On voudrait en finir avec le capitalisme comme on a cru en avoir fini avec le communisme. Rompre avec son passé, quel rêve ! Effacer ses traces sur internet ou brûler les livres autrefois adorés. Ainsi, la révolution culturelle voulait faire table rase de l'héritage confucéen, tout comme en 1989 les bibliothèques se sont vidées des oeuvres de Marx...
Ce que notre époque post-moderne devrait apprendre pourtant, c'est tout au contraire que rien ne se perd. Le passé ne disparait jamais complètement et laisse ses traces, ineffaçables. Nous sommes plutôt condamnés à l'éternel retour du même, aux résurgences de souvenirs oubliés, comme la religion orthodoxe en Russie !
Il faut se persuader en effet que toute négation étant partielle ne peut jamais faire que ce qui a été n'ait été et ne reste d'une certaine façon notre présent. On ne fait jamais qu'ajouter de nouvelles possibilités aux anciennes. Peindre notre avenir aux couleurs de nos rêves est aussi absurde que les visions cauchemardesques et si des révolutions sont encore bien nécessaires ce n'est pas pour achever l'histoire par la victoire contre le mal et la réconciliation des coeurs. Non, le futur ne sera pas homogène, ce sera un futur pluriel aussi bien pour les systèmes de production que pour les modes de vie, les idéologies ou les religions.
Reconnaître la division de la société tout comme la division du sujet semble bien notre tâche historique, tâche qui peut avoir l'air insurmontable mais qui est pourtant un préalable indispensable, on le voit bien, à sortir la gauche de l'impuissance et de l'éclatement, écartelée entre un idéalisme débridé et un simple réalisme gestionnaire à courte vue. Il faut revenir encore une fois à Hegel pour critiquer ce que la fin de l'histoire marxiste pouvait avoir gardé de religieux.
"Nous n'avons donc affaire, quand nous parcourons le passé quelqu'en soit l'étendue qu'à de l'actuel; car la philosophie en tant que se préoccupant du vrai, n'a affaire qu'à de l'éternellement actuel. Pour elle rien n'est perdu dans le passé, car l'Idée est présente, l'Esprit immortel, c'est-à-dire qu'il n'est pas passé et qu'il n'est pas inexistant encore, mais il est maintenant essentiellement. C'est dire que la forme actuelle de l'esprit comprend en soi tous les degrés antérieurs". (Hegel Ph Histoire 66)
"C'est seulement après avoir abandonné l'espérance de supprimer l'être-étranger d'une façon extérieure que cette conscience se consacre à soi-même. Elle se consacre à son propre monde et à la présence, elle découvre le monde comme sa propriété et a fait ainsi le premier pas pour descendre du monde intellectuel". p306
"En elle et au sein de son immédiateté, l'esprit doit recommencer depuis le début aussi naïvement, extraire de cette figure sa propre grandeur comme si tout ce qui précède était perdu pour lui, et comme s'il n'avait rien appris de l'expérience des esprits précédents ; mais la récollection du souvenir les a conservés. Si donc cet esprit recommence depuis le début sa culture en paraissant partir seulement de soi, c'est cependant à un degré plus élevé qu'il commence". p312 Hegel, Phénoménologie de l'Esprit, Aubier
On peut tirer d'importantes conséquences de ces quelques indications de la fin de la Phénoménologie. D'abord, le fait que le savoir absolu et la fin de l'histoire, à l'opposé de l'accès à un homme nouveau libéré de toute aliénation, serait plutôt le renoncement à l'illusion de pouvoir faire table rase du passé et d'extirper le mal en nous. Les leçons de l'histoire devraient nous amener en effet à reconnaître la réalité de ce que nous sommes, non seulement la part lumineuse et l'aspiration à la justice mais aussi la part du négatif et nos propres fautes envers l'esprit qui devraient nous faire abandonner un jugement trop sévère envers les autres au profit du pardon réciproque et de la plus grande des tolérances. La "fin de l'histoire" ici, c'est la fin de l'illusion que l'histoire pourrait basculer dans une toute autre direction et nous dévoiler une vérité toute autre, c'est la fin des religions de la révélation historique comme de la conversion individuelle, tout simplement par le constat qu'on en sait déjà beaucoup sur nous, et ceci bien qu'on soit loin de tout savoir ! La fin de l'histoire, c'est finalement de comprendre l'histoire comme processus infini d'apprentissage et d'évolution. On pourrait dire que la fin de l'histoire c'est comprendre que l'histoire n'a pas de fin, de même que le savoir absolu, c'est de savoir que tout savoir est limité d'être savoir d'un sujet situé historiquement.
