Le rock a été un moment important de notre histoire, un peu comme le romantisme par exemple, porteur de valeurs dont certaines restent à défendre - pas toutes - et qui ne sont justement pas celles du pouvoir, ce pourquoi on peut s'amuser de le voir ainsi célébré. S'il faut enterrer cette époque révolue avec ses derniers survivants, cela ne peut se faire sans en prononcer l'éloge funèbre.
En effet, tous les discours officiels nous invitent inévitablement à l'optimisme et à être contents de nous, célébrant la réussite (de l'école à l'entreprise). Cet utilitarisme assumé de la pensée positive contamine tous les aspects de la vie, mis au service de la santé du corps comme d'un supposé épanouissement professionnel avant la satisfaction d'une vieillesse sereine. Rien de plus raisonnable, sans doute. C'est bien de cette façon que cela devrait de passer s'il n'y avait un hic, un réel qui dément cette belle harmonie où il n'y aurait que des gagnants. Mais, pour la bienveillance du pouvoir, ce serait de leur faute si les pauvres sont au chômage ou se tuent à la tâche ! Dans ce beau monde bien ordonné, il se trouve malheureusement des inadaptés sociaux, des poètes, des idéalistes qui ne rentrent pas dans les cases et ne jouent pas le jeu. Nul doute qu'aux yeux du pouvoir auquel ils échappent, ces marginaux sont des erreurs de la nature dont la société doit se protéger, sinon rectifier leur génome déficient. J'ai bien peur hélas d'être de ces inadaptés ayant horreur de l'hygiénisme. C'est incontestablement un mode d'existence qui n'est pas généralisable. Je ne suis pas le seul pourtant, et pour ceux-là qui ne suivent pas la norme, le rock a pu être un moyen d'affirmation et d'appartenance.
Le rock a été d'abord une musique de jeunes prolétaires, d'exclus de la culture et de la chanson à texte comme du jazz élitiste. C'est une dimension essentielle qui en faisait une culture populaire avec son code de l'honneur, une fierté un peu crâneuse, exigence de respect qui était en même temps le mépris du bourgeois.
L'autre caractère essentiel du rock, c'est son côté transgressif, valorisant le négatif, l'excès, l'alcool, les expériences extrêmes, toutes choses très condamnables bien sûr mais qui font brûler l'existence (ce sont des existentialistes). Cela n'allait pas jusqu'aux drogues psychédéliques, un truc d'intellectuels (mais moins violentes) ! Ce qu'il faut saluer malgré tout chez ces rockers dépravés, c'est l'absence de culpabilité de leurs transgressions, nous reposant du moralisme ambiant.
Quel peut être le rapport de ces attitudes à la musique elle-même ? On peut l'aborder par ce qui distingue le rock du jazz auquel il doit tout, ne faisant qu'en changer le rythme et ce qui change, c'est l'adoption d'un rythme plus positif, carré et implacable, sans faiblir ni se plaindre, qui diffère par exemple de la montée paroxystique de la transe, tout comme d'un jazz jouisseur ou d'une musique d'esclave. C'est du moins l'effet que ça me fait.
Par contre, le côté ringard du rock, c'est son côté macho. La sexualité assumée serait plutôt sympathique si elle n'était pas la caricature d'une virilité violente et dominatrice. Les rockers qui se torchent entre potes ne sont pas des pédés ! En fait, cette virilité de pacotille est déjà le symptôme de son déclin et la multiplication des signes de virilité finit par féminiser celui qui les porte (comme le soulignait Lacan). C'est pour cela que, paradoxalement, l'uniforme du rocker prendra sa place dans les icônes des milieux homosexuels !
Si les rockers n'étaient pas des pédés, ce n'étaient pas non plus, ordinairement du moins, des communistes ni des militants, plutôt de droite même malgré leurs défis à l'ordre et à la loi. Ils représentaient, dans ces années là, une alternative à la socialisation communiste (hypermoraliste) pour les jeunes ouvriers, précédant Mai68 et la politisation de la jeunesse (étudiante). C'est le fait qu'on en soit revenu qui lui redonne une certaine actualité.
Ceci dit, avec le déclin du prolétariat industriel, le rock ne peut plus être l'expression des travailleurs pauvres d'aujourd'hui, ni des chômeurs, qui écoutent plutôt du rap - tout aussi sexiste et transgressif, mais qui remet la parole au premier plan. Il est fascinant de voir comme la succession des modes et des styles musicaux témoigne à la fois de notre historicité, de notre appartenance à notre temps, et de sortes de cycles où l'opposition à la période précédente finit par revenir au point de départ - et ce qui était mort peut renaître alors sous une forme ou une autre...
