Anthropolitique

Temps de lecture : 25 minutes

Connaître notre ignorance
Il y a des gens qui sont contents de faire de la philosophie et contents d'eux. Ce n'est pas mon cas. Ils prétendent arriver ainsi à la vérité et au Bien suprême. Il ne faut douter de rien ! Ma propre expérience est plutôt celle de la déception permanente et de la désillusion, si ce n'est de la rage. On sait pourtant bien qu'il n'y a que la vérité qui blesse, comment pourrions nous trouver une consolation dans une philosophie cherchant sincèrement la vérité ? Ce qu'on découvre n'est pas ce qu'on cherchait, encore moins ce qu'on espérait et plus on apprend, plus on découvre ses limites et l'étendue de ce qu'on ignore encore.

Bien sûr, ce n'est pas le cas des méditations plus ou moins religieuses qui ne trouvent cette fois que ce qu'elles cherchent, jusqu'à donner corps à des abstractions par une sorte d'auto-hypnose. On peut dire la même chose de tous ceux qui se prétendent adeptes de la pensée critique alors qu'ils adoptent simplement un dogme opposé au discours dominant et passent leur temps à renforcer leurs convictions les plus délirantes en restant entre-soi. Une philosophie véritablement critique ne va pas prendre ses désirs pour la réalité mais commence par s'informer à diverses sources, soumettre ses propres conceptions à la question, en récoltant les objections qu'on peut y faire. L'écriture (démocratisée chez les Grecs grâce aux voyelles) est sans doute une condition de cette réflexivité, en plus de donner accès à la diversité des opinions et des cultures. Voilà bien ce qu'internet devrait amplifier si chacun ne s'enfermait pas dans son petit monde (réduisant les autres à des ennemis ne cherchant qu'à nous tromper) ! Ce moment négatif de la critique mine forcément nos anciennes certitudes et nos traditions, opposées à d'autres traditions, introduisant la division dans la société et une indéniable "insécurité culturelle", détruisant la belle unité originaire par le poison du doute et de la liberté de pensée. Le recul critique, la non-identité à soi, est incontestablement une épreuve dépressive qui nous confronte à nos illusions perdues et n'encourage certes pas les enthousiasmes naïfs ni un quelconque unanimisme. C'est politiquement incorrect car constituant une voie solitaire, en rupture de notre groupe (de pensée) et qu'on peut à bon droit accuser de désespérer Billancourt, tout comme de pervertir la jeunesse...

Il y a un troisième temps à cette dialectique qui ne s'arrête pas au travail du scepticisme, intenable jusqu'au bout, et réaffirme positivement la nécessité de l'action ou de l'expérience. Ce ne peut être cependant un retour pur et simple au point de départ, oubliant le négatif, mais seulement à partir de sa prise de conscience et de tout ce qui s'oppose à nos bonnes volontés comme à notre unité - ce qui va du caractère déceptif du réel aux limites de notre rationalité, en particulier d'une intelligence collective qui brille la plupart du temps par son absence. Ce n'est pas drôle et même assez déprimant, ne laissant qu'assez peu d'espoir de servir à quelque chose en dehors de notre rayon d'action local alors que nous voulons penser la totalité qui est l'autre nom de la société comme ce qu'on intériorise au plus intime. L'enjeu est pourtant bien de tenir le pas gagné, intégrer nos erreurs passées, notre capacité à nous illusionner et la déception de nos espoirs dans les nouveaux combats à mener, condition pour avoir une chance de les gagner au lieu de vouloir de nouveau soulever les foules d'ivresses messianiques et répéter vainement les mêmes échecs, croyant pouvoir remplacer une raison défaillante par le sentiment. Ce qui peut paraître trop défaitiste et passer pour un manque d'ambition est pourtant tout-à-fait la méthode mise en pratique par les sciences, avec le succès que l'on sait. Cependant, il vaut bien avouer que la plupart des philosophies semblent faites pour refouler ce savoir de l'ignorance et de notre in-conscience, constructions largement fantasmatiques flirtant le plus souvent avec la théologie et surestimant le pouvoir de l'esprit comme la béatitude promise, où la vérité n'est plus qu'un moment du faux.

Mettre en cause notre intelligence, reste trop choquant pour la plupart, notamment pour les démocrates convaincus, alors que c'est quand même la base des sciences expérimentales et de la méthode socratique. Ce n'est pas d'hier que les sciences ont renoncé à s'en tenir au discours et à une raison raisonnante, pour ne se fier qu'au résultat effectif, aussi contrariant soit-il. Malgré cela, on en reste globalement à une confiance à peu près universelle dans une providence divine où tout devrait finir par s'arranger. Il y a certes des prophètes de malheur qui annoncent régulièrement la fin du monde, ainsi que des vigiles clairvoyants qui nous alertent sur les menaces bien réelles que nous faisons peser sur notre environnement, mais il faut bien dire que nous faisons preuve habituellement d'une confiance excessive dont il est difficile de se défaire, y compris les philosophes surestimant les bienfaits de la prise de conscience, ce qu'on retrouve en politique alors qu'on constate plutôt, notamment pour les menaces écologiques, que les informations ne sont pas toujours bonnes ni porteuses d'espoir ou d'action...

La philosophie est bien née de l'interrogation socratique, préparant le terrain aux sciences en mettant en cause notre savoir, mais elle n'a eu de cesse de vouloir combler ce trou à prétendre donner accès à un savoir supérieur (du troisième genre, mystique, existentiel). Cela commence avec Platon et la contemplation des idées qui se substitue à ses interrogations des débuts, aboutissant à l'utopie totalitaire de la République - car il y a un lien direct entre une pensée qui modèle son objet de l'extérieur (au nom de la justice) et une politique totalitaire (son échec programmé). Aristote sera plus prudent et très critique envers ces Idées, notamment celle de Bien suprême ramené au fait d'être actif, mais il ne pourra s'empêcher de considérer la connaissance comme un bien en soi, ne pouvant imaginer qu'elle soit maléfique ou que la raison puisse être trompeuse. Ensuite les philosophes successifs promettront le bonheur ou la fusion avec l'Un. Et, bien sûr, tous les philosophes chrétiens ne pouvaient qu'en attendre une révélation divine. Cela va jusqu'à Hegel et Marx qui malgré leur philosophie dialectique ne peuvent imaginer qu'une fin heureuse à l'histoire. C'est un préjugé tenace sans véritable fondement. Les philosophies du soupçon et la théorie critique ont bien tenté de montrer la fausseté de la conscience de soi (entre idéologie normative et narcissisme), jusqu'à la déconstruction post-moderne de la French theory et ses excès relativistes. C'est peu dire que ces spéculations n'ont pas réussi à pénétrer le sens commun qui s'obstine à condamner cet intellectualisme accusé de nihilisme comme Socrate l'avait été en son temps. Le scepticisme populaire met, lui, facilement en cause l'intention des acteurs, la mauvaise foi de nos ennemis, la fausseté des discours publicitaires mais pas leur intelligence et surtout pas la nôtre ni nos propres déterminations sociales. Pourtant, il ne suffit certes pas d'être critique pour ne pas dire n'importe quoi en s'imaginant détenir un savoir supérieur (caché). La théorie critique ou les diverses avant-gardes étaient elles-mêmes très critiquables, trop assurées de leurs bases qui se sont révélées bien fragiles et datées, perpétuant l'identification du Beau, du Bon et du Bien comme notre destin. Il ne manque pas d'illuminés qui sont persuadés de parler au nom du peuple ou d'un dieu, porteurs en tout cas d'une vérité interdite, pouvant dénoncer la propagande médiatique et toutes sortes de complots sans s'interroger une seconde sur leur propre clairvoyance par rapport aux foules supposées entièrement aliénées !