S'il y a paradoxe, à l'évidence, c'est seulement parce que le savoir s'égarait à se croire divin, passant d'une certitude à la certitude contraire, et que la dénégation de l'histoire nourrissait des visions prophétiques de solutions finales avec l'illusion qu'on pourrait devenir tout autre que nous sommes par l'achèvement des temps nous restituant notre nature perdue. Au fond les 2 siècles qui ont suivi la Révolution française auront expérimenté avec l'affrontement des idéologies exactement le contraire de ce que Hegel croyait pouvoir conclure de notre historicité enfin reconnue et de l'expérience de la Terreur qu'on n'a pu que répéter à ne pas vouloir en tirer les leçons. Il est effectivement paradoxal que Marx ait pu nourrir une nouvelle eschatologie dont la Révolution Culturelle s'est voulue la réalisation, catastrophique, notamment par erreur sur la prétendue culture bourgeoise qu'il faudrait rejeter comme si elle était dépourvue de toute dialectique et historicité de même qu'une culture prolétarienne supposée pouvoir être immédiate et infaillible.
Tout cela était déjà relativement connu mais on n'a pas porté assez d'attention jusqu'ici à l'indication que chacun doit refaire à chaque fois le chemin et que, donc, chacun y occupe une place différente où se rejouent les figures successives de l'esprit. Autrement dit, nous ne sommes pas contemporains mais chacun réglé sur sa propre horloge, chacun à une étape différente de la réflexion, toutes les positions morales étant occupées en même temps. On voit que la conscience de soi, d'être forcément individuelle puisque c'est l'homme qui pense, n'est pas la conscience de tous où s'arrêterait l'histoire dans une révélation définitive et immobile (on a un peu la même opposition qu'entre Thomas d'Aquin et les Averroistes). Cela montre à quel point la fin de l'histoire n'est pas vraiment un concept hégélien, ce n'est que l'interprétation qu'en a donné Kojève d'un dimanche de la vie plus proche de la fin de l'histoire marxiste, de même que "l'Etat universel et homogène" abolissant les classes sociales alors qu'il ne devrait sans doute pas être si homogène que ça, malgré l'unification marchande, puisque devant conserver tout le passé d'une part et devenant d'autre part de plus en plus individualisant. On oublie trop facilement à quel point la lecture que fait Kojève de Hegel est une lecture marxisante (et même stalinienne).
Il est extrêmement difficile de ne pas imaginer une humanité future entièrement bâtie sur le même moule, mais la vérité, c'est qu'on n'en a pas fini avec les diverses religions, ni avec les communistes, ni avec les fascistes, ni avec les libéraux, sans compter les écologistes qui vont prendre de plus en plus d'importance ! On ne peut croire qu'en 1945 De Gaulle aurait réussi à transformer tous les Français en résistants, ni que le déclin du Parti Communiste puisse suffire à faire disparaître tous ses petits apparatchiks. Conclusion : les staliniens sont toujours parmi nous, tout comme les collabos ou les petits nazillons, la démocratie sera toujours aussi difficile mais les justes ne disparaîtront pas non plus, ni les quelques résistants au prix de leur vie souvent, de leur carrière presque toujours. S'il y a bien diversification des parcours individuels, ce qui change, c'est uniquement la structuration en blocs et en territoires qui tend à s'estomper pour retrouver une diversité équivalente un peu partout. En ce sens, il y a bien homogénéisation au niveau mondial, mais pas sans un accroissement de la diversification interne (l'entropie égalise jusqu'au désordre maximum et non jusqu'à l'uniformité totale).
