La révolution numérique est-elle soutenable?

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La crise sociale, économique et financière qui commence à peine s'explique parfaitement par les cycles de Kondratieff, retour de la révolution bien nécessaire mais qui n'est finalement qu'un phénomène cyclique générationnel se reproduisant tous les 60 ans à peu près et qui dessine l'issue de la crise par la reprise de l'inflation et la réduction des inégalités comme pendant les 30 glorieuses. Schumpeter ajoute que chaque nouveau cycle se caractérise par des innovations techniques et une nouvelle génération d'entrepreneurs qui enclenchent une croissance longue après la phase dépressive de "destructions créatrices".

Il se produit justement, en ce moment même, une précipitation de l'histoire et un saut technologique dont la portée pourrait dépasser de beaucoup le prochain cycle, puisque c'est une véritable unification technique de l'humanité comme l'agriculture a pu l'être auparavant, mais à un rythme sans commune mesure cette fois. C'est en effet incroyable mais il y a déjà 60% de l'humanité qui utilise un téléphone portable, avec une accélération ces derniers mois en particulier dans des pays pauvres (mais jeunes) dépourvus d'infrastructures, ceci alors même qu'on assiste à une convergence entre ordinateurs et téléphones. C'est un événement considérable, véritable basculement anthropologique vers un homo numericus devenu une part de notre humanité, au coeur de notre avenir malgré qu'on en ait, et dont il faut prendre la mesure de l'impact écologique,

Impossible de ne pas tenir compte des appareils numériques et des infrastructures des réseaux pour une écologie qui doit se projeter dans le futur et ne peut s'en tenir à un passé révolu. Ce qui ne veut pas dire que cette universalisation du numérique ne poserait pas de problèmes écologiques mais qu'il faut les résoudre. La chute actuelle des prix des netbooks, voire le projets indien de PC à 10$, devraient contribuer aussi à faire exploser les chiffres et pas seulement dans ces mêmes pays pauvres. Il y a incontestablement des progrès à faire dans les composants et la consommation de ces appareils avant d'inonder les marchés mais il ne faut pas en faire trop non plus. La question la plus discutée pour l'instant a été celle de la soutenabilité du numérique au niveau énergétique. Il y a eu en effet des études extravagantes sur la consommation d'une requête Google ! Il n'en reste pas moins que la consommation audio-visuelle atteindrait déjà le niveau non négligeable du trafic aérien, ce qui suscite de légitimes interrogations. On verra cependant que le bilan énergétique du numérique reste positif et qu'il est illusoire de penser s'en passer désormais ni même de croire qu'on puisse y être contraints !

La conjonction des crises rend difficile de sortir de la confusion entre crises économique, écologique, anthropologique qui n'ont pas la même temporalité pourtant et devraient se découpler au moment de la reprise. Il n'empêche qu'on a affaire simultanément à toutes ces crises à la fois et qu'il y a de quoi paniquer. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait une prolifération de discours catastrophistes sans nuances car il est difficile de se faire une représentation juste des dangers qui nous guettent tout comme des opportunités ouvertes par les bouleversements en cours. Il est à peu près certain que la bataille climatique est déjà perdue, il faudrait arriver très rapidement à des émissions zéro, ce qui semble hors de portée. On ne sait encore comment on pourra y faire face mais ce ne sera pas en renonçant à l'informatique en tout cas, comme peuvent l'imaginer certains et comme si cela pouvait supprimer magiquement les excès passés !

Une rumeur un peu farfelue a circulé sur internet (et circule encore, reprise même par des revues de vulgarisation scientifique!) insinuant qu'une recherche sur Google génèrerait 7 grammes de CO2. Or, "si l’on admet le chiffre de 7 grammes par requête, ainsi que l’affirme le Times, les serveurs de Google rejettent quotidiennement 2.450 tonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit autant que le Japon en six mois ! On le constate, ces chiffres relèvent de la plus haute fantaisie". On constate aussi comme le politiquement correct et le souci légitime des conséquences écologiques peuvent mener à dire n'importe quoi, et difficile à démentir ensuite comme toute rumeur ! Le physicien de Harvard à l'origine de l'étude dément d'ailleurs l'interprétation qui en a été donnée, ne calculant qu'une consommation globale qui n'a pas grand sens, pas plus que de comparer la consommation supposée d'un avatar de Second Life avec un brésilien qui n'a pas l'électricité !

Enfin, la traduction d'une consommation électrique en CO2 ne va pas de soi, les énergies alternatives montant rapidement en charge dans ce domaine, en particulier chez Google justement, l'électricité n'étant pas forcément productrice de CO2. L'exagération ne sert à rien mais il ne faut pas nier pour autant les problèmes posés par la généralisation des appareils numériques. Il faut essayer de les évaluer à leur juste mesure, qui représenterait 2 % des émissions de CO2, soit autant de gaz à effet de serre que l'ensemble des compagnies aériennes du monde, d'après une étude Gartner certes contestable mais qu'on peut prendre comme une estimation haute.

C'est un fait, l'immatériel n'est jamais complètement immatériel, sinon il n'existerait pas. Pas de software sans hardware. Il faut donc bien produire des "matériels" numériques, qui consomment effectivement de l'énergie. La différence avec les systèmes matériels, c'est juste qu'il n'y a aucune proportion entre "l'énergie de commande" utilisée, qui est infime, et l'énergie du système commandé qui peut être énorme. La manipulation de symboles est toujours moins énergivore que la manipulation d'objets mais bien sûr lorsque le numérique se généralise cela crée des masses qui sont loin d'être négligeables au niveau mondial et il faut se soucier de cette dépense d'énergie en analysant les chiffres de plus près.

