Où l'on reparle de constitution européenne...
Après le temps de la bouderie et de la politique du pire, les gouvernements européens se décident enfin à remettre en chantier le "plan B" (rebaptisé "plan D" pour ne pas avoir l'air de se désavouer !), sur une base largement conforme à ce qu'on avait prévu (en particulier l'abandon de la IIIème partie) avec une possible innovation intéressante : un référendum européen pour le ratifier. On a donc bien eu raison de voter NON !
Seulement il ne faut pas rêver, cela ne veut pas dire que c'est gagné et que les libéraux s'avoueraient vaincus. Les déclarations actuelles sur la compétitivité de l'Europe pour justifier une nouvelle constitution montrent qu'ils n'ont rien compris et qu'ils ne sont pas du tout prêts à retirer du texte cette concurrence libre et non faussée complètement mythique et folle, contredisant le caractère politique d'une constitution qui rassemble des citoyens, non pas des clients, et prenant le contre-pied d'une nécessaire relocalisation de l'économie. Il nous faut donc reprendre la lutte, procéder à la reconstitution de nos forces après avoir dû tenir pendant des mois contre les railleries des partisans du OUI nous accusant de tous les échecs de l'Europe et du déclin de la France même! C'est aussi l'occasion d'approfondir la fracture idéologique qui s'est manifestée lors du référendum entre raison d'Etat et résistance sociale.
Il n'est certes pas facile de résister à la pression sociale, à ces petits technocrates qui se prennent pour une nouvelle noblesse décidant du sort du monde et nous écrasent de leur mépris, nous accusant de refuser la réalité, de décrocher, de ne plus être dans la course, d'être des passéistes, des retardataires, des boulets... Vieille rengaine depuis le tournant libéral de la gauche et l'émission Vive la crise (que Daniel Mermet nous a fait réentendre sur France-Inter) où l'ancien communiste et nouveau riche Yves Montand devait expliquer aux téléspectateurs ébahis que les revendications sociales nous menaçaient de tiers-mondisation, rien que ça !!! Or, il faut bien dire que la compétitivité de la France ou de l'Europe on s'en fout quand on est au chômage et au RMI, déjà dans le tiers-monde de l'exclusion ! Sous couvert de s'en tenir aux simples faits, tout cela n'était que de la pure idéologie.
Il n'empêche que ces croyances se sont répandues dans toutes les têtes à un moment donné (phase dépressive du cycle de Kondratieff marquées par l'abandon des politiques keynésiennes et le sauve qui peut de la dérégulation), même chez quelqu'un comme Hugo Chavez tenté au début par la troisième voie ! C'était un mouvement assez général, renforcé par la chute du communisme. Toutes ces bêtises qui se donnaient comme des évidences ont perdu désormais une bonne part de leur crédibilité, mais on constate que la plupart y ont cru et qu'il n'y a rien de pire qu'une idéologie qui se croit en dehors de toute idéologie, ce qui la prive de tout recul critique.
Comment peut-on tomber dans de tels panneaux ? Notre rationalité est décidément très limitée, il faut s'en persuader ! Reprendre la lutte idéologique oblige donc à se poser la question de l'idéologie, du fait qu'on pense dans un cadre historique de représentation collective, sous l'injonction des médias et de notre entourage, et que, pourtant, on peut s'y opposer collectivement au nom de solidarités humaines ou d'un vécu partagé. Le rapport entre l'individu et le collectif est complexe car ce n'est ni une totale subordination, ni une autonomie absolue. On peut toujours résister à un délire collectif mais c'est difficile, douloureux, dangereux et rien ne peut nous assurer que nous ne sommes pas nous-mêmes en plein délire. On sait bien que c'est le plus probable, comment aurait-on raison contre les autres ? C'est ce qu'on nous répète sans arrêt : les autres pays ont compris que le libéralisme est le fin mot de l'histoire, chacun pour soi, que les meilleurs gagnent, pas de pitié pour les gueux, et il faudrait être fou pour avoir quoique ce soit à y redire !
