Bien sûr cet idéal peut se réduire à la conservation de nos avantages présents ou même au retour aux traditions du passé, mais se poser la question d'une société à construire pour l'avenir nous oblige à discuter de nos fondements, de ce qui nous importe dans la société et à quelle condition une société, pas seulement une économie, est soutenable.
Pourtant l'expérience historique catastrophique des divers totalitarismes et volontarismes, interdit encore à la plupart de soutenir cette question de notre destin commun, la liberté humaine se reniant pour ses fautes passées : c'est juré on ne l'y reprendrait plus, chacun cultive son jardin sans aller voir chez le voisin ! Cette haine de la pensée n'a produit qu'un post-modernisme sans consistance dans sa négation de la totalité alors que la tempête nous traite universellement, le climat nous totalise que nous le voulions ou non. Le totalitarisme qui nous menace est plutôt celui de la marchandise, l'idéalisme qu'il faut combattre est celui du libéralisme.
L'écologie est d'abord un savoir des limites, du possible et du nécessaire mais surtout de notre ignorance (principe de prudence). C'est aussi un savoir des conséquences de nos actes, de notre industrie. Enfin, c'est le refus de devoir s'adapter à des conditions inhumaines par la médecine ou la génétique quand c'est la société qu'il faut changer. L'écologie est la seule réponse au totalitarisme massifiant aussi bien qu'aux désastres du productivisme par l'articulation de la totalité et de l'individu, de leur inter-dépendance, du global et du local, de la solidarité et de la diversité, de la responsabilité et de la prudence. Face au libéralisme qui triomphe sur la disparition du politique, seule l'écologie peut construire un nouveau projet de société crédible qui réponde aux limites planétaires comme aux leçons de l'histoire : une société ouverte et coopérative pour une planète limitée.
Il faut bien sûr partir de la vie que nous menons, du temps qui nous manque à mesure que nous en gagnons. Pour Platon dans Les Lois, on ne peut dissocier les questions : quelle est pour une cité la meilleure forme de constitution, pour un particulier la meilleure façon de vivre (702) mais si le côté subjectif est nécessaire, il est aussi le plus arbitraire et fantasmatique, constitué d'interdictions le plus souvent, et bien difficile à concilier entre religions ou coutumes différentes. Les choix de vie ne sont pas uniformes alors qu'il nous faut une constitution commune et un système économique moins destructeur. Nous devons nous appuyer d'abord sur la réalité commune, notre destin planétaire et notre vie locale.
Notre premier principe doit être de subordonner l'économie
au social. Ensuite nous pouvons décliner les implications des valeurs
écologistes : responsabilité, solidarité, autonomie
:
Soit on se donne comme objectif simplement une production plus économe et aseptisée, un renforcement des normes, des taxes et des contrôles. Le travailleur devra s'adapter alors à une société de plus en plus déshumanisée, remplacée par l'extension du marché et par l'optimisation de la production de marchandise, selon la même pente que le productivisme. La définition des "besoins sociaux", même déterminés "démocratiquement", se substituant au marché pour "subordonner" le travail et l'économie, en nivelant les différences individuelles et en reproduisant un salariat simplement socialisé, ne peut qu'ouvrir la voie à des entreprises comme Vivendi pour les assurer au meilleur coût.
Soit on veut remettre l'économie à l'endroit, sur sa base sociale, et on se donne comme objectif le développement personnel, la production de l'homme par l'homme plutôt que la consommation de biens. Renversement de perspective comme le toyotisme pense à l'envers du fordisme, de la production de masse à la production singularisée, il faut partir de la personne, de ses capacités et de ses projets.
Très concrètement, cela veut dire rejeter le vieux principe "qui ne travaille pas ne mange pas" qui maintient le plus grand nombre sous la contrainte de la nécessité. Mettre la vie avant le profit, le social avant l'économie, c'est vouloir donner sa place à chacun, favoriser son expression, la valorisation de ses talents, c'est faire de l'économie un développement local et solidaire, plutôt qu'une croissance soi-disant durable. C'est redonner sens à une véritable fraternité, à notre être-ensemble et privilégier le long terme sur l'intérêt immédiat.
Plutôt qu'une logique d'insertion des exclus dans l'économie, nous devons privilégier au contraire une valorisation sociale des personnes (formations, aides financières, assistance technique, mise en contact). Plutôt que d'inciter les entreprises à embaucher, nous devons donner des aides aux personnes. Il faut toujours partir du citoyen lui-même, de son expression, parier sur la démocratie participative (occupons-nous de nos affaires). La véritable révolution est donc bien de partir des compétences de chacun, de l'autonomie et de la diversité des travailleurs, de l'offre effective qui doit, bien sûr, rencontrer une demande sociale, tenir compte du global où elle prend son sens.
Les instruments de cette "libération du travail", de la sortie
du règne de la nécessité économique et du dépassement
du salariat au stade de la production immatérielle sont:
- Droits fondamentaux au logement, aux soins, à l'assistance
- Un Revenu Social Garanti individuel d'un montant suffisant (75% du
smic)
Ces garanties vitales contre la nécessité ne sont pas suffisantes si elles n'assurent pas l'accès aux moyens de production. L'ordinateur étant devenu le moyen de production universel accessible à tous, il faut aussi donner un droit à l'initiative économique qui ne soit plus le privilège de la richesse. Pour cela il faut offrir l'équivalent des anciens terrains communaux :
- Des coopératives et des régies municipales de développement
local ainsi que des Systèmes d'Échanges Locaux favorisant
les échanges en circuit court et abritant des activités autonomes
ou coopératives (Bookchin montre qu'en dehors d'une propriété
municipale les coopératives sont soumises au productivisme).
- Une assistance et une formation individuelle tout au long de la vie.
Ce que sont parfois les DRH des grandes entreprises. Droit au conseil (déjà
donné aux entreprises : FRAC) entre l'Éducation Nationale
et la médecine générale.
- Enfin, accès au droit à l'initiative économique
pour tous (subventions, prêts, Capital Risque d'État).
Les droits à l'existence et à la valorisation personnelle donnent les bases d'une sortie du productivisme salarial, d'une véritable solidarité fraternelle en donnant à chacun les moyens d'être autonome. Délivrés de la contrainte économique, il sera possible d'organiser localement une production plus écologique (production intégrée zéro déchet, circuits courts, agriculture biologique et artisanats locaux) sans négliger l'ouverture à l'extérieur et notamment la coopération nord-sud, mais aussi une coordination globale par le biais d'une planification souple des investissements publics.
Ce développement local doit s'appuyer sur une participation active des citoyens, facilitée par le revenu garanti, sur l'expression des minorités plutôt que sur le nivellement des différences, sur une démocratie vivante enfin. Il est favorisé par les évolutions de la production vers l'immatériel et par le développement des réseaux valorisant les connexions, les singularités et non plus la production de masse. Il doit s'appuyer sur un système d'éducation lui-même divers et respectant la diversité des talents mais qui doit pouvoir s'étendre sur toute la vie.