La longévité a-t-elle une limite ?, Pour la Science, no 355
Le très intéressant interview de Jean-Claude Ameisen, dans la revue Pour la Science du mois de Mai 2007, nous incite à une méditation sur la mort et le vieillissement, tout comme dans son merveilleux livre "La sculpture du vivant" où l'on découvre le rôle vital du suicide cellulaire, d'une mort omniprésente au coeur de la vie même.
La vieillesse et la mort font partie intégrante de la vie et de l'évolution, ce ne sont pas de regrettables accidents mais la conséquence de la jeunesse et de la reproduction. Cela n'empêche pas d'essayer de lutter contre la vieillesse, ni d'augmenter l'espérance de vie, encore faut-il que ce soit dans de bonnes conditions. Ce n'est pas tant une question technique ou génétique, qu'une question écologique et sociale.
On peut contester la théorie de Peter Medawar selon qui la vieillesse ne serait pas un effet de la sélection naturelle mais au contraire la conséquence du fait qu'elle y aurait échappé (ce qu'une étude plus récente conteste) puisque cela n'influerait pas tellement sur la reproduction dès lors qu'il y a déjà eu fécondation. C'est un peu court, c'est surtout une conception trop individuelle de la sélection qui ne prend pas en compte "l'empreinte écologique". Certes il est raisonnable de penser que les espèces soumises à une grande pression sélective et à leurs prédateurs n'ayant pas eu le temps de vieillir, il ne peut pas y avoir d'optimisation de la fin de la vie. Seulement on n'a pas expliqué la vieillesse ainsi mais seulement son absence ! Cette façon de faire du vieillissement un événement purement aléatoire est sans doute une façon de nier la vieillesse et de justifier qu'on cherche à la supprimer mais cela ne correspond pas au principe de la sélection naturelle qui consiste justement à contraindre le hasard en éliminant de la reproduction ce qui outrepasse ses limites vitales. Le hasard est toujours présent dans le vivant comme principe variationnel mais il n'est jamais déterminant (comme le montrait déjà Aristote). Ce qui est déterminant ce sont les régularités qui s'en détachent, c'est-à-dire l'information.
Il est beaucoup plus probable que la vieillesse et la mort sont assez finement réglées en fonction de la fertilité d'abord et des ressources disponibles ensuite. On comprend très facilement la fonction de la mort, sans laquelle il ne pourrait y avoir de naissances, simple conséquence de la reproduction (et pas seulement de la sexualité). Sans la mort des organismes, il n'y aurait tout simplement pas d'évolution génétique. Dès lors qu'on accepte la mort il faut bien accepter la vieillesse qui nous en rapproche doucement, phénomène progressif plus optimisé sans doute, avec moins de regrets, qu'un arrêt brutal en pleine possession de ses moyens (même si on s'achemine effectivement vers l'atténuation de la vieillesse et vers une mort en pleine vie plus souhaitable qu'une longue hospitalisation). La vie est souvent cyclique, ce qui est un principe général de régulation. Après avoir été en croissance, nous voilà en déclin, avec une activité qui se réduit (façon de tester la marge de performance d'une espèce), de plus en plus exposés à la mort, en première ligne pour les virus ou les prédateurs au moins.
Une autre fonction de la vieillesse est incontournable, illustrée par le vieillissement des bactéries ou des champignons unicellulaires : c'est l'accumulation des ratés, des déchets, des toxines, des blessures que l'organisme conserve et ne transmet pas aux cellules filles (ou aux cellules germinales) qui sont comme neuves (régénérées) et peuvent recommencer l'aventure à zéro. On a cru longtemps que les bactéries se divisaient à l'infini et qu'elles ne connaissaient pas la mort. Il semblerait qu'il n'en est rien car le résultat de la division n'est pas 2 cellules identiques, mais une mère (usée) qui garde toutes les molécules défectueuses ou agressives ("excécuteurs") et une fille (toute neuve) qui découvre le monde et repart à zéro. La vieillesse n'est donc pas simplement une regrettable erreur de la nature, c'est l'autre face de la vie, le prix de toutes nos erreurs passées en même temps que la contrepartie de notre reproduction, un peu comme si nous prenions sur nous tous les péchés du monde pour offrir à notre progéniture un monde purifié !