Où l'on voit que l'individualisme est un phénomène collectif. La résistance individuelle est presque impossible, il faut inévitablement s'appuyer sur un mouvement collectif qui renforce nos convictions, il faut se reconnaître dans la résistance pour se soutenir mutuellement et finir par renverser la barbarie qu'on voulait nous imposer. C'est toujours collectif contre collectif. La cristallisation de l'opposition au traité constitutionnel autour de la directive Bolkestein donne l'exemple de l'émergence d'un tel mouvement de protestation sociale qui était diffus et a pu trouver là un point de convergence suffisant pour faire masse et renverser la situation, s'engageant dans une élaboration collective sans qu'on sache très bien au début ce qu'on en pensait. On dépend des autres y compris pour savoir ce que nous pensons, de même que le sens de l'explosion des banlieues n'était pas donné d'emblée mais s'est construit petit à petit, pour les acteurs comme pour les commentateurs et les médias, dans un ajustement des discours et des représentations dont les plus outrancières (les supposés pervers polygames!) étaient éliminées. C'est aussi pourquoi l'alternative européenne ne peut être détachée de l'alter-mondialisme, du contexte idéologique général (historique), ni surtout de ce nouveau pôle révolutionnaire qui se forme en Amérique du sud. Nous vivons tous sur la même planète et la reconstitution d'une Europe politique pourrait bénéficier de ce renouveau des luttes contre le totalitarisme du marché, luttes qui ont déjà transformé profondément le rapport de force.
Au-delà de ces enjeux politiques immédiats, on peut se demander si tout n'est pas pareil et se réduit à l'imitation, puisqu'il ne s'agit jamais que de passer d'une idéologie à une autre semble-t-il sans qu'on sache pourquoi on est d'un côté ou de l'autre ! Ce que nous voudrions montrer au contraire, c'est qu'il n'y a pas d'équivalence entre le discours du pouvoir et celui du citoyen, entre la raison d'Etat et le mouvement social, entre le oui et le non. Loin des simplifications du mimétisme ou de la mêmétique nous sommes plutôt écartelés entre deux mécanismes contradictoires de socialisation comme entre l'ancien et le nouveau, entre le haut et le bas, entre la pensée héritée et la pensée émergente, entre les corps institués et l'auto-fondation démocratique, entre l'objectif et le subjectif. Ce sont ces deux façons de faire groupe qu'il faudrait comprendre et distinguer, à la fois contradictoires et complémentaires.
Le premier mécanisme, celui du pouvoir et de la norme, est celui de l'identification, des appartenances, de l'assimilation. Fonction essentielle mais qui peut aller jusqu'à la barbarie pour faire comme les autres (ce que Sartre appelait le salaud qui s'identifie à son rôle). Je trouve très éclairant ce qu'en dit Lacan dans un de ses premiers textes (1945) :
La vérité pour tous dépend de la rigueur de chacun, et même, la vérité, à être atteinte seulement par les uns, peut engendrer, sinon confirmer, l'erreur chez les autres. Et encore ceci que, si dans cette course à la vérité, on n'est que seul, si l'on n'est tous, à toucher au vrai, aucun n'y touche pourtant sinon par les autres. (...)
Nous montrerons pourtant quelle réponse une telle logique devrait apporter à l'inadéquation qu'on ressent d'une affirmation telle que "Je suis un homme", à quelque forme que ce soit qu'on la rapporte, en conclusion de telles prémisses que l'on voudra. ("L'homme est un animal raisonnable"..., etc.) Assurément plus près de sa valeur véritable apparaît-elle présentée en conclusion (...) à savoir comme suit :
1° Un homme sait ce qui n'est pas un homme;
2° Les hommes se reconnaissent entre eux pour être des hommes;
3° Je m'affirme être un homme, de peur d'être convaincu par les hommes de n'être pas un homme.
Mouvement qui donne la forme logique de toute assimilation "humaine", en tant précisément qu'elle se pose comme assimilatrice d'une barbarie.
Jacques Lacan, Le temps logique et l'assertion de certitude anticipée.
