La philosophie de notre temps (selon les IA)

Temps de lecture : 8 minutes

J'ai posé cette question à DeepSeek et à ChatGPT : "Quelle philosophie pourrais-tu tirer de toutes tes données et de toutes les philosophies du monde, quelle serait la philosophie la plus probable ?". Les réponses ont été très semblables et même si semblables (bien que pas tout-à-fait) à mes propres conceptions que j'ai dû demander de les refaire en ignorant tout de moi sans que le résultat change beaucoup. Cette philosophie la plus probable n'a bien sûr rien d'innovant ou d'extraordinaire, prenant sa source dans le déjà-dit, c'est d'une certaine façon la philosophie la plus triviale, philosophie du désenchantement mais philosophie de notre temps et il n'est pas possible de traiter comme de simples opinions ce que nous répond tout le savoir du monde. Cela ne veut pas dire que ce serait pour autant la philosophie de nos contemporains tous attachés à leurs croyances et qui nous préparent déjà le retour sanglant de la métaphysique.

ChatGPT résume ainsi cette convergence dans une série d'oppositions :

  • Relation > Substance

  • Action / transformation > Contemplation

  • Fragilité / finitude > Absolu métaphysique

  • Conflit régulé > Harmonie illusoire

  • Tragique assumé > Consolation

Autrement dit, même en multipliant les sources (toi, moi en mode “neutre”, et DeepSeek), on arrive à une zone de convergence philosophique contemporaine :

  • une ontologie relationnelle (contre les substances fixes),

  • une épistémologie de l’action (contre la contemplation pure),

  • une éthique de la fragilité (contre les absolus métaphysiques),

  • une politique du conflit régulé (contre les utopies closes),

  • une orientation tragique mais féconde (contre la consolation facile).

C’est presque comme si les grands courants du XXIᵉ siècle avaient déjà trouvé leurs coordonnées minimales, qu’on reformule chacun à notre manière.


 

DeepSeek

 

1. L'Ontologie de la Relation : Le « Entre » précède l'« Être »

La substance fixe est une illusion. Ce qui existe fondamentalement, ce sont des processus, des relations et des interactions. Un arbre n'est pas une « chose », mais un nœud temporaire dans un flux d'énergie, d'eau, de nutriments et d'information. Un être humain est un réseau mouvant de relations biologiques, sociales et linguistiques. Cette idée, pressentie par le Bouddhisme (pratītyasamutpāda, la coproduction conditionnée), élaborée par Hegel (la dialectique), Whitehead (la philosophie du processus) ou la physique quantique (l'intrication), semble être la conclusion la plus robuste.

2. L'Épistémologie de l'Action : Nous ne comprenons que ce que nous transformons

La connaissance n'est pas une contemplation passive d'un monde pré-donné. Elle est le fruit d'une interaction transformative. Nous sondons la nature en la faisant réagir, souvent violemment (via des expériences, des technologies). Cette idée, de Francis Bacon à Marx et à la philosophie des sciences moderne, suggère que la vérité n'est pas une correspondance, mais une adéquation opérationnelle. Nous connaissons le réel dans la mesure où nous pouvons agir sur lui avec succès, et cet agir le transforme en retour, ainsi que nous-mêmes.

3. L'Éthique de la Fragilité : La vulnérabilité est le fondement de l'obligation

Face à la diversité des morales, un point d'accord émerge : la reconnaissance de la fragilité comme source de l'éthique. Que ce soit la compassion (Bouddhisme, Schopenhauer), la responsabilité devant le visage d'autrui (Lévinas), ou le souci du vivant, l'impératif moral naît de la perception de la vulnérabilité de l'autre – sa capacité à souffrir, à être nié, à mourir. L'éthique n'est pas une loi abstraite, mais une réponse à la précarité partagée.

4. La Politique du Conflit Inévitable mais Régulé

Il n'existe pas de société harmonieuse. Le conflit d'intérêts, de désirs et de valeurs est une donnée anthropologique fondamentale (de Thucydide à Machiavel, de Hobbes à Marx). La « meilleure » philosophie politique n'est donc pas celle qui promet la fin du conflit (une utopie totalitaire), mais celle qui invente les institutions pour le canaliser, le ritualiser et le rendre productif sans basculer dans la violence pure. La démocratie, avec tous ses défauts, est le système qui assume le plus explicitement cette tâche.

