L’aire de Broca dédiée à la grammaire comme à la rationalité procédurale

Temps de lecture : 6 minutes

- L'aire de Broca dédiée à la grammaire comme à la rationalité procédurale
Thierry Chaminade, La Recherche, p60

Parler comme on taille des silex | La Recherche

J'ai voulu mettre un titre plus précis mais cela aurait pu être "L'origine commune du langage et de la technique". L'article original s'appelle "Parler comme on taille des silex", Thierry Chaminade mettant en relation langage et taille des silex par l'intermédiaire du développement de l'aire de Broca, bien connue pour son lien au langage mais qui serait aussi nécessaire pour suivre des procédures de fabrication selon des règles du même ordre que la grammaire. C'est bien sûr très important puisque cela identifie langage et technique mais aussi parce que cela ferait remonter la grammaire, et donc peut-être le langage narratif, à des temps un peu trop reculés (une procédure comportant des étapes successives est effectivement de l'ordre de la narration).

Le rôle attribué au langage était jusqu'ici réduit à la transmission alors qu'il devient plutôt un produit de la rationalité et des procédures techniques, non pas de la fiction (des mythes qui n'en seraient que des pathologies) et donc pas des bavardages des femmes ni des contes pour enfant comme on en avait fait l'hypothèse. Cela n'empêche pas que la capacité de transmission permet ensuite d'accélérer l'évolution et de complexifier les techniques, ce qu'on n'observe d'ailleurs pas tellement avant le paléolithique supérieur, les innovations restant très rares avant. Le plus vraisemblable reste que le langage narratif est bien plus récent mais que sa structure préexistait dans les procédures techniques et que son émergence a été plus progressive.

En tout cas, on remet ainsi sur les pieds l'histoire de notre humanisation qui ne commence pas par l'esprit mais par une raison procédurale qui reste ancrée dans le biologique et la pratique manuelle (on avait d'ailleurs vu que la taille de la pierre avait fait évoluer nos mains). L'esprit joue quand même un grand rôle par l'intermédiaire de l'imitation et des neurones miroirs qui activent l'aire de Broca de celui qui regarde de façon semblable à celui qui taille la pierre (identification à l'intentionnalité du geste).

Aucun des proches cousins de l'homme - chimpanzés, gorilles, orangs-outans, etc. - ne parle. Pourtant, la plupart ont à leur disposition certains des prérequis nécessaires au langage. Par exemple, leurs organes vocaux leur permettent des vocalisations simples : ils émettent des sons pour signifier leurs émotions ou signaler un danger. On a aussi observé que des chimpanzés peuvent apprendre la langue des signes, associant des gestes à des objets ou à des actions concrètes. Cette forme de symbolisme constitue une première étape vers le langage.

Cependant, aucun singe ne maîtrise une forme de communication comparable aux langages humains, du point de vue de la richesse de vocabulaire et de la complexité de la grammaire. De la même manière, s'ils utilisent des pierres pour ouvrir des noix, par exemple, ils ne fabriquent pas véritablement des outils. Le langage et la fabrication d'outils ne se sont développés que chez l'homme. (...) Ces deux facultés sont en effet commandés par la même structure cérébrale : l'aire de Broca, structure propre à l'homme et chargée de hiérarchiser les actions.

En 1991, une professeur de psychologie à l'université de Californie à Los Angeles, Patricia Greenfield, a constaté que, chez l'enfant, l'apprentissage du langage semblait se dérouler de manière simultanée avec un autre processus, la manipulation d'objets.

Afin de cartographier les régions du cerveau impliquées lorsqu'un spécialiste de ces outils les fabrique, nous avons utilisé la tomographie par émission de positrons [...] Résultat : les deux types de pierre taillée (les plus primitives de plus de 2 millions d'années et les bifaces acheuléens de 1,7 millions d'années à 500 000 ans) activent l'aire de Broca, mais pas au même endroit. Fabriquer les outils les plus primitifs nécessite une activité dans la partie postérieure de l'ère de Broca, dans l'hémisphère gauche. C'est une zone qui est impliquée dans le contrôle moteur des mouvements de la main, mais aussi dans celui de l'articulation des sons.

La fabrication d'outils acheuléens requiert en revanche une région plus antérieure de l'aire de Broca, dans l'hémisphère droit. C'est dans cette même zone [mais plutôt dans l'hémisphère gauche ?] que le cerveau traite des aspects structurels du langage (la grammaire). Donc de la hiérarchie des mots.

Le recours à cette zone cérébrale pour fabriquer les outils acheuléens semble relever du même type de fonction : la hiérarchisation des gestes.

Nous avons étudié les régions du cerveau activées lorsqu'un observateur regarde un expert qui fabrique ces objets [...] Les résultats ont montré que s'il est novice, l'activité de l'aire de Broca de l'observateur se concentre dans la partie postérieure, celle qui sert au contrôle moteur des actions [...] En revanche, si l'observateur est expert, c'est une zone plus antérieure de l'aire de Broca qui est activée. Or, c'est celle qui contrôle la hiérarchie des différents gestes dans la taille de pierre [...] Il semble donc bien qu'il y ait un phénomène miroir.

Page 24, une petite brève fait état de coquilles d'oeuf d'autruche couverts de signes abstraits datant de 110 000 ans en Afrique du sud, ce qui pourrait être une manifestation du langage ?

1 337 vues

2 réflexions au sujet de “L’aire de Broca dédiée à la grammaire comme à la rationalité procédurale”

Laisser un commentaire