La situation est grave, cela commence à se savoir. Dans ce contexte, on a sans conteste besoin qu'il y ait de plus en plus d'écologistes radicaux si cela veut dire des écologistes ayant pris la mesure des problèmes et décidés à consacrer leurs forces à essayer de les résoudre. Par contre, on n'a pas du tout besoin de querelles de chapelles sur ce qui serait la véritable écologie surtout si c'est le prétexte à mettre des bâtons dans les roues de ceux qui agissent. La plupart des écolos qui traitent les autres d'écotartuffes pourraient bien en être accusés à leur tour et mis devant leurs contradictions. Reconnaître la gravité de la situation, c'est aussi reconnaître qu'il n'est plus temps de faire la fine bouche et carrément débile de s'opposer à la transition énergétique en cours (en prétendant "s’extraire de l’imaginaire transitionniste", on croit rêver !). Il faut redescendre sur terre où il ne suffit pas de vouloir sortir de la croissance, du capitalisme, de l'industrie pour que cela change quoique ce soit à ces puissances effectives qui ont conquis désormais toute la planète. C'est dramatique mais on ne change pas si facilement un système de production lié à l'état de la technique et qui se transforme profondément avec le numérique.
Il est de la plus haute importance de prendre conscience de notre impuissance pour la dépasser au lieu de croire pouvoir réussir là où les générations précédentes ont échoué et halluciner une insurrection de toute la société qui nous sauverait in extremis. On n'a plus de temps à perdre avec ces enfantillages car cela ne veut pas dire qu'on ne peut rien faire mais que nos moyens sont limités et qu'il faut combiner différentes formes d'action, où les écologistes radicaux restent indispensables, que ce soit pour construire des modes de vie plus écologiques ou défendre des territoires, mais à condition de ne pas se retourner contre les autres acteurs qui sont plus décisifs au niveau mondial - même si on n'appartient pas au même monde ! La première exigence est la prise de conscience de l'urgence, faisant des enjeux écologiques une priorité absolue, mais en second, vient la nécessité de prendre la mesure de l'ampleur du problème et de ce qui résiste à nos bonnes intentions. Il ne suffira ni de sortir tous dans la rue, ni d'une décision gouvernementale, encore moins d'une conversion des esprits.
Si la prise de conscience des conséquences du réchauffement est bien le préalable à une mobilisation de toute la société, ce n'est pas la servir que d'en rajouter dans le catastrophisme comme si on savait mieux que tout le monde. En fait, il faut se rendre compte que la prise de conscience collective actuelle est d'abord celle des scientifiques et du Giec, se faisant de plus en plus alarmants à mesure que les connaissances progressent. Certains trouvent que le Giec est encore trop prudent et ne retient pas les pires scénarios, ils ont apparemment raison mais ce n'est pas une question de conviction personnelle. En tout cas, personne de sérieux ne parle de la fin de l'humanité. Il ne s'agit pas de prétendre que ce serait impossible, j'ai moi-même évoqué le risque d'empoisonnement de l'atmosphère, mais ce n'est pas pour demain, on a le temps de réagir, et ces hypothèses doivent s'étudier sérieusement. Ce qui va certainement se produire, c'est surtout l'effondrement d'écosystèmes aggravant la 6ème extinction. Les risques sont considérables jusqu'au pic de population attendu (en Afrique), pas la peine d'en rajouter, vraiment.
Les conséquences déjà désastreuses d'un réchauffement de 2°C, qui pourrait monter à 5,5°C si on ne fait rien, justifient qu'on se préoccupe de l'éviter à tout prix, raison pour laquelle le Giec avertit qu'étant données nos émissions actuelles et le rythme prévisible de la transition énergétique, on aura absolument besoin de la capture du CO2. Ce n'est certes pas une solution miracle qui nous dédouanerait de toute action, seulement une façon de réduire un peu plus nos émissions, mais, si on a raison de dire que les techniques de capture et d'enfouissement ne sont pas encore complètement maîtrisées, il y a des progrès tous les mois dans la transformation du CO2 en carburant ou en solides (béton, magnésite, basalte, etc). C'est incontestablement une voie à soutenir, la seule géoingénierie raisonnable même si là aussi il ne faut ni se faire d'illusions ni tomber dans le simplisme. Ainsi, la meilleure "technique" de capture du CO2, n'a rien de high tech puisque c'est la reforestation et la gestion des sols (surtout pas de biomasse) mais il y a besoin de dizaines d'années pour que les forêts stockent du carbone et vouloir l'accélérer en plantant des conifères augmente encore les températures (et réduit la biodiversité) ! L'Europe n'est d'ailleurs pas la plus concernée par la reforestation déjà engagée par la Chine et le Pakistan mais il faut des applications intelligentes à chaque fois et de multiples approches. De toutes façons, on n'échappera pas à la nécessité de la capture du CO2. Même s'il n'y a pas de quoi empêcher le réchauffement, seulement en limiter l'impact, ne pas le faire serait un crime. Il faut souligner qu'en introduisant cette nécessité, le Giec passe du diagnostic à l'action, évaluant scientifiquement la meilleure piste pour compenser une impuissance politique constatée jusque-là face à l'inertie planétaire. Mais après avoir dû affronter les climato-sceptiques refusant le diagnostic des scientifiques, ce sont les idéologues et les fausses solutions utopiques qui s'opposent aujourd'hui aux scientifiques et à un climato-réalisme devenu pourtant vital.