Il paraîtra exagéré de parler de barbarie et pourtant c'est ce mécanisme qu'on retrouve dans une grande partie du discours libéral, identique en cela au discours raciste et génocidaire qui se justifiait par la menace que faisait porter une autre race (Juifs ou Tutsis) si on n'était pas aussi impitoyable qu'eux. Ainsi, alors qu'on est bien une des plus grandes puissances, on voudrait nous faire croire qu'on est menacé par plus pauvre que nous ! Le racisme anti-pauvre est basé lui aussi sur la peur d'être assimilé à plus pauvre que soi, à une sous humanité méprisable (des assistés, incapables de se prendre en main, des profiteurs, des inutiles, des faibles, des risquophobes!). Heureusement, le mécanisme d'identification du conformiste ne va pas toujours à ces extrémités mais c'est sa pente, il faut le savoir.
A cette face cynique de la pensée positive et justificatrice, à l'autorité de la reconnaissance sociale, du sens commun, des préjugés de son milieu et de l'idéologie dominante, il faut opposer la résistance du sujet et la constitution d'un mouvement collectif sur la reconnaissance individuelle (comme dans l'amour) et la libération de la parole. Certes le mouvement collectif produit inévitablement en son sein des mécanismes d'identification et d'exclusion, un discours du pouvoir si l'on veut, sauf que sa logique est celle d'une opposition au discours dominant à partir de l'expérience subjective, de l'expression du négatif et d'un discours révolutionnaire où le témoignage de souffrances individuelles révèle leur caractère social et débouche sur la revendication d'une transformation de l'organisation collective. Le risque ici est plutôt celui du bouc émissaire, du déchaînement de la violence et de la démagogie mais ce qui distingue le mouvement social du pouvoir politique c'est de partir du bas et de favoriser l'expression publique, c'est son caractère de mise en commun et de solidarité active. D'un côté, celui des institutions européennes comme de tous les pouvoirs, on voudrait nous faire taire au nom d'un avenir radieux et d'une Europe constituée, on est dans le dogme et la propagande ou la "communication d'entreprise". De l'autre côté, celui des peuples, il s'agit de libérer la parole et de construire un nouveau consensus, une nouvelle constitution à partir des citoyens eux-mêmes, de leurs expériences et de leurs aspirations.
Bien sûr, ce n'est pas si simple, on ne peut avoir l'un sans l'autre. Ce n'est pas parce que le mouvement social et les institutions s'opposent comme l'amour au mariage qu'on pourrait rester éternellement dans l'opposition, le contre-pouvoir, la dénonciation, l'utopie. Aucune organisation ne peut supporter une révolution permanente. Notre remise en cause de l'ordre établi doit aboutir à de nouvelles institutions, une nouvelle constitution plus juste et fondée sur le citoyen, non sur le système (marchand). Nous devrons assumer notre part de pouvoir, dont nous ne pouvons renvoyer la responsabilité sur les autres mais en restant critiques, sous le contrôle de la population, à son écoute, pas au-dessus.
Il ne doit y avoir aucun doute sur le fait que nous voulons une constitution, nous voudrions pouvoir la voter, nous voudrions que ce soit une vraie constitution qui nous constitue en peuple européen, pas une règlement intérieur des institutions européennes. Pour cela nous devons tenir sur nos convictions et nous remobiliser, ne pas croire la partie perdue mais y voir au contraire l'occasion d'un véritable débat européen et peut-être même, pourquoi pas, les prémices d'une révolution démocratique de nos institutions. En tout cas, on ne sortira pas de l'idéologie du marché sans une mobilisation citoyenne à l'échelle de toute l'Europe, ce que devrait permettre la remise sur le chantier de la constitution après le rejet massif de son orientation trop libérale, confirmation de la dynamique constituante du NON.
Ces réflexions sur les rapports entre individus et collectifs peuvent paraître intempestives mais il fallait bien tenter une analyse de l'autisme de nos "élites", qui ne s'est pas démenti depuis, et surtout du conflit des légitimités, ressentis par tous, entre une nécessaire construction européenne au regard de l'histoire et une tout aussi nécessaire prise en compte des populations refusant d'être sacrifiées au nom d'intérêts supérieurs. Il y a bien deux faces au collectif : une face externe qui est celle de la compétition avec les autres, voire la guerre qui soude les populations dans la propagande la plus grossière. On peut y voir avec quelques raisons une cause déterminante en dernière instance, des contraintes objectives qu'il faut bien prendre en compte et qui nous tiennent ensemble, mais cela ne suffit pas à faire constitution. La constitution se situe sur la face interne d'une collectivité, celle de l'organisation de la cohésion sociale et d'une solidarité européenne qui doit mettre le bien-être des citoyens au-dessus de la compétition marchande, le développement humain au-dessus du développement économique et l'écologie au-dessus de l'économie.