Le noeud de la question, que partagent les philosophies (qui comportent toujours une dimension morale), c'est de privilégier un peu trop la causalité subjective, intérieure, liberté détachée de la matière et de tout déterminisme. Même lorsque, avec Hegel et Kojève, l'humanité de l'homme se résume au désir de désir comme désir de reconnaissance, ce désir semble inconditionné, sans aucun rapport avec nos pulsions animales ou les explications que les sciences sociales pourront en donner. Chez Marx, c'est encore plus paradoxal puisqu'il s'en tire en identifiant déterminisme et liberté, le déterminisme économique étant supposé mener au royaume de la liberté après l'effondrement du capitalisme sous ses contradictions et l'avènement du communisme - avec l'abolition des classes et la fin des idéologies, passant de la conscience fausse (bourgeoise) à la pleine conscience (prolétarienne) qui est elle-même supposée suffisante pour unifier les travailleurs de tous les pays, etc. Au fond, l'erreur de Marx qui était déjà celle de Hegel, aura été de comprendre la liberté dans son côté subjectif au lieu d'en faire une propriété objective, un caractère du réel (biologique, économique, politique) qui apparaît clairement dans nos société libérales sous la forme d'une autonomie subie. Ce n'est pas l'essence originelle de l'homme qui se réaliserait soudain comme esprit et liberté alors que l'humanité est forgée par ses outils et l'extériorité (le cerveau est l'organe de l'extériorité, perception et apprentissage). Il est vrai qu'un matérialisme conséquent pousse difficilement au militantisme, même à le dire dialectique car y introduisant la lutte et la production qui transforment le monde. Le seul argument qui restait aux marxistes, c'était d'accélérer l'histoire, précipiter la chute inéluctable du capitalisme mais si les prémisses se voulaient scientifiques, ce n'était plus du tout le cas des conclusions dogmatiques sur une fin de l'histoire qui ne souffrait pas de discussions. L'expérience n'allait pas tarder à démentir ces visions paradisiaques qu'on a quelque difficulté à attribuer à un penseur de cette envergure qui avait si soigneusement étudié les mécanismes du système de production capitaliste et sa détermination par la circulation, c'est-à-dire par l'extérieur. L'histoire reste toujours imprévisible pour la simple raison que nos finalités elles-mêmes se transforment au contact de la réalité et des évolutions techniques. La dialectique ne s'arrête pas sur un savoir absolu et un ordre parfait, continuant à ronger l'ordre établi, bouleverser nos vies et renverser les anciennes certitudes.

Répétons-le, il n'y a rien là qui devrait paraître si extraordinaire, ni post-moderne ou relativiste, car ce n'est rien d'autre que la véritable position scientifique, abandonnée par les marxistes au profit d'une idéologie dogmatique et d'un grand récit mythique. On s'imagine trop souvent une science omnisciente, sortie de quelque cerveau génial comme celui d'Einstein alors que la réalité collective de la recherche en est tout à l'opposé. L'étendue de ce que les physiciens avouent ne pas connaître est assez inimaginable pour ceux qui croient, devant les exploits scientifiques, qu'il n'y aurait plus aucun mystère en ce monde. S'il y a eu un moment où les physiciens croyaient tout connaître à quelques détails près (ayant donné naissance à la physique quantique et à la relativité!), de nos jours, c'est tout le contraire puisqu'on pense que la matière ordinaire ne représenterait que 5% de l'univers et qu'on ne sait rien encore du restant. Certes, on peut découvrir très bientôt la nature de la matière noire ou de l'énergie sombre, mais on n'est pas au bout, loin de là. En tout cas, il suffit de suivre les théories physiques qui sont échafaudées en permanence, jusqu'aux plus farfelues, pour éprouver à quel point on reste très ignorants sur la nature de notre univers et que même la plus grande rigueur, l'intelligence et la beauté d'une théorie, ne sont pas du tout les gages de sa justesse que seule l'expérience peut trancher. La physique moderne manifeste à quel point la réalité n'est pas intuitive (notre intuition n'étant adaptée qu'à notre vie animale) et constitue une bonne discipline pour la pensée. On pourrait tout aussi bien parler de notre préhistoire qui est réécrite constamment et nous oblige à revoir nos conceptions en permanence, en sachant que le nouveau récit pourra être contredit tout autant par une nouvelle découverte, obligeant à une suspension du jugement au lieu de s'identifier à ce qu'on croit savoir. Il y a des chances que dans nos sociétés étendues et complexes notre compréhension des processus en jeu ne soit pas meilleure. Pourquoi cette évidence de nos limitations cognitives et de la fausseté de l'opinion ne s'impose-t-elle pas à nos sociétés pourtant fondées sur les sciences et l'information ? Comme la perception s'oublie derrière le perçu, il semble bien que la méthode scientifique reste oubliée derrière ses réalisations et résultats théoriques, mais c'est aussi sans aucun doute parce que c'est une nécessité de la politique comme de nos échanges quotidiens de tenir nos interlocuteurs pour des êtres intelligents et responsables, dans lesquels on se reconnaît. Cependant, reconnaître l'intelligence des autres, c'est aussi surévaluer notre propre intelligence. Une reconnaissance serait possible pourtant à partir de notre commune connerie, non pas qu'il y aurait un philosophe intelligent guidant un troupeau d'imbéciles, mais qu'il faut faire avec notre imbécilité à tous et tous nos biais cognitifs, pour essayer d'y remédier ensemble.

De nos jours, il y a quand même du nouveau sur ce point car, ce qui devrait nous ramener à plus d'humilité, c'est bien l'informatique. Pas la peine d'attendre les robots humanoïdes, il est clair depuis longtemps qu'on ne fait pas le poids par rapport à la machine, que le programmeur fait plein d'erreurs (ou bugs) et que l'essentiel du travail est la correction d'erreurs (de programmation ou de l'utilisateur). Cela n'empêche pas que la machine est bête et qu'il y a plein de choses qu'elle ne sait pas faire encore mais, contrairement aux conceptions religieuses d'une intelligence d'essence divine, nous sommes bien plus proches de l'animal qu'on se l'imagine (et de sa bêtise), ce qui nous en distingue serait plutôt notre propension à délirer, se raconter des histoires, voire mourir pour des idées (qui n'ont plus cours le lendemain).

Contrairement à la prétendue scientificité du marxisme, une politique qui s'inspirerait des sciences devrait donc plutôt abandonner toute certitude préalable pour privilégier l'enquête et l'expérimentation. Il ne s'agit pas de déléguer le pouvoir aux experts qui se trompent autant que les autres mais de ne pas se fier à l'idéologie ni au volontarisme, fut-il celui d'une volonté générale exprimée démocratiquement. Une politique scientifique devrait tenir compte de la sociologie, de l'économie, de l'histoire pour élaborer des projets prudents (ce qui n'empêche pas qu'ils puissent être ambitieux). Plus on se situe au niveau des grandes masses et plus on est obligé de se fier à des élus spécialisés pour l'élaboration mais on peut toujours consulter les électeurs pour ratifier ces mesures ou les évaluer après-coup. Au niveau local, c'est différent, n'importe qui devrait pouvoir être consulté à condition soit d'être directement concerné, soit d'étudier assez la question pour ne pas exprimer de simples préjugés ou convictions. Dans un cas comme dans l'autre, il ne faut pas sousestimer nos divisions ni surestimer le pouvoir de la politique, qui n'est certainement pas de "tout changer" comme on en rêverait, mais doit tenir compte des autres, de la situation matérielle et des rapports de force. Il ne suffit certes pas de voter des mesures généreuses pour qu'elles soient viables. Aux limites cognitives nous faisant mal évaluer le champ des possibles, s'ajoutent le jeu des puissances et l'inertie sociale. Une politique scientifique ne peut négliger ces obstacles ni promettre qu'on s'en sorte et que nous ne serons pas vaincus par plus fort que nous, si c'est le cas. Pire, ce n'est pas parce qu'il y a des solutions techniques, raisonnables et réalistes, que les conditions politiques et les lourdeurs sociologiques permettront de les mettre en oeuvre !

Les interminables négociations entre la Grèce et l'Allemagne en donnent une bonne illustration, se terminant par la capitulation obligée du pays dont on avait coupé les vivres mais qui est surtout, comme on le reconnaît de toutes part, une capitulation de l'intelligence du côté des créanciers, ce qui n'est en rien une exception et plutôt une constante de la politique où les contre-exemples sont rares. On a pu mesurer à quel point ce n'était pas la promenade de santé qu'imaginent des économistes en chambre qui ne manquent pas d'arguments pour renverser la table mais ne tiennent pas compte d'une situation réelle assez inextricable. Il est facile de promettre une sortie de crise d'ici 2 à 3 ans après l'effondrement provoqué par une sortie de l'Euro, il est beaucoup plus difficile d'en être victime et d'accepter cet effondrement quand les banques sont fermées et l'économie à l'arrêt. Dans le bal incessant des ruptures et reprises de négociation, il était en tout cas bien clair que les discours étaient contraints par les positions des interlocuteurs qui ne pouvaient pas en changer même quand leur absurdité était patente, mais quand l'Allemagne faisait mine de vouloir la sortie de la Grèce cela lui retirait son seul chantage possible. C'est là qu'on peut mesurer à quel point nous sommes les jouets de puissances qui nous dépassent plus que les acteurs de notre destin. On a eu la démonstration implacable, contre tous les nationalistes, qu'il n'y a pas de souveraineté pour un Etat endetté (l'esclavage pour dette est presque aussi vieux que l'humanité). Aucun vote démocratique ne peut rien y changer devant la grève générale des banquiers. Ce constat ne signifie pas que rien ne serait possible mais devrait inciter à porter plus d'attention aux alternatives locales, plutôt que d'attendre un miracle des élections ou de l'Etat. On fait face cependant là aussi aux limites de notre intelligence collective : on ne change pas si facilement les habitudes de pensée et les structures politiques, roman national qu'on nous a seriné dans notre jeunesse et auquel certains s'accrochent comme à leur identité perdue.

