La victoire est royale. La clameur s'élève pour saluer la nouvelle, le bonheur des foules est communicatif. On voudrait y croire comme au Père Noël ! Et si on en avait pris pour 10 ans, ou même plus ? A considérer la situation froidement, il n'y aurait que des raisons de s'en réjouir, car il n'y a aucune alternative qui ne soit pire ! Qu'est-ce donc qui me fait avoir envie de fuir, de partir en courant ou plutôt de me retirer sur la pointe des pieds, de laisser les enfants s'amuser dans un décor figé de valeurs surannées...
C'est le mouvement du balancier mais où sont donc passés les libertaires ? Sont-ils tous morts, malades, vaincus ? Occupés plutôt à leurs chimères, à des souvenirs purement imaginaires et se trouvant fort dépourvus devant le retournement de situation, eux qui se croyaient dans le vent de l'histoire comme s'il n'y avait plus qu'à se laisser porter par le grand mouvement de libération. C'est la défaite en rase campagne! Il faudra être un peu plus sérieux dans la défense de nos libertés, le retour de bâton était plus que mérité. Fini de rire ! En fait, ce n'est pas seulement la mort de la liberté de ton, la fin des sans-culottes, le retour d'un pouvoir royal qui se veut bienveillant, c'est aussi à coup sûr la mort de la gauche de la gauche qui aurait pu en profiter mais ne résistera pas au raz de marée. Ce qui est une bonne chose d'ailleurs car elle a montré son impuissance et ses divisions. Cela l'obligera à se recomposer, à se refonder sur de meilleures bases, plus adaptées à notre temps, à notre entrée dans l'ère de l'information, de l'écologie et du développement humain.
Il y a beaucoup de bien à dire de Ségolène Royal et d'abord qu'elle semble la seule à pouvoir battre Sarkozy même si rien n'est moins sûr, les autres auraient fait un score plus calamiteux encore de toute façon. C'est presque une raison suffisante mais il y en a bien d'autres. De représenter le changement, le changement de génération au moins (c'est ma génération qui arrive au pouvoir). On peut la créditer aussi de renouer avec le caractère mystique du pouvoir et de sa popularité, surtout de défendre la démocratie participative et vouloir sortir des schémas d'une gauche archaïque. Last, but not least, le fait d'être une femme revêt une grande portée comme on le souligne lourdement, aspiration au matriarcat qui serait en conformité avec le fait que les enfants portent maintenant le nom de la mère. Cela fait tout de même beaucoup de raisons de ne pas pouvoir gâcher ses chances, de faire allégeance et de rendre les armes.
Cela n'oblige pas à nourrir le mythe, la démagogie, le culte de la personnalité et n'empêche pas de pouvoir formuler ses critiques, de faire état en premier lieu de l'étonnement d'un glissement vers une conception du pouvoir qui n'est plus du tout celle de la gauche révolutionnaire. Cette démocratie des sondages est dangereuse et la capacité de Ségolène Royal de rassembler la gauche n'a rien d'évident (mais elle va mordre sur la droite), ni sa capacité à gagner l'élection (elle a pas mal de faiblesses mais maintenant on n'a plus d'autre choix en tout cas!). Il est difficile de savoir comment elle gouvernera, son programme est vide, mais elle constitue incontestablement la droite du Parti Socialiste et assume une fonction d'autorité régressive (sans doute nécessaire). Difficile de trouver désirable cet avenir qu'on nous prépare, le facteur décisif c'est de toutes façons la réaction populaire. Sinon, comme à toutes les élections, c'est la foire aux illusions qui recouvre les problèmes bien réels et leur difficile solution. Qu'y faire ? On n'est pas obligé d'y participer, tout au moins.
Il est amusant de voir comme l'ampleur de la victoire fait croire que c'est déjà gagné, que le moment est historique alors que tout cela pourrait tourner court très vite. Ne serait-ce qu'à lasser d'avoir donné trop tôt un résultat que les électeurs voudront peut-être changer au dernier moment. Rien de plus éphémère que les modes. Tout cela passera peut-être aux oubliettes de l'histoire comme pour Balladur. Cependant, un des éléments qui pourrait assurer la victoire est plus qu'embarrassant car il est peu probable qu'une sorte de restauration royale ne se joue pas à l'occasion de cette élection. Le nom propre a son propre poids symbolique, initiant un retour du refoulé qui est surtout un retour en arrière et qui n'augure rien de bon, même s'il ne faut pas gonfler l'affaire et que cela peut être amusant un temps de revenir au temps passé...
Le sacre de Ségolène Royal est donc ambigu, très loin de donner entière satisfaction, c'est le moins que l'on puisse dire ! Lourd de déceptions. Cependant, l'histoire ne se trompe jamais, elle manifeste les forces en présence et les dynamiques sociales qui évoluent avec le temps. Le règne Royal aura une fin et cela clarifiera les enjeux sans doute. Après l'état de grâce qui peut durer quelque temps il devrait y avoir de nouveaux mouvements sociaux qui seront sûrement très intéressants, en attendant il ne devrait pas se passer grand chose, hélas ! Sinon, parmi les effets collatéraux immédiats, on peut prédire que les Verts vont faire un score ridicule au point qu'ils pourraient être amenés à des remises en question salutaires (je suis un incorrigible optimiste!). La gauche de la gauche devrait logiquement exploser d'avoir voulu se faire trop grosse, à se croire les vainqueurs du référendum sur la constitution européenne !
Bien sûr, tout cela n'est que spéculations, l'impression du moment, trop loin de l'échéance : il se passera bien des choses d'ici là et bien malin qui peut prédire l'avenir. On peut du moins voir émerger un possible avenir et s'interroger sur le désir et les craintes qu'il suscite en nous. Il ne faut pas vouloir en faire trop mais, tout de même, sans que nous le sachions, pendant notre sommeil, une reine nous a été donnée, rayonnante et prête à nous aimer, ce n'est pas rien ! C'est un fait plus que surprenant dans notre République hi-tech, même si on ne sait pas encore si elle va régner, ni combien de temps...
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