La première condition serait de prendre en compte la dimension symbolique (ce que Castoriadis appelait l'institution imaginaire de la société) et ne pas confondre des traités de non-concurrence déloyale entre Etats européens avec les principes de notre vivre ensemble, ni confondre le réalisme avec le court terme, et ce monde marchand sans avenir avec l'avenir du monde.
Une "constitution européenne amputée de la partie III ou même comme certains le proposent de la partie II et de la partie III, n'est pas moins dangereuse. La partie I contient tout ce qui est nécessaire pour
1. péréniser la primauté du libéralisme économique;
2. garantir une extension continue à tous les secteurs de la vie politique, sociale et culturelle le principe unique de la "liberté" des marchandises et des capitaux;
3. détruire les services collectifs non capitalistes;
4. le tout SANS contrôle démocratique aucun.
cf. tout le débat sur la partie I malheureusement souvent occulté par le débat sur la partie III (voir J-Cottin, Non à la constitution européenne sur le site Le Grand Soir)
Je suis bien d'accord. Je dis simplement que c'est déjà un (tout petit) progrès qu'il n'y ait plus la partie III et qu'il y ait un référendum européen mais je me bats pour une toute autre constitution qui ne soit pas fondée sur le principe dela "concurrence libre et non faussée" mais sur une toute autre logique de solidarité sociale. Il n'y a aucune ambigüité sur ce point.
Simplement j'avais commis avant le référendum un texte appelé "déclenchement du plan B" où j'argumentais qu'en votant NON on aurait de toutes façons mieux que le traité constitutionnel qu'on voulait nous obliger à ratifier. Les partisans du OUI se moquaient facilement de cette illusion qu'il y aurait eu un plan B, comme si cela devait être un plan déjà prêt dans les tiroirs et prévu par la technocratie. Mais, non, la technocratie ne pouvait pas imaginer que la démocratie intervienne dans ses petits marchandages, elle n'avait pas prévu de tenir compte d'une expression des citoyens ! Cela n'empêche pas que la logique de ce plan B s'imposait et que son contenu dépendrait du rapport de force.
Se dire que de toutes façons c'est déjà mieux, et qu'on a donc bien eu raison me semble un encouragement à continuer à se battre car, effectivement, ce n'est pas encore gagné (mais ce n'est pas encore perdu non plus). La campagne pour un NON de gauche me semble avoir au moins clarifié les enjeux de l'opposition au libéralisme et de la reconstitution d'une solidarité des populations européennes qui ne sacrifie pas le local au global.
"La campagne pour un NON de gauche me semble avoir au moins clarifié les enjeux de l'opposition au libéralisme et de la reconstitution d'une solidarité des populations européennes qui ne sacrifie pas le local au global."
Je dirais "commencé à clarifier".
Il n'y a pas de combat perdu, la lutte pour l'égalité est continue avec ses hauts et ses bas. Abattre cette constitution et détricoter l'Union européenne (peut-être même pour mieux la retricoter, qui sait) ce sont les objectifs actuels de cette lutte.
Sur le revenu incoditionnel, je suis sceptique. Une sérieuse diminution du temps de travail, une augmentation des salaires et des droits associés (chômage, RMI, handicap, maladie, pension de retraite) me paraît une voie plus praticable ne nécessiatnt pas une "révolution" apparente mais poursuivant la vraie révolution que fut la création de la sécurité sociale.
Bon vent...
C'est tout le drame, à ne pas vouloir faire une révolution des rapports sociaux pour les adapter aux nouvelles forces productives (il ne s'agit pas de "prendre le pouvoir" ou de le renverser) c'est foutu d'avance. A vouloir revenir en arrière pour ne rien changer et ne rien perdre, on perd tout, grignoté petit à petit par les nouvelles exigences productives. Le problème se situe dans notre camp, c'est notre erreur de stratégie qui cause notre perte et non la puissance supposée de nos adversaires. Surmonter nos divisions semble encore impossible, changer nos représentations sociales d'un monde qui a tant changé !