Comme j'ai essayé de le montrer, il y a au moins deux limites à notre action, d'une part, du côté subjectif, notre bêtise, notre ignorance, notre orgueil, notre folie, et, d'autre part l'extériorité du monde, son caractère déceptif, les contraintes matérielles, les rapports de force, les effets de masse, les circuits, etc. On peut dire que les révolutionnaires contestent les deux, persuadés de savoir très bien ce qu'il faut faire et n'avoir pas besoin de tenir compte du réel, au nom d'une démocratie souveraine mythique et dotée de pouvoirs magiques. En fait, ce que les sciences nous apprennent sur l'esprit humain et les lois de la nature ruine les prétentions d'une rationalisation de la société et de la planification étatique. Il faut bien le dire, l'échec du collectivisme est un scandale pour l'esprit face aux dévastations d'un capitalisme sans âme qui a gagné malgré tout la partie. C'est bien l'échec de la pensée (planificatrice, organisatrice, rationnelle) face à "l'ordre spontané" de l'économie mais face aussi à la liberté individuelle. La rationalisation de l'économie aurait dû marcher, si cela ne marche pas c'est pour une raison profonde, à cause des limites de notre savoir et parce que la liberté est plus productive dans un environnement en évolution rapide, ce qui donne un avantage matériel décisif. Sans ces limitations cognitives et politiques, le libéralisme (notamment politique) n'aurait aucune raison d'exister. Cela n'empêche pas le libéralisme lui-même de tomber dans le dogmatisme le plus rigide, justifiant largement l'anti-libéralisme altermondialiste sans pouvoir annuler les bénéfices de la liberté économique ou politique. La critique nécessaire du libéralisme et de son instrumentalisation par les possédants ne peut mettre en cause sa vérité profonde, seulement ses excès et ses aveuglements intéressés, si ce n'est ses paradoxales dérives autoritaires. Plus qu'on ne croit, le libéralisme est le fils de la philosophie et des sciences, de notre incapacité à s'accorder sur des vérités, de l'absence de garant suprême. John Stuart Mill l'exprime très bien au début de son petit opuscule sur la liberté et c'est à l'évidence ce dont on ne veut rien savoir. Par exemple, lorsque Agamben fustige une politique qui se contente de corriger les effets sans s'en prendre aux causes, c'est parce qu'il surestime la puissance de la pensée et en reste à une mécanique simpliste, un rationalisme pré-critique.

On ne peut balayer d'un revers de main les leçons du libéralisme comme si ce n'était qu'une aberration de l'histoire et une nouvelle forme de domination. Cela ne peut pas vouloir dire qu'on pourrait s'en satisfaire, qu'il faudrait laisser-faire et ne plus essayer de modifier nos façons de faire autant que faire se peut ! L'erreur du libéralisme est la même que celle du scepticisme lorsqu'il prétend dogmatiquement qu'on ne saurait rien sous prétexte qu'on ne sait pas tout, ou qu'il transforme un fait en droit, allant jusqu'à justifier de façon absolument odieuse les situations les plus injustes que nous subissons malgré nous, comme si elles pouvaient être voulues. On en reste ici à l'opposition stérile entre dogmatisme et scepticisme (ou sophistique) alors que philosophie et sciences nous enjoignent au contraire à un savoir en progrès comme à ne pas rester passifs. Même si nous n'en avons ni les moyens politiques, ni la capacité cognitive, cela n'empêche pas que nous devons absolument préserver notre avenir. Simplement, pour y arriver, mieux vaut prendre la mesure de notre ignorance et de notre impuissance au lieu de s'exalter encore une fois pour rien. Il s'agit bien d'appliquer en politique la puissance de la méthode scientifique, à l'épreuve d'un réel sur lequel on se casse les dents, sans précipitation ni renoncement.

La première chose à reconnaître, serait que les bonnes intentions ne suffisent pas pour savoir quoi faire et prendre les bonnes décisions. Si on peut dire que ce n'est pas l'homme qui fait l'histoire, c'est pour la raison première qu'on ne sait pas ce qu'il faut faire, tout simplement, même si on est persuadé du contraire. Il ne manque pas d'intellectuels de bonne volonté qui font des plans sur la comète mais leur diversité est déjà le signe de notre égarement et leurs propositions me semblent au moins trop partielles et souvent mauvaises, inadaptées, imaginaires. Rien à en attendre. Ensuite, on doit bien admettre que l'information ou le savoir ne suffisent pas. On l'éprouve en écologie à ne pas susciter de réactions à la hauteur de l'enjeu. La conscience du désastre ne mène pas à la réaction rationnelle - du fait de l'information elle-même qui est imparfaite et contradictoire, aussi bien pour l'économie que le climat, ce qui est exploité par les marchands de doute, mais surtout à cause de nos divisions, préjugés, dogmatismes ou intérêts immédiats, enfin parce que ce sont les rapports de force qui sont déterminants et non pas l'argumentation comme le croit Habermas. Ce n'est pas que le pire soit toujours certain, il y a des retournements soudains, notamment lorsque la catastrophe est imminente et, à la longue, les meilleures solutions finissent par être sélectionnées. On peut dire qu'il y a autant de bonnes surprises que de mauvaises mais il y a des périodes plus favorables que d'autres et il ne semble pas qu'on y puisse grand chose (ce n'est pas faute d'avoir essayé).

Certes, notre tâche reste de chercher à donner un peu plus d'effectivité à cette conscience et si on ne peut compter sur une providence divine et une fin heureuse, il y a un indéniable progrès de la connaissance et de l'esprit humain, au moins sur le long terme, dont il nous faut tirer profit. On peut donc espérer que l'information s'améliore (avec le numérique) et que la prise de conscience finisse par se faire (au dernier moment, dans l'urgence?) mais cela suffit à réfuter l'identification de la conscience ou de la connaissance au Bien alors qu'elle est plutôt connaissance du mal, de nos limites et de nos erreurs. On s'émerveille vraiment un peu trop de notre intelligence. Malgré internet, malgré Google qui répond instantanément à toutes nos questions, rien ne semble jusqu'ici devoir entamer notre stupidité congénitale (qui s'étale sur la toile) au point qu'alors même que nous aurions les moyens techniques d'arrêter les émissions de gaz à effet de serre et bien assez de richesses pour abolir la misère, ce qui manque toujours ce sont les moyens politiques et humains. Il faut partir de là, de cette désespérance.

On s'affole régulièrement à la perspective de perdre notre humanité, notre prospérité, notre civilisation, nos valeurs, la raison même, alors qu'on ne se préoccupe pas assez de la préservation de notre milieu, trop centrés sur soi, un soi pourtant forgé par l'extériorité mais qui fait obstacle à une politique préventive. L'homme est un animal politique sans aucun doute, bien que cela s'appliquait plutôt à des petits groupes ou des cités à taille humaine, mais l'obstacle à une politique effective, c'est bien l'Anthropos lui-même, ce dont une anthropolitique devrait tenir compte un peu plus que ne le font nos constitutions, pour une politique qui serait, peut-être, moins impuissante et plus adaptée à notre espèce comme à notre milieu.

3 415 vues

65 réflexions au sujet de “Anthropolitique”

  1. Splendide article ! La critique aveugle du libéralisme est vraiment un des points de convergence des dogmatismes de tous bords et le terrain que labourent le plus les nouveaux populistes.
    Par contre, je pense que l'instrumentalisation des idées libérales par les possédants est portée par un langage, celui du marché. L'information - ou la désinformation - que ce langage diffuse contribue à la création, dans les esprits, du mythe de l'individu autonome, méritant, ne devant rien à personne et ayant droit à tout. Donc, à mon avis, l'information et la connaissance, ou la manipulation de celles-ci, comptent et pour beaucoup dans le tissage - ou la déchirure - du lien social. Comment combattre la puissance de la publicité directe et indirecte que fait le marché d'un mode de vie antisocial me parait être une question de premier ordre mais on en entend peu parler.

