2012, l’année de tous les dangers

Temps de lecture : 15 minutes

On a beau ne pas croire à toutes les prédictions farfelues sur la fin du monde et vouloir faire le malin à qui on ne la fait pas, il est quand même bien difficile de s'imaginer que le monde ne va pas s'écrouler cette année, sans attendre sans doute la date fatidique du 21/12/12 ! Certes, ce ne sera pas vraiment la fin du monde, même pas du capitalisme comme on se précipite à l'espérer, mais il est encore plus difficile de savoir comment on va pouvoir se sortir de ce bourbier, les élections ne faisant qu'ajouter à la confusion.

Pour les bons voeux, on repassera. Comme cela fait 4 ans que ça dure, on a pris l'habitude de l'extrême lenteur avec laquelle la crise s'aggrave et fait tomber les Etats un par un, on pourrait en avoir pour 10 ans peut-être mais, tout de même, cette fois on ne voit pas comment on va s'en tirer. Beaucoup dépend de l'effondrement du dollar qui devrait s'être produit depuis longtemps déjà et donc peut à nouveau être différé quelque temps alors même que la planche à billets tourne à plein régime, venant de rajouter au pot encore 1000 milliards fictifs, c'est Noël ! Il est quand même peu probable que ça tienne encore longtemps comme cela, la crise touchant maintenant au coeur, ne laissant personne à l'abri et devant se transmettre aux monnaies désormais.

Il n'est guère envisageable que la crise européenne n'entraîne le reste du monde dans sa chute mais la situation n'est pas du tout la même si l'effondrement est général mobilisant la coopération de tous les pays ou si on peut croire quelque temps circonscrire le problème à quelques pays soumis à une rigueur implacable. Tant qu'on peut accabler les Grecs de leur grècitude, les Espagnols de leurs espagnolades et les Italiens de leur esprit latin ou l'Europe de ses divisions, c'est haro sur le baudet et chacun se débrouille dans son coin sous la botte d'une finance impitoyable. La raison pour laquelle une crise attribuée aux subprimes, puis aux banques et aux marchés financiers contamine désormais les pays reste obscure, attribuée à des causes contingentes et particulières à chaque fois. Aujourd'hui, ce sont les défauts de la construction européenne qui sont mis en cause, non sans raisons mais sans voir que ce sont tous les défauts de tout le monde, connus depuis longtemps, que la crise exacerbe et rend insupportables. Ce type d'aveuglement semble caractériser au plus haut point les crises systémiques et leur déni de causes globales trop impalpables, où c'est donc l'arbre qui cache la forêt, raison pour nourrir le plus grand pessimisme sur les réactions des gouvernements comme des peuples en cette année cruciale.

A force d'attendre qu'on touche le fond, la lente dégradation du système peut rendre légitimement impatient que l'effondrement se produise enfin. Il serait même tout-à-fait souhaitable que ce soit général pour éviter la multiplication des boucs émissaires mais ce n'est pas certain dans l'immédiat et il ne faut pas trop espérer qu'il en sorte quelque chose de bon, du moins dans un premier temps. Certes le mouvement des indignés et des occupations, dans la lignée des révolutions arabes, portent bien les germes du renouveau et de la première révolution mondiale, mais ce n'est qu'un début et pour l'instant, il est plutôt confronté à son échec et son manque de perspectives. Il faut qu'il passe à un nouveau stade, ce qui risque de prendre du temps. En attendant, on risque d'assister plutôt à la montée des tensions, au réveil des nationalismes avec un discours "populiste" aussi irréfutable que trompeur et que les indignés devront surmonter pour changer le monde vraiment.

Ce n'est pas que je renie l'optimisme de la raison dont j'avais fait preuve juste avant les révolutions arabes, mais pour cette année, j'ai du mal ! Il se peut toujours que rien ne se passe, pris dans une sorte de glaciation mais on a plutôt l'impression qu'on a épuisé toutes nos cartouches et il ne faut pas oublier que, de l'autre côté on a les Islamistes, les tendances fascisantes et le Tea Party. Plusieurs croient que les Etats-Unis pourraient se retrouver au bord de la guerre civile, ce qui est très exagéré sans doute mais témoigne d'un affrontement qui se durcit. On se persuade qu'on a les ressources pour s'opposer à une nouvelle barbarie, mais ce n'est pas si sûr. On voit même des chasseurs de nazi trouver acceptable tout ce qui ne va pas jusqu'à l'horreur génocidaire, difficile à égaler on en convient ! On ne devrait pas retourner à ces extrémités, la communication généralisée devant apporter un élément modérateur dans ce qui est une véritable guerre des religions (où aucune n'est vraie). Je dois dire que ce qui m'a fait le plus peur, c'est le caractère finalement très convaincant du discours du Front National basé justement sur les fausses évidences du vécu et des causes particulières contre lesquelles il est bien difficile d'argumenter, encore plus de convaincre. On ne joue pas dans la même catégorie mais on assiste au même phénomène, aux mêmes types d'erreur de raisonnement dans les discours de l'extrême-droite et celui de nos dirigeants. Le plus désespérant, c'est qu'on ne peut dire que cela relève d'une démagogie intentionnelle, plutôt de nos limites cognitives. Il faut donc s'attendre, en l'absence de solutions effectives à ce que de fausses solutions soient plébiscitées jusqu'à ce que l'échec de l'expérience ne devienne manifeste.