Lorsque vous écrivez que le rock était plutôt de droite, il me semble que ce propos concerne davantage la France. Aux USA la génératino "woodstock" était plutôt classée à gauche surtout en pleine guerre du Viet Nam. Mais cela pourrait aussi s'expliquer par l'inexistence là bas, d'un mouvement communiste "moraliste".
sans doute question de génération moi j'ai plutôt le sentiment d'une très grande variété de groupes de rock actuellement, jusqu'à l’écœurement même ... bien sur cela ne touche pas vraiment le grand publique , c'est comme dans le rap tellement divers où de rocker ou de rappeur , on peut finalement trouver tous chacun le sien, suffit de chercher un peu ... même si pour le rock et ses vies ultérieures cela touche plutôt les grandes villes et des fils et filles de bonne famille , non c'est vrai il n'y a que le rap qui peut prétendre réunir les pauvres ... mais les cultures juvéniles sont vites récupérer , et les contre feux s'organisent , simple "moutonage" des populations avec le passage de la contre culture ou l'underground à la sous culture ...
avec johnny et ses funérailles c'est aussi toute une génération qui prend conscience qu'il lui faudra passer la main , depuis le temps que ça dure ( 50 ans ) ! et cette question lancinante : qu'avons nous fait de nos 20 ans ?
tiens un petit pour la route , c'est du mat rock ( assez à la mode en ce moment) , mais un duo guitare batterie qui ne ressemble à rien dans le mat rock , marylin rambo
https://marylin-rambo.bandcamp.com/
Etant donnée l'actualité, le rock dont je parle ici est le rock originaire, d'avant 68, celui dont les vieux rockers se réclament. On appelle effectivement musique rock tout ce qui a suivi mais qui était très différent à partir des Beatles (qui ont inventé même le hard rock) avec les drogues qui se substituent à l'alcool. Ensuite, toute la musique pop psychédélique était clairement de gauche (contre la guerre du Vietnam) mais beaucoup plus moraliste que les rockers. Une bonne partie de la scène "rock" actuelle est plutôt d'inspiration punk semble-t-il mais n'est pas un phénomène social de même ampleur, très éclaté en effet (pour ce que j'en connais). Le reggae et le ska, assez différents du rock dans l'esprit, sont très importants actuellement mais pas tellement en France pour ce que j'en sais.
Malgré la saturation, les circonstances m'ont fait ressentir le besoin de faire un point rapide sur le rock, à contrepied de ces célébrations, mais ce n'est guère plus qu'une petite note sur le sujet pour opposer le négatif à l'esprit positif des grands bourgeois célébrés la veille. J'avais trouvé aussi certains fans très dignes, rien à voir avec les fans ordinaires de chanteurs, plutôt avec un mode de vie qui n'est plus tenable mais aura toujours des héritiers.
Rock et reggae ne sont pas si éloignés : les punks du début on beaucoup fréquenté les pionniers du reggae, il y a eu beaucoup d'échanges entre les deux communautés, et pas que de pétards!
Sid Vicious, comme les Stones, a été très opportuniste. Quand il faut gagner un peu de pognon, les rockers ne sont pas les derniers à présenter leur gamelle pour récupérer un peu de soupe.
Il y a probablement toute une "morale" à déduire de ces rebelles de pacotille en forme de pschitt à la vodka.
Comme je le dis, le punk est assez différent du rock originaire, il ne défend pas tout-à-fait les mêmes valeurs, il n'a pas sa positivité musicale étant passé par les drogues (pas seulement la bière) et la fin des utopies.
Il y a bien cependant une grande proximité des Punks et du reggae (leur part plus solaire?), cf. le Jamming de Marley. Ce n'est pas une question d'opportunisme même si les Sex pistols étaient bien à l'origine une création marketing (situationniste!), mais pas les Clash, et les Punks sont bien un moment nécessaire de l'histoire même si le Punk est mort lui aussi aujourd'hui.
Hors sujet, juste pour signaler le livre de Jant Biehl sur le municipalisme libertaire.
J'ai une ancienne version du livre chez Ecosociété "Le municipalisme libertaire" mais cela semble différent (c'était un entretien avec Murray Bookchin) :
http://jeanzin.fr/ecorevo/politic/subvert/ecorev/rev02/bookchin.htm
La nouvelle édition est préfacée par Annick Stevens qui a l'air très sympathique et dont je regarde justement ses cours sur Sartre à l'université populaire de Marseille (pas inintéressant mais un peu trop scolaire).
Le rock est arrivé en France comme un moyen de diversion et comme un biais pour américaniser la société.