Oh combien il a raison le grand rassembleur de l'Afrique du Sud: ce n'est pas de notre faiblesse que nous avons peur, c'est de l'incroyable force qui est au-dedans de nous!
Cf. discours d'investiture a` la Presidence d'Afrique du Sud en 1994
extraits dans sokebana.free.fr/nelson%2... ou enerbio.ifrance.com/enerb...
Texte integral en anglais sur http://www.anc.org.za/ancdocs/hi...
Bonjour,
En mai 2005, un ami m’a convaincu que " voter oui " pour résumer cela revenait à etre un salaud (libéralisme = fachisme, etc...), une fois rangé à ses arguments, je lui ai alors demandé à quoi ressemblerait, une Europe ou au moins une constitution " non-libérale " ou anti-libérale, ce qui eut pour effet de clore la conversation.
Depuis je m’interroge, et je serais tres intéressé si vous avez des liens à m’indiquer.
Le model économique anti-libérale c’est quoi ?
Salutations
Alfred
Heureusement la question ne se résume pas à être anti-libéral ! C'est pourtant bien le risque et qu'il ne faut pas sous-estimer. En effet les horreurs du libéralisme ont déjà conduit au fascisme et au communisme. C'est ensuite au nom des horreurs de ces totalitarismes que le néolibéralisme s'est imposé partout. Notre tâche historique est de s'opposer à ce totalitarisme du marché sans retomber pour autant dans un autre totalitarisme, ni même dans un régime autoritaire.
Il ne s'agit donc pas d'être anti-libéral, nous devons au contraire défendre nos libertés menacées par un libéralisme aveugle qui nous prive d'avenir et de toute liberté collective. Il s'agit de retrouver la dimension politique et démocratique, c'est-à-dire de réguler le marché et de l'orienter au bénéfice de tous et non pas supprimer le marché ou réduire les libertés. Le libéralisme que nous combattons est un êxtrémisme (il y a des libéraux très recommandables comme John-Stuart Mill).
La directive Bolkestein a ici une valeur exemplaire. La clause du "pays d'origine" était effectivement déloyale et menaçait un droit du travail déjà attaqué de toutes parts. C'est l'exemple d'une "libération" qui aggrave l'oppression et qui, grâce au NON, a été ramenée à des principes plus raisonnables.
Si on doit aller vers l'unification de l'Europe, cela doit être par le haut et par l'unification fiscale et sociale, pas seulement économique. Il faut donc s'opposer aux libéraux dans leur dogmatisme idéologique pour revenir à d'indispensables régulations sociales, à un libéralisme plus tempéré plutôt qu'à un anti-libéralisme comme tout programme.
Bien sûr on ne peut réduire la politique aux bons sentiments, il faut avoir un projet alternatif. Le fait même que la question se pose montre l'étendue de la domination de la "pensée unique", du dogmatisme dominant qui vaut communisme et fascisme d'antan. Avant c'était "ferme ta gueule", maintenant c'est "cause toujours" mais on n'entend toujours que le discours du pouvoir et de l'argent.
Hélas il n'y a effectivement aucun accord parmi les altermondialistes et anti-libéraux sur une alternative. Ce qui domine c'est le conservatisme, la nostalgie d'une époque révolue, la tentation du retour en arrière, la "défense des avantages acquis". C'est une impasse qui annonce nos défaites futures.
J'ai passé une bonne partie de ces 10 dernières années à tenter de rassembler des savoirs épars pour construire une alternative dans ce chemin étroit entre barbaries contraires. Je suis persuadé que cette alternative doit tenir compte de notre entrée dans l'ère de l'information, qui change tout, et qu'elle ne peut être qu'écologiste, basée sur une relocalisation de l'économie et de la démocratie avec un renforcement des protections sociales, en premier lieu un revenu garanti ainsi que l'accès aux soins, à la formation, etc. Il y a une totale solidarité entre l'ère de l'information, l'écologie et le développement humain.
