La plus grande menace sur la vie a l’odeur d’oeufs pourris

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  Ça sent très mauvais !
Lorsque j'étudiais, en 2006 déjà, les risques climatiques majeurs, il y avait deux de ces risques qui semblaient très sous-estimés, la bombe méthane en premier lieu et à plus long terme les émanations mortelles d'hydrogène sulfuré (ou sulfure d'hydrogène, H2S) mais les études qui ont suivi sur les dégagements de méthane étaient pour la plupart rassurantes, restant ainsi dans un scénario plus graduel de réchauffement.

Ce n'est plus le cas désormais, les changements du régime des vents accélérant de façon inquiétante la fonte du pôle Nord, ce qui fait donc craindre des libérations massives de méthane venant du permafrost comme des hydrates de méthane marins. Le catastrophisme scientifique est monté d'un cran.

Bien sûr tout est une question d'échelle de temps mais, du coup, je m'étonne qu'on ne parle pas plus de ce qui représente le véritable risque d'extinction à plus long terme d'une acidification de l'océan menant à des zones mortes sans assez d'oxygène puis au dégagement de ce gaz toxique, l'hydrogène sulfuré, qui répand une odeur d'oeufs pourris sur toute la terre en exterminant plantes et animaux sur son passage.

Les projections climatiques ne relèvent pas d'opinions personnelles comme se l'imaginent les climato-sceptiques se croyant très malins à contester les travaux scientifiques mais on peut dire la même chose des catastrophistes nous prédisant la fin du monde. Je pourrais certes prétendre que j'avais raison à l'époque de craindre la bombe méthane qui était alors minimisée, mais cela montre seulement qu'il y avait des scientifiques s'en inquiétant, inquiétude dont je me faisais l'écho, n'ayant absolument pas les moyens de trancher par rapport aux spécialistes et données chiffrées. Je me suis résolu depuis à m'aligner sur les conclusions du GIEC qui étaient les plus assurées malgré tout, et surtout pouvaient avoir un impact réel sur les accords internationaux et les mesures prises, ce qui est l'essentiel. Comme en toute science, il faut apprendre à laisser tomber ses convictions intimes devant le résultat des expériences, ne pas faire croire que ce serait une question d'opinion. Ce qui était justifié, en tout cas, devant l'incertitude des scientifiques et le tragique des conséquences possibles, c'était d'insister pour multiplier les études sur le risque d'emballement des émissions de méthane, seule bonne méthode. Je trouve, de même, qu'il serait urgent aujourd'hui d'avoir plus d'études et d'informations sur le risque d'empoisonnement de l'atmosphère - qui est sans doute trop lointain ou exagéré mais qu'il faudrait mieux connaître au moins puisque c'est le risque majeur sur tout le vivant (qui dépend de l'oxygène).

Il faut savoir, en effet, que l'hydrogène sulfuré a dominé les débuts de la vie, avant la grande oxygénation, gardant d'ailleurs un rôle à petites doses dans nos cellules, notamment, aux dernières nouvelles, pour la régénération de nos mitochondries et même pour combattre le vieillissement, alors qu'il est fatal à plus haute dose car c'est un anti-oxydant si efficace qu'il finit par empêcher les cellules de respirer. Dégagé, entre autres, par les algues vertes en Bretagne ou les sargasses aux Antilles, ce gaz toxique à causé récemment la mort d'hommes et d'animaux mais il a surtout été responsable de plusieurs extinctions de masse, en particulier celle, majeure, du Permien mais aussi celle, plus limitée et récente, provoquée par la crise climatique du maximum thermique paléocène-éocène (PETM), il y a 54 millions d'années, la température ayant augmenté de 5°C à cause du CO2 volcanique, ce qui n'est pas si éloigné de notre propre situation.