Ce ne sont pas de bonnes nouvelles. J'espère bien me tromper, n'étant pas devin à faire simplement état de mes craintes. Un miracle est toujours possible, la mobilisation des Etats pour se résoudre à effacer les dettes (et remplacer le dollar par un panier de monnaies?) mais il ne faut pas être trop confiant dans nos potentialités, ne pas trop se monter la tête parce qu'un mouvement inespéré a réussi à prendre corps, ce qui n'est déjà pas si mal. Pour l'instant on reste dans les menaces sans traduction tangible, une sorte de drôle de guerre qui se prolonge mais chacun sait que la situation n'arrête pas de s'aggraver malgré tous les sommets, les changements de gouvernement et toutes les déclarations volontaristes adressées aux marchés qui savent bien que la récession qui en découle nous mène au précipice... On a vu comme, à chaque fois, on croit pouvoir réduire le problème à une mesure ponctuelle et des causes particulières (Grèce, Euro, déficits, banques, spéculation, subprimes) sans prendre en compte le retournement de cycle qui a commencé avec le décollage des pays les plus peuplés provoquant des tensions inflationnistes sur les matières premières et le pétrole, ce qui a précipité la chute de l'immobilier jusqu'au krach des dettes et le rééquilibrage géopolitique auquel nous assistons. C'est ce qui devrait nous persuader que la crise n'est en rien finie, qu'on peut même dire qu'elle n'a pas vraiment commencé encore et qu'il n'y a aucune chance qu'elle se calme bien longtemps avec des montagnes de dettes devenues irremboursables. Se focaliser sur chaque épisode et les responsabilités particulières c'est de l'ordre de la pensée magique voulant expliquer la tombée de la nuit par une transgression accidentelle ! Aucun sacrifice demandé aux peuples ne pourra éviter le krach de la dette.

Il est tout aussi certain qu'il n'y a aucune raison qu'on prête crédit à mon interprétation en terme de cycles et de système, assez peu partagée, il faut bien le dire. Pour ceux qui sont touchés par la crise, ce n'est que du baratin inaudible. On pourrait donc faire ici l'expérience à la fois de causes immédiates trompeuses et de l'impossibilité de reconnaître les causes globales effectives. Cette impuissance de la raison relativise l'action politique, du moins à certaines époques. Il est cependant intéressant de souligner à quel point c'est très général, s'appliquant à la plupart des problèmes et tout autant aux intellectuels qui s'imaginent qu'il suffirait de nationaliser les banques ou de créer une monnaie mondiale, que la crise pourrait être localisée dans le système financier ou la monnaie sous prétexte que ce sont effectivement des domaines à réformer. C'est le même réductionnisme qu'on trouve dans les discours politiques sur toutes sortes de sujets, véritable réduction à l'absurde.

Ainsi, alors même que l'augmentation du chômage est aux yeux de tous une conséquence de la crise, on va lui chercher des causes imaginaires que ce soit la technologie, l'immigration ou même la paresse supposée des chômeurs. Plus la charge d'un chômage subi devient lourde et plus on culpabilise ses victimes, plus c'est un chômage de masse, plus on croit s'en tirer en faisant la chasse aux fraudeurs. Le pire, c'est qu'à chaque fois, on trouvera des preuves évidentes de ces causes imaginaires ! Qui ne connaît dans son entourage un chômeur paresseux, ou considéré comme tel ? C'est d'ailleurs la réputation qu'on me fait alors que ce sont des années de surmenage qui m'ont rendu malade ! Que le progrès technique crée du chômage, c'est une vieille histoire, aussi vieille que les machines et malgré les périodes de plein emploi qui ont suivi ! Quoi de plus évident pour celui qui perd son emploi à cause d'une nouvelle machine qu'il doit son sort au progrès technique ? C'est incontestable mais tout autant que cela ne diminue pas le nombre d'emplois total qui dépend presque entièrement de questions monétaires comme on l'expérimente en direct. Quoi de plus évident enfin que le slogan nazi qui fait de l'immigration la cause du chômage. Comment prétendre le contraire ? Si on boutait tous les étrangers hors de France et qu'on les remettait sur des bateaux, cela ne ferait-il pas autant d'emplois pour les vrais français ? Pour la plupart, il ne s'agit que de renouer avec le bon sens que les élites nous cachent. Le résultat risque pourtant d'être nettement moins brillant !