On peut considérer que la vieillesse paie les dettes de la jeunesse dans un autre sens encore que de lui laisser la place ou de subir les conséquences de ses fautes de jeunesse car, pour une part au moins, on peut considérer que c'est la performance de la jeunesse, et non ses erreurs, dont le corps finit par souffrir. On a vu au mois de mars que les mécanismes anti-cancers eux-mêmes devenaient délétères à la longue, le vieillissement étant dans ce cas la prolongation de la croissance, comme une ossification généralisée dans la continuité de la construction du squelette, comme l'erre d'un navire qui continue un peu trop loin sur sa lancée et ne sait pas s'arrêter à temps ! La vieillesse serait ainsi une conséquence de l'impossibilité matérielle de continuer jeunesse et croissance ou d'optimiser une fonction sans nuire à d'autres.
Il ne s'agirait plus de gènes "négligés" par la sélection naturelle, qui s'accumuleraient au hasard, mais de gènes dont la propagation serait, dans chaque espèce, augmentée par la sélection naturelle. Non pas parce que leur présence précipite le vieillissement et la mort, mais parce qu'il favorise le développement, la survie et la reproduction.
Certes, ce vieillissement est une donnée de base, puisque c'est l'entropie universelle, mais ce n'est pas pour autant une fatalité, car la vie c'est justement ce qui résiste à l'entropie et certaines durées de vie sont exceptionnelles (Tortues). La variabilité génétique peut sélectionner des organismes qui résistent mieux au vieillissement et vivent plus longtemps. Simplement, c'est très coûteux à chaque fois et demande des trésors d'ingéniosité. Il ne faut pas s'attendre à ce que cela aille plus loin qu'il ne faut pour la reproduction de l'espèce mais lorsque les spermatozoïdes se révèlent trop réactifs pour les cellules voisines, des protections sont trouvées immanquablement. Ce ne sont pas tellement les individus qui sont à la base de la sélection naturelle mais les espèces et leur intégration à leur milieu. D'ailleurs la durée de vie serait due pour 25% seulement aux gènes et 75% à l'environnement. Le rôle du milieu est absolument déterminant, l'organisme dépend entièrement de son environnement (son espace vital). On peut penser que mortalité et vieillissement sont plutôt un phénomène actif de réduction de la durée de vie au-delà de la reproduction (comme les saumons meurent après la ponte pour servir de nourriture à leurs descendants). Le fait que la mélatonine baisse un peu avant 50 ans, comme elle avait baissée à l'adolescence, va dans le sens d'une programmation biologique des âges de la vie (déclenchement de la dégénérescence qui commence par les yeux, comme les caractères sexuels apparaissent à l'adolescence). Il ne devrait pas être impossible de modéliser assez précisément l'équilibre des populations en fonction des contraintes de reproduction, des épreuves qu'elles ont traversées et des ressources disponibles. Il y a des limites qu'on ne pourra pas dépasser, c'est certain. Il ne faut pas conclure trop vite pourtant car un fait inattendu semble renforcer la thèse d'une vieillesse inutile dont on devrait pouvoir se passer :
Non seulement le nombre de centenaires augmente, mais la proportion de centenaires en bonne santé aussi. Paradoxalement, ce résultat n'avait pas été anticipé, ni particulièrement recherché.