Alors que les géoingénieries de science-fiction éveillent avec raison la méfiance, ce n'est pas du tout le cas d'une réduction du CO2 que nous émettons. Si cela paraît malgré tout un scandale aux yeux des écologistes radicaux, c'est qu'ils voudraient - avec quelques raisons - qu'on arrête immédiatement les énergies fossiles et qu'on sorte du capitalisme sur le champ. Le raisonnement des militants peut paraître logique qu'en donnant (comme Anders) dans l'exagération on marquerait mieux les esprits, obtenant une réaction plus forte, mais ce qui marche, hélas, contre l'immigration, n'a fait que décrédibiliser les écologistes. Seuls les scientifiques sont crédibles et ils ne sont déjà pas rassurants du tout. Au-delà même de la dramatisation, ce que rejettent les militants, c'est le "solutionnisme", l'idée qu'il pourrait y avoir des solutions dans ce monde alors qu'un autre monde serait possible ! Laisser croire qu'il y aurait une issue possible serait démobiliser les masses qui seraient prêtes sinon à se convertir à l'écologie et basculer dans un autre système (on ne sait pas trop lequel). Non seulement ce n'est pas du tout ce qui se passe mais ces chimères mènent les écologistes les mieux intentionnés à amplifier le désastre en se battant contre leur camp ! C'est quand même un comble ! Ceux qui croient que le capitalisme va nous sauver sont rejoints dans leur illusion par ceux qui croient que la politique va nous sauver, l'anticapitalisme n'étant ici qu'un vain mot qui sert de solution magique. Pour rejeter les solutions pratiques on déplorera ainsi que la technologie remplace la politique mais le pouvoir de la politique est alors mythifié et on en reparlera quand les écologistes seront majoritaires - ce qui pourrait finir par arriver si on ne leur tape pas trop dessus (même s'ils le méritent souvent), on en est très loin. De toutes façons, il n'y a pas de SOLUTION générale au point où l'on en est, il n'y a que différentes façons de limiter les dégâts. Aucune solution n'est assez efficace assez rapidement, que ce soit la transition énergétique, la capture du CO2 ou les alternatives locales. Il faudrait se donner comme règle de considérer qu'il n'y a pas de faux amis écologistes car il faut agir sur tous leviers, ce qui est gagné est gagné même très insuffisant. C'est une évidence dont il faut se persuader et en tirer les conséquences, les écologistes radicaux ne suffiront certes pas à eux tout seuls !
Les discours de tribune et positions extrémistes qui s'opposent aux compromis et petits pas réduisent souvent la croissance à une idéologie, accusant le capitalisme d'avoir colonisé nos esprits, on ne sait par quel pouvoir médiatique totalitaire. Bien sûr, si c'était vrai, les choses seraient simples, l'économie ne serait qu'une religion de l'argent, il suffirait de changer de religion, de croyance, de représentation et le tour est joué du jour au lendemain. Ainsi, être radical ce serait aller à la racine idéologique supposée des choses et simplement changer nos façons de penser pour une vérité alternative, mais c'est le réel qui disparaît dans cet idéalisme qui s'imagine que ce sont les idées qui mènent le monde alors que ce sont des puissances matérielles. On s'aperçoit vite qu'il ne suffit pas de dire la vérité pour que cela ait un effet quelconque, et notamment de constater que le productivisme capitaliste est antinomique avec l'écologie, ce qui serait effectivement difficile à nier. Si les condamnations du capitalisme ont été virulentes depuis son apparition, elles n'ont pas empêché son triomphe partout. On peut s'en scandaliser mais il faudrait plutôt en comprendre les raisons, qui sont d'efficacité matérielle de l'investissement du capital dans la techno-science et du "bon marché des marchandises" - donnant finalement la puissance militaire. Nous n'avons pas la main et l'histoire nous enseigne que ce qui nous paraît nécessaire n'est pas toujours possible pour autant. C'est bien le communisme qui s'est effondré, pour des raisons économiques, pas le capitalisme malgré ses crises récurrentes, il a pu du moins être humanisé avec des droits sociaux et des normes comme on doit l'écologiser. Ne pas le faire en croyant qu'on pourra se débarrasser facilement du capitalisme au moment où il domine la terre entière, c'est juste ne pas vouloir voir la réalité en face alors que les enjeux écologiques ne sont pas idéologiques mais bien réels et n'attendent pas. C'est maintenant que notre action est décisive. S'il fallait attendre la fin du capitalisme pour réduire le réchauffement on serait tous morts.