On constate 2 choses importantes : ce sont les téléviseurs qui consomment l'essentiel de l'énergie attribuée aux TIC et cette augmentation de la part des TIC se ferait au détriment d'autres consommations, ce qui fait que cela ne participe pas vraiment à l'augmentation de la consommation, voire la diminue dans certains cas. On peut ajouter que les prochains écrans consommeront beaucoup moins que les écrans actuels (surtout les écrans plasmas!), de même les ordinateurs en devenant portables avant de se fondre dans le téléphone. Non seulement on devrait pouvoir réduire drastiquement la consommation électrique et le bilan carbone du numérique mais on devra exploiter beaucoup mieux sa capacité à réduire les consommations par régulations et optimisations, tout comme à se substituer aux transports matériels et autres processus consommateurs d'énergie.

Non seulement le numérique ne pose pas un problème aussi grave qu'on le dit, devenant de moins en moins polluant, mais surtout il fait plutôt partie de la solution, ce pourquoi il est important de rétablir la vérité pour ne pas se tromper d'avenir et penser une écologie-politique à l'ère de l'information de l'écologie et du développement humain qui soit à la hauteur des enjeux du temps. Même si c'est là que la croissance y est la plus rapide, les pays les plus pauvres et notamment l'Afrique restent encore privés d'accès au numérique pour la plus grande part de leur population, mais le fait que plus de la moitié de l'humanité utilise un téléphone portable désormais suffirait à montrer qu'on ne pourra plus s'en passer. C'est encore plus vrai dans la production, le numérique étant loin de se réduire à la simple distraction ni aux échanges entre adolescents !

C'est bien beau tout cela, dira-ton, mais s'il n'y avait plus d'électricité du tout, il faudrait bien se passer d'internet, non ? On risque de le constater, en effet, lors de la prochaine grande grève générale avec coupures de courant (si ce n'est à la prochaine grande guerre toujours possible hélas). Il faudra bien survivre quelque temps sans être branchés, ce qui n'a rien de dramatique. Par contre, si on devait manquer d'énergie durablement au point de ne pouvoir se servir d'un ordinateur ou d'un téléphone portable, on serait à peu près tous morts sans doute !

Heureusement, et contrairement aux visions d'apocalypse d'un monde sans pétrole à la Mad Max, ce n'est pas l'énergie qui manque. On manque de tout sauf d'énergie (et d'eau), le soleil nous fournissant plus qu'il ne nous faut. Il y a bien sûr une transition difficile mais le problème c'est plutôt que les prix du pétrole sont tombés trop bas à cause de la dépression économique, le problème c'est qu'on a trop de pétrole (et de charbon) car notre problème n'est pas l'énergie, ce sont les gaz à effet de serre et donc les énergies fossiles. Les positions qui semblent plus carrées, plus extrémistes, plus écologistes sur la fin du pétrole sont au contraire contre-productives et à côté de la plaque.

On l'a vu, dans l'évaluation de la catastrophe écologique majeure qui nous menace il est difficile de ne pas passer à la limite et se prendre de vertige dans une grand vide qui absorbe tout (de toutes façons à long terme on est tous morts). Il est raisonnable de penser que, même s'il y a un vrai problème de transition énergétique et un problème encore plus vital de réduction de nos gaz à effets de serre, il y aura toujours de l'énergie, en particulier pour alimenter les appareils numériques !

Enfin, en admettant, ce qui est probable, qu'il y ait des périodes de pénurie énergétique, la question se pose de ce qu'il faudrait privilégier dans ce cas et si le numérique consomme encore à l'époque la même chose que l'aviation, ne vaudrait-il pas mieux se passer d'aviation (ou même de voiture) ? Le numérique vaut-il si peu qu'il devrait être le premier sacrifié et de s'en passer suffirait-il à nous ramener à la situation passée ? Je crois au contraire qu'il fait partie de notre humanité désormais et mérite d'être cultivé plus que tout car c'est un élément essentiel des solutions aux problèmes que nous avons créé par notre industrie.

Il y a bien sûr une toute petite frange de l'écologie qui croit possible le retour à la bougie ou le retour à la terre de toute la population, mais ce n'est qu'une vue de l'esprit qui déconsidère les écologistes et retarde l'alternative, une alternative qui doit être adaptée à notre réalité actuelle, aux potentialités du numérique comme aux contraintes écologiques. On ne sortira plus de l'ère de l'information à l'ère de l'écologie et du développement humain, c'est dans ce cadre qu'il faut penser une écologie de l'avenir avec une relocalisation des productions (y compris grâce à des imprimantes 3D, téléconférences, etc.). On n'a pas besoin pour cela d'une écologie de l'imaginaire mais d'une écologie matérialiste qui n'a rien d'un monde idéal mais devra tenir compte de toutes nos limites pour garder un monde vivable où se continue l'aventure humaine avec ses questions irrésolues, ses ombres et ses lumières.

La carte montre en couleurs vives les pays les plus ouverts aux nouvelles technologies et en gris, ceux où l’adoption est la moins forte. (InternetActu)

- Le rapport de l’ONU sur le développement des TIC :
https://www.itu.int/newsroom/press_r...

- Le rapport du ministère de l’écologie sur les TIC (pdf) :
https://www.telecom.gouv.fr/fonds_do...

Selon les estimations, les TIC pourraient permettre d’économiser de 1 à 4 fois leurs propres émissions de gaz à effet de serre.

La mission s’est donc à ce stade concentrée sur des applications parmi les plus significatives : le télétravail, les réunions à distance, l’optimisation des déplacements, le e-commerce, la dématérialisation des procédures et l’optimisation des bâtiments.

- Un article sur les progrès à faire :
https://www.futura-sciences.com/fr/n...

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