus rien pour personne simplement parce qu'il n'existe aucun autre monde capable de proposer autant de divertissement varié et d'occupations nerveuses et fébrile que cette société-ci (on pourrait se demander d'ailleurs ce qu'un être aussi aliéné qu'un jeune homme de 20 ans passant 8 heures par jour sur son ordinateur pourrait bien vouloir réclamer en guise de "désaliénation" ? On s'en doute un peu, ils ont déjà leur crédo : la légalisation du téléchargement de jeux, films, musiques, etc., que l'industrie épand sur son cheptel humain).

    Je me souviens de ce témoignage passionnant de Schumann et Martin qui assistèrent à la réunion, sous l'égide de la fondation Gorbatchev, de 500 leaders économiques, politiques et scientifiques à l'hôtel Fairmont au Etats-Unis. (Les règles de parole étaient très strictes, 5 minutes par personne ; difficile d'ailleurs de faire plus court que le dirigeant de Sun Microsystem : "Nous engageons nos employés par ordinateur, ils travaillent sur ordinateur et ils sont virés par ordinateur.")
    La proposition approuvée pour résoudre l'inoccupation "révolutionnaire" d'une part croissante de la population fut celle de Zbigniew Brzezinski (qui ne restera assurément pas dans l'histoire faute d'un nom prononçable !) ; sous le mot de tittytainment, il désignait un "cocktail de divertissements abrutissants et d'alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète." Nul complot ici, simplement une réunion de gens puissants dont les pouvoir décisionnels ont tout de même une influence sur le cours historique (ne serait-ce qu'à travers leur décision sur la production industrielle de leur compagnie ou des personnes qu'ils placent aux postes clés. De la même manière que si Schneider ne s'était pas entendu avec Krupp pour la vente et la transformation du minerais, les nazis n'auraient peut-être pas tiré avec de l'acier français.

    En aménageant l'insupportable, vous frotterez peut-être suffisamment la misère de la vie autarcique et administrée pour la faire disparaître en général, mais assurément vous ne créerez aucune situation révolutionnaire. Ce n'est donc pas à l'aménagement qu'il faut travailler mais à l'accélération de la décomposition de cette société.

    Ce texte ne me plaît définitivement pas. On y sent trop "l'observateur" recroquevillé derrière son ordinateur et qui, comme tout un chacun, attend désormais des bouleversements du destin l'apparition de la révolution qui n'est jamais venue.

  7. On ne sait pas ce qui est le plus comique, la mécompréhension d'une phrase extraite de son contexte, comme si l'amélioration du système était mon objectif alors que je défends au contraire la construction d'alternatives locales, ou bien la prétention d'être bien plus révolutionnaire que moi à vouloir hâter la décomposition de la société (comme si elle ne se décomposait pas toute seule et avait quoique ce soit à craindre de tels rigolos), ou bien encore de déclarer que "ce texte" ne plairait pas comme si d'autres pouvaient avoir grâce aux yeux de qui trouvera tout ce que je fais mauvais, ou bien enfin d'arriver à faire ce genre de commentaire sans être recroquevillé derrière son ordinateur !

    C'est bien sûr contre ces pseudo-révolutionnaires que j'écris, contre les postures extrémistes et la politique du pire. Un écologiste ne peut jamais être pour la politique du pire mais de vieux aigris sans doute s'il attendent des bouleversements du destin l'apparition de la révolution qui n'est jamais venue... Là aussi on peut se gausser de la croyance naïve que de la catastrophe il sortirait quelque révolution idéalisée mais le plus comique c'est de croire pouvoir abattre un système qui est basé sur le laisser-faire comme s'il suffisait de prendre une Bastille ou un Palais d'Hiver ! On est dans le délire paranoïaque. C'est un peu comme si on voulait couper Internet, ce qui est quasiment impossible, ce n'est pas du tout comme vouloir faire dérailler un train le système étant construit pour contourner les obstacles quitte à passer par l'Australie s'il le faut.