    • "Comment combattre la puissance de la publicité directe et indirecte que fait le marché d'un mode de vie antisocial me parait être une question de premier ordre mais on en entend peu parler."

      Pourquoi ? ce serait utile ? cela serait-il intéressant pour certains ?
      assiste-t-on à la fin de la société pour entrer dans le mondes des communautés ?

      • Diminuer l'impact de la pollution cognitive due à l'agressivité des techniques publicitaires serait déjà utile, oui. Ne peut-on légitimement réguler l'émission de bruits et autres nuisances ? Quel tabou devrait protéger le tintamarre du marché ? Le rendement des entreprises ? Le droit au travail des publicistes ?

        • Il faut mettre en place une boucle de rétroaction qui permette aux annonceurs de mesurer eux-même la nocivité de la publicité. Aujourd'hui il n'existe qu'un feedback positif : dans le doute, si on met beaucoup de moyens dans la publicité, alors tout va bien.

        • La publicité est une dépense de moyens importante pour des effets mitigés. A la télé que je ne regarde presque plus, je zappe quand il y a une séquence pub, sur le net j'utilise Adblock...

          Les emails spam de pub mettent un lien de désinscription.

          Les moyens techniques actuels stérilisent la pub pour ceux qu'elle n'intéresse pas.

          Il reste les grands panneaux extérieurs sur les routes, mais cette pub trop tapageuse peut aussi dissuader l'achat.

          La pub c'était le moyen de se faire connaitre quand les systèmes d'information étaient moins élaborés.

          Avec le net, celui qui recherche un produit adapté à son besoin fera une recherche multicritère Google qui lui permettra de trouver ce qui lui convient. Le carpet bombing publicitaire dans la rue, sur la radio ou la télé, dans les boites aux lettres, au téléphone... me paraissent obsolètes sur le plan économique à l'ère du big data et du machine learning.

          Il ne s'agit plus de matraquer le consommateur d'informations criardes et inopportunes dont il est saturé, mais de lui apporter l'information au moment nécessaire.

          • Vous vous sentez peut-être immune à la pub tellement elle est connement faite mais force est de constater que le langage du marché a imprégné les esprits des bontés de la concurrence et de l'individualisme forcené. C'est pour ça que tiennent encore debout des mythes indéfendables comme le darwinisme social ou celui du chasseur-cueilleur-entrepreneur, Trump, pour ne pas le nommer.

          • Oui, car il y a 100 et 50 ans, les gens - ceux de chair et d'os, pas les français ou les allemands - sortaient de deux boucheries mondiales grâce à l'instinct de solidarité de notre espèce face à la violence chaotique. Aujourd'hui, on a déjà commencé à oublier et Madmax est devenu une sorte d'archétype du résistant.

            Une question : pourquoi tenez-vous absolument à me ranger à côté des apocalyptiques ?

    • Je déteste la publicité et voterais pour son interdiction (au moins de son caractère trompeur et pas juste informationnel) si on me demandait mon avis mais je ne crois pas possible de s'en débarrasser dans cette première phase de la société de l'information où cela devient une des seules sources de revenu pour presque toutes les applications numériques.

      Ceci dit, je ne crois pas du tout qu'il suffirait de sortir de la société du spectacle pour retrouver l'unité perdue. D'ailleurs l'individualisme le plus délirant s'est parfaitement exprimée dès le début du capitalisme dans Robinson Crusoé (et le roman en général), ce qui montre que c'est bien le système de production qui crée son idéologie et non pas une quelconque hégémonie culturelle qui suffirait à modifier le mode de production. L'instrumentalisation de l'idéologie (ou des religions) par les dominants est une constante de l'histoire.

      La causalité vient de l'extérieur comme la publicité qui nous envahit et pourra peut-être se dissoudre, devenir pervasive et invisible en se personnalisant complètement, reflétant là encore les nouvelles possibilité techniques et l'évolution de la production. Il se pourrait aussi bien que l'économie collaborative se dote d'une idéologie moins individualiste et plus socialisante. En tout cas, si se constituaient un jour des coopératives municipales, cela devrait bien s'accompagner de valeurs plus solidaires.

      • Je ne limitais pas ce que j'appelais le langage du marché à la publicité bien qu'elle en soit la manifestation la plus spectaculaire et théâtrale. Je ne limitais pas non plus le rôle de la publicité dans le système économique actuel à une sorte de mission propagandiste des excès du libéralisme. Je suis d'accord avec vous quand vous faites remarquer qu'elle constitue aujourd'hui un des seuls moyens d'apporter un peu de gratuité dans le flux de l'information. Il y a tout de même beaucoup à redire sur le prix de cette gratuité, par exemple celui que paye l'utilisateur de la plupart de ces applications en terme de concession d'accès à des données privées dont le logiciel n'a pas un besoin fonctionnel.

        Les idées ne naissent jamais de la propagande, elles ne sont que manipulées par celle-ci. Les grands maîtres nazis et soviétiques de cette discipline n'ont en fait inventé que des techniques au service de la promotion d'idées plus anciennes. Pour cela, je modifierai votre phrase en disant que les privilégiés par le système de production ( les dominants ) instaurent, par le biais de la propagande, un effet rétroactif de renfort de la légitimité de l'idée de base qui sert leurs intérêts. Ce qui compte, c'est la légitimité effective de l'idée dans chaque esprit, bien plus que son bien-fondé ou rationalité.

        Je préfère ne pas aborder Debord et sa société du spectacle sur ce sujet même s'il parait incontournable. Je pense n'avoir jamais vraiment compris à quoi voulaient en venir les situationnistes.

        • J'ai cru longtemps que d'être situationniste me sauvait de la connerie des communistes avant d'en mesurer toute la connerie aussi mais Debord reste intéressant.

          Ce n'est pas nouveau que les dominants manipulent la justice. Comme le dit Rousseau : "Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit, et l'obéissance en devoir". L'étonnant, c'est la facilité avec laquelle on y arrive, ce qui me semble lié à la narration, ce qu'on appelle maintenant le storytelling mais qui est à la base du mythe et des cosmogonies. En anglais on utilise le mot "spin" pour désigner cette manipulation (comme dans spin doctor), ce qu'on peut traduire par baratiner et qui oriente les esprits simplement par le récit qu'on donne des faits, occultant tous les autres récits possibles (du côté des vaincus notamment). Il semble qu'il suffit de nous raconter des histoires pour qu'on y croit...

          • Oui, et c'est là que peut survenir la désespérance. Mon espoir porte sur les prochaines générations. Nous, on est trop cons pour changer le monde alors contentons-nous de limiter la casse et montrons l'étendue de notre connerie aux plus jeunes. J'ose espérer qu'un jour, il restera des gens pour se marrer des sornettes que nous avons avalées.

      • Une grosse partie de la publicité est informationnelle. Pourtant elle nécessite un minimum d'attention de la part de l'usager, une attention à "gagner" par l'annonceur, c'est là que la publicité devient pénible et difficilement tolérable. Sans système de feedback adapté aucune économie n'y échappera à mon avis : la publicité importune n'a a priori que des bénéfices. Alors ok, ce serait une importunité solidaire et très positive dans une économie peut-être pleine d'avantages... mais finalement ce serait limite pire : aujourd'hui on sait vaguement que la publicité ça énerve les gens, si elle se retrouve à servir des objectifs "moraux" notre attention va être totalement confisquée.

      • Enfin... si l'interdiction du mensonge me semble difficile, je trouve aussi qu'il faudrait mettre fin à cette sorte de licence de la tromperie et de l'arnaque, en gros. Il y a un cadre qui y a été mis, mais c'est largement insuffisant.

  2. Aujourd'hui je trouve intéressante la voie du paternalisme libéral, qui est compatible avec l'expérimentation locale (comme je crois le fait Esther Duflo).
    Pour la question de la démocratie... je pense qu'il y a pas mal de gens qui se regroupent sans en demander la permission. Avec la révolution industrielle l'organisation de la collaboration a été avalée par l'entreprise et le capitalisme (et avec l'aide de l'état le plus souvent, parce que le salariat est cohérent avec sa structure et sa mission). Avec un temps de travail qui se rétrécit (un peu), des organisations qui permettent de gagner du temps dans la gestion du quotidien et des enfants, la collaboration se retrouve à nouveau possible à un niveau individuel. Cependant cette individualisation s'accompagne de beaucoup de libertés nouvelles (émancipation de la famille, de la communauté religieuse...) et nous avons envie d'en profiter, sans se faire happer par de nouvelles solidarités définitives. Et puis il n'est pas rare d'être déçu par le fonctionnement des organisations qui se disent anti-capitalistes (syndicats, associations etc.), cependant il y a tout un tas de gens qui semblent vouloir s'inscrire dans des comportements collaboratifs faibles, dans des appartenances opportunistes concurrentes... Est-il possible d'orienter cette dynamique pour travailler à un système de une gestion de la Cité plus démocratique, de manière locale, en respectant le principe de subsidiarité, sans reproduire les structures hiérarchiques actuelles qui sont justement en crise ? Je crois que de manière générale la démocratie est subie, toute avancée en la matière est pourtant plutôt un signe de bonne santé sociale et de prospérité... il devrait être possible au moins d'agir sur les conditions qui font émerger la démocratie.

