Martin Buber, Ancienne et nouvelle communauté (1901)
Martin Buber n'est pas assez connu en France. J'avais lu avec intérêt son livre principal "Je et Tu" qui caractérise l'existence humaine par la rencontre de l'Autre, ce dont on peut dire que Lévinas fera une lecture extrémiste (substituant une responsabilité supposée infinie, asymétrique, à la réciprocité) mais cette constitution du moi par l'autre pourrait être rapprochée aussi de Lacan (l'inconscient comme discours de l'Autre, le désir comme désir de l'Autre).
La publication récente d'un recueil des textes de Buber sur la communauté montre comme ce décentrement du sujet le mène à identifier la vie en communauté à la vraie vie, ce qui en fera un des théoriciens des kibboutz et du sionisme au tout début du XXè siècle. On peut être consterné de voir comme ces hautes aspirations des premiers sionistes ont pu être dévoyées par ses gouvernements d'extrême-droite et par la colonisation, détruisant tout le crédit d'Israël - ce qui pourrait à terme conduire à sa disparition pure et simple (comme à la remontée de l'anti-sémitisme).
Le plus intéressant pour nous, c'est de retrouver, notamment dans la conférence de 1901 (Ancienne et nouvelle communauté) qui ouvre le volume, presque la même idéologie que celle de Mai68 et du mouvement des communautés qui a suivi, y ajoutant la liberté sexuelle (qui restait marginale malgré tout). Une des principales conséquences de Mai68 a été, en effet, cette prolifération de communautés libertaires, qu'on a apparemment oubliées, rejetées aux poubelles de l'histoire car elles n'ont pas résisté au temps, ce qui n'a pas été le cas des kibboutz dont Buber parlait en 1945 comme "Une expérience qui n'a pas rencontré l'échec" (p135). Tout de même, s'ils persistent encore, c'est sous une forme très éloignée du projet initial.
En tout cas, il formule avec limpidité la force de l'aspiration à une communauté qui a été perdue dans l'anonymat bureaucratique d'un Etat de droit. Pour Hegel, cette aliénation est la condition d'une liberté objective et de l'émergence de l'individu alors que pour Buber, comme pour nous après 68, la communauté était supposée la condition d'une véritable liberté. Même si la position de Buber nous semble difficile à comprendre, à la fois très religieux mais aussi laïc et libertaire, il faisait effectivement partie du mouvement anarchiste, au côté de Gustav Landauer, ce qui explique qu'on ait retrouvé les mêmes croyances chez les situationnistes et autres soixantehuitards. L'homme total et désaliéné s'incarnait dans la vie en communauté, délivré de toute autorité (la mode de ne pas signer ses textes, feignant de se faire l'expression du collectif, vient de là, le paradoxe étant qu'on recréait ainsi une nouvelle sorte d'anonymat!). En fait, les communautés qui ont duré le plus longtemps avaient presque toujours une figure charismatique (souvent une femme) qui maintenait un semblant d'ordre, et l'expérience s'est révélée très décevantes après les premières années enthousiastes, les rancoeurs s'accumulant avec le temps sinon l'incompatibilité des caractères, et le délitement des communautés laissant désemparés les enfants qui y avaient grandi...
Ce n'est pas, en effet, parce que "l'essence humaine se réduit à l'ensemble des rapports sociaux", comme Marx l'affirme avec raison, qu'il faudrait en déduire que ceux-ci sont harmonieux. L'expérience nous confronte plutôt en général à l'incommunicabilité entre les êtres et la difficulté de vivre ensemble, jusqu'à pouvoir penser avec Sartre que "l'enfer, c'est les autres" ! Il n'y a pas d'immédiateté ni de transparence du rapport à l'autre qui est toujours médié par le passé, la position sociale, des discours actuels, une norme commune, des institutions. On ne peut réduire les rapports humains à la réciprocité qui est, en fait, toujours différée, passant par le circuit du don et donc par la totalité sociale (une réciprocité immédiate étant même insultante, annulant le don). Cette fausse anthropologie normative joue la réciprocité contre la république, au risque de sombrer dans la violence de rivalités imaginaires. On en comprend les attraits mais on ne peut plus en ignorer les risques.