    Le plus ridicule, c'est que ce romantisme révolutionnaire le plus vain, prêt à gober n'importe quel bobard, se croit très supérieur à une population supposée complètement abrutie. On ne sait pourquoi il y aurait une élite ayant reçu l'illumination et voulant la destruction de la terre entière pour avoir enfin un monde à sa mesure !

    Contrairement à ces poses narcissiques, il s'agit d'essayer d'explorer ce qui reste possible dans la conjoncture historique. Il s'agit de prendre acte de tous les échecs précédents pour essayer de les dépasser, en réduisant sans doute nos ambitions, en rabattant sur l'idéal par la prise en compte des processus matériels et de notre rationalité limitée. D'un certain côté, on peut dire que je partage la déception des anciens révolutionnaires, c'est celles infligées par l'histoire. André Gorz qui s'était attelé à la tâche de déterminer les conditions concrètes d'une réalisation de la philosophie après son échec marxiste a fait l'objet lui aussi de l'hostilité de tous les révolutionnaires convaincus, avant qu'ils ne se mettent au service du patronat, la révolution où ils auraient pu espérer une position dirigeante tardant effectivement à venir...

    Pour ma part, je n'espère rien du grand soir, sinon l'expression de notre solidarité réaffirmée pour un temps. L'alternative se construit sur le long terme. Ce texte est certainement décevant, critiquable où j'ai essayé de penser notre situation et ses perspectives qui ne sont pas brillantes. J'ai d'ailleurs hésité à le publier, mais il ne se comprend que dans la suite du texte précédent (Un seul monde, plusieurs systèmes), complétant simplement le caractère local de l'alternative avec le caractère local de l'organisation de base d'un mouvement démocratique.

  8. Vous parlez des syndicats comme « devenus purement opportunistes et dépourvus de projet comme de toute stratégie » mais n'est-ce pas le programme des syndicats que vous reprenez finalement en disant « ce ne serait déjà pas si mal si on arrivait à revaloriser les salaires, améliorer conditions de travail et protections sociales, intégrer les "externalités" écologiques et sociales » ?

  9. Que ce soit Deleuze ou Lacan, l'affaire Sokal a soulevé le problème de l'intégration des mathématiques à une œuvre tout en se passant de leurs équations et de leur détail, travail laborieux de grammairien d'une certaine façon, ce qui est en ce qui concerne Deleuze une drôle d'attitude, lui qui semblait si attaché au détail. La fascination des mathématiques peu comprises confine parfois à la superstition...

  10. @philbat : Je m'inquiète un peu d'être si mal compris. On doit pouvoir mettre cela sur le compte de la lecture rapide sur écran ou alors c'est que je m'exprime vraiment très mal ! Il me semble pourtant très clair que j'argumente sur le fait qu'on ne peut pas espérer grand chose dans l'immédiat au niveau des luttes nationales.

    Quand je dis "ce ne serait déjà pas si mal", je ne dis pas "ce serait super" mais seulement qu'on ne peut pas délaisser pour autant ces revendications légitimes qui pourraient déboucher par chance sur un peu plus car les grands mouvements partent souvent d'une revendication matérielle insignifiante. Le plus probable c'est qu'on ne gagne même pas sur ces revendications et que si on gagnait ce serait toujours ça de pris mais ce n'est en aucun cas l'objectif principal que je défends qui est la sortie du salariat.

    L'abolition du salariat faisait partie des fondements du syndicalisme jusqu'à récemment mais ce n'est plus du tout le cas et plutôt la généralisation du salariat. Il serait cependant déjà beau que les syndicats aient une véritable stratégie pour arriver à ces objectifs, se limitant la plupart du temps à des revendications sectorielles et la défenses des syndiqués (ce qui est un peu court), loin d'appeler à une grève générale reconductible.

    Simplement, ce n'est pas en ayant des revendications plus radicales au niveau national qu'on arrivera à mobiliser massivement. Il faut se contenter au début au moins d'un programme minimal pour rassembler le maximum de gens, quitte à pousser un peu plus loin si le mouvement prend de l'ampleur. Il faut donc partir effectivement des revendications syndicales, c'est inévitable même si ce n'est pas du tout révolutionnaire.