L'autre illusion, qu'on croit plus civilisée, c'est le recours au protectionnisme qui ne peut pourtant aller aussi loin qu'on le prétend et résorber le chômage. On sait que je défends plutôt le localisme mais il faut très certainement plus de protectionnisme pour réduire la concurrence déloyale avec des systèmes sociaux qui ne sont pas assez protecteurs. Seulement, l'imbrication des économies, le fait que nous exportons, empêche que ce protectionnisme soit une fermeture du marché intérieur et donc que son impact soit à la hauteur du chômage, qui, encore une fois a des raisons plus conjoncturelles. Le résultat pourrait être l'inverse de celui attendu, aussi bien pour l'emploi que le pouvoir d'achat. Quoi de plus convaincant pourtant que le protectionnisme ? Et d'acheter français ? Quelle tromperie pourtant, dans les faits.

Une façon de faire financer notre protection par les importations aussi, c'est la TVA sociale qui est pourtant combattue farouchement par la gauche au nom du fait que la TVA serait l'impôt le plus injuste. Tout le monde en conviendra, sauf que c'est faux. Le plus injuste, ce sont les cotisations sociales qui ne sont pas progressives mais au contraire plafonnées !! On se retrouve à défendre l'inverse de ce qu'on veut en s'obnubilant du fait que l'augmentation des prix toucherait plus sévèrement les plus pauvres, ce qui là aussi n'a rien d'aussi évident, les plus pauvres touchant des allocations indexées sur l'inflation et les salaires nets pouvant augmenter avec la baisse des cotisations. C'est d'ailleurs la plus grosse des arnaques, le soi-disant souci des pauvres de banquiers comme Trichet alors que la lutte contre l'inflation protège en premier les rentiers et les plus riches. Le travail se trouve d'une façon ou d'une autre indexé sur l'inflation alors que l'inflation réduit les dettes, ce que Keynes appelait l'euthanasie des rentiers et qui est devenu indispensable dans notre situation. On pourrait trouver des représentants de la gauche la plus extrême qui se joignent sans vergogne aux banquiers pour soutenir une lutte contre l'inflation qu'on paye au prix fort, tout cela au nom de réalités immédiates ne prenant pas en compte la dynamique temporelle.

Un autre miroir aux alouettes, c'est la ré-industrialisation où les politiques rivalisent de déclarations fracassantes pour un résultat qui ne peut aller bien loin et qui fait plutôt penser au bon Dr Quesnay ne voyant de richesse que dans la terre, et dans l'industrie qu'une activité parasite, tout comme on considère aujourd'hui avec mépris le travail immatériel dans les services, le social ou le numérique. Là encore, il ne s'agit pas de dire qu'il ne faudrait pas relocaliser des industries pour les rapprocher de leur marché mais seulement qu'il ne faut pas en attendre la résolution de la crise ni la reconstitution de tous les emplois perdus par l'automatisation. L'industrie restera aussi importante que l'agriculture mais ses effectifs devraient se réduire de la même façon. Il ne manque pas pourtant d'économistes donnant l'exemple de l'Allemagne comme si elle n'était pas elle-même menacée par la crise ni endettée bien au-delà du raisonnable, ni gangrénée par la précarité. C'est la même chose pour les Etats-Unis, une fois qu'ils seront au coeur de la tempête, les discours changeront du tout au tout, car eux aussi leurs faiblesses sont criantes ! Il n'empêche, la ré-industrialisation ça fait rêver à ce qu'il paraît. Pas vous ? En tout cas, les syndicats et les salariés les plus combatifs sont dans l'industrie déclinante (automobile), ce qui n'est pas du tout de bon augure.

Il y a toutes sortes d'autres fausses évidences qui devraient se disputer les suffrages des électeurs et nous conduire au pire sans doute, du moins à bien des désillusions. J'espère avoir tort, c'est en tout cas un test grandeur nature de nos limites cognitives. On ne peut dire qu'on n'a pas les moyens de s'en sortir, en particulier par la mise en réseau qui devrait accélérer le rétablissement final mais l'année me semble vraiment mal engagée, les marchés désorientés, les incertitudes au plus haut, les forces sociales au plus bas alors que le discours nationaliste semble irréfutable et devrait séduire les électeurs par une sorte de tautologie de la démocratie dans l'Etat-Nation. La seule bonne nouvelle, c'est que cela devrait s'arranger ensuite, mais quand ? Là est la question !

1 730 vues

Les commentaires sont fermés.