Cette communauté originelle perdue n'était ainsi qu'un fantasme, une utopie qui garde pourtant toutes ses séductions, renvoyant explicitement à l'enfance. Il y a au moins deux façons de revenir en arrière et sortir de la modernité, soit revenir au début purement relationnel de notre vie, soit revenir à la civilisation agricole. Ici, ce n'est pas tant l'utopie agraire (très répandue à l'époque) qui domine, bien que présente, mais l'utopie sociale, humaine, anti-utilitariste d'une vie qui ne vise à rien d'autre qu'à vivre, comme s'il suffisait de laisser libre cours à une créativité naturelle. Dès lors, ce qui donne sens à notre vie, et la dépasse, ce n'est plus le mouvement de l'histoire, mais notre rapport aux autres, notre présence à l'autre.
Cette apologie des liens affinitaires recèle pourtant de grands dangers d'exclusions puisqu'elle sort de l'universalité anonyme de la république, et le paradoxe est grand de voir Martin Buber prêcher un peu plus tard le communautarisme aux jeunes juifs allemands au moment de la montée du nazisme qui voudra réaliser cette communauté des Allemands sur un charnier, l'extermination de l'Autre, problème que, sans aller jusque là, rencontre aujourd'hui l'Etat juif, rappelant que la froideur du Droit, son impartialité - hors de tout lien privilégié au contraire - est un facteur de pacification et un gage de justice. La contradiction ici, c'est que le rapport authentique à l'autre comme un autre soi-même, semble impliquer l'affirmation d'une différence radicale avec les étrangers à la communauté, qui sont bien cette fois chosifiés.
On peut faire du juif Martin Buber un précurseur de l'existentialisme, et même de l'existentialisme chrétien (dont Gabriel Marcel se revendiquera) mais s'il s'inspire de Kierkegaard, il lui reprochera surtout de réduire l'existence au rapport à Dieu, au grand Autre (le Toi éternel) comme seul véritable interlocuteur, alors que, plus conformément à l'évangile, le rapport à Dieu passe pour lui par le prochain, le rapport concret aux autres (charité, générosité, don). C'est pour cela qu'il commence son maître livre par l'opposition du couple Je-Cela au couple Je-Tu et donc par la distinction du rapport à l'Être ou aux choses avec les rapports humains. Cette différence ontologique peut être opposée à celle plus tardive d'Être et temps (où Heidegger laisse effectivement bien peu de place à l'autre, tout occupé de l'histoire de l'Être et de l'angoisse de la mort) mais on a vu aussi comme le Je-Tu dans la communauté peut se transformer en Je-Cela dans les rapports extérieurs non-réciproques.
On pourrait sinon rapprocher son humanisme d'une tradition marxiste critiquant l'aliénation marchande et le fétichisme de la marchandise comme se substituant aux rapports humains. Cette interprétation inspirée du jeune Marx et des hégéliens de gauche (dont Feuerbach) a surtout été reprise ensuite en référence à la critique de la réification par Lukács dans "Histoire et conscience de classe", interprétation que Lukács rejettera cependant comme réactionnaire, renvoyant aux rapports personnels de la féodalité, alors que la réification doit se comprendre plutôt comme la disparition du processus (de production) dans son produit (marchandise), et de la négativité qui le révolutionne derrière l'ordre établi.
Quelle est la finalité de la nouvelle communauté ? Elle-même et la vie.
La nouvelle communauté a la communauté pour finalité. C'est-à-dire la réciprocité vivante entre des hommes ayant réalisé leur humanité intégrale.
Ils en viennent à s'unir et à se laisser lier les mains d'un même lien – au nom d'une plus grande liberté. Voila la communauté, voilà ce que nous voulons.
Et la nouvelle communauté a la vie pour finalité. Non pas telle ou telle vie, dominée par une limitation fondamentalement injustifiée, mais la vie.
Mais celui qui est parvenu à prendre appui sur la vie même, celui qui a appris à parler la langue de l'action, celui-là célèbre en riant sa libération des rigidités aliénantes de la pensée et – après une longue séparation – la réunion de ses forces en une unité vitale.
Pour nous autres, cependant, qui voulons créer une communauté et élever la vie vers une plus haute région, la communauté et la vie ne font qu'un. Cette communauté, telle que nous la concevons, n'est que l'expression d'une surabondante nostalgie pour la vie pleine et entière; la vie de toutes choses vient de la communauté et aspire à des communautés.
Nous tirons notre vérité et notre force non pas de l'origine, mais seulement de la destination.
A la place de la parole de foi et de la parole de science, nous mettons la parole artistique qui révèle l'être du monde dans toute son infinité – alors que les paroles de foi et de science ne sont que la transcription d'une petite partie du monde.