    C'est de ce constat qu'on ne peut attendre de grands bouleversement au niveau global que j'incite à se reporter sur le local pour construire des alternatives. Dire qu'il ne faut pas pour autant laisser tomber les luttes nationales même si elles sont trop réformistes ne veut pas dire limiter son horizon à cela. C'est toute l'argumentation de l'article réformisme global, par force, mais radicalité locale, si possible, pour contourner l'obstacle, et là il ne s'agit plus d'augmenter les salaires mais de changer le travail et si possible de passer de la sécurité sociale au développement humain. Comme on ne se débarrassera pas instantanément du capitalisme, il ne serait pas mauvais en attendant de le contenir, de réduire le poids de la finance et d'améliorer le sort des salariés, ce n'est en rien la finalité dernière (qui sont les alternatives locales), c'est juste une stratégie réaliste intégrant la complexité de la situation et les rapports de force actuels, à l'opposé d'un extrémisme borné qui ne mène à rien qu'à la division.

  11. Peut-être est-ce vous qui, à force de pseudo-dialectique et de complication du simple et simplification du compliqué, avez perdu le sens de vos propos ? Un peu comme ces technocrates à qui on pose une question et qui, une fois qu'ils y ont répondu, vous font perdre le sens de votre question.

    Hegel vous est monté à la tête, Schopenhauer - l'art d'avoir raison, par exemple, qui démonte assez brillamment les 38 sophismes de la dialectique hegelienne - pourrait vous guérir de quelques tares en vous en collant d'autre. Cela a toujours été l'ennui de la philosophie, la maladie perpétuelle.

  12. Heureusement il ne manque pas de discours simplistes plus à votre portée même s'ils ne mènent à rien. A relire mes analyses de la crise je trouve qu'elles tiennent quand même mieux le coup que tous ceux qui nous annonçaient la fin du capitalisme et la réalisation de leurs rêves les plus fous. Ceci dit, je ne plastronne pas. Je sais bien que je suis trop complexe pour une communication de masse, raison pour laquelle je passe mon temps à refuser des invitations sachant que je ne pourrais convaincre. Je me contente d'écrire sur mon blog ce que j'en pense, qui n'est pas si compliqué malgré tout (pas plus que Marx en tout cas), et il suffit de ne pas venir me lire pour ne pas être dérangé dans ses croyances, ce qui n'est pas bien difficile.

    La philosophie n'est hélas pas accessible à tous (sauf de grands simplificateurs comme Schopenhauer), surtout quand elle est dialectique conformément à son objet, dialectique qui peut certes facilement tomber dans le jésuitisme aux mains des idéologues. De là à faire de moi un technocrate, c'est assez risible pour qu'il n'y ait pas besoin d'en rajouter...

  13. Pardon mais il me semble que vous avez effectivement des problèmes soit de compréhension soit d'analyse syntaxique. Le rôle d'"un peu comme" était évidemment de faire un parallèle avec les technocrates en évitant le cliché du sophiste. Je n'ai jamais "fait de vous" un technocrate.

    La philosophie n'est hélas pas accessible à tous
    Sigh le pseudo-démocrate qui avoue déjà la séparation en classes (schéma classique de l'URSS, les théoriciens/dialecticiens matérialistes d'un côté, le prolétariat de l'autre, qui évidemment n'avait pas le niveau. Le pauvre.) alors qu'il prétend en faire sa lutte. Mais dites-moi, vos contradictions ne vous sautent pas dessus certains matins ?

    Enfin continuez à vous croire un philosophe profond et compliqué, plein de subtilités et de nuances, ça nous donnera au moins des sujets de rigolades durant le désastre.

  14. Moi aussi je trouve cela très choquant que tout le monde n'ait pas accès à la philosophie, notamment celle de Hegel, si difficile, ce pourquoi j'ai essayé d'en donner une version vulgarisée, avec des images !

    http://jeanzin.fr/wp-content/uploads/pdf/hegel....

    Cependant, c'est un fait que le savoir n'est pas donné d'avance et qu'on ne peut apprendre pour un autre. En fait, c'est le point central : il faut reconnaître notre ignorance plutôt que de supposer que la communauté ne peut se tromper puisqu'inspirée de Dieu. Comme disait Mao, pas de droit à la parole sans enquête préalable.

