Contrairement aux apparences, on peut décrire la crise actuelle comme un effet de la régulation elle-même, à l'intersection des techniques financières et des injections de liquidités pour effacer les bulles précédentes, tout cela ne faisant qu'aboutir finalement à une explosion du risque ainsi qu'à une bulle immobilière. Cela suffirait à comprendre qu'on n'est pas cette fois dans un simple krach boursier et que les autorités de régulation ne font qu'aggraver la situation quoiqu'ils fassent. Cependant, l'essentiel est de comprendre qu'il s'agit aujourd'hui d'un retour au réel dans sa brutalité, inaugurant un nouveau cycle d'inflation, cycle à la fois économique, technique et générationnel. Ce qui se joue, c'est à la fois un renversement de tendance, retour de l'inflation provoqué par les pays émergents (tensions sur les matières premières et constitution d'un marché intérieur par augmentation des salaires), mais c'est aussi une redistribution des rôles. Les Etats-Unis resteront bien sûr la plus grande puissance, au moins militaire, mais ils perdront sans doute leur hégémonie (et celle du dollar). Derrière le tremblement de terre, il y a une véritable tectonique des plaques.
Dans ces moments, l'idéologie dominante apparaît pour ce qu'elle est, une pure illusion sur laquelle on a vécu pourtant pendant des années. Lorsqu'une bulle spéculative éclate, c'est qu'on revient à la raison. La folie n'est pas dans le krach mais dans ce qui l'a précédé (le déficit américain). A chaque fois, on a essayé de différer le moment fatal mais il semble qu'on a désormais épuisé toutes nos cartouches. Il sera intéressant de voir ce qui pourra être tenté maintenant que toutes les marges de manœuvres on été épuisées (des crédits d'Etat aux entreprises ? la garantie des dettes pourries ?) mais l'important n'est pas là, il est dans les réajustements qui s'opèrent à l'occasion du dénouement de la crise (comme l'intervention des fonds souverains).
Dans ce contexte, il apparaît très nettement que la position de la BCE n'est pas tenable. Or la BCE ne peut avoir d'autre politique que la lutte contre l'inflation qui est à peu près le seul but qu'on lui a assigné. Sur cette absurdité se rassemblent toutes les contradictions de l'Union européenne et de son idéologie libérale monétariste. Pour les européens, cette crise devrait remettre en cause profondément les objectifs de la BCE et l'idéologie de la commission européenne. Le fait de s'entêter à maintenir ses taux à 4% alors que la Réserve Fédérale Américaine a baissé les siens à 3,5% devrait ajouter inévitablement une crise monétaire à la crise financière. Un effondrement du dollar et une surévaluation de l'Euro ne seront bons ni pour eux ni pour nous, il faudra donc bien tenir compte de l'environnement et changer de politique à un moment ou un autre, le plus tôt étant le mieux, mais cela signifiera bien le retour de l'inflation et de la croissance. Tout cela pourrait favoriser une refondation de l'Europe sur la solidarité plutôt que sur la concurrence supposée libre et non faussée. En tout cas, c'est certainement un moment crucial pour notre avenir, moment plein de risques mais aussi d'opportunités, où il faudra rapidement réagir. Ce n'est pas 1929, ni 1975, mais plutôt 1848 ou 1945...
Pour terminer, 2 remarques sur le caractère en effet chaotique et fractal des crises. Il a été montré que, contrairement à ce qu'on pouvait croire, il n'est pas impossible de contrôler les systèmes chaotiques, c'est même assez facile car les systèmes chaotiques fonctionnant comme des amplificateurs de variations infinitésimales il suffit de se placer au bon endroit pour modifier leur comportement avec très peu d'énergie. Le problème, c'est non seulement d'être bien placé mais surtout de réagir très vite car le système chaotique reste imprévisible et peut rapidement dériver si on ne corrige pas immédiatement sa trajectoire. Non seulement il faut réagir au quart de tour mais il ne faut pas hésiter à envoyer des signaux contradictoires et réduire l'allure une fois sorti de l'ornière. C'est sans doute plus qu'une société humaine ne peut supporter, mais ce n'est pas théoriquement impossible !