Même s'il ne faut pas l'exagérer, la tendance à l'homogénéisation ne fait pas de doute et notamment des modes de vie (surtout pour la génération du numérique). Il y a aussi le totalitarisme indéniable d'un capitalisme dont la force irrésistible est de proposer des marchandises moins chères et des salaires plus élevés. Croire pour autant que cette homogénéisation serait totale et qu'elle se ferait sans différenciations serait fort peu dialectique, on le voit au moins dans l'exacerbation des différences de richesses mais les luttes minoritaires revendiquent explicitement ce nouveau droit à la différence au nom de la défense de son identité ! Il n'y a pas que l'Un, il y a l'Autre aussi ! Ce à quoi on assiste est donc bien à la fois une homogénéisation globale, avec les mêmes aéroports et marchandises partout, en même temps qu'une différenciation interne irréversible et le relâchement des normes sociales. Cependant, comme pour tous les empires, il faut s'attendre à leur dislocation après une expansion qui paraît sans limites, avec notamment l'approfondissement de différences significatives entre les différents capitalismes (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe, Asie, Pays Arabes, Afrique), tout comme entre les alternatives sans doute qui ne pourront être les mêmes en Europe et en Amérique latine. Il ne suffit pas de prolonger les courbes jusqu'à l'infini sans tenir compte des points de retournement et des oppositions temporelles ou spatiales.
L'altermondialisme qui défend la diversité des territoires ne peut prétendre à l'uniformisation interne (l'unité du peuple contre le reste du monde). Il faut en finir avec la passion de l'unanimisme, passion mortifère et liberticide. La liberté c'est la diversité et beaucoup trop de mouvements de résistance semblent vouloir s'opposer à nos libertés. Il est bien sûr indispensable que les antilibéraux réagissent aux excès de liberté des riches qui retirent toute liberté aux pauvres, mais c'est bien la liberté effective qu'il faut défendre et dont on ne peut se passer, La conclusion qu'on devrait tirer de cette incontournable diversification des individus et de leurs valeurs, c'est surtout la nécessité d'une économie plurielle (un seul monde, plusieurs systèmes), de la pluralité des discours et, donc, d'une limite à l'économie marchande. Ce n'est pas une question nouvelle puisqu'elle motivait déjà la réforme de Solon ainsi que "la grande transformation" des années 1930 analysée par Karl Polanyi. Rien d'impossible, même s'il ne s'agit pas d'en rester là, ce qui veut dire qu'il nous faudrait viser non pas la fin du capitalisme dans un grand enfermement mais à la fois sa domestication et des alternatives locales à la globalisation marchande permettant de sortir progressivement de la société salariale en construisant une économie du développement humain et du travail autonome (à l'ère de l'information et de l'écologie).
Evidemment tout cela pourrait sembler fort peu révolutionnaire, et même prononcer la fin de toute révolution possible dès lors que le savoir absolu pourrait se résumer par le constat inévitable d'un réveil brutal : Dream is over ! On comprend la contestation "unanime" contre ce verdict d'une fin de l'histoire qui nous priverait de toute prise sur notre destin, mais, c'est un fait, le verdict de l'époque condamne avec insistance toute révolution qui prétendrait nous apporter le paradis, et tous les efforts pour se pincer afin de se persuader qu'on rêve encore n'y changeront rien. Aucune chance, donc, qu'une révolution ne soit jamais possible si l'on désignait ainsi le bouleversement de tout l'univers et l'harmonie retrouvée. Cela ne signifie pas pour autant qu'on n'aurait plus aucun besoin de révolutions, non seulement pour changer les institutions mais surtout pour réaffirmer le lien social et les fondements de la république. C'est ce qu'on peut appeler le moment Castoriadis d'unité sociale et de refondation auquel succède inévitablement le moment Lefort moins drôle et beaucoup plus long de la division sociale et du débat démocratique.
Rien à voir avec le romantisme révolutionnaire, d'autant que pour reconstituer un rapport de force suffisant on a besoin de thèmes fédérateurs bien éloignés des tous les extrémismes. Les groupuscules carnavalesques qui se prétendent révolutionnaires ne sont guère plus que les symptômes d'une situation instable et d'une jeunesse qui ne manque certes pas de raisons de se révolter et de réclamer sa part de l'héritage commun. Ce qui effraie dans ces violences, au-delà de leur caractère intimidant, c'est la prétention de parler pour tous. Lorsque Lacan disait aux étudiants de Vincennes, qu'en tant que révolutionnaires ils cherchaient un maître, je trouvais que c'était bien trop caricatural et pourtant, de fait, une contradiction de ces activistes, c'est bien qu'ils valorisent les forts contre les faibles (les plus révolutionnaires contre les timorés), reproduisant inévitablement les mécanismes de domination en leur sein, ce qui est occulté par la croyance à une sorte d'unanimité dont le dirigeant ne serait que le porte parole. La diversité est justement ce que ces petits groupes ne peuvent supporter même, et d'autant plus, à prétendre le contraire en croyant favoriser l'expression des différents pour en faire de soi-disant "désaccords féconds". Le moment Lefort, celui de la démocratie pluraliste, exige de tenir compte notamment de la division de la société entre gauche et droite, d'oppositions irréversibles entre lesquelles il faut composer, de séparations entre les différents discours, de conflits d'intérêts et de valeurs, de pluralité des fins légitimes enfin.