  3. "...le nouveau récit pourra être contredit tout autant par une nouvelle découverte, obligeant à une suspension du jugement au lieu de s'identifier à ce qu'on croit savoir..."
    Le phénomène d'identification, qu'il se manifeste à propos de ce qu'on croit savoir au bien aux décisions que nous prenons, conduit à une remise en cause de la personne même, ce qui n'est supportable par personne. Pas de possibilité de développement d'une quelconque intelligence collective sans cette prise minimum de distance, vis à vis de nos croyances ou de nos décisions, puisque le développement de l'intelligence collective repose sur une actualisation des informations. Comment faire pratiquement, sur un plan personnel, mais surtout sur un plan collectif pour favoriser cette prise de distance? Telle est une des principales questions pratiques conditionnant le développement de l'intelligence collective.

    • Je ne connais pas de méthode plus efficace que de suivre la recherche scientifique ou de faire de l'informatique pour éprouver nos limites cognitives, sans quoi il est presque impossible de les admettre. On retombe d'ailleurs très facilement dans nos certitudes dès qu'on ne pratique plus, il faut des piqûres de rappel périodiques tant cela ne nous est pas naturel.

      • Une affirmation pourtant entre parenthèses « (le cerveau est l’organe de l’extériorité, perception et apprentissage) » me paraît très importante, et mériterait un commentaire, car cela va à l’encontre de toutes les traditions occidentales héritées, qui privilégiaient le sujet pensant ? Cette affirmation ne tient-elle pas plus du vaccin, pour beaucoup de lecteurs potentiels, que d'une piqure de rappel?

        • Oui, et on en avait déjà parlé. On peut certes faire du cerveau l'organe de l'intériorité comme la plupart l'imaginent car il abrite nos pensées intimes et il est connecté à l'état du corps, quoique pouvant s'en détacher, dirigeant ses mouvements mais le cerveau est une extension de la peau et d'abord l'organe de la perception. L'appareil visuel y tient une grande place, ensuite la plasticité du cerveau en fait l'organe de la mémoire et de l'apprentissage, intériorisation de l'extériorité. Enfin, l'apprentissage du langage (appris, extérieur, social, culturel) et la communication avec l'extérieur occupent l'essentiel de ses ressources.

          L'organe de la vision ne se voit pas lui-même, la perception s'oublie derrière le perçu de même que notre personnalité nous colle à la peau, comme si c'était notre essence originelle, sans voir qu'elle a été façonnée par notre expérience de la vie et n'est, elle aussi, qu'un reflet de l'extérieur, une création de l'extériorité sans aucun dieu pour lui donner forme mais seulement le hasard des rencontres qui nous transforment sans cesse dans une direction ou une autre, sans plan préconçu même s'il y a de grandes tendances à long terme (complexification, réduction de l'entropie, progrès des connaissances).

          Il s'agit effectivement, dans tout cela, d'inverser la causalité en partant de l'extérieur ("la pensée du dehors" disait Foucault). C'est le point important.

      • L'objectif n'est peut-être pas très recevable, cad éviter de se faire prendre par les radars, mais le processus relève bien d'une collecte d'information fiables statistiquement et remises à jour par les fourmis-conducteurs. Je ne vois pas du tout pourquoi ce processus ne relèverait pas de l'intelligence collective, comme ce que font les fourmis ou les abeilles. Les abeilles aussi utilisent une centralisation de l'information avec une actualisation en temps réel, avec les danses frétillantes, soit dans la ruche pour la collecte du nectar ou du pollen, soit sur l'essaim pour la recherche d'un nouveau lieu.

    • Je cite wikipedia sur la définition de l'intelligence collective:
      Les formes d'intelligence collective sont très diverses selon les types de communauté et les membres qu'elles réunissent. Les systèmes collectifs sont en effet plus ou moins sophistiqués. Les sociétés humaines en particulier n'obéissent pas à des règles aussi mécaniques que d'autres systèmes naturels, par exemple les colonies d'insectes [réf. souhaitée]. Les caractéristiques de l'intelligence collective sont, pour les plus simples d'entre elles :
      -Une information locale et limitée : Chaque individu ne possède qu'une connaissance partielle de l'environnement et n'a pas conscience de la totalité des éléments qui influencent le groupe.
      -Un ensemble de règles simples : Chaque individu obéit à un ensemble restreint de règles simples par rapport au comportement du système global.
      -Des interactions sociales multiples : Chaque individu est en relation avec un ou plusieurs autres individus du groupe.
      -Une structure émergente utile à la collectivité : Chaque individu trouve un bénéfice à collaborer (parfois instinctivement) et sa propre performance au sein du groupe est meilleure que s'il était isolé.

      • On dirait que ça confirme que l'intelligence collective c'est la culture.
        Dans l'exemple des fourmis-antiradars, il y a un hic; ça ne ressemble à aucun système biologique connu. Cet exemple illustre bien, à mon avis, la confusion entre intelligence humaine, donc animale et biologique, et l'intelligence numérique. Dans l'exemple, quelqu'un a détecté un besoin d'information à un moment ponctuel et répété du comportement de l'individu fourmi et a trouvé le moyen et la satisfaction d'y pourvoir. Dans la nature, il n'y a que dieu pour faire un truc pareil.

          • C'est vrai, je me suis mal exprimé. En bref, je ne pense pas qu'il existe une intelligence collective humaine. La chose la plus naturelle y ressemblant c'est la culture.

          • @Mor,
            Le terme d'intelligence collective peut très bien être employé pour des actions humaines, malgré toutes nos difficultés à surmonter notre "commune connerie". Notre culture peut améliorer la situation, par exemple en passant d'une culture du chef, du sauveur, à une culture collaborative. C'est ce qui est tenté dans des groupes restreints (organisations) avec un certain succès, par exemple dans "l'entreprise libérée", ou avec la sociocratie, ou bien dans le monde du logiciel avec les procédures dites Agiles (SCRUM en particulier). Toutes ont en commun de placer, au moyen de dispositifs très élaborés et eux-mêmes soumis à la critique, la qualité de l'information en leur centre, cad les problématiques, les retours d'expérience... plutôt que les questions de personnes. Aucun parti politique n'a encore fait d'expérience tangible en ce sens.

          • Je ne situais pas le débat sur la qualité de cette intelligence dite collective sinon sur son existence. L'intelligence a besoin de capter des données, de percevoir : existe-il un organe collectif de perception ? Les intelligences peuvent bien sûr collaborer, en série ou en parallèle, mais le flux d'information qui passe des unes aux autres n'est plus de la même nature. Ce n'est plus de la perception de données, c'est de la narration ( cf. un des échanges avec J. Zin : on aime trop se raconter des histoires ). L'intelligence collective humaine serait donc le mécanisme de construction de la grande narration qu'est l'histoire. C'est donc, une fois de plus, la culture, qui est collective par définition et peut être plus ou moins intelligemment adaptée à l'environnement, si vous voulez. Maintenant, essayez de faire un classement d'intelligence culturelle ou de décider qui est un sauveur, qui ne l'est pas, qui dit des conneries ou qui baratine...

            Quant aux expériences sociales, pour moi, cette manie de prendre les gens pour des cobayes a toujours senti le souffre.

        • Je ne sais pas si le signal "il y a une caméra mobile (un radar) à tel endroit" est évanescent, comme les signaux odorants des fourmis, ou bien s'il est effacé quand un ou plusieurs automobilistes avertis de la présence d'un radar constatent qu'il n'y est plus. Les abeilles utilisent le signal "il y a un bon site ici" et le signal "stop= non ce n'est pas un bon site" pour la sélection d'un nouveau site de résidence. Le signal "stop" permet de faire converger un peu plus vite vers le choix de ce nouvel emplacement.