On pourrait tenter une explication de cette découverte qu'il y a un pic de mortalité de 60 à 90 ans, et qu'on meurt moins après 90 ans de cancers ou de maladies dégénératives. Cela pourrait être lié à la transmission du savoir avant l'écriture, savoir qui pouvait se révéler vital pour une communauté. Le petit nombre qui arrivait jusqu'à cet âge avancé ne pesait pas sur la communauté et lui procurait un avantage d'autant plus important qu'il pouvait rester en vie longtemps comme mémoire du groupe. En tout cas, plutôt que de suggérer qu'on pourrait se passer de vieillir, cela renforcerait l'hypothèse de mécanismes assez finement réglés, sans doute par l'intermédiaire des mitochondries qui fournissent l'énergie mais sont aussi les agents de l'extérieur et les exécuteurs des eucaryotes. Ainsi lorsque l'activité devient trop réduite, les mitochondries privées d'oxygène ne déclenchent plus l'apoptose des cellules cancéreuses et si les cellules défectueuses ne meurent plus, c'est nous qui mourrons... De même que la suppression des cellules entre les doigts palmées de l'embryon fait partie de la sculpture de nos mains, de même il faut admettre que la mort fait partie de la vie, tout comme il est quasiment inéluctable qu'une jeunesse, qui s'ouvre à la vie, s'achève par une vieillesse qui se referme petit à petit, de notre venue au monde jusqu'à nos longs adieux...
En aucun cas ce n'est une raison pour accepter cet état de fait comme immuable pourtant, car l'humanité a pris le relais de l'évolution naturelle par l'histoire et l'évolution technique, évolution grâce à la parole et à l'écrit, qui est beaucoup plus efficace et rapide que la sélection par l'ADN à laquelle elle se substitue. On constate d'ailleurs bien une certaine dégénérescence du génome humain, qui échappe à la pression sélective (hors cerveau), par rapport aux chimpanzés qui ont amélioré leurs performances (au niveau des protéines) depuis leur séparation de la lignée humaine. La médecine fait partie intégrante de la spécificité d'une humanité technicienne qui doit prendre son évolution en main, y compris par la thérapie génique, dès lors qu'elle est soustraite à la sélection naturelle par sa puissance technique et ses protections sociales.
Certes, ce n'est pas sans dangers, livré à la folie des hommes, mais c'est devenu notre responsabilité que nous le voulions ou non, tout comme le dérèglement du climat. On ne peut faire n'importe quoi pour autant, les contraintes sont très fortes entre longévité, fécondité et capacités écologiques. On peut réparer plus qu'améliorer. Nos sociétés qui réduisent fortement la fécondité peuvent bien allonger la durée de la vie encore, mais tout dépend des conditions. Il faut se poser la question du caractère désirable de cet allongement de la vieillesse qui doit se faire avec une assez bonne santé et de meilleures conditions sociales, c'est là le facteur limitant.
Dans une célèbre vidéo à l'Université libre de Louvain, Lacan faisait état du cauchemar d'une vie sans fin comme une image de l'enfer, cauchemar de la métempsychose dont on était si joyeux de se réveiller au matin, le coeur tout léger d'habiter dans le provisoire et l'éphémère d'un temps qui nous est compté mais reste toujours incertain, sans pouvoir être jamais tout-à-fait sûrs que nous serons encore là demain, conscience de la mort qui donne toute sa valeur à notre existence dans sa fragilité, nous aide à supporter la vie que nous menons et nous fait prendre conscience de la présence du monde dans l'angoisse même de notre disparition prochaine. Car ce qui fait notre humanité, c'est bien le langage et la conscience de la mort qu'il permet, nous séparant ainsi de notre animalité comme l'esprit du corps.
J'ajoute, cette démonstration parue dans le Telegraph du caractère génétiquement programmé de la vieillesse comme sommet de l'évolution et clé de notre humanisation.
On sait que la principale caractéristique d'homo sapiens par rapport à Neandertal entre autres, c'est des groupes plus nombreux, avec plus de personnes âgées (de plus de 30 ans). La vieillesse est donc sans doute une condition de la culture. Le fait que les femmes vivent longtemps après avoir perdu leurs capacités reproductrices est une exception dans le règne animal, ce qui suggère que la vieillesse est génétiquement programmée au lieu de n'être qu'un effet du hasard ou plutôt d'une absence de sélection à ces âges jamais atteints ("Middle age is a controlled and preprogrammed process not of decline but of development"). Ce serait, au contraire un "sommet de l'évolution". Même le fait de grossir, de ne plus être séduisant, d'avoir les seins qui tombent, etc., serait programmé pour mieux remplir la fonction de grands-parents ou de durabilité.
