Préface pour les temps futurs

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p-guyL'avenir est on ne peut plus incertain et les perspectives bien sombres alors même qu'on aurait les moyens comme jamais de relever les défis écologiques et sociaux auxquels nous devons faire face. Il semble cependant presqu'aussi difficile de faire un diagnostic juste de notre situation (entre négationnisme et catastrophisme) que d'arriver à s'entendre sur ce qu'il faudrait faire pour s'en sortir, le facteur humain sur lequel on voudrait s'appuyer étant, hélas, le maillon faible dans l'histoire.

Notre époque vit incontestablement la plus grande mutation non seulement de l'espèce humaine mais de la biosphère, au moins par sa rapidité. A la fois sur le plan de la technologie, de la population et de l'écologie, nous sommes confrontés à la nécessité d'une réorganisation complète de notre système de production. La plupart imagine ce changement de système comme un choix politique plus ou moins arbitraire de valeurs morales et une conversion des esprits pour leur idéal alors qu'il relève plutôt de la pression des faits. Au lieu d'imaginer d'autres mondes à sa guise, il vaudrait mieux se convaincre qu'il n'y a pas d'alternative et que nous sommes bien obligés de changer pour nous adapter à des changements matériels déjà effectifs. C'est ce monde qui ne peut plus durer et se transforme, mais il n'est que trop évident que la transition risque d'être très douloureuse pour les plus faibles et qu'il ne suffit pas de prendre le pouvoir pour savoir quoi faire.

Il faut le marteler à tous les militants : plus que d'improbables utopies, l'enjeu vital est d'abord de limiter les dégâts, d'alerter des dangers et de faire entendre la voix des exclus. L'information est déterminante sur ces points au lieu des propagandes, préjugés ou exagérations. C'est là où les artistes sont indispensables pour en faire passer le message. Le premier moment est cependant celui de l'indignation et de la protestation où l'expression de nos désirs, tels qu'ils sont illustrés, ne constitue qu'une image inversée des misères du présent et non pas encore une réponse réaliste.

Il ne faut pas rêver tout changer d'un coup même s'il faut saluer la tentative de penser système, ce qui n'est pas la même chose. Nous devons effectivement, changer de système de production mais je me garderais bien, pour ma part, de donner de notre avenir une vision trop idéale, de promettre amour et bonheur, ni même un CDI généralisé à l'ère de l'information et de l'économie post-industrielle où la question se pose tout autrement. Répétons-le, il s'agit surtout d'essayer d'éviter le pire, ce qui est loin d'être gagné d'avance, mais le monde qui s'ouvre devant nous sera bien plus différent qu'on ne croit de celui de notre enfance. Ainsi, c'est le numérique qui est le plus déterminant pour le partage des savoirs (ou la gratuité) et il n'est même pas tout-à-fait sûr qu'il restera des universités...

Il est certain que jamais période ne fut aussi révolutionnaire et qu'on devrait connaître bien d'autres révoltes et protestations massives mais les révolutions arabes ne devraient laisser aucune illusion sur le fait qu'il suffirait de faire une révolution, sinon même de faire la fête, pour effacer toutes nos divisions et régler tous les problèmes. Il faut des révolutions sans doute pour changer des institutions dépassées et s'adapter aux nouvelles forces productives comme aux nouveaux équilibres géopolitiques, pas pour faire n'importe quoi au nom d'une majorité démocratique qui se heurtera rapidement aux contraintes matérielles (et finissant le plus souvent en régime autoritaire).

Cette époque pleine de dangers est aussi pleine de promesses qu'il ne faudrait pas mésestimer. Au lieu de décréter l'obsolescence de l'homme, elle valorise au contraire ce que nous avons de plus humain (l'immatériel), ouvrant la possibilité d'étendre notre autonomie et de nous délivrer de quelques unes de nos chaînes avec notamment le passage du travail forcé au travail choisi (grâce à un revenu garanti et des coopératives municipales), véritable droit à la vie. Seulement, et bien que ce serait comme l'abolition de l'esclavage à l'évidence un progrès radical, ce ne serait pas pour autant se délivrer de toute servitude comme par magie, ni même du travail dans la plupart des cas, devenu simplement autonome et un peu plus libre. Cela resterait quand même un pas supplémentaire dans l'émancipation humaine qui, cependant, relève plus en fin de compte d'une évolution cognitive et technique qui nous dépasse (mais sur laquelle on peut s'appuyer) que de notre esprit rebelle, pourtant si vital lui aussi...

Préface d'une bande dessinée militante de BAZ.

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