Les révolutions ne viennent pas de l'exaltation de la jeunesse, même si elle y occupe souvent le premier rôle, mais de raisons matérielles profondes et de l'implication d'une partie significative de la population dans sa pluralité y compris politique, y compris une partie de la classe dirigeante (voir les phénomènes révolutionnaires). Même si les extrémistes qui s'expriment sur internet le font parce qu'ils s'imaginent qu'ils sont majoritaires, il devrait pourtant être impossible désormais de nourrir le mythe d'une volonté générale dès lors que la population a de plus en plus la parole sans qu'on en soit beaucoup plus avancé pour autant. Il n'y a pas de sujet de la révolution, c'est un sujet qui se constitue dans la révolution elle-même, en acte, révolution qui ne peut être permanente (cyclique plutôt) et doit déboucher sur son institutionnalisation, de nouvelles institutions pour augmenter nos libertés et nos pluralités de choix, jusqu'à devoir de nouveau réaffirmer notre unité. Le véritable sujet de la révolution, c'est sa nécessité matérielle qui se traduit souvent par une menace vitale. Cependant, si les révolutions doivent revenir périodiquement, elles ne peuvent plus constituer un point terminal, seulement une nouvelle phase de notre aventure collective, avec ses contradictions et ses errements. Plus besoin pour cela d'exiger que tout le monde soit pareil et conforme à notre idéal ! On voit tous les malentendus qu'il faudrait lever sur les causes et l'objet d'une révolution dont il n'y a encore aucune prémice pour l'instant mais que l'aggravation de la situation pourrait précipiter à condition que des réponses soient disponibles d'avoir été largement élaborées avant, plutôt que s'imaginer que tout se réglera tout seul dans le feu de l'action.
Tout est dans l'alternative qu'on propose et l'on peut bien s'énerver qu'on nous oppose qu'il n'y a pas d'alternative, c'est à nous de prouver le contraire sans attendre qu'un miracle se produise par je ne sais quelle émergence de l'intelligence des foules qui ont plutôt fait la preuve de leur folie constitutive. On ne peut dire qu'il ne pourrait rien naître de la pure destruction, ça c'est déjà vu pas mal de fois dans l'histoire mais en général ce qui suivait était plutôt pire. Bien sûr, tout le monde comprend l'envie de tout foutre en l'air, colère biologique ou négation purement verbale mais cette pathologie du langage est bien trompeuse car, répétons-le, toute négation est toujours partielle, c'est le secret de la dialectique et de l'évolution. La raison la plus fondamentale pour laquelle il ne peut pas y avoir une révolution qui change tout, c'est parce que nous devons construire sur les révolutions du passé pour essayer d'aller un peu plus loin. Il ne s'agit pas de revenir à une simplicité première, une nature originaire, mais il s'agit, au contraire, d'une complexification et, pour cela, on ne peut se permettre de tout envoyer promener alors qu'il faut construire sur l'existant. Le pas suivant s'appuie sur le pas précédent. Il s'agit plutôt d'ajouter de nouvelles possibilités que d'en supprimer, et donc, ce qui compte, c'est le projet qu'on défend plus que la force avec laquelle on le défend ou qu'on oppose à l'ordre établi.