Elles développaient une contrainte dans la communauté; nous développons, quant à nous, la plus haute liberté dans la communauté. Nous ne voulons aucune autre certitude commune que celle qui est la plus bienheureuse de toutes : la certitude de l'oeuvre [commune].
Notre vie se consumait dans la lutte et le doute; dans les moments de calme et de solitude, tous nos efforts nous apparaissaient complètement dénués de sens et aucun pont ne nous semblait pouvoir relier notre existence au grand Tu que nous sentions s'étendre tout autour de nous jusque dans l'ombre infinie. C'est alors qu'advint cette expérience, telle une célébration de noces secrète : nous étions enfin libérés de toutes les barrières et avions trouvé le sens indicible de la vie. C'est sur la base de telles expériences vécues par quelques individus que se forme une nouvelle communauté, expérience dont elle est le fruit et la manifestation concrète. Cette expérience, beaucoup d'autres hommes l'ont vécue ; et ils furent nombreux aussi, ceux qui, dans des moments sacrés où ils ressentaient une affinité élective et une bienheureuse communion avec toutes les choses dans le temps et l'espace, se sont portés les uns vers les autres pour former une cristallisation ponctuelle, une brève fête collective. Certains, toutefois, voulaient vivre l'idéal: l'épanouissement de la plus haute singularité à partir de la plus intime communauté. Je crois pour ma part qu'ils pourront le vivre. En vivant l'idéal, ils éprouveront le sens de la vie – le libre développement et la libre création de la personnalité – et le sens de l'univers – l'unité infinie du devenir. Car "la solitude est finitude et limitation, la communauté est liberté et infinité" (Feuerbach). L'individu retrouve ainsi, sous une forme humaine et à un degré ultérieur de développement, la nature au sein de laquelle, enfant, il avait joué sans pensées, mais le cœur rempli d'une joie pure, et dont il s'était éloigné pour accéder à la conscience de lui-même; et cela de telle sorte que la nature lui permette enfin de réaliser son être le plus singulier.
Donc notre communauté ne veut pas de révolution ; Elle est la révolution. Mais elle a surmonté le vieux sens négatif de la révolution ; pour nous la révolution, ce n'est pas renverser de vieilles chose, c'est vivre de nouvelles choses. Ce n'est pas l'esprit de destruction qui nous anime, mais un enthousiasme créateur. Ce qui fait le caractère de notre révolution, c'est que, en petit groupe, dans une pure communauté, nous fassions naître une ville nouvelle. Une vie dans laquelle la force créatrice brille et vibre d'une manière si intense que la vie elle-même devienne une œuvre d'art qui, plus qu'aucune autre auparavant, rayonne par sa forme, frappe par son harmonie victorieuse, regorge d'une douce et magique puissance : un art nouveau qui engendre le tout à partir du tout et qui, chaque jour, offre des célébrations de fêtes divines. Dans cette vie nouvelle, les hommes qui étaient devenus de simples organes en raison de la spécialisation du travail dans la société actuelle, à qui on assignait une fonction étroitement délimitée dans laquelle ils devaient s'absorber tout entier pour pouvoir vivre, redeviennent des hommes qui peuvent donner libre cours à leur inspiration créatrice ; des hommes qui sont portés les uns vers les autres, non pas parce que, comme jusqu'à présent, la spécialisation les rend dépendants les uns des autres, mais pour des raisons qui tiennent à l'amour, à la nostalgie de la communauté, à une vertu prodigue. Dans cette vie nouvelle, les hommes qui, dans la société contemporaine, étaient insérés dans un monstrueux mécanisme utilitaire, de telle sorte que leur capacité de libre création s'atrophiait sous le joug de l'utilité, sont élevés à la hauteur d'un ordre des choses tout différent, dans lequel le principe créateur, libérant leurs forces jusque-là enchaînées, règne à la place du principe de l'utilité.
Chaque homme vivra simultanément en lui-même et dans les autres. Ainsi, l'humanité, après être sortie d'une communauté primitive morne et sans beauté puis être passé par l'esclavage grandissant de la "société", va aboutir à une nouvelle communauté qui ne sera plus fondée, comme la précédente, sur la parenté de sang mais sur les affinités électives; ce n'est que dans cette communauté que le vieux rêve éternellement rajeuni peut se réaliser et que l'unité vitale instinctive des hommes primordiaux, qui a été si longtemps fragmentée et dispersée, peut revenir sous des formes nouvelles, à un niveau plus élevé et dans la lumière d'une conscience créatrice.
