L’écologie dans la globalisation

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Nous ne sommes plus du tout dans la situation des premiers théoriciens écologistes car depuis la situation n'a fait que s'aggraver en même temps que l'écologie politique a perdu tout crédit. Toute la pensée écologiste doit se mettre à jour car nous n'avons plus de temps devant nous et il n'est plus possible de compter sur un changement de système global - qui aurait été si nécessaire pourtant. En rajouter dans le catastrophisme ne change rien, aussi incompréhensible cela puisse nous paraître ! Le pire n'est d'ailleurs pas toujours aussi certain qu'on peut le craindre (il faut se fier pour cela aux études scientifiques). Ce qui est sûr, c'est qu'il y a des enjeux vitaux et qu'ils nous obligent à un constat lucide sur la situation planétaire et, donc aussi, à ne plus surestimer nos moyens d'y apporter des solutions. La naïveté est sur ce point désarmante alors que la politique, hélas, ne fait pas toujours preuve d'intelligence collective, c'est le moins qu'on puisse dire, et constitue plutôt une grande part du problème. Il ne faudrait pas que les écologistes ne fassent qu'en rajouter, et aggraver encore notre impuissance en continuant à rêver vainement d'utopies globales réglant magiquement tous les problèmes, au lieu de prendre la réalité locale à bras le corps.

Il n'est plus un secret pour personne (sauf pour les militants souvent!) que les anciennes idéologies sont bien mortes malgré tous les efforts pour les réanimer. Elles ont fait l'expérience de l'échec du volontarisme à imposer sa conception du monde comme à sortir d'une histoire subie. Beaucoup se refusent encore à accepter que nous ne soyons pas maîtres de notre avenir mais le comprendre nous engage à faire de la prospective plutôt que de construire de nouvelles utopies. L'évolution technologique a balayé le vieux monde et, à l'ère de l'information ou du numérique ou de l'intelligence artificielle, ce qu'il faut penser, c'est une nouvelle écologie politique, mais, on le sait, le frein principal à tout changement de paradigme, c'est une considérable inertie idéologique et sociale dont il faut bien tenir compte et qui affecte tout autant un écologisme qui reste ancré dans la période post-soixantehuitarde, pourtant si différente d'aujourd'hui.

Une des différences principales, c'est ce qu'on appelle la globalisation marchande et qui résulte de la faillite de l'économie collectiviste étatique. La fin des économies fermées ouvre un Nouvel Ordre Mondial de concurrence généralisée et de multinationales, où (comme le disait déjà Marx) "le bon marché des marchandises est la grosse artillerie qui abat toutes les murailles de Chine" - Chine dont la croissance s'emballe depuis qu'elle s'est convertie à une économie capitaliste bien plus productiviste, et qui s'étend aussi aux autres pays les plus peuplés de la planète - à l'exact opposé de ce que préconisaient les écologistes.

Ce n'est pas cependant la seule globalisation, qu'on ne peut réduire au capitalisme qui n'en est qu'un élément. Avec les réseaux numériques et l'intensification, qu'on peut déplorer, des transports intercontinentaux, il faut admettre que l'unification du monde est bien matérielle et que rien ne semble pouvoir l'arrêter, du terrorisme aux épidémies et migrations. Pendant ce temps la température n'arrête pas de monter mais cette globalisation marchande étant aussi la globalisation des risques écologiques et climatiques, elle suscite la constitution d'une conscience globale qui définit l'écologie politique comme responsabilité collective du négatif de notre industrie. Il s'agit bien d'avertir des catastrophes à venir, ce qui est favorisé par les réseaux numériques. Ceux-ci sont un facteur technique déterminant de l'unification planétaire et de la disparition des frontières, empêchant tout retour en arrière. Il ne faut pas prêter pour autant à cette conscience globale émergente le pouvoir de reconfigurer le monde. Cette conscience de soi collective doit aussi être conscience des limites du politique, sinon elle ne sert à rien. Elle peut du moins pousser à prendre les mesures les plus urgentes. A ce niveau les ONG sont précieuses à condition de ne pas trop en attendre. Ce n'est pas de là que viendra une alternative.