Dans ce cadre une Europe écologiste serait tout simplement plus fédérale, privilégiant les échanges locaux (avec des monnaies locales en plus de l'Euro, des coopératives municipales), avec moins d'échanges lointains donc (moins de camions) mais cela ne veut pas dire dresser de nouvelles frontières, ni tout changer d'un coup. Là aussi il faut s'organiser pour que ce soit au bénéfice de tous avec le moins de contraintes possible. Les contraintes ne devant s'appliquer qu'aux marchandises et aux transactions financières, pas aux personnes.
Voilà tout ce que je peux dire ici sur un "modèle" alternatif au néolibéralisme. L'obstacle principal pour l'Europe c'est qu'elle s'est construite sur le marché et qu'elle doit passer au politique, ce qu'elle a raté avec le projet de constitution qui nous a été soumis. Ce n'est pas gagné, c'est le moins qu'on puisse dire. Il ne faudrait pas laisser les forces les plus archaïques monopoliser la victoire de NON. Du moins le message est passé qu'il faut tenir compte des peuples et ne pas mettre en oeuvre des mesures trop libérales et destructrices.
Merci pour vos explications,
En fait votre position est relativement proche de celle du traité de 2005, par rapport à ce que j'avais pu entendre ailleurs.
Si l’on retire en plus les concessions nécessaires à l’établissement d’un projet susceptible d’être ratifié démocratiquement, il me semble que l'on s’en rapproche de plus en plus, car après tout si l'on veut aboutir a une constitution (ce qui n'est pas forcément évident pour tout le monde) il faut bien accepter à un moment un consensus.
Je comprends votre point de vue consistant à dire que le non " dur " de mai 2005 permettra à terme d’obtenir une constitution plus proche de vos attente, néanmoins ce paris aura un coût et comporte des risques.
Le coût, ce sera :
-les années perdues pour l’Europe,
-la déception des militants du non qui auront crus au discours diabolisant la constitution, l’Europe, et toute forme de libéralisme.
-le fossé creusé entre pro-européen du " oui " et du " non "
Et le risque majeur est simplement que le prochain projet constitutionnel (s’il finit par arriver) ne soit pas du tout ce qui était escompté.
Salutations.
Alfred
Je ne suis certes pas un extrêmiste mais ma position n'est pas du tout proche du projet de constitution. Une constitution est indispensable car l'Europe ne peut continuer ainsi mais il faut une toute autre constitution qui ne soit pas basée sur "la concurrence libre et non faussée", ce n'est absolument pas un détail. Le NON est un NON, on peut trouver cela dur mais on ne peut répondre que OUI ou NON à un référendum ! Certes toute position historique est risquée puisque la suite n'est pas connue mais il n'y a pas de coût au rejet de la constitution, c'est l'approbation de ce totalitarisme du marché qui aurait eu un coût considérable, c'est la politique de la BCE qui a déjà un coût humain insupportable, c'est l'ouverture sans frein à la mondialisation libérale qui détruit nos sociétés.
Que veut dire le coût pour l'Europe ? Ce sont les gens qui sont en cause. Que veulent dire "les années perdues" à l'échelle de l'histoire ? Pourquoi vouloir toujours aller trop vite en laissant les peuples sur le bord de la route ? Cette idéologie "progressiste" est certes dominante mais elle est stupide et dangereuse. C'est en son nom qu'on se précipite dans des expérimentations insensées. Les sociétés sont lentes à s'adapter, il faut en tenir compte.
Enfin, je ne trouve pas que les militants du NON aient des raisons d'être déçus même si, bien sûr, il y a des nationalistes, des militants d'extrême droite ou des trotskistes qui rejettent l'Europe mais ceux qui ont fait basculer l'électorat ce sont les pro-européens anti-libéraux qui ne peuvent que se réjouir de l'évolution actuelle vers une plus grande prudence. Quant au fossé entre pro-européens du oui et du non, je considère qu'il faut l'approfondir car il faut sortir du discours du pouvoir et retrouver la dimension démocratique perdue sans laquelle l'Europe n'a pas de sens. De toutes façons le libéralisme est en perte de vitesse et si le prochain projet constitutionnel ne répond pas aux aspirations des électeurs, il sera rejeté lui aussi... Tous les arguments de la soumission sont faux. On a raison de se révolter !