Il manque à la plupart des beaux projets communautaires un peu plus de "technologie", de savoir faire en gestion de l'intelligence collective, ainsi que la définition de périmètres d'action raisonnables (éviter le totalitarisme, l'extrémisme).
Gerard Endenburg m'apparaît toujours comme un grand précurseur en tant que penseur et praticien de la gestion de l'intelligence collective. Il apporte de la technologie éprouvée, au moins à une époque, et sans doute à réactualiser, ne serait-ce que du fait de l'émergence des NTIC qui révolutionnent le traitement et la diffusion des informations.
L'institut des territoires coopératifs est aussi sur une longueur d'onde "technologique" pour stabiliser des pratiques coopératives.
L'alternative structurante demeure "soit le chef, soit l'intelligence collective".
Une communauté n'est pas une entreprise, elle est beaucoup plus informelle même s'il peut y avoir des rites permettant de se retrouver et de rythmer le temps. C'est beaucoup plus proche d'une famille et d'une histoire d'amour (qui finissent mal, en général). Je ne pense pas qu'il y ait une communauté idéale, il vaut mieux savoir que c'est un idéal inatteignable, un fantasme séduisant (et qui se réalise un temps comme la fusion amoureuse) mais que le vivre ensemble a besoin d'une certaine distance et d'un espace privé où se retirer, pour mieux se retrouver aux moments de fête.
Au-delà de la difficulté et des plaisirs d'une vie communautaire, ce qui me semble le plus grave (exigeant de s'en distancer), c'est de produire une pensée de groupe dogmatique (même dans la communauté scientifique).
Il m'a semblé que Buber exprimait bien ce fantasme communautaire, que j'ai partagé comme beaucoup d'autres, d'un entre-soi de reconnaissance mutuelle supposé le seul réel, faisant disparaître le réel extérieur. La critique consiste à le prendre pour tel et à en montrer les limites, pas à s'en débarrasser. C'est, en fait, assez hégélien et doit justement faire douter de la résolution finale de l'histoire annoncée par la Phénoménologie de l'Esprit en y réintroduisant le négatif, la division, la dissidence.
Oui, le temps des phalanstères est bien révolu.
Les communautés qui tiennent dans le temps ne sont ni totalitaires ni idéales, elles permettent une respiration entre une activité qui relève de la communauté et une activité qui relève du privé, et une respiration entre les préoccupation de la communauté et le fracas du monde.
Le développement d'une philosophie et mieux, d'une culture de l'information, me semble recéler quelques moyens de ne pas trop subir la pente dogmatique, elle favorise et se nourrit des objections, elle protège les objecteurs en tant que porteurs d'informations.
D'une certaine façon, on peut avoir l'impression que mon village réalise cette communauté de voisins qui se réunissent régulièrement pour diverses activités ou fêtes... auxquelles, pour ma part, je ne participe pas !
Le kibouts est colonialiste dès le début. Il s'établit en prenant une terre, utilisant une loi turque qui ne permettait pas de détruire ce qui avait été construit en une nuit. Après il fallait tenir et être armé, construire un mur de défense...
Il n'a pas été nécessaire d'attendre les gouvernements de droite !!!
Je ne crois pas qu'on ait intérêt à tout mettre sur le même plan et à toutes les époques, sous prétexte que le ver était déjà dans le fruit d'un impossible Etat juif, tout comme on peut dire que Staline était déjà dans Marx, ce serait nier l'histoire et surtout exonérer l'extrême-droite de ses outrances actuelles qui ne tiennent qu'au soutien des USA, soutien qui ne sera pas éternel. En tout cas, même si l'enfer est pavé de bonnes intentions, il faut distinguer les bonnes intentions de départ (de Buber comme des communistes) de l'enfer qui a suivi et n'est plus justifiable.
Le nazisme conserve toujours sa double acceptation;
soit un système totalitaire spécifique, soit une forme particulière du fascisme.
"...Aristote écrit: La Constitution des Athéniens, les autres lisent: la Constitution d'Athènes. Pourquoi? Parce-que pour les modernes une unité politique est une unité territoriale.
Dans Shakespeare quand Antoine s'adresse à Cléopâtre il lui dit Egypt. Le roi c'est le pays et le pays c'est le roi, les autres sont les serfs de ce roi. Les Athéniens sont des Athéniens et il n'y a pas de constitution d'Athènes; il y a Constitution des Athéniens.