          C'est justement parce qu'il n'y a pratiquement pas d'intelligence individuelle à la base de la formation d'une information beaucoup plus large, plus complexe et fiable (les positions des radars en temps réel, et plus intéressant: les bouchons) que cet exemple illustre bien un processus d'intelligence collective. Les perturbations cognitives usuelles dans les groupes humains ne viennent pas compliquer le processus.

          • Quand je parle "d'intelligence collective" je pense à un processus volontaire non naturel consistant à traiter ensemble d'une manière décloisonnée un problème ; traiter étant ici comprendre et agir ;"ensemble " étant ici toutes les personnes physiques et morales le souhaitant; je pense donc à l'activité politique , du moins à ce vers quoi il faudrait tendre en matière d'organisation et de pratique politique .

          • @Di Girolamo,
            Je crois que ton acceptation de l'intelligence collective est très restreinte et inexacte.
            Le terme d'intelligence collective est utilisé en premier pour décrire comment les fourmis et les abeilles et tous les animaux sociaux résolvent des pb complexes à partir d'actions individuelles très limitées (les fourmis qui trouvent en rien de temps le meilleur chemin au travers d'un labyrinthe, les abeilles qui se choisissent un nouveau site...).
            Pour les collectifs humains, les processus d'intelligence collective sont limités par la recherche du pouvoir individuel, la difficulté à se comprendre (les malentendus), le réalisme défaillant, bref, ce que Jean Zin dénomme notre commune connerie qui limite notre capacité à mettre en pratique une "philosophie de l'information". Une autre difficulté provient de la difficulté politique à se mettre d'accord sur un objectif, là où les objectifs des animaux sociaux sont très bien définis (rechercher de la nourriture, rechercher un site viable...).

          • @ Michel

            OK pour restreinte.

            Pour le reste .....Ce n'est pas parce que contrairement aux abeilles et fourmis on est pas directement en phase avec la réalité et qu'on s'égare en permanence du fait de notre perception limitée et gros défauts , qu'on aurait pas besoin de comprendre et agir ; c'est bien tout le contraire ! C'est parce qu'on est défaillant qu'on a besoin d'un travail permanent sur nous mêmes. Et ce travail ne peut se faire par l'intelligence individuelle du fait même de nos limites cognitives et de nos défauts (orgueil, volonté de puissance etc ) c'est en se confrontant à l'autre , à d'autres perceptions, d'autres intérêts , c'est à dire en activant un processus de réflexion et débat collectif qu'on avance . Renoncer à organiser et pratiquer cette intelligence collective là , c'est décider qu'on est des fourmis et des abeilles ; c'est une idéologie .

          • @Di Girolamo,
            je ne peux qu'être d'accord sur l'idée d'utiliser le groupe pour nous co-éduquer dans la pratique de plus d'intelligence collective, c'est ce que je tente de mettre en pratique tous les jours en m'inspirant très fortement de la sociocratie d'Endenburg pour gérer un atelier/labo.

          • @Michel

            Oui , mais pour moi le problème n'est pas d'utiliser un groupe pour nous co-éduquer ' (cette expression de co-éducation convient bien ) mais de relier cette co -éducation à la résolution réelle des problèmes réels qu'on a . Bref on en revient à l'organisation de l'activité politique .
            Et là je crois vraiment que cette méthodologie d'aborder ensemble les problèmes , en en faisant le tour en incluant le plus d'acteurs possibles sans exclusives , pour pouvoir décider quelque chose quand on peut, est un chemin non facultatif qui nous rapprocherait un peu des abeilles et des fourmis . L'idée de déléguer par le vote et de nous priver de cette co-éducation est un piège à faire sauter.

            Je ferai (ce soir ou demain ) passer le descriptif d'une action que je vais proposer d'ici peu aux élus de ma communauté de communes pour avoir les critiques éclairées de jean et blogueurs.

          • je compte soumettre aux élus de ma cc de communes ce texte en préparation ; Il manque les photos de ruchers vergers .

            Des Ruchers –Vergers Communaux
            En Hermitage Tournonais
            Descriptif de l’action

            Les échelons territoriaux s’élargissent, les décisions politiques et l’irrigation économique des bassins de vie de proximité semblent échapper de plus en plus aux élus locaux et aux habitants et s’imposer d’en haut, inexorablement.

            La commune si elle n’est plus que la gérante de ce qui arrive d’ailleurs perd son sens et risque de disparaître au profit d’entités administratives de plus grande envergure. C’est la tendance actuelle.

            Pourtant les territoires de proximité sont des lieux de vie concrets, remparts d’un monde déshumanisé et en perdition écologique ; c’est bien à cette échelle, à ce niveau, que la vie quotidienne se déroule dans un monde plus à notre portée.

            La conquête d’un agir ensemble localement, d’une meilleure maîtrise de l’aménagement et du développement du territoire local par les acteurs eux-mêmes, est sans doute un enjeu qui mérite qu’on s’y penche un peu plus.

            Le cadre communal et intercommunal de par son caractère public, dédié à tous ,et sa dimension de proximité , semble un espace pertinent pour fédérer en ce sens les habitants des bassins de vie .

            L’action « Des ruchers vergers communaux » se présente comme une exploration expérimentale d’une collaboration entre les élus locaux et les habitants, entreprises, associations etc ; il s’agira à partir de la problématique de la disparition des abeilles et de la dégradation du milieu naturel , de mener une action collective sur le territoire ; cela afin de participer à lutter contre l’extinction de certaines espèces indispensables à l’agriculture et à l’économie locale et à expérimenter sous des aspects divers les possibilités qu’offrent l’organisation d’une démocratie participative réunissant dans le cadre communal et intercommunal l’ensemble les acteurs locaux autour d’actions concrètes à caractère économique, social , et environnemental.

            En s’inspirant des journées citoyennes que certains élus proposent à leurs administrés pour nettoyer un chemin, remonter le mur en pierre de la cours de l’école etc…, l’espace communal et intercommunal peut devenir le point de convergence des diversités locales.

            La disparition des abeilles est un fait avéré qui doit nous alerter et peut être fédérateur ; la pollinisation est indispensable à la production alimentaire ; certains rapports scientifiques récents font état d’une sixième extinction des espèces animales due aujourd’hui aux effets des activités humaines. Il est donc loin d’être inutile de s’informer et de se sensibiliser sur cette problématique.
            C’est cette action d’informer et sensibiliser qui inaugurera cette expérience ; des soirées communales et intercommunales auront cet objectif d’information et présentation de l’action consistant à installer des ruchers –vergers biologiques communaux.
            Un ou des chargés de mission intercommunaux animeront cette action expérimentale assisté de partenaires divers et constitueront pour conduire et inventer cette démarche un comité de pilotage et des commissions communales composés de personnes physiques et morales bénévoles le souhaitant. Ces personnes ayant pu se signaler lors des réunions de sensibilisation et présentation de l’action.
            La presse locale sera invitée à participer et à promouvoir cette action en informant les habitants.
            Les entreprises, associations, agriculteurs, propriétaires fonciers, particuliers, collectivités du pays seront sollicités afin de mettre à disposition des communes des parcelles de terrain adaptées à recevoir un rucher –verger en zone rurale et en ville. De même il s’agira de mobiliser des financements locaux pour parrainer des ruches et des arbres. Ces ruchers verger seront des lieux conviviaux de rencontres et d’animation à vocation pédagogique et auront une vocation de ruchers vergers écoles : apprentissage de la conduite des ruches et des arbres en agriculture biologique.
            Pourront y être organisé des animations à destination des scolaires, des visites touristiques : le tour des ruchers vergers communaux, ces circuits mettant en valeur la démarche politique et collective innovante du territoire.
            Au vu du caractère ambitieux et largement intercommunal du projet, un aspect économique sera à mettre en œuvre et développer : production de miel local et dérivés ainsi que de fruits frais ou transformés (confitures, fruits secs , glaces , jus ..), création d’un label local selon un cahier des charges rendant compte de la dynamique territoriale et de la volonté de relocaliser l’économie.
            Des actions d’aménagement du territoire, plantations de haies, plantes mellifères, observations du milieu ….. Seront connexes.
            Ainsi qu’un travail sur les pesticides, avec le développement d’actions de sensibilisation et d’alternatives à leur usage. Développement de l’agriculture biologique, communes zéro pesticide.
            Les ruchers seront un observatoire du milieu, une veille sanitaire sera déployée…
            Ainsi cette action permettra aux communes et communautés de communes d’expérimenter une action politique locale collective dans un cadre public ; de tirer une évaluation de cette opération. Les points de difficulté et les perspectives.
            En effet, si la mondialisation a, à bien des égards, participée à l’amélioration générale du niveau de vie, d’inquiétantes limites sont apparues générant délocalisation, chômage, pollutions, dégradation de la qualité de vie, réchauffement climatique, perte de démocratie, éloignement des centres de décision etc etc
            La relocalisation de l’économie , si elle offre de belles perspectives de création d’activité et d’emplois par la valorisation des ressources locales , en les transformant et vendant localement -produits , services, énergie - se heurte à plusieurs difficultés : la première étant la concurrence avec les prix très bas issus de la compétitivité mondialisée , le seconde étant le déficit de culture collective et participative.
            Il est donc intéressant d’explorer les possibles en ce domaine afin dévaluer les marges de manœuvre s’offrant aux acteurs locaux pour prendre en main eux même le développement de leur bassin de vie.

