Le soulèvement de la jeunesse

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Enfin cette jeunesse maltraitée, méprisée, précarisée, marginalisée, exclue du coeur de la vie se révolte contre ce vieux monde qui était déjà mort depuis longtemps et ne le savait pas encore. Certes, ce n'est pas une révolution, ce n'est que de la rage, mais brûler les voitures n'est-ce pas le rêve de nombreux écologistes ? C'est la lutte qui crée les solidarités et donne forme avec le temps aux revendications politiques. Je suis trop loin de tout pour savoir comment les choses évolueront mais cela m'étonnerait que les escarmouches cessent avant la fin de l'année (sauf s'il y a des morts) et cette pression peut s'avérer décisive politiquement, le pire hélas n'étant pas exclu d'un renforcement de l'Etat policier ce qui devrait obliger les véritables démocrates à se ranger du bon côté.

On le savait, cette génération est une génération perdue. Pour la première fois de l'histoire, dit-on, les enfants auront un statut social inférieur à celui de leurs parents. La partie dominante de la génération du baby boom et de Mai 68 (mais surtout de la contre-révolution qui a suivi) a confisqué tous les postes et tous les avantages. C'est au moment où elle prend sa retraite que les retraités ont un pouvoir d'achat supérieur à celui des actifs, ce qui ne s'était jamais vu ! Pendant ce temps la jeunesse est laissée à l'abandon, dans la précarité la plus totale, sans RMI pour les moins de 25 ans, sans espoir de progression sociale et victimes d'entrée de jeu d'un chômage de masse préféré à l'inflation par tous les rentiers. Monde de vieux déjà mort où s'annonce la relève.

On aimerait bien que la violence ne soit pas nécessaire pour se faire entendre mais, le fait est là, il faut que la jeunesse s'enflamme pour qu'on s'intéresse à elle, jeunesse réprimée, contrôlée, stigmatisée. Le symbole de la voiture carbonisée n'est pas trop mal trouvé pour cette destruction de leur propre environnement déjà dévasté, pour la politique de terre brûlée de cette civilisation du pétrole qui s'écroule en laissant une planète surchauffée, un climat déréglé et qui redouble de violences. Le piège serait de donner dans le terrorisme, dans les violences aux personnes, encore plus de sortir les armes. Si on fait parler les armes, personne d'autre n'a plus la parole et l'on se met sur le terrain de l'adversaire, celui où l'on est le plus faible ! Brûler des voitures, s'en prendre à des marchandises n'a jamais fait de mal à personne, seulement au système. Il ne s'agit pas simplement de violer l'ordre établi mais de le faire savoir, de montrer sa colère, de passer à la télé, de faire passer un message, de faire signe, de mimer la violence plus que de la provoquer. Il ne s'agit que d'information et il faut éviter au maximum la véritable violence qui détourne la sympathie du spectateur et empêche les alliances. Ce dont il faudrait se préoccuper plutôt, c'est de la beauté du geste, de sa mise en scène, de trouver à lui donner sens alors que donner dans le terrorisme serait la fin du mouvement social...

Tout peut s'arrêter demain mais ce n'est pas le plus probable à ce jour. Brûler des voitures est devenu un symbole voyant repris un peu partout par une jeunesse révoltée depuis trop longtemps et qui n'a pas d'autre moyens d'exister. On dénonce le fait que cette révolte soit vide mais c'est le cas de la plupart des révoltes qui n'acquièrent leur sens qu'après-coup. En elle-même, la colère ne manifeste qu'une chose, c'est qu'un seuil a été franchi. L'événement importe peu au regard de l'accumulation précédente de toutes les rancoeurs contre un pouvoir arrogant. C'est le choc de l'événement qui provoque après-coup les réponses politiques qu'on prétend y apporter et donc le sens de l'événement dépend de nous. Il n'y a pas de raison que ne sorte pas de ce mouvement une nouvelle culture politique qui pourrait cristalliser toutes les souffrances sociales et servir d'allumette pour un feu qui couve depuis plusieurs années maintenant. Le terrain est propice. Bien sûr, il y a un risque, comme en tout mouvement de foule. Le pire est toujours le plus probable si on ne fait pas preuve d'intelligence, si on n'arrive pas à politiser l'affrontement. Il serait prématuré de savoir si le ministre de l'intérieur en sortira diminué ou renforcé. Il est probable que le balancier ira d'un extrême à l'autre car il y a une dramatisation de l'enjeu.

Comme à chaque fois la question qui se pose est celle de savoir de quel côté on est. Du côté de ceux qui condamnent la violence et réduisent l'événement aux individus affublés du titre de racaille ou du côté de ceux qui manifestent leur révolte devant le sort qui leur est réservé, et dont la dimension est bien sociale. La question soulevée par les émeutes de la périphérie est une question politique d'équilibre entre les populations, les générations, les classes sociales, les territoires. Cette société est tellement bloquée, le verdict des électeurs est tellement méprisé à chaque consultation et les prochaines élections paraissent déjà tellement verrouillées et sans espoir pour les plus précaires, que cette flambée pourrait s'avérer salutaire.

En tout cas il faut l'aider à trouver une issue politique et ajouter nos protestations à ceux des émeutiers plutôt que de calmer les esprits. La maison brûle, il n'est plus temps d'attendre, il faudrait profiter de la conjoncture pour relancer les revendications sociales, en particulier sur l'augmentation des minima sociaux, le refus de la misère, la réaffirmation d'une solidarité sociale, et, pourquoi pas lancer quelques grèves, quelques occupations ? Refaire le monde, qui en a tant besoin !

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