    Bien sûr la séparation entre travail intellectuel et travail manuel mène ordinairement à la domination des uns sur les autres, sauf que les experts eux-mêmes doivent être considérés comme très ignorants, on le voit bien avec la crise et la désorientation actuelle des intellectuels qui suffit à les déconsidérer. La démocratie ne peut se construire que sur cette ignorance commune et non sur une volonté générale préalable qui est l'appel de toutes les tyrannies. Flatter le peuple par anti-intellectualisme, en lui disant qu'il sait tout d'instinct, c'est vouloir le berner. La prétendue sagesse des foules mène à toutes les folies. C'est tout autre chose d'essayer de construire ensemble une démocratie cognitive, démocratie des minorités basée sur notre rationalité limitée (impossible d'en dire plus ici). En tout cas, c'est en niant les divisions effectives qu'on usurpe le pouvoir alors qu'à les reconnaître, on se donne les moyens de s'en défendre.

  15. Ce que je trouve atterrant, c'est, qu'après guerre, divers dispositifs ont été mis en place et votés donc pour réguler, contre balancer les pouvoirs, en faveur du salariat.

     Actuellement on voit qu'il s'agit de feuilles de vigne, à savoir, médecine du travail, CHSCT, comité d'entreprise, droit du travail et prudhommes, cercles qualité, syndicats...et que voit on, la prolifération de la désorganisation absurde, l'indifférenciation des compétences, l'obligation de travailler en bureaux open space qui entraine un bruit continu autour de soi, une difficulté presque insurmontable de réfléchir à ce qu'on fait alors qu'on nous demande d'être efficace, créatif et productif. L'open space est vraiment l'illustration d'une barbarie dans laquelle on croit qu'en forçant les gens à communiquer, ils communiqueront. C'est en ça que je rejoindrais volontiers Pontalis sur l'éloge de l'intimité.

    Les modes actuelles vont à l'encontre de l'épanouissement mais aussi à l'encontre même de l'efficacité, y compris éconmique. Les dirigeants d'entreprises sont devenus tellement cons qu'il ne soignent même plus bien leur bétail.

    De quoi s'agit il quant à un tel phénomène dont je doute réellement qu'il relève d'un complot organisé mais plutôt d'une
    déconnexion du monde.

  16. Les open space sont désormais critiqués universellement. Ce sont des modes, des théories qui ont en général une pertinence dans certain cas mais qui sont généralisées à outrance jusqu'au mouvement de reflux devant les inconvénients constatés. Il y a souvent d'ailleurs un décalage entre les Etats-Unis, d'où viennent les modes managériales, et l'Europe qui les applique avec 10 ans de retard, parfois au moment où elles son déconsidérées outre-atlantique !

    Devant les dégâts du management par le stress dans France-Telecom en guerre contre ses fonctionnaires dont elle ne peut se débarrasser, on a du mal à croire que le management s'oriente désormais vers la gestion du stress et le développement humain. C'est encore d'avant-garde mais ce sont les petits chefs qui sont ringards et archéos.

    Il y a non seulement des modes, renouvellement des idées ou folies collectives, mais les équilibres changent entre travail et capital. C'est sans doute la cause principale des cycles longs, reliée au taux de chômage élément essentiel du rapport de force. C'est ce qui fait que les anciennes protections sont vidées de substance petit à petit et contournées jusqu'à devoir en imposer de nouvelles dans un nouveau rapport de forces qui peut lui aussi se laisser emporter dans ce qu'on peut appeler une "bulle salariale" provoquant un retour de bâton avec la phase dépressive du cycle où la finance règne en maître.

    Je suis en tout cas persuadé qu'il y a besoin de révolutions cycliques pour refonder un nouveau contrat social et les institutions nécessaires aux nouvelles forces productives, cela ne peut pas être un arrangement d'experts. Rien n'est jamais acquis à l'homme, la liberté ne s'use que si on ne s'en sert pas, toujours à reconquérir mais pour la porter un peu plus loin à chaque fois ?