Le capitalisme industriel a suscité des critiques horrifiées depuis toujours, comment pourrait-il en être autrement ? Les conditions de vie du prolétariat étaient souvent pires que celles des anciens esclaves et la destruction de l'environnement déjà manifeste localement. Tout le mouvement socialiste, depuis le socialisme utopique, s'est construit sur la nécessité de sortir du capitalisme et mettre fin à ses horreurs. Plus d'un siècle après, l'évidence c'est que le capitalisme a résisté à ces critiques et que non seulement il n'a pas été vaincu mais qu'il s'étend désormais sur toute la planète. Nous ne sommes pas les premiers anticapitalistes, il se pourrait même que nous soyons les derniers car on est bien obligé de tirer les leçons de l'histoire. Il faut distinguer la période précédant 1917, cherchant, devant l'extension d'un prolétariat paupérisé, une économie plus humaine, rationnelle et solidaire (il en reste mutuelles, coopératives et associations), puis la période du collectivisme triomphant, qui a dominé après-guerre plus de la moitié de l'humanité (mais en sombrant à chaque fois dans le culte de la personnalité et des Etats policiers). Enfin il y a eu l'effondrement des régimes communistes après la chute du mur en 1989 et, plus important encore, le développement capitaliste de la Chine "communiste", au prix des plus grandes inégalités et de dégradations écologiques considérables.

Ce n'est donc pas l'effondrement tant attendu du capitalisme qui a eu lieu, résistant aux crises les plus dévastatrices, mais bien l'effondrement du communisme, et cela pour une raison on ne peut plus marxiste, qui est la détermination par l'économie en dernière instance et la confrontation avec des puissances matérielles supérieures. La disparition des régimes collectivistes et des économies fermées change la donne, notre époque ayant à reconnaître leur échec au lieu de le dénier. Nous ne sommes plus en 1968, au temps de la révolution culturelle, et ce n'est pas une idéologie concurrente, le néolibéralisme, qui aurait gagné la partie on ne sait pourquoi mais bien la puissance matérielle de l'économie libérale et financière malgré toutes ses tares. Face à cette situation, la réflexion sur l'alternative (sans aucune chance de réalisation) doit passer à une réflexion sur les forces matérielles (pas seulement politiques) qui s'imposent à nous en se passant de notre avis. Ainsi, le couple investissement capitaliste / progrès technique fournit un avantage comparatif qui condamne les retardataires à plus ou moins court terme, quelques soient nos protestations...

Dans ce nouveau contexte, il devient absurde de croire que nous, nous pourrions réussir ce que les générations précédentes ont raté alors que les rapports de force actuels sont devenus tellement disproportionnés au niveau mondial. D'ailleurs, les plus audacieux ne prétendent plus sortir du capitalisme mais seulement le réguler plus ou moins - ce qui semble déjà si excessif quand les Etats n'en ont plus vraiment les moyens. Il est on ne peut plus légitime de vouloir sortir du capitalisme, ce serait absolument nécessaire, ses dévastations écologiques ne faisant que s'ajouter à ses dévastations sociales, mais il est tout aussi certain que cela ne se produira pas. Il n'est pas sérieux de continuer à entretenir cet espoir. Répéter encore le refrain révolutionnaire de nos jours ne fait que témoigner de l'inertie idéologique déconnectée des enjeux du moment, jusqu'à la dissonance cognitive.

Nous devons apprendre de nos échecs, il n'y a pas d'autre choix et c'est ce qui m'avait séduit chez Bookchin dont l'idée de coopérative municipale venait de l'échec constaté de tant de coopératives. On ne peut plus s'en tenir à ce qui nous paraît absolument nécessaire, n'étant pas forcément possible pour autant. Mieux vaut analyser les forces en présence et s'organiser pour se porter en masse sur les ouvertures possibles en visant des progrès effectifs, un à un, au lieu de s'imaginer tout changer d'un seul coup par notre force de conviction ou nos actions ultra-minoritaires. Encore faut-il prendre conscience du caractère dramatique de notre situation politique, pas seulement écologique, au lieu de surestimer notre pouvoir ou se satisfaire de crier à la catastrophe. Hélas, pas mal de militants préfèrent une radicalité de parole plutôt que d'admettre leur impuissance, aujourd'hui patente.

Alors que, malgré leurs bonnes raisons, les écologistes radicaux se sont révélés à peu près inutiles, l'écologie s'est imposée quand même dans toute la société mais par de toutes autres voies, celle des réglementations et du capitalisme vert si décrié. On peut le déplorer, effectivement, affirmer avec quelque raison que ce n'est pas une solution, qu'il faudrait changer le système, on est bien d'accord mais en attendant, il est indispensable de verdir autant qu'on peut le capitalisme qui domine la Terre entière, et ce n'est pas négligeable dès lors que cela finit par nous faire entrer dans la transition énergétique tant attendue. Certes, on est loin d'un monde idéal et cela ne règle qu'un problème à la fois mais on doit préférer une écologie responsable à une écologie qui serait juste proclamatoire. Ce n'est pas bien sûr le dernier mot.