            Sans nul doute la réussite d’une telle action établira un lien citoyen entre les habitants et leurs élus, entre les communes rurales et les villes moyennes de la Communauté de Communes. En cas de dynamique territoriale positivement engagée, cet outil de recherche et développement pourra se structurer, par exemple en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), statut qui permet d'associer autour du même projet des acteurs multiples : salariés, producteurs, bénéficiaires, bénévoles, usagers, collectivités publiques, entreprises, associations, particuliers...
            Son siège, intégrer, pourquoi pas, un aménagement tel que celui prévu sur le site d’ITDT à Tournon , une « Maison de l’Hermitage Tournonais » point de rencontre des acteurs locaux , point d’accueil et vitrine du pays donnant sens à ce site exceptionnel situé en entrée de ville .

            Bref, en terme de perspectives, les ruchers vergers communaux pourraient permettre, au-delà des objectifs de l’action qui en eux-mêmes sont importants, de structurer et matérialiser des outils de développement local communal et intercommunal et explorer d’autres domaines ayant trait à l’aménagement développement participatif du territoire.

          • @Di Girolamo,
            un très joli projet, je te souhaite bonne chance.
            La question qui me vient: comment garder le projet au centre. Je ne suis pas certain que c'est utile de trop mettre en avant dans le discours les termes "bio", "démocratie participative", qui peuvent se révéler clivant et contre productifs. L'essentiel c'est de la faire.
            Ensuite, as-tu des idées précises pour maintenir le projet au centre? Nul doute qu'il y aura des oppositions et ensuite des tentatives de récupération si elles servent des intérêts personnels, des plans de carrière locale....
            Pourquoi associer ruchers et vergers seulement et pourquoi pas d'emblée ruchers - flore mellifère, puisque dans ton texte tu parles bien des autres plantes mellifères?

          • Michel

            Tu as raison sur l'emploi des mots "clivant" , je vais y réfléchir ; cela dit il faut bien appeler un chat un chat : par exemple il est difficile d'envisager d'installer des ruches au milieu d'un verger traité au désherbant et autres produits .
            Avant de craindre une récupération du projet , qui devrait être assez large pour éviter cela , je crains surtout son absence de démarrage ! J'aurais la réponse bientôt .Cette réponse des acteurs locaux est intéressante à recueillir pour voir où ça en est localement .

            Associer directement les plantes mellifères ? Je parle "d'inventer " le projet : les commissions communales et le comité de pilotage donneront forme à cette idée de départ . (intelligence collective en action !)

  4. "...mais l'obstacle à une politique effective, c'est bien l'Anthropos lui-même, ce dont une anthropolitique devrait tenir compte un peu plus que ne le font nos constitutions, pour une politique qui serait, peut-être, moins impuissante et plus adaptée à notre espèce comme à notre milieu..."
    Le principe de précaution inscrit dans notre constitution est un premier élément allant dans ce sens, me semble-t-il.

  5. D'un certain côté, je trouve que l'Euro fort et conservateur est par un détour de l'histoire un moyen révolutionnaire schumpéterien.

    Sapir prône une dévaluation monétaire souverainiste, sorte de béquille accommodante pour les connivences nationalistes au détriment, de toute façon, des lampistes du bas pour conserver l'ordre des corporations nationales dominantes.

    L'incapacité française ou autre à tenir ses promesses devant une monnaie forte est le résultat d'une oligarchie nationale largement incompétente et byzantine, tout comme celle de la Grèce vérolée par toutes sortes de connivences clientélistes et corporatistes.

    Le mur en béton de l'Euro fort pourrait bien être le ferment des révoltions contre les monarchies nationales, bien plus que contre un ordre ordo-libéral rigide, mais utile de part sa rigidité murale et froide toute germanique. En témoigne l'arrivée de Syriza en Grèce, exsudat d'un processus en maturation d'une lointaine histoire populaire.

    Entre un mur auquel il faut faire face et des gravas sur lesquels s'allonger ?

    • Oui, je ne crois pas du tout en une efficacité particulière de la souveraineté nationale. Pour moi le dysfonctionnement de l'Europe (et de l'euro) est dû surtout à la reprise en main par les états-nations qui ont gelé tout le processus de convergence. La soit-disant Europe-politique prônée par les partis nationaux ne doit être comprise qu'à travers une légitimité incontournable du suffrage universel national. A partir de ce moment-là on ne peut pas s'étonner de se retrouver avec une Europe qui valorise l'approche antagoniste des nations puisque c'est justement leur fondement.
      Les promesses et compagnie... c'est juste que le système de la représentation a été court-circuité par le mass-media qui, lui-même, n'existe plus qu'à travers des subventions publiques ou des licences distribuées par l'exécutif : c'est un système qui tourne en boucle fermée, de manière complètement déconnectée de la réalité.
      Je pense, comme quelques autres, que l'euro doit être utilisé comme monnaie de référence par rapport à des monnaies locales, en mettant en place une sorte de convergence commerciale (où les comportements de prédation ne seraient pas particulièrement valorisés... que cela entraîne une convergence fiscale, peut-être, ce ne serait qu'un effet, ça n'est pas un objectif en soi)... évidemment je ne vois pas la Nation comme étant l'échelle la plus performante aujourd'hui.

  6. Avant même d'avoir lu la réponse de Michel Martin, j'étais de son avis: je trouve le premier paragraphe contreproductif, qui place d'emblée le projet dans une optique " politique". Même chose dans le paragraphe 3: le projet peut en lui-m^me recevoir l'adhésion de gens qui n'ont pas pour finalité de lutter contre le centralisme ou encore moins d'élever un " rempart contre un monde déshumanisé"!
    Personnellement j'irais directement au paragraphe 5, à savoir le projet concret. En renonçant à toute idée d'alerter ou de fédérer les citoyens... Bonne chance! C'est une belle proposition.

      • Je dirais qu'il faut séparer le projet concret immédiat, qu'il faut garder simple pour être faisable rapidement, distingué des perspectives à plus long terme qu'on peut citer mais qui sont plus hypothétiques et renvoyées à un second temps, tout comme on peut finir par donner rapidement quelques justifications idéologiques ou écologiques qui peuvent justifier de s'y engager mais sans s’appesantir, c'est le projet qu'il faut mettre en avant quelques soient les opinions des participants.

        • Bon ! Merci ; je m'étais permis de positionner ce texte dans ce but , me méfiant de moi même et l'art qui m'est facile de ne pas faire simple et rebuter pas mal de gens .

          Je donnerais des nouvelles dans quelques temps pour vous dire comment ça se passe sur le terrain .

  7. Enfin, ce sont, pour J. Goody, les moyens matériels et intellectuels de produire des richesses qui, en dernier ressort, sont les moteurs des sociétés et leur donnent forme. Cette sorte de matérialisme historique, il l’a acquise très tôt à la lecture du penseur socialiste Leo Huberman (Man’s Wordly Goods, 1936). D’où l’importance théorique qu’il accorde aux techniques de production (comme la charrue) et de communication (comme l’écriture ou l’image) dans son approche des phénomènes culturels, sociaux et religieux.

    Ainsi peut être résumée, en peu de mots, la « méthode Goody », à l’aide de laquelle il brosse, au fil de son œuvre, une vue large, progressive et systématique, mais aussi pleine de détails, de l’histoire des sociétés humaines, restreinte il est vrai à l’aire Afrique-Europe-Asie.

    http://www.scienceshumaines.com/jack-goody-est-mort_fr_34869.html

    • Ma différence, sur ce matérialisme culturel, c'est de séparer la détermination immédiate (symbolique ou biologique) de la sélection par le résultat, après-coup, distinction essentielle sans laquelle on tombe dans un mécanisme imbécile auquel on trouve plein de contre-exemples.