  17. L'open space existe depuis plusieurs décennies, donc les 10 ans d'expérimentation aux US comme en Europe sont largement dépassés. Aucune conclusion d'ampleur n'en a été tirée, à tel point que des sociétés s'y convertissent encore. C'est comme le capitalisme actuel, ça perdure en dépit de toutes les conséquences néfastes, un quelque chose comme on a pas trouvé mieux. Ce sont de ce que j'ai pu constater les DG qui se font une marotte d'imposer les open space aors qu'ils ont leur bureau personnel, pourtant on ne peut pas considérer à ce stade qu'ils sont des petits chefs.

    Je crois sincèrement qu'ils sont ringards en s'imaginant que tout le monde s'aimera dans de si beaux espaces, avec plantes vertes parfois, ouvrant l'horizon du regard par l'abolition des parois.
    Bien sûr que le chômage a déséquilibré le rapport de force et q'un patron considère qu'il est chez lui dans sa boite et fait de qu'il veut de ses employés., principe de subordination prééminent du salariat.

  18. Ce qui est surprenant chez beaucoup de DG c'est qu'ils semblent être férus d'architecture, rien est trop beau pour leur image, un désir de créer la ville idéale quitte à se lancer dans des architecture aux allures modernistes et artistiques souvent absurdes en termes de fonctionnalités et de coûts quand on veut bien y regarder de près.

    Des utopistes de petit calibre essayant de renouer avec les urbanistes et architectes du XVIII éme. C'est là que je me dis
    souvent que l'architecture devrait être plus démocratiquement choisie, mais non c'est le fait du prince qui s'impose.

  19. Cette folie des grandeurs des bâtisseurs est aussi vieille que les villes.

    Sinon les open space ont aussi la caractéristique d'être moins chers et plus faciles à surveiller mais si les critiques ont été immédiates, c'est très récent que leur abandon est fortement conseillé pour améliorer la productivité.

    Occasion de souligner qu'on n'est pas tous contemporains mais au contraire que se côtoient des sociétés et des entreprises plus ou moins dépassées. Des paysans tout juste sortis du néolithique vivent en même temps que les digital natives et chacun est plus ou moins scotché à une époque ou une autre, toujours en retard sur son temps. Il y a encore des entreprises esclavagistes alors qu'il y a déjà des entreprises progressistes. Cela montre au moins la marge de manoeuvre qu'il nous reste.

  20. Oui, bonne observation, nous vivons dans des mondes parallèles au sens qu'ils sont anachroniques, bien loin de l'uniformisation dont on nous rebat les oreilles, bien loin d'une nécessité de cultiver sa différence qui serait le psaume individualiste.

    La sur-veillance est un problème et s'oppose à la bienveillance qui permet plus de liberté. La vision du panoptique de Bentham est donc toujours d'actualité, renforcée si utile pas les web caméras, tout ça pour rien puisque ça ne peut produire que des bureaucrates roublards et stériles.
    Kafka n'était pas myope.

    Le moins cher des open space c'est bien une vision de comptable qui regarde ce qu'il dépense mais n'envisage pas ce qu'il manque à gagner, c'est très actuel, bien éloigné de ce qu'est l'idée d'entreprendre.

  21. Il me semble que vos discussions sur l'open space (ou plateau paysager) concernent la question de l'organisation : neutre et comptable (sous forme de grille et de module répétitif), ou organique (avoir un endroit pour soi, qu'on fait évoluer à peu près comme on l'entend). Le plateau ne tient que s'il est l'initiative de tous, soit une forme organique, soit plutôt des petits groupes de travail.
    Il n'y a pas de mauvaise forme, il n'y a que des mauvais rapports. Les formes sont mauvaises si les rapports sont mauvais.
    Ca rejoint l'idée du local. Du point de densité dans lequel on se trouve et des liens qu'on peut avoir avec d'autres points de densité. Le choix démocratique de l'architecture induit également l'idée de groupe qui défini ses enjeux et les moyens d'y parvenir. Groupe de travail. Petit paquet. Le local existe dans un espace plus général, ouvert.

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