Les menaces écologiques sont globales alors qu'il n'y a pas de pouvoir global et personne pour décider de l'ordre du monde. Tout est là. La dégradation de la planète s'aggravant encore malgré tous les beaux discours, il y a bien des raisons de désespérer, mais si un communiste peut renoncer à son rêve quand il tourne au cauchemar, c'est impossible pour un écologiste quand il s'agit de sortir du cauchemar justement ! Il est donc nécessaire de reconnaître nos échecs et notre impuissance pour ne pas s'agiter en vain mais il ne s'agit en aucun cas d'accepter ce monde avec ses destructions et injustices, ni de renoncer à l'action. Il s'agit de se réorienter vers des stratégies plus efficaces qui ne se cantonnent pas aux imprécations catastrophistes. Pour cela, il faudrait se persuader d'abord de l'obligation de prendre une autre voie que celle de l'étatisme et de l'affrontement frontal avec le capitalisme, la voie de la pluralité et du contournement, un peu l'équivalent d'une guérilla contre des forces supérieures.

Il est difficile de se défaire du fol espoir d'une conversion soudaine de l'humanité (ou des électeurs) à nos belles idées mais notre action individuelle a plus de chance d'être efficace au niveau local, bien que ce ne soit pas toujours plus facile pour autant. A ce niveau, tout est à faire et personne ne peut le faire pour nous d'en haut. Jamais il n'a été plus vrai que nous avons besoin de pensée globale et d'action locale. Les écologistes se sont trop longtemps relativement désintéressés du local alors que la relocalisation est la base d'une économie plus écologique et notre seule issue. La seule façon de sortir du capitalisme, c'est localement. Nous avons plus besoin d'une écologie municipale transformatrice constituant son infrastructure matérielle que de programmes électoraux merveilleux qui ne seront jamais mis en pratique. Il faut arrêter d'être fasciné par la politique spectacle, les grandes phrases qui chauffent les coeurs sans rien changer, et agir là où on est. Au lieu d'appeler vainement un changement qui vienne d'en haut, il faut s'y mettre dès maintenant.

Pour s'y résoudre, il faut abandonner l'illusion nationale d'une sécession de la globalisation, du socialisme dans un seul pays, replié derrière nos frontières et décidant en toute autonomie, comme si on était sur une autre planète, de notre économie et de l'organisation sociale. Cette révolution démocratique fantasmée n'est plus qu'un fantôme du passé et le retour actuel des frontières et du protectionnisme ne sera pas durable. Heureusement d'ailleurs car les frontières et les nations, c'est la guerre (jusqu'à ce que l'Empire impose sa paix) alors que tant de questions sont devenues globales. Tout au contraire, le local n'a pas besoin de frontières et nous laisse une grande autonomie pour gérer notre territoire et y organiser des circuits courts ou le développement humain.

Au lieu de prendre une perspective utopique lointaine pour une bonne raison de ne rien faire maintenant, il vaudrait mieux reconnaître notre situation désespérée pour agir sans tarder localement, poser les premières pierres de la fondation d'un système plus écologique exploitant tout le potentiel du numérique. Ici la radicalité peut s'exprimer, des modes de vie plus écologiques s'expérimenter, des alternatives données au salariat capitaliste (changer le travail, c'est changer la vie). Il est important que ces alternatives ne soient pas réservées aux plus militants et qu'elles aient une dimension communale, ouvertes à tous, mais il ne peut être question de se rêver en petit village gaulois hors du monde quand il s'agit au contraire de l'articulation de l'action locale aux enjeux planétaires. Le numérique y est désormais central, notamment la réappropriation communale des plateformes locales pour les échanges et services locaux.

Dire que le local est la seule voie qu'il nous reste, ne garantit pas pour autant que ses potentialités seront assez prises au sérieux ni que cela aura un impact assez sensible. Même si notre rayon d'action est forcément local, la question se pose malgré tout à chaque fois s'il est réaliste de tenter des alternatives en fonction de la situation locale. Ici, le global pèse de multiples façons (politique, économique, social, numérique) et le dépassement du capitalisme à l'ère du numérique ne pourra pas être une utopie isolée mais devra s'intégrer dans un mouvement mondial fédérant les initiatives et les communs, mettant en place des réseaux alternatifs. On n'y est pas du tout encore malgré la multiplication des projets. Ce n'est donc pas gagné mais, en dehors du soutien à la transition énergétique en cours (et à l'indispensable capture du CO2), il n'y a plus d'autre choix et il n'est plus temps de rêver, il y a urgence.

(article pour EcoRev' 46)

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24 réflexions au sujet de “L’écologie dans la globalisation”

  1. S'il n'y a effectivement pas d'illusions à se faire sur notre capacité à changer le monde , même au local , il y a sans doute aussi notre incapacité à comprendre le monde et comment il change ; acteurs aveugles et sourds , mais acteurs quand même.
    Il est difficile de mesurer l'impact que peut avoir la solution locale , par exemple un territoire de projet où les acteurs soient parvenus à planifier des actions de changement : dans un monde globalisé et numérisé , les nouvelles vont vite et si un chanteur inconnu peut en quelques mois acquérir un succès international , alors pourquoi pas , à un moment donné , des solutions locales ?
    Faisons donc autant qu'on le peut , et temps qu'on le peut , une re -politisation du local , parce que de toute manière on aura à un moment donné raison : un monde organisé autour de la seule économie n'est pas durable.