    • J'ai lu ce résumé de thèse communiqué par Olaf. Intéressant! La connaissance qu'on peut retirer de cette expérimentation ne porte pas sur le comportement social
      de l'espèce "rats", mais sur celui de l'espèce humaine capable de créer un univers carcéral aussi monstrueux, totalement artificiel... et prétendre étudier ainsi la psychologie comportementale d'une espèce vivante...

    • C'est pas vraiment une lutte des classes, mais plutôt les phénomènes de domination dans un groupe, dans une classe. Il y a eu des dizaines d'expérimentations de ce genre avec les mammifères qui vivent en groupe, bien souvent ces pauvres rats. Les observations sont en partie transposables à l'étude des groupes humains. On retrouve les mêmes schémas qui se reproduisent, générés par les conditions dont le nombre d'individus du groupe est un paramètre.

      • Il me semble que ces comportements de domination-parasitisme dans un groupe animal mammifère sont le mécanisme de formation des classes humaines, avec de surcroit un renforcement par le storytelling issu du langage propre à l'être humain.

        Le fait de créer un univers carcéral générant ces comportements n'est pas réservé aux expériences in vitro des laboratoires.

        Pour un prendre l'exemple le plus extrême, le système carcéral des prisons n'est pas un modèle de laboratoire, mais un système construit par la société.
        Avec, qui plus est, aucune intention d'en tirer le moindre enseignement. Le principe prison n'a aucune justification scientifique, seulement une justification sécuritaire et morale.

        Le salariat, dans un ordre autre de conséquences, relève de ce type d'expérience, à savoir les conséquences et contingences d'un cadre précontraint organisationnel concernant un individu et ses modalités adaptatives.

        • D’accord avec vous, Olaf. Mais l’homo sapiens conçoit pour les animaux aussi d’autres espaces de vie plus attirants mais sans non plus aucun rapport avec le milieu naturel auquel leur espèce était adaptée : en les domestiquant, en les apprivoisant. Pour leur bonheur, pour une vie meilleure? . C’est ce que nous disons. Wikipedia dans l’article concernant la néoténie fait remarquer qu’un chat sauvage cesse de ronronner devenu adulte, mais pas le chat domestique. Que le chien remue la queue toute sa vie, alors que c’est vrai seulement pour le tout jeune louveteau. C'est-à-dire que le contact prolongé avec le monde culturel humain entretient chez le mammifère domestiqué le moment de noéténie, c'est-à-dire met en recul la maturité qu’il atteindrait très vite en vivant dans le milieu ( Umwelt) qui convient à son être naturel. Mais cet état d’immaturité entretenu auprès de l’homme n’apporte cependant aucun profit notable aux mammifères supérieurs ainsi retirés d’un monde "sauvage", alors qu’il a permis au tout jeune humain d’en bénéficier, dans le monde socio-culturel propre aux sociétés humaines, pour acquérir l’accès au langage, donc la capacité s'utiliser son cerveau comme organe de l’extériorité
          ( perception, apprentissage).

          • Il y a des mouvements de structuration, capitalisation comportementale, inéluctables pour raisons sociales séculaires. Il n'en reste pas moins que le système corps humain structuré par son ADN a capitalisé au delà des millénaires sociétaux des modes super-locaux de bio feed back régulateur, au stade de l'organisme corps qui est d'une ultra sophistication, dépassant toutes les aberrations contingentes séculaires politiques sociales, théoriques, toujours en retard d'un train.

            Évidemment, ça demande d'avoir un peu expérimenté, d'avoir fait du hors piste artistique. Ce qui est en soi peu transmissible, puisque ça relève du vécu.

            Pas un vécu imaginaire, mais un vécu vérifiable matériellement qui ne raconte pas que des histoires sans queue ni tête.

            La ligne UG Krishnamurti me parait toujours tenir la route, après mûres réflexions et expériences.

            Encore faut il savoir accepter la nécessité de l'expérimentation au quotidien, ce qui est la vie et ses incivilités :

            https://www.youtube.com/watch?v=uqmSnnmS5Ms

    • J'avais déjà parlé de cette expérience dans une revue des sciences et il n'y a là rien d'étonnant, la vision d'une nature qui serait "bonne" n'a aucun sens, ce sont d'autres mécanismes qui sont en jeu, notamment de dominance, ayant un rôle sélectif (pression de l'extérieur) et qui n'empêchent pas que les rats peuvent faire preuve d'empathie envers leurs congénères et les sauver s'ils le peuvent.

      L'extrapolation aux hommes est toujours un peu simpliste même si les mécanismes biologiques sont proches, ce qui nous caractérise étant notamment une baisse de la testostérone et un moindre rôle de la dominance qui existe quand même mais n'est pas exercée par les plus forts ou agressifs. Rien à voir en tout cas avec la lutte des classes qui est systémique.

      Certes l'univers carcéral des expériences de laboratoire joue un rôle, notamment dans les tentatives de les droguer, mais cela n'explique pas tout. Quand à l'infantilisation des animaux domestiques, je suis bien placé pour voir que ce n'est pas forcément imposé par les humains, les animaux sont demandeurs. Ici, les chats sont en liberté dans la nature et ils ne veulent rien tant qu'être pris en charge et ronronner toute leur vie au lieu d'être sans arrêt sur leurs aguets. On peut le voir même avec des lions ou des crocodiles (pour les chiens, c'est différent, ils ont été largement modifiés par rapport aux loups, tout comme les poules ou les vaches).

      • D'accord avec vous sur l'accord des animaux apprivoisés pour vivre dans une enfance prolongée sous protectorat humain. Seulement je signalais que les chercheurs n'ont jamais démontré que ce contact n'entraine aucune modification génétique significative. Par contre l'être humain accepte aussi volontiers que soit prolongé plus que nécessaire l'état d'immaturité de notre espèce, et le ronron de l'enfance ( quand c'est possible!)

        • Il semble bien au contraire que les chats domestiques soient très proches de leurs ancêtres sauvages, ce qui n'est pas du tout le cas des chiens qui étaient des loups. Les chats se font d'ailleurs domestiquer aussi par des singes et il n'est pas absurde de penser que ce sont eux qui nous domestiquent notamment avec la toxoplasmose. Par contre, beaucoup d'animaux ne sont pas domesticables et dépérissent hors de leur milieu naturel ou sont incontrôlables. Il n'y a pas de généralité à ce sujet.

    • Cela n'a rien d'une découverte et la création de IOU a été sérieusement envisagée mais les donneurs de leçons sont des irresponsables, quand on est aux responsabilité c'est un peu plus compliqué. Le retour à la drachme se fera peut-être mais pas par choix, seulement sous la pression des événements. On a souvent parlé de l'Argentine mais je crois effectivement plus facile et efficace de faire des monnaies locales plutôt qu'une monnaie nationale parallèle.

      Cette interview de Tsipras éclaire bien la difficulté :
      http://www.humanite.fr/alexis-tsipras-le-peuple-grec-tente-de-sechapper-de-la-prison-de-lausterite-rattrape-il-ete-place

      • Je reconnais bien volontiers que se placer en position théorique avec ses cas types et être dans le bain de la réalité avec tous ses détails importants du terrain, politique, sordide dynamique des chiffres comptables... ça représente une différence notable.

        L'idée de l'article cité étant de chercher et trouver une voie intermédiaire de négociation déclinable d'une monnaie interne nationale à des monnaies internes locales.

        Au cours de mon expérience professionnelle, aussi bête je suis, j'ai un peu compris l'intérêt de chercher et de trouver des propositions modulées, inspirées de modèles "théoriques" mais adaptées à la mesure de la situation conjoncturelle, du sur mesure.

        Ça peut paraitre du bricolage de concessions, mais ça reste bien plus effectif que de camper sur des positions droit dans ses bottes qui sont complètement illusoires.

        Je n'irai certainement pas blâmer Tsipras qui fait comme il peut, avec je pense un réel courage et réflexion, dans un merdier compliqué et très mouvant.

        • Je suis d'accord avec Jean sur la non opportunité de la proposition faite par l'article de Libération. Il y a une dizaine d'année, suivant certaines tendances d'Attac et la position de J.P.Chevènement je trouvais plus appropriée justement l'idée d'une monnaie commune,avec adaptation possible aux différences économiques par Etats, plutôt qu'unique. Mais l'autre choix qui a été retenu a eu les conséquences néfastes que l'on constate, et on ne peut pas découvrir, après coup, qu'il y avait une autre voie ( de gauche comme de droite d'ailleurs) et la proposer comme leçon à suivre, quand c'est trop tard.

Laisser un commentaire