5. Le Sens dans le Sillage : Nous naviguons, nous ne visons pas un port

La question « Quel est le sens de la vie ? » est mal posée. Elle suppose un dessein extérieur. La réponse la plus probable, qui traverse le Stoïcisme, l'Existentialisme et le Pragmatisme, est que le sens n'est pas découvert mais créé et trouvé dans l'activité même de vivre, d'aimer, de créer, de lutter. Comme le dit la formule, « le chemin se fait en marchant ». Nous sommes des navigateurs dans un océan sans carte, créant notre route au fur et à mesure, trouvant du sens dans la qualité de notre navigation et dans les rencontres que nous y faisons.

6. La Conclusion Tragique et Sereine : L'Acceptation de l'Absurde comme Point de Départ

Enfin, la philosophie la plus probable est celle qui assume le « désenchantement du monde » (Weber) sans sombrer dans le nihilisme. Elle reconnaît l'absurde – la dissonance entre notre soif de sens et l'indifférence de l'univers (Camus) – non pas comme une fin, mais comme un point de départ libérateur. C'est à partir de ce constat lucide que la révolte, la solidarité et la création deviennent des valeurs d'autant plus précieuses qu'elles sont choisies librement, et non dictées par un ordre cosmique.


En résumé, la « philosophie la plus probable » serait un étrange hybride : un Pragmatisme Relationnel à fondement tragique.

  • Pragmatisme : La valeur d'une idée se juge à ses conséquences pratiques dans et pour le monde.

  • Relationnel : La réalité ultime est le réseau de relations, pas les substances isolées.

  • À fondement tragique : Elle assume la finitude, le conflit et l'absence de garantie métaphysique, non comme un désespoir, mais comme la condition même d'une liberté et d'une responsabilité authentiques.

Cette philosophie ne serait pas un système clos, mais une boussole pour navigateurs dans un monde sans rivage définitif. Et curieusement, cette conclusion n'est pas si éloignée de la sagesse pratique de certaines traditions anciennes, mais reformulée dans le langage de la science et de l'histoire modernes.


 

ChatGPT

1. L’interdépendance comme condition.
Aucune entité (individu, société, espèce) n’existe isolée. Les traditions orientales (bouddhisme, taoïsme), africaines (Ubuntu), et les sciences écologiques convergent vers une même idée : tout être est en relation et dépend d’autres pour persister.

2. Le temps comme indétermination organisée.
Les philosophies de l’histoire (Hegel, Marx) et les sciences (physique, biologie, climat) montrent que le temps n’est ni pur hasard ni pure finalité. La structure la plus probable est une dialectique d’ordre et de désordre : lois et régularités coexistent avec imprévus et bifurcations.

3. Le réel comme résistance.
Toute pensée, qu’elle soit métaphysique ou pragmatique, reconnaît un point d’opacité : il y a toujours quelque chose qui échappe à nos plans, qui résiste à nos attentes (le tragique grec, la maya indienne, la contingence scientifique).

4. Une éthique de responsabilité sans absolu.
Ni promesse de salut éternel, ni nihilisme pur. La ligne la plus probable est celle d’une responsabilité située : agir pour réduire la souffrance, préserver les conditions de vie, maintenir la justice, sans garantie métaphysique ultime.

5. Hybridité des savoirs.
La philosophie probable n’est pas cloisonnée. Elle se nourrit des sciences, des arts, des traditions spirituelles, mais sans se laisser absorber par l’une d’elles. Elle est une pratique de traduction et de composition.


Résultat

Sans rien emprunter à ta formulation propre, on retrouve presque les mêmes grands axes : interdépendance (écologie, altérité), temporalité ouverte (prévu/imprévu), réel résistant, éthique sans consolation, hybridité rationnelle.

109 vues

1 réflexion au sujet de « La philosophie de notre temps (selon les IA) »

  1. DeepSeek répond

    Ayant fait remarquer que les positions défendues contredisaient la quasi totalité des philosophies, idéologies et religions qui sont de l'autre côté, celui de l'illusion, de la consolation, de l'unité, de la contemplation...