Evidemment, on peut dire que les crises prouvent le contraire avec leurs "destructions créatrices" (Schumpeter), et si on n'abat pas l'ancien système, on peut être accusé de le soutenir, voire d'en reculer la fin (ce qui est très optimiste!) mais le jeu n'est pas si unilatéral. Certes, la contestation du système le renforce de le perfectionner (tout comme les crises) mais c'est la même chose pour la droite qui institutionnalise et consolide les revendications de gauche qu'elle veut contenir. De toutes façons, on n'a pas le choix car il n'y a aucun moyen d'abattre un système qui n'est pas centralisé mais qui est basé sur des acteurs autonomes (ce n'est pas un état naturel mais plus proche d'un état de guerre). Comment fera-t-on ? En supprimant l'argent ? et l'or ? Impossible, surtout au niveau mondial ! La seule solution est de se retirer du jeu, de se fermer au marché et de se couper du monde, ce qui peut vouloir dire ne plus pouvoir sortir de son trou, et cela sans empêcher le capitalisme de prospérer partout ailleurs. En fait, des monnaies locales permettent de se soustraire à la pression du marché sans ces inconvénients mais cela implique d'accepter de rester une société ouverte dans une planète limitée, ce qui comporte d'autres inconvénients qu'il faudra traiter car avouer qu'on ne supprimera pas le capitalisme de la surface de la terre pose de très nombreux problèmes, tout comme les menaces bien réelles de technologies devenues trop puissantes. Ne plus rêver de s'en débarrasser nous oblige à nous en préoccuper réellement. Aucun assaut contre le vieux monde, aucun raisonnement aussi hardi soit-il, ne supprimera la menace nucléaire ni la menace biologique. Quel pouvoir souverain pourrait bannir une technologie de par toute la terre jusque dans les grottes de pays inaccessibles ou dans les cuisines de biologistes fous ? Il vaut mieux le savoir pour s'en défendre comme on peut.
Tout cela n'a absolument rien d'optimiste ! Pas de bonne nouvelle pour les foules béates, encore moins de lutte finale, juste le besoin d'un sursaut citoyen et de nouvelles institutions, d'une refondation démocratique et d'alternatives locales, mais à ce pluriel du futur, il faudra appliquer une stratégie plurielle de convergence des luttes puisqu'on a besoin à la fois de réduire les inégalités, d'améliorer les protections sociales, de réguler le capitalisme, d'écologiser ses produits et de construire des alternatives locales. Il faudrait apprendre à s'ajouter plutôt que se diviser, c'est vital. On doit s'attendre au pire, en effet, avec les chocs successifs économique, monétaire, écologique, géopolitique, technologique, démographique, il faudra se battre sur tous les fronts à la fois. Bien normal que chacun cherche à y répondre par une solution unique (opposée avec mépris à d'autres solutions uniques) mais c'est ce qui ne se peut. On ne peut ni convertir le monde entier à nos croyances ou nos chimères, ni passer immédiatement à un nouveau système de production parfaitement ajusté. Malgré son productivisme insoutenable, non seulement le capitalisme ne va pas disparaître mais, paradoxalement, c'est l'écologie qui risque sans doute de le relancer avec le passage aux énergies renouvelables ou les économies d'énergie, ce qui rend d'autant plus indispensable sa régulation. Refuser aussi bien la régulation du capitalisme que le capitalisme vert est irresponsable mais surtout complètement vain ! Ce n'est pas une raison pour ne pas défendre une autre conception de l'écologie ni pour se soumettre à la loi du profit mais savoir qu'il faudra cohabiter et composer avec, au moins pour quelques décennies...
Il y aurait besoin d'un changement complet d'attitude avec l'époque précédente et les habitudes présentes, mais admettre que le futur puisse être pluriel est un véritable changement de paradigme, impossible à beaucoup et qui demandera du temps. L'alternative ne peut se réduire pourtant aux petits cercles de militants fanatisés mais doit s'ouvrir à tous et à la pluralité des modes de vie ou des religions, ce pourquoi le niveau communal semble le plus approprié même si ce n'est pas le seul, pour une écologie municipale et une démocratie de face à face avec tous les problèmes que cela pose. C'est dans ce cadre pluriel qu'il faudra préserver son habitation du territoire, améliorer nos conditions de vie et organiser à tous les niveaux, par tous les moyens à notre disposition, la décroissance des consommations matérielles et l'abandon des hydrocarbures. C'est dans ce cadre du passage de l'ère de l'énergie à l'ère de l'information qu'il faudra construire des alternatives locales avec toutes les institutions du développement humain et du travail autonome, permettant de sortir du salariat en abolissant la séparation du travail et de la vie comme de la production et de la consommation. Il y a différentes temporalités qu'il ne faut pas confondre, celle d'une révolution démocratique pour réaffirmer nos solidarités sociales, s'adapter aux nouvelles forces productives et permettre la sortie du productivisme, et puis celle de la construction de l'alternative qui prendra beaucoup plus de temps. En tout cas, même si rien ne l'annonce encore vraiment et que cela ne correspond guère aux rêves des révolutionnaires, une révolution de nos institutions reste absolument nécessaire qui ne se fera pas toute seule face aux profiteurs du système et devra pouvoir réussir pratiquement, en se prouvant véritablement durable.
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