En France, dans les années 60 après la guerre d’Algérie, la jeunesse bouillonnait. On lui propose le yéyé : Cloclo, Sheyla et Johny (décrété idole des jeunes !). On contribuait ainsi à l’écrasement de la culture populaire pour faire place aux produits venus des usa dans le sillage du plan Marshall. Dans le même temps on proposait à la jeunesse une libération de pacotille : dans la tenue vestimentaire, la coiffure, le vocabulaire, la façon de danser…. bref là où elle n’avait nul besoin !
J'ai un peu écrit là-dessus : - https://lemoine001.com/2017/01/08/god-is-gay/ et https://lemoine001.com/2015/03/14/un-histrion-postmoderne-david-bowie/
S'il n'y avait nul besoin, je ne crois pas que le courant R&R aurait eu tant de succès. Est-ce que la rédaction de Salut Les Copains était manipulée (par les américains???), je ne crois pas non plus. La ligne éditoriale était très simple: "tout ce qui peut enquiquiner les "vieux"".
Après le débondage de cette époque qui a cru se libérer de tout sentiment de culpabilité en laissant la bride sur le cou à ses pulsions, voilà que les impératifs écologiques en climatiques sont en train de nous redonner un support à notre sensibilité tous azimuts qui nous caractérise (sinon l'animisme n'aurait jamais existé par exemple). Quels seront les nouveaux confesseurs et les nouveaux rituels qui nous aideront à métaboliser nos culpabilités? à suivre.
"enquiquiner les vieux" ça ne fait pas une culture. C'est le type même de la fausse révolte. C'est une révolte frivole. Non seulement ce genre de révolte est accepté mais il est encouragé : https://lemoine001.com/2015/04/01/la-fausse-tolerance/
Quant à l'influence américaine on en sous estime généralement l'importance : https://lemoine001.com/2014/12/15/art-contemporain-et-imperialisme/
Dans le domaine intellectuel aussi, lire : Qui mène la danse ? La CIA et la Guerre froide culturelle de Frances Stonor Saunders.
Dans l'entre deux guerres mondiales, de nombreuses musiques, danses, foxtrott, ragtime, films de cinéma venaient déjà des USA, ensuite le jazz dans les années 50, c'est quand même pas un coup de la CIA.
Même mon grand-père, de formation musique classique conservatoire de Paris, composait aussi avant la 2WW des morceaux inspirés du ragtime ou autre styles US, ou pour des films US, il n'a jamais touché un sou de la CIA.
C'est d'ailleurs plutôt la Wehrmacht en 1942 qui lui avait proposé un très bon job en Allemagne, qu'il a refusé... ou une commande d'une synagogue US qu'il a acceptée.
Mouais, bof.
L'évolution du monde prend bien les chemins qui échappent à notre contrôle, y compris celui des US, alors que ça passe par les US ou ailleurs n'a pas beaucoup d'importance, maintenant que nous sommes tous "connectés".
Je préfère de très loin les perspectives comme celles que nous propose Harari (Une brève histoire de l'humanité), ou des éléments de compréhension des transformations comme celle que propose l'historien Lawrence Stone qui a inspiré toute la carrière de recherche d'Emmanuel Todd, que le pointage de boucs-émissaires qui ne nous avancent pas du tout.
Vive le réalisme soviétique ! C'est assez comique de voir ce complotisme marxiste mais il faut avouer que ce n'est pas nouveau. Les communistes de l'époque ont effectivement prétendu que le rock et la drogue étaient des moyens de perversion de la jeunesse et de dépolitisation dont les Américains étaient les seuls responsables ! Pour Clouscard, tout cela faisait partie du plan Marshall sans lequel la France serait devenue communiste ! En fait on voit comme le besoin d'avoir une conception du monde cohérente mène à délirer et ignorer toute une partie du monde (il faut se boucher les oreilles pour ne pas avoir envie de danser sur un rock).
La difficulté avec ces théories du complot supposant un pouvoir tout-puissant, c'est que, évidemment, le rock est bien américain même s'il choquait beaucoup les bons chrétiens qui ne supportaient pas les déhanchements d'Elvis. C'est par les troupes américaines que le rock s'est répandu d'abord. Cela n'empêche pas le rock d'être un moment essentiel de la musique populaire grâce aux 45 tours notamment. On peut réduire cela à du décervellement, beaucoup l'ont fait, ce qui n'est pas un signe d'intelligence.