Il est difficile pour les militants de se défaire de l'illusion paranoïaque qu'on pourrait décider du monde dans lequel on vit, illusions nourries faussement par la Révolution française et qui ont ouvert l'ère des idéologies dont le fiasco a été complet. On est bien obligé d'opposer à cet idéalisme groupusculaire le matérialisme des puissances effectives, notamment économiques, qui ne nous laissent pas faire et son déterminantes en dernière instance au moins. Devenir matérialiste, donc hélas réaliste, est certes assez déprimant, il n'y a pas tant de possibles, mais c'est une nécessité écologique. Il n'y a rien de plus réaliste que l'écologie. Il ne suffit pas de se déclarer opposé à ce monde pour le changer. Il ne suffit pas de se déclarer anticapitaliste pour se désolidariser de notre monde concret et du négatif de notre industrie, façon trop facile de se croire innocent alors qu'on est tout autant responsable de notre impuissance collective. Etre plus radical en parole ne change absolument rien à l'effondrement écologique auquel on participe.
On peut changer de régime politique mais changer de système de production n'est pas si facile, il faut même que ce soit l'évolution technologique qui impose un nouveau système de production (numérique) et sûrement pas un volontarisme étatique. On peut bien vouloir abolir l'argent, le travail, la société de consommation, cela ne change rien à leur réalité. Notre pouvoir sur les autres pays (Chine, Etats-Unis, etc.) est nul. Par contre, nous pouvons construire localement les bases d'une production plus soutenable privilégiant les circuits courts avec, comme je le propose depuis des années à la suite de Gorz et Bookchin, des coopératives municipales et des monnaies locales (plus un revenu garanti qui reste national). Rien de très enthousiasmant sans doute, ni de suffisant non plus, mais je n'ai rien trouvé de mieux en cherchant pendant mes années militantes quelles étaient les réelles alternatives possibles à la production capitaliste. En dehors de ces alternatives concrètes qui prendront du temps à se généraliser, l'industrie capitaliste continuera à nous ravitailler en marchandises alors que la température n'arrête pas de monter. Quoique prétendent ceux qui se croient les plus radicaux, on a donc absolument besoin du capitalisme vert pour réduire nos émissions et nous fournir en panneaux solaires. On a absolument besoin des technologies aidant à réduire nos émissions et qui seront plus décisives que nos propres actions (nécessaires mais insuffisantes). Ne pas le comprendre est criminel.
Il n'y a pas de bonnes nouvelles, rien de satisfaisant ni qui nous sauverait de conséquences inéluctables, pas de réconciliation finale avec un monde qui reste si souvent insoutenable et injuste, seulement notre effort pour éviter le pire. Reconnaître que ce n'est pas demain la veille que le capitalisme disparaîtra de la planète n'est pas s'en réjouir, c'est reconnaître dans quel monde on vit et ne pas surestimer notre capacité à le changer mais c'est dans ce monde qu'il faut agir, essayer de faire tout ce qu'on peut au lieu de saboter des progrès possibles au nom d'utopies impossibles. Il faut alerter les écologistes sur leurs faiblesses et leur responsabilité historique, ne semblant pas prendre eux-mêmes la mesure de l'urgence, à discuter encore du chemin qu'on aurait dû prendre quand il faut freiner pour ne pas rentrer dans le mur.
Au lieu de prendre de haut la naïveté des nouveaux convertis et se moquer des différents appels de célébrités ayant suivi celui, bien plus important, de 15 000 scientifiques, il faudrait se réjouir d'une prise de conscience des "bobos" ainsi que de la présence médiatique qu'ils ont prolongée des enjeux écologiques puisque c'est toute la société qui doit s'en préoccuper, avec son éventail politique pas forcément à notre goût. On voit qu'il y a aussi des divisions importantes entre écologistes, les plus réalistes se faisant insulter par les idéologues adeptes de la pensée magique, se donnant en tout cas des objectifs inatteignables et ne servant à rien. On peut bien sûr critiquer des tendances autoritaires, individualistes ou spirituelles (alors qu'il s'agit avant tout d'organisation sociale), mais pas en faire les ennemis principaux. Il y a autre chose à faire que de s'insulter entre écologistes sur de grands principes quand il faudrait ajouter nos forces pour gagner quelques batailles, certes toujours trop partielles voire compromettantes, mais qui fait mieux ? On ne pensera jamais tous pareil mais, dans notre situation, il faudrait plutôt réussir à nous unir pour peser sur la politique au lieu de diviser nos maigres troupes au nom de la pureté écologiste. Le risque de l'échec est grand au moment où ce sont les populistes autoritaires qui montent, bien plus que les écologistes.
Devant la catastrophe déjà là et à laquelle il faudra bien s'adapter, la question qui se pose n'est pas celle de l'idéal mais du possible, de ce qu'on peut faire réellement de plus efficace. Et si on est persuadé de la nécessité de changer de vie, il faut le faire, localement sans attendre que le monde change. Ce qui est sûr, c'est que pour le changer, il faut prendre la mesure de notre impuissance et s'engager dans toutes les directions ouvertes : solaire, agroécologie, reforestation, relocalisation, normes européennes, accords mondiaux, communs et que ceux qui prétendent faire mieux le fassent, montrent l'exemple, tous les modes de vie plus écologiques sont à encourager mais le temps nous est compté, il n'est plus temps de faire les malins.
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