Cela n'a rien d'une nouveauté (et a pu être réfuté par d'autres études que j'ignore?) mais n'est pas assez connu, voici donc ce qu'en disait Pour la Science en 2006 :

La Terre aurait subi un effet de serre mortel à plusieurs reprises. cette nouvelle théorie explique les extinctions de masse à la fin du Permien, il y a 251 millions d'années, et de la fin du Trias 50 millions d'années plus tard. Un réchauffement global intense aurait empoisonné l'océan, semant la mort dans les mers et sur les continents. Voici le scénario de cette théorie : il commence quand une activité volcanique importante libère de grands volumes de dioxyde de carbone et de méthane dans l'atmosphère. Ces gaz entraînent un réchauffement global rapide. L'océan, plus chaud, absorbe moins bien l'oxygène de l'atmosphère, qui s'infiltre en quantité réduite dans les profondeurs océaniques. Il en résulte une déstabilisation de la "chimiocline" (le seuil d'équilibre entre les eaux oxygénées de la surface et les eaux riches en sulfure d'hydrogène, ou H2S, produits par les bactéries anaérobies des profondeurs). Les bactéries anaérobies prospèrent tellement que l'eau saturée en sulfure d'hydrogène atteint brusquement la surface de l'océan. Les bactéries photosynthétiques vertes et violettes qui consomment du sulfure d'hydrogène et vivent normalement au niveau de la chimiocline occupent alors les eaux de surface privées d'oxygène et riches en sulfure d'hydrogène, tandis que les formes de vie marine respirant de l'oxygène suffoquent. Le sulfure d'hydrogène diffuse également dans l'air, tuant animaux et plantes terrestres et s'élevant dans la troposphère où il attaque la couche d'ozone protectrice. Sans ce bouclier, rayonnement ultraviolet du Soleil tue ce qui reste de la vie...

Enfin, cette hypothèse ne s'applique pas qu'à la fin du Permien. Une extinction mineure de la fin du Paléocène, il y a 54 millions d'années, avait déjà été attribuée à une période d'anoxie océanique déclenchée par un réchauffement global. Des preuves biologiques suggèrent que c'est aussi ce qui s'est passé à la fin du Trias, au milieu du Crétacé et à la fin du Dévonien : les extinctions par effet de serre massif seraient récurrentes.

Les concentrations de dioxyde de carbone atmosphérique étaient élevées lors des grandes extinctions en masse, suggérant un rôle du réchauffement global dans ses événements. Aujourd'hui, le dioxyde de carbone atteint 385 parties par million (ppm) et devrait augmenter de 2 ou 3 ppm chaque année. A ce rythme, de dioxyde de carbone atmosphérique atteindra 900 ppm à la fin du siècle prochain, une concentration proche de celle qui régnait lors de l'extinction thermique du Paléocène il y a 54 millions d'années.

Dans l'état actuel de mes connaissances, je ne pense pas que ce soit un risque imminent, en tout cas pas autant que l’effondrement de la biodiversité et le dépassement des 2°C. Même si des émanations toxiques locales peuvent déjà se produire, le risque ne devrait être vital qu'à très long terme, on aura le temps de réagir avant. Du moins il faudrait savoir à quoi peut nous mener un réchauffement hors de contrôle pour endosser plus résolument la responsabilité du climat et mettre un terme à l'illusion qu'on pourrait laisser faire. Clarifier ce risque ultime d'une atmosphère irrespirable, qui ne serait sans doute pas la fin de toute humanité pour autant mais tout de même la mort d'un nombre incalculable d'hommes et de bêtes (aux basses altitudes au moins), permettrait peut-être de mieux mesurer le sérieux de l'affaire.

Le plus désespérant, c'est de voir comme on préfère s'effrayer de fausses prédictions (fin du pétrole, fin du travail, fin de l'humanité) toutes choses hors de la réalité, au lieu de se concentrer sur les véritables risques pourtant si considérables (réchauffement, effondrement de la biodiversité, bioterrorisme).

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