Ce qui rend difficile aussi de réfuter ces théories du complot expliquant tout, c'est qu'il y a vraiment des complots, des luttes idéologiques, de la propagande, de la désinformation, etc. Les écrivains de droite et l'art moderne ont bien été subventionnés par les Américains qui y avaient leurs intérêts mais l'art de ce temps-là me semble incontournable et loin des impostures actuelles du marché de l'art qui sert de placement. L'histoire ne se réduit pas aux méchants capitalistes qui empêchent le communisme à portée de main en hypnotisant les foules, façon anti-dialectique de geler l'histoire mais il faut avouer que c'est la pente naturelle de la pensée, ce qui explique une bonne part de notre impuissance à nous focaliser sur les véritables causes et opposer une puissance matérielle à une puissance matérielle au lieu de se contenter de jugements moraux et se payer de mots.
J'ai retrouvé la traduction d'un texte de Leopold Kohr qui tranche un peu part rapport aux niaiseries habituelles sur l'impérialisme américain.
http://lanredec.free.fr/polis/BoN_ToC_fr.html
A première vue, il peut paraitre un peu daté, mais sous d'autres aspects je crois qu'il éclaire le présent.
"De leur propre aveu, des états autrefois fiers comme la France, l'Italie, la Grèce, ou la Yougoslavie existent seulement par notre force et notre grâce.
À la différence de la Grande-Bretagne, ils n'ont jamais montré aucune disposition pour essayer de nouveau la voie la plus difficile et se passer de notre aide
qu'ils exigent non seulement pour le présent, mais pour l'avenir et non seulement militairement, pour leur défense, mais aussi économiquement,
pour le maintien de leur niveau de vie."
ici l'histoire se répète.
"Chaque fois que nous faisons un pas pour nous retirer de leur scène politique conformément à notre illusion initiale d'être simplement venus pour les libérer,
ils nous disent que nous devons être complètement fous. En place de gratitude ils nous montrent de l'insolence et au lieu de nous libérer de nos contributions
ils nous menacent en des termes on ne peut plus clairs qu'ils deviendront communistes à moins que l'aide ne soit non seulement poursuivie, mais intensifiée,
augmentée, accélérée, jouissant de notre malaise avec le sadisme subtil typique de ceux qui sont pris dans une soumission sans espoir."
jouissif..
"Une réprimande semblable, quoique pour des raisons différentes, fut envoyée à l'Italie après qu'elle eut annoncé avec un élan de fierté
qu'elle avait réussi à équilibrer son budget de 1950.
Bien qu'elle espérait ainsi avoir témoigné de son utilisation sage de l'aide américaine,
elle ne s'était pas rendu compte que l'idée d'un budget équilibré avait il y a longtemps cessé d'être un signe d'un ménage public prospère aux Etats-Unis.
Ainsi, au lieu de recevoir les compliments attendus, elle fut étonnée de voir un fonctionnaire mineur de l'ECA arriver à Rome
et délivrer un cours sévère sur les principes Keynesiens de la consommation du déficit accompagné d'un avertissement que,
au prochain budget équilibré, elle se trouverait rayée de la liste de destinataires de l'aide américaine."
très drôle!
"L'assimilation ne détruit pas la liberté. Elle la rend sans signification."
Ni Marc Jimenez (auteur de "la crise de l'art contemporain") ni Frances Stonor Saunders (que je ne connais que par des rescensions)) ne sont marxistes.
La plupart des rockers de la première génération sont des créations de l'industrie du disque, il me semble. David Bowie s'est fait lui-même. Mais le succès est là quand on est dans l'air du temps, et qu'on répond à la conjoncture idéologique. Pas besoin de complot pour cela.
Quant à la guerre froide, elle a bien existé il me semble.
Le rock est issu du gospel, ragtime, blues, country, musiques-rythmes africains... des esclaves et leurs descendants, en quoi donc ça correspond à du capitalisme ?
Le capitalisme se contente de suivre les créations qui plaisent, pas tant de les précéder. De même en peinture, nombreux sont les peintres qui n'ont pu vivre de leurs toiles que tardivement, les marchés de financiers l'art suivant ensuite les courants émergents. Van Gogh est un bon exemple de peintre qui a vécu chichement et son oeuvre valorisée de façon posthume.
Johnny Hallyday n'a pas créé grand chose de neuf, mais il a eu le flair, en bon marketeur, de voir les tendances US qui pouvaient plaire en France.
Il est intéressant de rappeler que l'importance de la musique pour les humains reste aussi énigmatique que la conscience, sans doute parce qu'elle est liée elle aussi au langage.
Platon ou Aristote traitaient de la musique comme liée à l'art militaire mais il semble que plus généralement ce soit une façon de souder un groupe dans un même rythme, que ce soit pour se coordonner dans un travail ou pour monter vers la transe.
http://www.futura-sciences.com/sante/dossiers/medecine-aime-t-on-musique-929/