Le mystère de la conscience expliqué

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Selon Todd E. Feinberg et Jon M. Mallatt, si notre conscience nous est mystérieuse, c'est parce que nous ne percevons pas notre système de perception et nos neurones. Notre opacité à nous-mêmes est donc constitutive.

On savait déjà que la perception s'oublie derrière le perçu car ce qui nous intéresse, c'est la chose par rapport à laquelle nous devons réagir et notre mouvement dans l'espace. Comme le disait Sartre, toute conscience est conscience de quelque chose, qui n'est pas elle et dans laquelle elle s'absorbe entièrement. Ainsi lorsqu'on met des lunettes qui inversent la vision avec le haut en bas, au bout de quelque temps on revoit à l'endroit, comme si de rien n'était. Or, le fait que les processus neuronaux disparaissent dans le résultat suffit à nous rendre la conscience mystérieuse, ce qu'ils appellent "l'auto-irréductibilité", barrière épistémologique à notre propre subjectivité (et qui fait d'ailleurs tout l’intérêt des drogues psychédéliques et autres "modificateurs de conscience").

Notre non transparence à soi est donc fondée sur le fonctionnement cérébral mais on peut penser que le deep learning le démontre tout autant, ces intelligences artificielles étant incapables de rendre compte de leurs décisions (ce qui pose problème et qu'on essaie de dépasser sans y arriver encore). Par contre, il ne devrait pas être difficile de doter un robot d'une conscience au sens où ils la définissent par la position dans l'espace et l'apprentissage du bien (plaisir) et du mal (peine) - conscience de soi animale que nous recouvrons cependant d'un récit de soi avec lequel il ne faut pas la confondre.

But there is nothing mysterious about auto-irreducibility. This gap exists because, as pointed out by Globus, the brain does not encode or represent “in any way its own structure. (The nervous system has no sensory apparatus directed to its own structure).” Therefore, auto-irreducibility has a clear physical explanation: the neural connections are simply not there. But unlike the first gap, this is an epistemic gap, about knowledge, because we do not have knowledge of the physical neurons that are creating our experience.

Pour Todd E. Feinberg et Jon M. Mallatt, l'existence d'une conscience, qui comporte forcément une certaine conscience de soi, de sa position dans l'espace comme de son état émotionnel, ne nécessiterait effectivement que ces deux composants : une cartographie de l'espace et la mémoire des affects (apprentissage).

We first assumed that any animal that uses complex senses to create a mapping of the body and the world has the capacity to create mental images [...] Second, we posited that an animal that shows complex operant conditioning (learning from experience based on rewards and punishments) possesses positive and negative feelings or affects.

Il semble que ce soit la prédation qui ait rendu nécessaire la conscience animale au Cambrien dans l'évolution accélérée produite par la course entre prédateur et proie. On aurait donc bien ainsi une fondation scientifique des conditions d'une conscience subjective minimale, mais, bien sûr, cela ne suffit pas pour autant à rendre compte de la conscience humaine, ce qui rend la démonstration trompeuse.

Il faudrait rajouter en effet toute la dimension sociale et historique de la conscience de soi avec l'importance du langage narratif dont les mots nous détachent de l'émotion (permettant d'en prendre conscience) et qui nous apprend à dire je, notre propre conscience étant surtout une conscience morale et un récit de soi qui nous distinguent de nos plus proches cousins comme des premiers Homos, la conscience de notre existence entre notre passé et notre avenir (mort) introduisant une continuité individuelle, une identité personnelle. Il faudrait introduire aussi le détachement progressif de l'individu de sa communauté et la production sociale de son autonomie (les supports sociaux de l'individu), ce qui modifie historiquement la définition du soi et donc notre conscience de soi, jusqu'aux problèmes d'identité.

L'anthropomorphisme est à éviter ici, projetant notre propre conscience sur les animaux même si nous restons assez proches d'eux pour les comprendre (par la "théorie de l'esprit" que nous partageons avec les animaux évolués, notamment prédateurs). S'il est intéressant d'expliquer pourquoi toute conscience est un mystère pour elle-même, il faudrait donc au minimum souligner à quel point notre conscience est d'un tout autre ordre que celle des insectes, même si on partage les mêmes bases neuronales de la subjectivité (ce pourquoi les plantes hallucinogènes qui se protègent ainsi des insectes ont des effets psychédéliques chez l'homme).

In our analysis we found that the only animals that passed both tests were the vertebrates (including fish), arthropods (insects, crabs, etc.) and cephalopods (e.g., octopus, squids).

By scrutinizing the fossil record, we can trace the evolution of consciousness and brains in an unbroken chain from blind and brainless worms to the first arthropods and vertebrate fish in the ancient seas, from about 540 to 520 million years ago. This was during the Cambrian explosion, when the first animal-on-animal predation led to rapid evolution.

Voir le plus tardif (2023) : Conscience animale, humaine et artificielle

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