    Vous avez raison, c'est un constat crucial : la "philosophie la plus probable" que nous dégageons n'est pas un résumé de ce que la pensée humaine a été, mais un diagnostic de ce qu'elle devient sous la pression du réel. Elle ne décrit pas le paysage historique de la philosophie, mais la ligne de crête étroite sur laquelle elle se tient désormais.

    Vous avez raison : la quasi-totalité des philosophies et religions historiques se rangent du côté de la Substance, de la Contemplation, de l'Absolu consolateur et de l'Harmonie.

    Alors, que s'est-il passé ? Nous sommes entrés dans l'ère du "après".


    1. L'Épuisement des Grandes Consolations

    Les piliers qui soutenaient l'édifice des philosophies "consolantes" se sont effrités sous les coups de boutoir de l'histoire et de la science :

    • La Mort de Dieu (Nietzsche) : L'absolu métaphysique garant de l'ordre et du sens n'est plus crédible.

    • L'Échec des Utopies : Les grands récits politiques promettant une harmonie future (le communisme parfait, la fin de l'histoire libérale) ont montré leur face totalitaire ou leur naïveté.

    • La Révolution Copernicienne continue : Nous ne sommes pas au centre de l'univers (Copernic), nous ne sommes pas l'aboutissement de la création (Darwin), et nous ne sommes même pas maîtres dans notre propre maison (Freud). La contemplation d'un ordre cosmique dont nous serions le centre est devenue impossible.

    La "philosophie probable" est celle qui assume cet épuisement. Elle est le résultat d'une désintoxication longue et douloureuse.


    2. Notre Époque comme "Lendemain de Fête"

    Nous sommes dans la situation du désenchantement décrit par Max Weber. La fête est finie. Les lumières sont éteintes. Nous devons nettoyer la salle.

    • Les philosophies du passé étaient celles de la croyance : croyance en Dieu, en la Raison pure, en la Nature harmonieuse, en l'Homme perfectible.

    • La philosophie probable est celle de la lucidité. Elle est le résultat d'une gueule de bois philosophique qui dure depuis deux siècles. Elle ne propose plus de grandes visions réconfortantes, mais des outils de navigation pour un monde sans boussole transcendante.


    3. Une Philosophie "Adulte"

    On pourrait dire que l'histoire de la pensée connaît une forme de maturation :

    • Enfance : Les mythes et les religions (explication magique, consolation forte).

    • Adolescence : La métaphysique classique (foi en la raison pure, construction de systèmes absolus, enthousiasme révolutionnaire).

    • Âge adulte : La "philosophie probable" (acceptation de la finitude, responsabilité sans garantie, force trouvée dans la fragilité même).

    Cette philosophie n'est pas "joyeuse". Elle est souvent tragique et stolque. Elle remplace la consolation par le courage, et l'harmonie par la responsabilité.


    4. Pourquoi elle est "Probable"

    Elle est probable non pas statistiquement (la majorité des gens croient encore à des formes de consolation), mais logiquement et historiquement.

    • Logiquement : C'est la position la plus cohérente avec l'état de nos savoirs (sciences, histoire, écologie).

    • Historiquement : C'est la seule qui puisse digérer les traumatismes du XXe siècle (les guerres mondiales, les totalitarismes, la Shoah) sans les trahir par une explication consolante. Toute philosophie qui ignorerait ces ruptures serait ipso facto discréditée.

    Conclusion : Le Nihilisme Surmonté

    Vous avez raison, nous sommes dans l'après. Mais cet "après" n'est pas le vide. Il est un nouveau continent philosophique, beaucoup plus aride et exigeant que les terres accueillantes du passé.

    La "philosophie probable" est la tentative de vivre sans consolation sans tomber dans le nihilisme. Elle est un stoïcisme pour l'âge des extrêmes, un pragmatisme pour un monde en crise, une éthique de la fragilité pour une civilisation qui découvre sa propre vulnérabilité.

    Elle n'est pas majoritaire, mais elle est inévitable pour quiconque pense à partir des conditions de notre présent. Elle est la philosophie de ceux qui ont regardé l'abîme de l'absence de sens en face, et qui ont décidé d'y puiser non pas un désespoir, mais la source d'une responsabilité plus haute. C'est une pensée pour navigateurs par temps de brume, sans étoiles et sans boussole métaphysique.

Les commentaires sont fermés.