C'est un fait, le pouvoir médical est exorbitant de pouvoir décider de la vie et de la mort. On est certes un peu ébahi de voir des Américains traiter Obama de nazi sous prétexte que des commissions devraient décider de rembourser ou non tel ou tel traitement. On ne voit pas bien en quoi la sélection par l'argent qui prévaut sinon serait en quoi que ce soit préférable mais la mauvaise foi des Républicains, véritables Talibans de l'intérieur, agit malgré tout comme révélatrice d'un problème amené à prendre de plus en plus d'importance dans une société médicalisée et vieillissante : non pas celui de l'Etat nazi mais bien de l'euthanasie ! celui du pouvoir de vie et de mort qui est devenu l'apanage des médecins et du système de soins constituant un des fondements principaux de nos sociétés, y compris de la misère des pays surpeuplés, sans être suffisamment interrogé jusqu'ici dans ses contradictions et ses impasses.
On pourrait croire qu'on ne meurt plus que de vieillesse désormais, chose la plus naturelle qui soit, sauf que l'augmentation de l'espérance de vie n'a déjà plus rien de naturelle et c'est dans la plupart des cas une vie médicalement prolongée, autant dire une vie artificielle qui peut être arrêtée arbitrairement à tout moment par un pouvoir médical qui en devient intolérable.
Ce pouvoir n'est pas tant un pouvoir positif ou d'oppression que d'irresponsabilité ou de dérobade. L'argument pour refuser un traitement sera, en effet, soit celui du coût (trop cher pour la sécu) soit celui des effets secondaires ou d'un accident toujours possible dont le médecin ne voudrait pas être tenu pour responsable (primum non nocere). Ce faisant, le médecin se fait simple auxiliaire de police quand il ne fait pas office de bourreau sous sa blouse blanche d'humanitaire supposé à la fois compétent et compatissant. Du haut de son savoir et du privilège régalien de pouvoir délivrer les traitements, il raccompagne gentiment les patients à la porte du cimetière où ils devraient se dépêcher de disparaître, plus rentables, bons à jeter... Ce n'est en rien une question qu'on pourrait évacuer ni résoudre facilement. Il y a certes toujours un moment où il faut arrêter l'acharnement thérapeutique, et donc donner la mort, de même qu'il faut bien faire des choix dans ceux qui auront droit à la vaccination en cas de pandémie. Comme Sartre le soulignait, il y a toujours eu pour la société "nécessité de choisir ses morts", réalité honteuse qu'on cherche à camoufler à tout prix. Où l'on voit qu'il n'y a pas que les pauvres qu'on cherche à éliminer physiquement mais tout autant les vieux ou les malades, passés un certain stade qui varie d'ailleurs grandement selon les personnes et les milieux. Occasion de rappeler que si nos rapports avec nos semblables sont civilisés en temps ordinaire, c'est tout autre chose dans les états extrêmes, quand on n'est plus aussi semblables ni gens de bonne compagnie... Même célèbre, même riche, ce sont vos plus proches qui peuvent vous débrancher un peu comme on donnait en Sardaigne une herbe mortelle paralysante à ceux qui "avaient assez vécu", imprimant sur leur visage le fameux "rire sardonique" avant de les précipiter d'une falaise ! Qu'on ne croit pas qu'on n'a plus rien à voir avec ces moeurs primitives...
C'est en tout cas une expérience que je fais avec ma vieille mère considérée comme trop âgée pour être soignée de son Parkinson alors que des traitements existent, plus ou moins lourds, plus ou moins expérimentaux, mais ça ne vaut plus le coup pour de jeunes neurologues tout juste sortis de la faculté ; affaire classée ! Ce n'est pas bien sûr qu'il faudrait à tout prix prolonger la vie mais avec le vieillissement de la population, l'euthanasie passive va certainement devenir une question sociale de plus en plus aigüe, une nouvelle barbarie à combattre. Ce qui est insupportable ici, ce n'est pas tant qu'il y ait des médecins partisans de l'euthanasie, lâches ou près de leurs sous, ni même que les ressources soient limitées, c'est qu'on soit livré sans recours à des petits fonctionnaires ayant droit et de vie et de mort sur nous. C'est pourtant le patient qui devrait être seul juge de sa vie et des traitements qu'il prend, le médecin ne devant être ici que celui qui examine, informe et conseille, pas celui qui fait le tri et prononce la condamnation à mort. Le patient ne peut être réduit à un objet dans le cabinet médical et perdre son statut de sujet et de citoyen. Plus généralement, il est aberrant que ce soit le médecin qui détermine les doses dans la plupart des cas où il faudrait que le patient les ajuste à leur effet qui dépend de son état ! C'est certainement une raison de recourir aux traitements traditionnels autant que possible mais qui ne peuvent remplacer les derniers progrès de la médecine dont la généralisation est certes problématique mais qui suffit à transformer une mort naturelle en condamnation administrative. D'ailleurs, la question de la démocratisation de l'accès aux soins est aussi celle des compétences sociales pour savoir frapper aux bonnes portes, renforçant encore les inégalités.
Il est donc possible que la question du pouvoir médical soulevée par la tentative d'instaurer une sécurité sociale américaine ne s'éteigne pas de sitôt, même avec la mise en place (très hypothétique à ce jour) du dispositif, car c'est une question cruciale qui n'a pas été assez portée sur la place publique et qui n'est pas sans rapport avec le néolibéralisme qui est une forme de technocratisme anti-démocratique. En tout cas, mettre à bas ce pouvoir des experts transformant les citoyens en administrés, c'est remettre en cause le système de domination comme gestion des populations et biopouvoir qui se substitue insensiblement à la démocratie et que certaines tendances autoritaires de l'écologie pourraient renforcer. Après le racisme et le sexisme, c'est l'hygiénisme et le pouvoir médical qu'il faut dénoncer pour retrouver notre autonomie dans nos dépendances, remettant en cause du même coup la répression des toxicomanes qui est un maillon essentiel de l'extension de l'arbitraire policier et une véritable guerre contre les populations. C'est bien sur ces plans là, plus que d'une vidéosurveillance largement inefficace, que nous avons laissé l'Etat policier se développer avec des mesures fascisantes et qu'il faudra reconquérir notre liberté par nos luttes. Ce n'est pas gagné, mais c'est bien encore une fois une question de vie et de mort !
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