Le caractère fractal des cours de la bourse est absolument frappant. Pas étonnant que Mandelbrot ait découvert les fractals en étudiant les cours de la bourse, l'amplitude des variations des cours étant fonction de l'incertitude de la valeur. Il n'y a donc pas un effondrement brutal à partir duquel on toucherait le fond mais un mouvement en zigzag avec des remontées suivies de nouveaux plongeons dont les rapports sont comparables aux évolutions à plus grande échelle, reflétant les sommets atteints précédemment par des plongeons relativement comparables. On peut dire, comme précédemment pour les phénomènes chaotiques, qu'une rapidité de réaction devrait permettre de gagner beaucoup d'argent dans ces périodes de baisse en profitant à chaque fois des effets de rebond pour revendre avant la nouvelle baisse, mais ce n'est pas pour les amateurs, sans aucun doute, qui se font toujours plumer à la fin (quoiqu'on vient d'apprendre qu'un professionnel, trader de la Société Générale, a perdu 5 milliards dans l'affaire)...
Je reprécise (29/01), suite aux discussions, que la crise ne vient pas tant d'un trader ou de techniques financières, ni même des subprimes et d'organismes de crédit frauduleux, tout ceci et une certaine dérégulation des contrôles n'ont fait qu'aggraver les choses. Le problème, c'est le retournement de tendance, c'est que les USA sont affaiblis et qu'ils ont vécu au dessus de leurs moyens trop longtemps, ayant désormais épuisé leur crédit. C'est ce que révèle l'éclatement de la bulle immobilière qui était le dernier levier de l'endettement. Les américains ne peuvent plus supporter des déficits commerciaux délirants ni utiliser impunément la baisse des taux qui leur avait permis de booster la croissance et de se sortir des krachs précédents. En touchant l'immobilier et les pauvres, on peut dire que cette crise touche le fond et que les USA sont désormais le dos au mur, il n'y a plus de marges de manoeuvre. C'est ce qu'on devrait voir avec la crise monétaire que devrait engendrer une nouvelle baisse des taux par la réserve fédérale, étant donné son différentiel par rapport à l'Euro qui pourrait devenir la nouvelle monnaie de réserve. C'est là ce qui constituerait la véritable crise. La perte de confiance n'est pas seulement envers les établissements de crédit, elle est envers le modèle américain de développement, elle est envers le crédit de l'Amérique.
Tous les problèmes qui arrivent coup sur coup ne sont rien que les cadavres dans le placard, épaves que laisse sur le sable une mer qui se retire. Alors que tout montait tout le temps, permettant de se refaire et de noyer le poisson, maintenant on s'oriente à la baisse, ce qui ne peut être sans conséquences sur ceux qui misaient sur une hausse infinie. On ne devrait pas pouvoir éviter une récession américaine et un effondrement du dollar. C'est la véritable raison pour lesquelles les bourses devraient baisser, pas la fragilité des banques qui ne sont pas si fragiles que cela et doivent juste s'ajuster aux nouvelles tendances financières, avec plus de régulations et moins de risques, mais aussi, moins de crédit...
Ceci dit, je le répète, ce n'est pas le krach qui est l'essentiel (sauf en Chine?) mais la crise monétaire. La bourse remontera ensuite. La récession ne sera sans doute qu'américaine même si les autres pays accuseront le coup, en premier lieu l'Europe à cause d'un Euro trop fort. Nous restons malgré tout dans une nouvelle phase de croissance mondiale et d'inflation comparable aux 30 glorieuses, de quoi faire remonter les bourses après les turbulences mais peut-être pas les mêmes actions, les mêmes entreprises, ni les mêmes pays...
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