    • La transition énergétique montre qu'on peut s'y mettre avec retard même si l'inertie est forte. Il est raisonnable aussi de penser que plus la température va monter et plus il y aura de réactions, avec une possible dissémination rapide des meilleures expériences. Pour l'instant, on en reste à l'expérimentation, au bricolage, au tout début, quand c'est encore bien difficile d'y croire et de savoir quoi faire...

      • Aujourd'hui sur le 13h 15 de fr 2 on apprend que Cuba est le paradis des abeilles grâce à l'effondrement de l'URSS qui commençait à fournir l'île en pesticides et produits phyto , et à l'embargo américain : du coup une agriculture bio de fait et aujourd'hui des abeilles en bonne santé avec une production annuelle de 112 kg de miel par ruche ,alors que chez nous c'est descendu à 20 .

        Au local il existe cette obligation légale (issue des lois Voynet ) pour les collectivités territoriales de + de 20 000 habitants , d'élaborer un projet de territoire et d'y adosser un conseil de développement , structure participative permettant à la société civile de participer ; ce projet de territoire permet de donner du sens à la collectivité en opérant des choix au travers d'un programme d'actions.
        En clair un projet de territoire permet la planification : on va dans cette direction et pas dans l'autre .
        Des actions collectives dans le sens d'une agriculture nouvelle préservatrice de la bio diversité et des actions de revivification de la bio diversité (plantations ); des actions collectives à l'échelon du territoire destinée à la mise en œuvre d'un transition énergétiques etc peuvent se mettre en place et sans l'embargo opérer un mieux significatif

        Pour moi , à tort ou à raison , le problème reste politique : d'une manière ou d'une autre le tout et son contraire nommé liberté doit céder le pas à des politiques de projet .(librement et démocratiquement décidées, ce qui n'est pas un gage de réussite , mais qui au niveau du problème qui nous occupe est bien préférable à la sanction par le réel ,qui a toutes les chances d'être bien trop lourde à supporter)

      • Parce que vous trouvez très intelligent de déployer du temps et de l'argent pour capturer un CO2 alors que les végétaux le font très bien. La maîtrise du climat n'est qu'un fantasme moderniste que l'homme métaphysique qui croit que la terre est une serre !

        • Le dogmatisme aveugle. Je me serais bien passé de capture du CO2 mais ce n'est plus possible, comme le constate le GIEC. La part des forêts dans cette capture est essentielle mais il se trouve qu'elles régressent encore. On n'a pas le temps de laisser faire les processus naturels et ce serait suicidaire de ne pas faire tout ce qu'on peut pour en réduire l'impact.

          Il ne s'agit certainement pas de laisser faire, laisser être le désastre mais d'y répondre. Certes, on peut dire que c'est la domination de la technique sur la totalité du monde mais c'est quand même plutôt une décision politique. Le fantasme de la nature, d'une essence de l'homme et d'un destin de l'Être refoulent le fait que l'humanité de l'homme est le produit de la technique, dès l'origine. L'histoire humaine est sujette à l'évolution technique, ce n'est pas l'homme le centre. Vouloir renverser l'histoire est d'un volontarisme insensé. On peut soutenir que l'histoire de l'Être se confond finalement avec l'histoire de la technique, causalité matérielle et non pas métaphysique. Il ne s'agit pas plus cependant de laisser-être, s'enfermer dans une identité rêvée mais au contraire de réagir effectivement à chaque fois et faire ce qu'il faut faire, ce qu'on peut vraiment, au lieu de jouer au con.

          • L'histoire de la technique ne se confond pas avec l'histoire de l'Etre. Vous êtes passé à coté de Heidegger. L'évolution de l'homme se fait aussi avec une essence non technique. Quant au GIEC, c'est du flan. Les climatologues du GIEC sont les nouveaux Goebbels de l'écologisme, des lieutenants du stalinisme technologique installé depuis le sommet de Rio en 1991.

          • C'est insupportable, odieux, inadmissible et mériterait un procès ou un poing dans la gueule. Je ne vais pas laisser un nazillon comme ce petit Bernard Dugué insulter les climatologues de façon si abjecte.

            Ce n'est pas, bien sûr, que je ne comprends pas le nazi Heidegger à dire à peu près le contraire de son idéalisme identitaire mais on voit à quels excès mène cette mystique de l'Être, osant comparer la fabrication industrielle de cadavres avec la réduction des gaz à effet de serre !

            Il ne s'agit pas ici de discussions intellectuelles mais bien d'urgences vitales, de vie ou de mort.

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