Bien sûr, ce n'est pas pour rien que c'est au moment où les sociétés vieillissent qu'on découvre les vertus de la vieillesse et que ce sont les anciens qui font tourner le monde mais il ne faut pas non plus exagérer, vieillir est aussi une perte de capacités et des maladies dégénératives qui vont dans le sens inverse, le biologique étant contradictoire, toujours en équilibre instable entre forces contraires.
Une vie sans fin est un cauchemar non pour l’individu mais pour la société et l’espèce.
Il y a cauchemar partout où il n’y a pas de maximum : consommation (d’énergie en particulier), richesse individuelle, déchets générés, espaces occupés, nombre de vivants etc.
Une société bien organisée doit gérer rationnellement ses maximum ; elle ne devrait pas admettre qu’un individu reçoive assez pour vivre plusieurs vies (comme 8.5 M€) car c’est se mettre hors l’humanité.
Dans une célèbre vidéo à l'Université libre de Louvain, Lacan faisait état du cauchemar d'une vie sans fin comme une image de l'enfer, cauchemar dont on était joyeux de se réveiller au matin, le coeur tout léger d'habiter dans le provisoire et l'éphémère du temps.
Pourrait-on voir quelque part cette vidéo ( et d'autres d'y celui )?
Il suffit de chercher sur Internet. On trouve des vidéos de Lacan ici :
http://www.lutecium.org/Jacques_...
ou ici :
http://www.dailymotion.com/relat...
Télévision, qu'il faut peut-être mieux lire que voir dit des choses essentielles.
Il me semble que les homards ne vieillissent pas pourtant et même sont toujours en période de croissance. L'idée de la mort semble importante dans la transmission de la vie et pour l'homme de la place sociale. La vieillesse, physique au moins, ne me semble pas incontournable dans ce processus.
Je ne suis absolument pas compétent mais il me semble que ce n'est pas parce que le homard continue sa croissance qu'il ne vieillit pas (accumulant les toxines) et surtout, le fait que certains organismes échappent à la vieillesse (ce qui est douteux) ne serait pas une réfutation du rôle du vieillissement, au contraire d'une certaine façon.
J'ai bien dit qu'on pouvait réduire en grande partie le vieillissement, cela n'empêche pas qu'il est inéluctable la plupart du temps pour des raisons écologiques et non biologiques. Dans notre situation non seulement la vieillesse n'est pas un avantage mais elle a un coût important donc on devrait pouvoir en réduire l'incidence.
Il n'est pas impossible non plus que des organismes échappent à la mort biologique, il suffit que leur reproduction soit plus faible que leur mort par prédation par exemple mais je ne fais que réfléchir tout haut sur un sujet que je ne connais pas assez...
Je pense que votre analyse est tout à fait pertinente dans une projection politique que je devine encore plus large. En tous cas elle m'intéresse.
Maintenant il me semble que la vieillesse peut être vue de plusieurs façons différentes. La production de nouvelles cellules me semble être juste là-dessus car la juvénilité peut tout à fait entrainer, je crois, la mort biologique par tout un tas de processus, ce n'est pas le statuquo d'un état optimum et accepte l'idée de dégradation du temps (toxine, écologie extérieur comme les toxines, les maladies, les accidents...). Le temps existe sans nécessité de conceptualiser nécessairement la vieillesse comme intrinsèque et l'entropie peut tout à fait continuer de créer de "l'ordre" (certainement même, quelle qu'en soit sa forme).
Maintenant peut-être que la vieillesse a un sens dans la limitation de la faculté de procréer.