...de même polis, il y a là une chose énorme... or, je possède un numéro du journal théorique SS jungen daté de juillet 1939, En Français encore ça va: on dit la cité; mais les Allemands qui ont été les grands maitres de la philologie grecque pendant 150 ans. Comment ont-il traduit polis? Der Staat: l'Etat. Dans le fameux discours de Périclès, l'Epitaphe, si à chaque fois que Périclès dit polis vous le remplacez par le mot Etat, vous avez un discours fasciste. Chacun de ces jeunes, dit Périclès, est mort pensant qu'il est bon de mourir pour la polis.
La polis c'est quoi? C'est les Athéniens. c'est à dire mourir pour ses concitoyens concrets. Dans l'Allemand, ça devient: chacun est mort pour l'Etat."
"Thucydide, la force et le droit" Castoriadis.
Il y a un moment que je dénonce la référence à Athènes pour la démocratie qui n'a plus de sens depuis les empires macédoniens et romains, pas plus que dans les nations modernes qui font partie de l'empire du Droit.
Les cités grecques pouvaient choisir leur population, d'autant plus quand c'étaient de nouvelles colonies, s'identifiant comme ethnos, ce qui ne veut pas dire race mais une communauté de pratiques, de coutumes et croyances. C'est dans ce cadre qu'on peut parler de philia, d'un lien fraternel constitutif de la cité - mais qui n'empêchait pas pourtant la discorde, les guerres civiles, les révolutions...
Ce type de société et de démocratie ne peut concerner que de relativement petites communautés, ne pouvant s'appliquer qu'à des cités dans une démocratie de face à face, ce que soulignent aussi bien Aristote que Rousseau. Le passage à une "démocratie nationale" est une escroquerie dans les mots, d'autant plus à prétendre se référer à la démocratie athénienne. Aussi bien dans un royaume que dans un empire, c'est la géographie qui décide de votre statut de sujet ou de citoyen, ce n'est plus du tout un choix libre d'association, et ne le sera plus jamais. En effet, dans un Etat de Droit, on ne choisit pas non plus ses voisins.
Il n'y a pas de "pouvoir du peuple" qui tienne car il n'y a pas de "peuple" à un niveau national, devenu pure fiction, le populiste qui prétend le représenter se fonde toujours sur une exclusion (on le voit en Italie avec les Roms italiens qui sont visés aussi par la xénophobie). Il y a tout au plus une dictature de la majorité (dans un système électif représentatif). C'est bien ce à quoi sert la référence à la démocratie athénienne justifiant effectivement fascisme et nazisme, le choix des bons citoyens dont on partage race, valeurs et religion.
L'image d'Athènes justifie toutes les xénophobies et guerres des religions (un bon nombre de condamnations à mort l'étaient pour des raisons religieuses). Le monde moderne est un monde mélangé, depuis longtemps mais s'accélérant. La démocratie moderne n'a rien du pouvoir du peuple en arme. Dans ce monde unifié, la démocratie ne sert qu'à choisir qui occupera le poste d'élu. Les souverainistes qui s'imaginent que le "peuple" aurait le pouvoir de choisir son destin indépendamment du reste de la planète s'imaginent pouvoir bouter les étrangers hors de leur pays, ce qu'ils ne pourront pas malgré les horreurs qu'on fait subir aux migrants. C'est donc très dangereux. Aujourd'hui ceux qui se réclament de la démocratie sont sur une pente fascisante, ce qu'on appelle des démocratures, appel à un pouvoir fort.
Il ne s'agit pas du tout comme on nous le répète sans cesse de choisir le monde ni la France dans lesquels on veut vivre en restant dans un entre-soi convivial. Non, on n'est plus du tout en "démocratie" dans ce sens là, sauf possiblement au niveau local, nous sommes dans un monde interconnecté et un marché mondialisé. On ne nous demande pas d'aimer nos voisins, juste de respecter la loi et la coexistence. C'est donc bien tout le problème de la communauté qui a mené le nazisme à ses industries de mort.
Sinon, les nazis parlaient beaucoup d'Etat mais ce n'est pas l'Etat qui régnait, plutôt des organisations parallèles, une hiérarchie nazi. Pour Heidegger, mourir pour l'Allemagne, n'est pas mourir pour les siens mais pour une idée, une culture, une langue, un destin, une communauté vivante. Rien à voir encore une fois avec les Grecs qui défendaient leur liberté.